Ramener des informations de Libye

J’aimerais saluer le courage d’une journaliste qui enquête inlassablement pour ramener des faits et des témoignages d’une sorte de tache aveugle dans notre monde dit “surinformé”, la Libye. Et cette journaliste, c’est la correspondante de la RTS, Maurine Mercier. Elle participait, fin mars, à une table ronde au Festival Histoire et Cité.

Comme beaucoup de mes concitoyens, ma connaissance de la Libye se résumait à quelques mots: Khadafi, pétrole, ruines antiques. Grâce à Maurine Mercier, j’en ai appris plus en un après-midi qu’en une vie. Sur ce que représente le fait de ramener des informations de Libye, d’abord.  Comme journaliste, se rendre “souvent en Libye”, c’est y aller une fois par année, après avoir fait, pendant six mois, un marathon de démarches administratives afin de décrocher un visa. Et de décrire un pays fermé, opaque, des structures étatiques déliquescentes et surtout un pays laissé à lui-même par les puissances européennes, après leur guerre contre le dictateur Khadafi. Le constat est sans appel: la Libye est une poudrière saturée d’armes. Avant de penser à organiser des élections, l’urgence est au désarmement.

Champ libre pour les mafias

L’urgence, c’est aussi de s’attaquer aux mafias qui organisent la traite d’êtres humains, à grande échelle, sur le continent africain. L’inaction des puissances occidentale qui renvoient à la Libye la responsabilité de lutter contre le crime organisé, les rend complices du crime organisé. Car les passeurs des débuts, qui, contre rétribution, faisaient traverser des gens en Europe, ont cédé la place à un trafic organisé d’êtres humains.

Les gens livrés à eux-mêmes sur des embarcations à deux balles sont simplement jetés à la mer: ce sont des esclaves devenus inutiles, des femmes “trop enceintes à force d’avoir été violées”, des forçats des chantiers qui ne peuvent plus servir. La plupart de ces personnes réduites en esclavage ne prendront pas la mer. Elles décèdent sur place, en Libye, dans d’atroces conditions.

Complicité occidentale

Quant à celles et ceux qui sont jetés à la mer, ils y meurent. C’est aussi simple que cela.

Dans ses propos, faisant état d’une extrême violence, y compris sexuelle, envers les personnes migrantes réduites en esclavage, Maurine Mercier insiste sur la distinction à faire entre une poignée de mafieux qui ont mis le pays en coupe réglée, et la majorité de la population libyenne qui en subit aussi les lourdes conséquences. Témoin, ce garde-côtes dont le fils adolescent a été torturé à deux reprises: c’était une technique d’intimidation des trafiquants adressés à son père pour qu’il cesse de faire son travail.

Pendant ce temps, l’Europe ferme les yeux sur le droit  international où il est question de dignité humaine et de droits. Et empêche, par tous les moyens, l’ONG humanitaire S.O.S Méditerranée de secourir quelques malheureux. En février, plusieurs ONG européennes ont publié une lettre ouverte pour adapter les procédures de sauvetage et de débarquement en Europe. À ce jour, cet appel est resté lettre morte.

En décembre dernier, le Conseil fédéral a refusé que l’Aquarius, le bateau affrété par S.O.S Méditerranée pour le sauvetage en mer, batte pavillon suisse.

Pour aller plus loin:

À écouter: les reportages de Maurine Mercier sur l’Aquarius, Émission Vacarme, sur la RTS.

Et  sur le Web, le Grand Format sur l’Aquarius.

À voir:  le documentaire Eldorado de Markus Imhoof (2018)

 

 

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

5 réponses à “Ramener des informations de Libye

  1. Il faut comprendre que la géopolitique n’a rien à voir avec l’humanisme.

    D’ailleurs, même les NGO font partie de la géopolitique, par naïveté ou par compromission.
    Bref, moi j’aimais bien Gaddafhi, mais ils l’ont tuer…

    1. Face aux résultats désastreux de la géopolitique pure et dure, réintroduire de l’humanité et des principes moraux ne peut que faire mieux.

      1. Oui, certes, le bien ne fait jamais de mal (en tous cas à part les curés).

        Mais je suis plus pessimiste que vous, je pense que le monde doit passer par une nouvelle page noire pour renaître, ou croire à nouveau, aux droits de l’homme.
        Enfin, j’espère avoir tort…

        1. Oui, j’observe aussi ce retour de balancier. Il me paraît d’autant plus important de rappeler les droits fondamentaux.

  2. Il faudrait peut-être poser la question de la responsabilité, y compris la responsabilité pénale personnelle, des coupables de tout ces malheurs, comme Nicolas Sarkozy, Bernard-Henri Lévy, et tous ceux qui ont commis ce crime de dévaster un pays, le plus prospère de toute l’Afrique, sous prétexte de lui apporter la “démocratie”.

    Ce sont eux qui sont coupables d’avoir créé les conditions d’un paradis des mafias, de la traite des esclaves modernes, de la violence et des abus de toutes sortes. Ce sont eux les coupables de la souffrance des réfugiés exploités par les passeurs, ou mourant en mer.

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