Le brevet sur le saumon a du plomb dans la nageoire

Avec un poil de retard, je reviens sur l’interdiction des brevets sur les plantes et les animaux obtenus de manière conventionnelle, c’est à dire sans avoir été modifiés génétiquement, par exemple. Prise par la Grande Chambre de recours de  l’Office européen des brevets, cette décision représente un virage à 180° par rapport à celle rendue par la même instance en 2015.

Si je reparle du sujet, c’est que chacun de mes billets à ce propos suscite son lot de commentaires enflammés, voir par exemple, justement, celui sur le saumon, publié en septembre 2019. Après une brève éclipse numérique, je me devais donc de continuer à suivre cette affaire qui, comme tout ce qui concerne l’agriculture, touche directement notre assiette et la question de la souveraineté alimentaire.

Nombreuses incertitudes

Remise d'une pétition au siège de Singenta par la coalition "Pas de brevets sur le vivant" ("No patents on seeds")
(c) Sebastian Widmann

Saluée par de nombreuses organisations de la société civile, la décision de la Grande Chambre de recours ne résout toutefois pas tous les problèmes, mettent en garde les organisations Public Eyes, Swissaid et Pro Specie Rara, dans un communiqué commun. Ces organisations appellent notamment à une définition claire qui permette d’établir la différence entre les “inventions techniques”, pour lesquelles l’obtention d’un brevet est possible, et les “méthodes conventionnelles”, non brevetables.

Autre épine dans le pied des paysans comme des consommateurs: la décision rendue en mai dernier ne concerne que les brevets obtenus après le 1er juillet 2017.

Et la Suisse?

Dans l’Union européenne et en Suisse, plus de 700 variétés végétales font actuellement l’objet d’un brevet, indiquent ProSpecieRara, l’Union Suisse des Paysans et Sativa Rheinau AG dans un communiqué, daté du 18 juin. En Suisse, une motion a, d’ailleurs été déposée devant le Conseil des États, demandant une modification du droit fédéral sur les brevets.

En effet, contrairement aux pays voisins, la Suisse n’a pas encore inscrit dans sa législation le principe selon lequel les plantes obtenues selon des « procédés essentiellement biologiques » ne peuvent être brevetées.

Alerte rouge pour la biodiversité

Dans un monde où la biodiversité régresse à une vitesse inquiétante – voir le cri d’alarme lancé par l’Organisation de l’ONU pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la question des brevets revêt une importance cruciale. Les géants de l’agro-alimentaire l’ont bien compris.

Vous reprendrez bien un peu de de cette salade de tomates brevetées?

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.