Le droit de vote des femmes ne fait pas son âge

Ce n’est pas comme si les femmes avaient attendu, mais presque. En 2021, la Suisse fête les 50 ans du suffrage féminin sur le plan fédéral. Avant le 7 février 1971, la moitié de la population ne pouvait pas voter, élire, être élue ni signer des initiatives ou des référendums.

Les premières à se lancer dans la bataille pour le droit de vote ont été les Zurichoises, à la faveur de la révision de la Constitution cantonale, en 1868, indique le site ch2021.ch dans une passionnante chronologie.

Crédit photo: Archives sociales suisses, Sozarch_F_Fb-0021-29

Faisons un saut de 80 ans: lors de l’Exposition nationale du travail féminin (mais oui!), en 1928, un char fait scandale. Appelé “Droit de vote des femmes”, il a la forme d’un… escargot.

Je ne ferai pas ici la chronique de toutes les mobilisations qui ont abouti au 7 février 1971. Ni des échecs. Mentionnons quand même la première votation fédérale sur le sujet: le 1er février 1957, les hommes refusent le droit de vote et éligibilité aux femmes, avec 66,9%. Le remarquable film L’Ordre divin en parle mieux qui quiconque. À l’inverse, parmi les pionniers, le conseil municipal d’Unterbäch en Valais décide
de laisser les femmes participer à une votation fédérale, en 1957. C’est Bâle-Ville qui introduira, le premier, le droit de vote sur le plan communal, en 1958. Les citoyennes de Riehen seront ainsi les premières à glisser un bulletin de vote dans l’urne, le 26 juin 1958. Au niveau cantonal, Vaud et Neuchâtel ouvrent le bal en 1959.

Si la plupart des cantons s’alignent progressivement sur la Confédération, Appenzell Rhodes-Intérieures est resté célèbre pour avoir rendu hommage au char “escargot” cité ci-dessus, puisque les citoyennes devront encore attendre 20 ans pour voter sur le plan cantonal. Elles le feront pour la première fois le 28 avril 1991, après un arrêt rendu par le Tribunal fédéral en 1990. Le Liechtenstein sera le dernier pays d’Europe à donner le droit de vote aux femmes, en 1984, en même temps que, sur un autre continent, l’Afrique du Sud l’accordera aux femmes métisses; dans ce dernier pays, les femmes noire attendront encore 10 ans pour pouvoir voter, élire et être élues.

L’égalité ne saurait, toutefois, se limiter au droit de vote et d’éligibilité. Ainsi l’autorité parentale commune et/ ou de la mère date de 1978, selon cette chronologie établie par Le Temps.

Il fallait être meilleure pour entrer au collège

Qu’on me permette de raconter un souvenir personnel. Au début des années 80, dans le canton de Vaud, j’ai fait partie de la dernière volée de filles qui devaient présenter un nombre de points plus important que les garçons pour pouvoir entrer au collège qui ouvrait la voie des études secondaires. À l’époque, on nous expliquait que les filles étaient plus mûres que les garçons au même âge, et que c’était donc normal qu’on mette la barre plus haut pour elles: il fallait laisser une chance à ces pauvres garçons. C’est étrange, je n’ai jamais entendu l’argument inverse (en faveur des femmes), plus tard, pour l’accès à des postes à responsabilité. Là aussi, le Tribunal fédéral est venu remettre à l’ordre le canton.

N’empêche, ma mère a dû attendre 1988 pour avoir le droit d’ouvrir un compte toute seule, sans l’accord de mon père. J’avais 13 ans. C’est en effet la révision du droit matrimonial qui a fait disparaître la disposition selon laquelle l’homme est le chef de famille et la femme responsable des tâches ménagères. C’est aussi cette année-là qui voit la femme pouvoir se passer de l’autorisation de son époux pour exercer une activité professionnelle.

Il faudra patienter jusqu’au 21e siècle et 2002 pour que l’avortement soit décriminalisé sur le plan fédéral. Pour un congé maternité rémunéré, on poireautera jusqu’en 2004… Et jusqu’en 2020 pour un congé paternité de 2 semaines, de même que (sous réserve de l’aboutissement du référendum et d’une éventuelle votation) pour le mariage civil pour toutes et tous.

Bon à savoir, la Commission fédérale pour les questions féminines (CFQF) a édité, à l’occasion de ce 50e anniversaire, tout un matériel sur l’histoire de l’égalité.

En exergue, la CFQF a inscrit cette citation de Simone de Beauvoir: «Les femmes qui ne demandent rien sont prises au mot : elles n’obtiennent rien.» Malgré ces multiples avancées, en Suisse, en 2021, l’égalité n’est pas encore pleinement réalisée: on n’a pas fini d’entendre les femmes.

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

2 réponses à “Le droit de vote des femmes ne fait pas son âge

  1. J’ai aimé lire l’histoire des droits de la femme que vous donnez, parce que ma mère était une féministe de 2021, mais bien plus tôt, elle aurait aujourd’hui 106 ans. Elle ne manifestait pas dans la rue, mais tempêtait contre mon père bien qui était un chef sans pouvoir, et souvent il me disait : « Ne fait pas la même erreur que moi qui ai épousé une femme comme ma mère !.. »

    La femme que j’ai aimée le plus fort ne savait pas faire à manger ni coudre un bouton, et me mettait parfois dans les bras sa petite fille sans dire un mot, mais j’entendais sa pensée : « Elle est à toi… » Et nous ? Qui appartenait à l’autre ?..
    « Dominic je ferai toujours tout ce que tu veux, tu seras mon maître, je t’appartiendrai entièrement ! Oh je t’aime si fort !.. »
    Des fois j’étais invité chez ses parents, le père donnait des ordres à sa femme qui obéissait en faisant bonne mine, puis pleurait seule quand il était loin. Elle remplissait son devoir d’épouse, et rabrouait sa fille si elle osait répondre à son père. Elle et lui voulaient me prendre séparément pour me parler :
    « Monsieur Dominic, je connais ma fille mieux que vous, soyez vigilant, vous devez dès le début la tenir, sinon elle fera de vous ce qu’elle veut ».
    — Nous faisons chacun tout ce que nous rêvons de vivre avec l’autre, nous tenons beaucoup à nous.
    — Elle vous en fera voir de toutes les couleurs, comme à moi et ma femme.
    — J’aime ces couleurs.

    « Dominic je voudrais que vous m’autorisiez à venir des fois le samedi pour faire la lessive ».
    — Pas besoin Madame, depuis l’âge de douze ans je faisais ma lessive, votre fille fait tant d’autres choses qui nous rendent plus heureux que des vêtements bien pliés dans une armoire.
    — Vous verrez…

    Eh oui j’avais vu, mon amie changeait trois fois de vêtements pas jour, les lançait sur une pyramide. Les voisins se plaignaient que je faisais tourner les six machines à laver au milieu de la nuit. Mais j’aimais tant ces vêtements, les siens, les miens, ceux de sa petite fille. Parfois je me levais au milieu de la nuit pendant que les deux dormaient, cela me faisait chaque fois une drôle d’impression de voir les trois paires de chaussures vides, alignées ensemble dans le corridor. C’était le silence complet, comme la mort ? Demain j’allais entendre de cris, des rires, des pleurs, tout ce que je rêvais depuis toujours…

    Ce récit, c’était pour dire que l’on peut être heureux quand on partage beaucoup de droits, ou que l’on s’en offre et pas à l’autre, chacun à tour de rôle, pour mieux casser ce qui subsiste en nous du monde de notre famille, mais sans jeter ces précieux éclats.

    Vous ne serez peut-être pas contente en lisant ce que mon amie m’avait une nuit chuchoté à l’oreille pendant que nous étions plongés dans le noir :
    « J’ai lu quelque chose de si beau, un jour où j’avais forcé le meuble où ma mère cachait ses secrets. Je vais te dire quoi : « Viens t’asseoir à côté de moi sur le banc devant la maison, femme, tu en as bien le droit, voici quarante ans que nous sommes ensemble… »

    Nous n’avons pas vécu quarante ans ensemble, beaucoup moins, elle vivait trop fort et trop vite. Aujourd’hui je suis seul assis sur le banc, j’essaye de savoir ce qu’elle me chuchoterait si elle pouvait revenir trois minutes à côté de moi : « Homme… »

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