#metoo n’est pas passé partout

« Crime passionnel », a-t-on pu lire récemment,  après le meurtre d’une jeune femme en Suisse romande par son compagnon. Cette expression de « crime passionnel » est à proscrire. Elle ne s’utilise que lorsque c’est un homme qui tue une femme. On entend très fort le sous-entendu : « le pauvre, avec ce qu’elle lui a fait voir… »  Il n’empêche: même si certains titreurs ont plusieurs guerres de retard, la justice, elle, suit son cours, dans notre pays. Le canton de Vaud s’est d’ailleurs doté récemment de nouvelles dispositions légales contre la violence au sein du couple. La nouvelle loi renforce le suivi des auteur·e·s afin de limiter la récidive et augmente la protection des victimes de violence domestique en instaurant l’expulsion des auteur·e·s de violence du domicile conjugal.

On rêverait de voir la même efficacité dans la lutte contre la violence faite aux femmes se généraliser dans d’autres régions du monde. Je pense à ces femmes qui n’ont pas pu prendre la parole pour dénoncer l’innommable, à toutes celles qui ne diront pas « me too. » Je pense à ces 157 femmes (au moins), dont les plus jeunes étaient des fillettes de moins de 10 ans, et les plus âgées, des femmes de plus de 65 ans, qui ont été violées, agressées sexuellement et frappées au Sud-Soudan, entre la mi-novembre et début décembre. Ces femmes se rendaient à une distribution de nourriture lorsqu’elles ont été attaquées par des hommes armés, dont certains en uniformes de l’armée. Des femmes et des filles se sont fait voler jusqu’à leurs vêtements et leur cartes de rationnement, relate Médecins sans Frontières. Il est vrai qu’on est là loin de la violence conjugale: au Sud-Soudan, comme dans bien d’autres pays en situation de conflit armé, le viol est une arme de guerre. L’accord de paix signé en septembre n’y a rien changé. Pour la seule année 2018, l’ONU a répertorié plus de 2’300 cas de violences basées sur le genre dans cette région.

Pandémie mondiale ?

Création d'Ivanovgood
Image Ivanovgood, Pixabey (Creative Commons)

La violence faite aux femmes et aux filles est une « pandémie mondiale ». La formule émane du secrétaire général des Nations-Unies, António Guterres. « C’est un affront moral fait à toutes les femmes et les filles, une marque d’infamie pour nos sociétés et un obstacle majeur à un développement inclusif, équitable et durable », a-t-il dit dans un message. Le 4 décembre dernier, M. Guterres a appelé le gouvernement du Sud-Soudan à enquêter sur ces crimes et à poursuivre les coupables.

En dehors des zones de guerre, il n’y a pas non plus de quoi crier victoire: 60% des femmes en Bolivie ont été confrontées à la violence de la part de leur conjoint, au moins une fois dans leur vie, avertit l’Organisation mondiale de la santé (OMS) dans un récent rapport. Sur l’ensemble du continent américain, l’OMS estime qu’une femme sur trois a vécu une situation de violence intrafamiliale. Avec de fortes disparités selon les pays: il vaut ainsi mieux être panaméenne que Bolivienne.

Pas une fatalité

La violence n’est pas une fatalité. Une approche intégrée, mêlant la justice – poursuite doffice des actes de violences commis par les conjoints – laccès aux soins, la sensibilisation du personnel de santé, léducation, lautonomisation économique, entre autres, donne des résultats. Dans plusieurs pays, dailleurs, la violence intrafamiliale marque un recul, selon le rapport qui cite, par exemple, la Colombie, le Guatemala, le Mexique, le Nicaragua et le Pérou. Au Canada et au Nicaragua, la violence physique et sexuelle a été divisée par deux en une dizaine dannées (Au Canada, de 2,2% en 2004 a 1,1% en 2014 et au Nicaragua de 11,9% en 1998 a 6,1% en 2012).

Organisations féminines prises pour cible

Au Nicaragua pourtant, la répression violente du gouvernement Ortega prend pour cible un certain nombre dorganisations de femmes, dénoncent plusieurs ONGs, dont lOrganisation mondiale contre la torture (OMCT) et la Fédération internationale des ligues des droits de lhomme (FIDH).

Ces deux organisations de défense des droits humains ont lancé une action urgente, le 30 novembre, en faveur de femmes dorigines européennes, actives au Nicaragua dans une ONG liée à la santé. Lune delles, Ana Quiros, directrice du Centre dinformation et dappui en santé (CISAS) sest vue retirer la nationalité nicaraguayenne et expulser vers lEspagne. La Suissesse Beatrice Huber, résidant dans le pays depuis 22 ans, sest également vu retirer son droit de résidence et a été victime d’intimidations et de menaces.

Ce ne sont là que deux exemples d’intimidations commises à légard des associations de femmes. De nombreuses défenseuses des droits humains nicaraguayennes sont également menacées. Le tout intervient dans un contexte où la vice-présidente du pays et épouse du président, Rosario Murillo, accuse les féministes de «détruire les femmes et les familles nicaraguayennes.»

#metoo a encore du chemin à faire. Et ce chemin est indissociable de la lutte pour les droits humains et contre la pauvreté. À propos, le 10 décembre, la Déclaration universelle des droits de l’Homme fêtera son 70e anniversaire.

Emmanuelle Robert

Après des études de lettres et un parcours de journaliste, Emmanuelle Robert a travaillé dans la coopération au développement. Active dans la communication (le jour), elle écrit (la nuit) et est l'auteure de Malatraix (Slatkine, Genève, 2021). Elle est aussi coach professionnelle et amatrice de course à pied.

2 réponses à “#metoo n’est pas passé partout

  1. Le crime passionnel n’a jamais été réservé au hommes, c’est plus souvent une femme qui tue son mari qui la trompe, avec soutien de l’opinion et indulgence du jury (voir articles de presse et chroniques judiciaires depuis qu’elles existent). Les activistes, féministes ou autres, déforment la réalité pour tenter de justifier leur cause.

    1. Je ne suis pas d’accord avec vous. D’autant plus que c’est une immense majorité de femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint. Il ne s’agit pas de “féminisme” mais d’enrayer un fléau qui fauche tant de vies.

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