Tant pis pour l’Amérique latine?

Des réfugiés et des migrants vénézuéliens traversent la frontière pour se rendre à Cucuta, en Colombie. © HCR/Vincent Tremeau
Des réfugiés et des migrants vénézuéliens traversent la frontière pour se rendre à Cucuta, en Colombie. © HCR/Vincent Tremeau

Familles avec enfants, femmes enceintes, personnes âgées, personnes handicapées: près de 4,3 millions de Vénézuéliens ont quitté leur pays, “ce qui en fait une des plus importantes crises de déplacement du monde”, d’après le Haut Commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR). Parmi ces réfugiés, 3,5 millions ont cherché l’asile dans les pays voisins d’Amérique latine qui n’ont ni les structures, ni les moyens de faire face à une telle situation.

Après un voyage éprouvant où elles sont à la merci des trafiquants, ces personnes ont besoin de documents d’identité, de protection, d’abri, de nourriture et de médicaments. Or, des centaines de milliers de Vénézuéliens sont toujours sans documents d’identité ou permis de séjour dans les pays voisins et n’ont donc aucune garantie de pouvoir exercer leurs droits fondamentaux. Cette situation les rend extrêmement vulnérables à l’exploitation professionnelle et sexuelle, au trafic d’êtres humains, à la violence, à la discrimination et à la xénophobie, constate le HCR. Celui-ci observe aussi que les familles qui arrivent dans les pays voisins du Vénézuela sont de plus en plus démunies. Plus d’un million d’enfants ont besoin d’aide, estime l’UNICEF.

Savoir-faire suisse menacé?

On ne parle pas ici d’une crise de quelque mois, mais d’années, voire de dizaines d’années. Le défi, tant pour les gouvernements et la communauté internationale, est certes l’aide d’urgence mais aussi la coexistence avec les populations locales, l’intégration et le fait de pouvoir permettre à ces nouveaux venus de subvenir à leurs besoins. C’est même le gros défi en Colombie, au Costa Rica, en Équateur, au Panama, au Brésil et au Pérou: l’inclusion socio-économique. Quel avenir donner à ces personnes, proies toutes désignées pour les groupes armés et les mafias de tout poil? Comment intervenir avec de l’aide alors que les populations locales vivent, elles aussi, dans des contextes fragiles? En renforçant la société dans son ensemble, par des projets ayant une approche systémique et inclusive, sur la durée.

Cela s’appelle la coopération au développement. En la matière, la Suisse a un savoir-faire certain, et un rôle à jouer. Ses organisations non gouvernementales y sont bien implantées, en particulier en Colombie et au Pérou, et disposent d’importants réseaux sur le plan local. Toutefois, la crise migratoire qui se joue en Amérique latine paraît bien loin des préoccupations du Conseil fédéral. Dans son message sur la Coopération internationale, récemment mis en consultation, celui-ci prévoit de recentrer son action sur quatre régions: l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient, l’Afrique subsaharienne, l’Asie et l’Europe de l’Est. Le Département fédéral des Affaires étrangères “transférera progressivement, d’ici à 2024, des ressources affectées à certains pays à revenu intermédiaire notamment en Amérique latine vers ces quatre régions prioritaires.” Qu’on se le dise: la coopération internationale tiendra compte “des intérêts de la Suisse en matière de politique migratoire”. Switzerland first, et tant pis pour l’Amérique latine?

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.