Suite aux résultats des votations de ce dimanche 29 novembre, le peuple suisse refuse à nouveau deux importantes initiatives sur le plan social et environnemental.
Même si l’initiative pour des multinationales responsables a, elle, été acceptée par la population (mais rejetée par les cantons), les résultats très serrés au niveau de ces deux issues démontre à quel point les arguments économiques brandis par la Confédération et les lobbies de l’industrie résonnent chez le peuple suisse.
Au vu des échecs répétés ces dernières années d’initiatives ayant un but social et écologique – telles que le revenu de base inconditionnel, la souveraineté alimentaire ou encore la lutte contre le mitage du territoire – on pourrait aisément tirer la conclusion que les valeurs des Suisses.sses se trouvent tout simplement en désaccord avec ces objectifs. Mais ce constat ne colle pas avec la réalité qui montre que le peuple suisse soutient par exemple en majorité une politique climatique forte et une politique migratoire ouverte. Alors comment expliquer cette dissonance entre les valeurs sociales des Suisses.sses et leur traduction sur le plan politique? La réponse est simple. Elle est de nature économique. Si les récentes initiatives qui se voulaient sociales et écologiques ont toutes échoué, c’est bien parce que le contre-argumentaire porté par le Conseil fédéral et les lobbies de l’industrie ou de la place financière a véritablement bien fonctionné.
Pour chaque initiative qui pourrait toucher aux intérêts de la classe économique et financière, le Conseil fédéral redouble d’efforts pour démontrer comment l’impact économique sur les entreprises aura des conséquences négatives pour la population. L’argument avancé est à chaque fois le même: une perte de revenus économiques entrainerait une baisse de revenus et par conséquent de rentes AVS et autres caisses de pension qui nécessiterait un financement par une hausse des impôts. Cette logique est implacable auprès d’une population moyenne qui a vu ses revenus rester constants ces dernières décennies alors que le coût de la vie a manifestement augmenté. Envisager une potentielle hausse d’impôts n’est tout simplement pas concevable pour une majeure partie de la population et cela est justifié au vu de la situation économique. Par conséquent, le porte-monnaie dictera la décision finale quant au choix de vote pour beaucoup. Et ceci malgré des valeurs sociales allant dans le sens des initiatives proposées.
Cette tactique politique de la part de la Confédération et des lobbies industriels et financiers est non seulement particulièrement néfaste – en réussissant à freiner des avancées sociales et environnementales – mais elle est également fausse. En effet les arguments économiques mis en avant ne sont pas pour autant fondés. Cette idée qu’on ne peut toucher aux intérêts économiques sans donner lieu à d’inévitables répercussions provient d’un courant économique en particulier – la pensée dite “néoclassique” – qui est pourtant remis en cause par l’ensemble des autres écoles de pensée économique. Cette même tradition économique soutient par exemple la mise en place de politiques d’austérité – à travers des coupes budgétaires dans le domaine de la fonction publique – telles que prônées après la crise financière globale de 2008. On sait pourtant aujourd’hui à quel point ces politiques sont contre-productives non seulement sur le plan social mais également économique et bon nombre d’économistes ont démontré leur inefficacité. Ces deux initiatives dont l’objectif principal était d’inscrire un cadre social et écologique autour des activités des grandes entreprises aurait en effet contraint certaines d’entre elles à revoir leur fonctionnement mais ceci n’aurait en aucun cas freiné la croissance économique en Suisse. Au contraire, il est prouvé que les multinationales sont particulièrement concernées par leur image auprès du public et investissent d’énormes sommes d’argent dans la communication RSE (responsabilité sociale et environnementale) ce qui leur permet de gagner en valeur ajoutée.
Il semble pourtant que la classe politique suisse soutient encore largement ces idées économiques dépassées malgré les voix dissonantes qui s’élèvent non seulement dans le milieu académique mais également industriel. En effet l’initiative pour des entreprises responsables était notamment soutenue par plusieurs patrons d’industries ainsi que des politiciens de droite.
Il en faudra beaucoup pour changer ces tendances et que le peuple suisse prenne enfin conscience du non-fondement des arguments économiques brandis par le Conseil fédéral à chaque votation de caractère progressiste. En premier lieu il semble essentiel que les comités d’initiative se penchent sur la question économique de leurs projets de vote et s’engagent aux côtés d’économistes qui soutiennent leur cause et en prouvent leur intérêt sur le plan financier. Il ne suffit en effet plus aujourd’hui de faire appel à des valeurs sociales ou écologiques mais il en va de démonter un par un les arguments économiques présentés par les opposants et de remettre la place de l’économie ou elle se doit d’être – au service de la planète et de la population.