Double échec des initiatives populaires du 29 Novembre 2020: la faute à l’économie

Suite aux résultats des votations de ce dimanche 29 novembre, le peuple suisse refuse à nouveau deux importantes initiatives sur le plan social et environnemental.

Même si l’initiative pour des multinationales responsables a, elle, été acceptée par la population (mais rejetée par les cantons), les résultats très serrés au niveau de ces deux issues démontre à quel point les arguments économiques brandis par la Confédération et les lobbies de l’industrie résonnent chez le peuple suisse.

Au vu des échecs répétés ces dernières années d’initiatives ayant un but social et écologique – telles que le revenu de base inconditionnel, la souveraineté alimentaire ou encore la lutte contre le mitage du territoire – on pourrait aisément tirer la conclusion que les valeurs des Suisses.sses se trouvent tout simplement en désaccord avec ces objectifs. Mais ce constat ne colle pas avec la réalité qui montre que le peuple suisse soutient par exemple en majorité une politique climatique forte et une politique migratoire ouverte. Alors comment expliquer cette dissonance entre les valeurs sociales des Suisses.sses et leur traduction sur le plan politique?  La réponse est simple. Elle est de nature économique. Si les récentes initiatives qui se voulaient sociales et écologiques ont toutes échoué, c’est bien parce que le contre-argumentaire porté par le Conseil fédéral et les lobbies de l’industrie ou de la place financière a véritablement bien fonctionné.

Pour chaque initiative qui pourrait toucher aux intérêts de la classe économique et financière, le Conseil fédéral redouble d’efforts pour démontrer comment l’impact économique sur les entreprises aura des conséquences négatives pour la population. L’argument avancé est à chaque fois le même: une perte de revenus économiques entrainerait une baisse de revenus et par conséquent de rentes AVS et autres caisses de pension qui nécessiterait un financement par une hausse des impôts. Cette logique est implacable auprès d’une population moyenne qui a vu ses revenus rester constants ces dernières décennies alors que le coût de la vie a manifestement augmenté. Envisager une potentielle hausse d’impôts n’est tout simplement pas concevable pour une majeure partie de la population et cela est justifié au vu de la situation économique. Par conséquent, le porte-monnaie dictera la décision finale quant au choix de vote pour beaucoup. Et ceci malgré des valeurs sociales allant dans le sens des initiatives proposées.

Cette tactique politique de la part de la Confédération et des lobbies industriels et financiers est non seulement particulièrement néfaste – en réussissant à freiner des avancées sociales et environnementales – mais elle est également fausse. En effet les arguments économiques mis en avant ne sont pas pour autant fondés. Cette idée qu’on ne peut toucher aux intérêts économiques sans donner lieu à d’inévitables répercussions provient d’un courant économique en particulier – la pensée dite “néoclassique” – qui est pourtant remis en cause par l’ensemble des autres écoles de pensée économique. Cette même tradition économique soutient par exemple la mise en place de politiques d’austérité – à travers des coupes budgétaires dans le domaine de la fonction publique – telles que prônées après la crise financière globale de 2008. On sait pourtant aujourd’hui à quel point ces politiques sont contre-productives non seulement sur le plan social mais également économique et bon nombre d’économistes ont démontré leur inefficacité. Ces deux initiatives dont l’objectif principal était d’inscrire un cadre social et écologique autour des activités des grandes entreprises aurait en effet contraint certaines d’entre elles à revoir leur fonctionnement mais ceci n’aurait en aucun cas freiné la croissance économique en Suisse. Au contraire, il est prouvé que les multinationales sont particulièrement concernées par leur image auprès du public et investissent d’énormes sommes d’argent dans la communication RSE (responsabilité sociale et environnementale) ce qui leur permet de gagner en valeur ajoutée. 

Il semble pourtant que la classe politique suisse soutient encore largement ces idées économiques dépassées malgré les voix dissonantes qui s’élèvent non seulement dans le milieu académique mais également industriel. En effet l’initiative pour des entreprises responsables était notamment soutenue par plusieurs patrons d’industries ainsi que des politiciens de droite.   

Il en faudra beaucoup pour changer ces tendances et que le peuple suisse prenne enfin conscience du non-fondement des arguments économiques brandis par le Conseil fédéral à chaque votation de caractère progressiste. En premier lieu il semble essentiel que les comités d’initiative se penchent sur la question économique de leurs projets de vote et s’engagent aux côtés d’économistes qui soutiennent leur cause et en prouvent leur intérêt sur le plan financier. Il ne suffit en effet plus aujourd’hui de faire appel à des valeurs sociales ou écologiques mais il en va de démonter un par un les arguments économiques présentés par les opposants et de remettre la place de l’économie ou elle se doit d’être – au service de la planète et de la population.

 

Etat d’urgence climatique et inertie politique

Ce début d’année à peine entamé a déjà démontré à quel point les ravages du dérèglement climatique sont chaque année plus violents. Alors que l’Indonésie subit de terribles intempéries qui ont coûté la mort à plus de 50 personnes, l’Australie se trouve elle en proie aux flammes les plus ravageuses que le pays ait jamais connues. Certains avaient prédit que lorsque les pays riches, comme l’Australie aujourd’hui, subiraient de plein fouet les aléas d’un climat en crise, leurs dirigeants prendraient en compte l’état gravissime de la situation et agiraient en conséquence. Ces pronostics sont hélas bien loin de la réalité. Le premier ministre australien, Scott Morrison, refuse catégoriquement de parler de dérèglement climatique alors que son gouvernement se trouve depuis toujours enlisé dans la promotion du charbon. Il serait en effet naïf de penser que ces politiciens, qui ont depuis des années promu les intérêts des compagnies d’énergie fossile, se porteraient désormais garants d’un arrêt de le production de charbon, gaz et pétrole dans l’intérêt commun de leur population. Au contraire, des dirigeants tels Morrison, Trump et Trudeau ne doivent pas être vus autrement que comme des pyromanes qui conduiront leur pays à la dérive tant qu’il y aura des puissants intérêts économiques à protéger.

 

D’un autre côté, il est effarant de constater que le comportement de la population des pays riches ne semble en rien inchangé alors que tous les indicateurs écologiques et sociaux tirent la sonnette d’alarme. Combien de collègues qui se vantent de leurs vacances en croisière ou qui partent à l’autre bout du monde en avion pour aller prendre le soleil à Noël ? Pour ceux qui sont conscients, et justement alarmés, de l’état de la planète, il est de plus en plus difficile de voir que rien ne change ni au niveau décisionnel politique ni dans le comportement et les intérêts des gens dans la vie quotidienne. Même s’il n’est pas surprenant, ce décalage entre la gravité de la situation, qui demande un changement radical de modèle économique, et l’inertie des systèmes politico-économiques et des mentalités est particulièrement préoccupant.

 

Si les activistes environnementaux et grévistes du climat se battent chaque jour pour que leur cause soit entendue à travers l’organisation d’un mouvement, beaucoup d’autres ne seraient pas encore prêts à faire le pas vers l’activisme politique. Et pourtant, la majeure partie de la population se sent aujourd’hui concernée par les impacts du climat en crise et souhaite que les gouvernements agissent en conséquence. Le problème ne vient pas du manque de conscience ou d’intérêt de la population mais principalement du manque d’outils démocratiques à travers lesquels tout un chacun pourrait s’engager. L’individualisation de la société qui a permis l’apogée du néolibéralisme économique a littéralement détruit les institutions de la vie sociale et politique. L’augmentation et l’intensification du rythme du travail, la précarisation des conditions des travailleurs, la réduction drastique de la participation syndicale dans les entreprises ainsi que les coupes budgétaires dans les institutions socio-éducatives et culturelles sont les ingrédients parfaits pour la perpétuation du statu quo. Pour changer de système, il faut non seulement une prise de conscience individuelle – ce qui est déjà grandement acquis – mais surtout une organisation intellectuelle et politique de mouvements citoyens. Et ceux-ci doivent aller bien au delà des manifestations dans les rues et des signatures de pétitions ou d’actes individuels socio et écoresponsables.

 

Si certains utilisent le prétexte que la nature humaine serait fondamentalement égoïste et mauvaise pour justifier l’état actuel du monde, alors comment se fait-il qu’en une année seulement le mouvement des grévistes pour le climat soit devenu mondial? Comment est-il possible que la majorité des citoyens soutienne une politique sociale et climatique forte? On peut continuer à se cacher derrière des arguments décadents pour justifier notre inaction ou on peut désormais décider de regarder en face l’état des choses, agir en conséquence et participer à la (re)construction de ces institutions sociales et politiques. Lutter pour la réduction du temps de travail sans restriction salariale, rehausser les revenus les plus bas et améliorer les conditions des travailleurs précaires sont désormais plus que jamais nécessaires pour permettre l’engagement politique citoyen et la mise en place de mouvements collectifs forts, solidaires et unifiés dans leurs demandes sociales et écologiques.

Les dessous du modèle de “succès économique” suisse

Un récente étude indépendante publiée dans le cadre du programme des Indicateurs de Développement Durable (Sustainable Development Goals) de l’ONU, classe la Suisse en dernière position, quant à ses répercussions environnementales et sociales sur les pays du reste du monde. Sa position en traine du classement – avec à ses côtés d’autres petits pays tels le Singapour et le Luxembourg –  se justifie par les activités de commerce d’armes, d’agroalimentaire ainsi que de pesticides et autres produits chimiques et également en raison de la position de sa classe financière.

Bien que choquant, ces résultats ne le seront pas pour le nombre d’organisations suisses telles que Public eye (anciennement Déclaration de Berne) qui dénoncent depuis longtemps la position centrale des industries suisses dans le commerce d’armes, de matières premières et de produits chimiques avec ses répercussions néfastes sur les pays du Sud Global.

Il existe aujourd’hui bon nombre d’indicateurs de durabilité au vu desquels la Suisse obtient de plus ou moins bons résultats. En effet, si l’on prend uniquement en compte les données relatives à la consommation au sein du pays même, la Suisse fait mesure de bon candidat par rapport à la moyenne mondiale. Elle occuperait ainsi la 15ème position  selon les 17 indicateurs de Développement Durable de l’ONU. Néanmoins, ces chiffres ne reflètent qu’une partie de la réalité car dans le contexte actuel de globalisation économique, la plupart des activités de production ont été délocalisées dans des pays du Sud où la main d’oeuvre se trouve bon marché. Ainsi, en prenant en compte ces facteurs, la plupart des pays du Nord se retrouvent en tête de classement des pays les plus pollueurs en raison de leurs activités économiques destructrices au niveau international.

Sur le plan national, deux récentes études de l’Office Fédérale de la Statistique soulignent le mirage du “miracle économique” suisse avec une montée du travail précaire, notamment chez les femmes et les jeunes, qui était de 12% en 2016. De plus, en raison de son taux de sous-emploi de 7%, la Suisse se classe en traîne de la moyenne européenne.

Ces constats contribuent au questionnement du fonctionnement des nos modes de développement capitalistes qui caractérisent nos sociétés. En effet, les situations de crise autant sur plan climatique, social, qu’économique et politique reflètent l’actuelle impasse dans laquelle se trouvent nos démocraties sociales. Alors qu’on constate l’essor d’un mouvement autour de politiques économiques socialistes aux Etats-Unis ainsi qu’au Royaume-Uni – deux pays en tête des inégalités sociales – cette vague de soutien pour un changement de système radical reste encore modeste dans le reste des pays européens. En Suisse, les critiques du système économique se résument uniquement aux minorités politiques tel que le parti Solidarités qui se positionnent dans un courant de socialisme démocratique.

 

A l’aube des élections nationales à l’automne prochain, ces résultats qui remettent fondamentalement en question le modèle de “succès économique suisse” devraient tirer la sonnette d’alarme pour tous les partis de Gauche. Si la Gauche avait jusqu’alors pu profiter des concessions sociales faites à l’origine du projet néolibéral, aujourd’hui ce compromis ne profite plus qu’à une élite minoritaire globale. Afin de combler le présent vide politique et économique que l’extrême droite s’est empressée de s’emparer, il va falloir créer des alliances entre la Gauche verte et socialiste autour d’un projet commun en opposition au système néolibéral capitaliste. L’urgence climatique et sociale nécessite plus que jamais des alternatives radicales.

A quand un Green New Deal pour la Suisse?

May 13, 2019- Senator Bernie Sanders and Representative Alexandria Ocasio Cortez speak about the importance of a Green New Deal at a town hall organized by the Sunrise Movement. Washington, DC, USA. https://www.sunrisemovement.org/tour

 

Au cours de ces derniers mois, le programme politique du Green New Deal (GND) a fait l’affiche de plusieurs médias européens et outre-Atlantique. Le récent succès de cette politique peut être en grande partie attribué à la membre démocrate du congrès américain Alexandria Occasio-Cortez (AOC). En effet, cette élue a été approchée par le Sunrise Movement, un mouvement de jeunes activistes aux Etats-Unis qui militent pour la justice climatique. AOC a vite compris l’importance d’une politique radicale de décarbonisation de l’économie américaine afin de limiter le réchauffement climatique en dessous de 1.5°C tel que recommandé par le GIEC – le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

 

Un succès récent

Si le GND a fait récemment beaucoup parler de lui, ce programme d’investissement majeur dans l’économie réelle est pourtant né il y a déjà plus de dix ans dans un contexte de récession économique globale. A l’origine de ce projet se trouvent des économistes basés à Londres qui avaient compris l’importance de relancer l’économie à travers un programme d’investissement public, à l’instar du New Deal du président américain Roosevelt développé suite à la Grande Dépression des années 30. Ce projet de politique économique dite Keynesienne faisait appel à l’aide de fonds publics pour investir dans des grands projets d’infrastructure publique. Dans le contexte actuel de la crise climatique et écologique globale, le GND aurait, lui, pour but de financer des programmes dits verts tels que les énergies renouvelables ainsi que l’isolation des bâtiments et les transports publics.

Si le GND n’a pas eu le succès politique escompté lors de sa conception il y a dix ans auparavant, il est aujourd’hui avancé par plusieurs candidats et partis politiques tels que le PSOE en Espagne, le Labour au Royaume-Uni ainsi que le mouvement européen Diem25 porté par l’ex-ministre des finances grecque Yannis Varoufakis.

 

Le Green New Deal en détail

Avec un tel projet désormais prôné par autant de différents partis et politiciens, majoritairement de gauche mais également de droite, il existe autant de versions du GND. En effet, certains mettent majoritairement l’accent sur la création d’emplois verts et l’implantation en masse de projets d’énergies renouvelables. D’autres, telle l’élue démocrate AOC aux Etats-Unis, situent le GND au sein d’une politique de justice sociale qui aurait pour effet de renverser les inégalités socio-économiques résultant de décennies de politiques néolibérales qui se sont faites sur le dos des classes sociales défavorisées ainsi que des minorités et personnes racisées. Cette dernière approche a pour mérite de ne pas utiliser le GND comme un outil de croissance économique et de propagande verte mais au contraire de le situer au sein d’un plus grand projet de changement radical de politique économique. De plus, il est d’un intérêt majeur d’organiser le GND autour d’une conception de justice sociale afin de mettre fin à l’approche néocoloniale qui gouverne aujourd’hui l’approvisionnement des pays du Nord en matières premières – nécessaires aux batteries électriques et panneaux solaires – majoritairement en provenance de pays du Sud.

 

Une stratégie nécessaire pour le climat

On pourrait dès lors se demander pourquoi faire appel à un programme tel que le GND pour faire face à la crise climatique et ne pas simplement se baser sur les politiques traditionnelles des partis écologistes qui militent pour de telles idées depuis plusieurs décennies ? Cette question mérite réponse afin de comprendre l’importance du GND en vue d’une politique climatique gagnante. Pour ce faire, il faut situer la crise climatique et écologique comme la conséquence d’un système économique néolibéral capitaliste qui a pour objectif de booster la croissance du PIB et l’accumulation des richesses en dépit de toutes autres préoccupations de nature sociale et environnementale. Si les programmes des partis écologistes ont pour but de limiter le réchauffement en dessous de 1.5°C, ils n’ont jusqu’à présent pas réussi à mettre en place un projet politique qui puisse mettre un terme à la doctrine néolibérale qui domine toute politique économique.

Le GND, en raison de sa stratégie d’investissement massif dans l’économie réelle, possède l’avantage de mettre en place un programme de décarbonisation de l’économie et de création d’emplois dans des industries nécessaires à la transition socio-écologique sans pour autant faire appel à des instruments économiques néolibéraux, lesquels mettent l’accent sur le seul aspect financier de ces projets.

 

En dépit de sa récente popularité, il est néanmoins important de garder à l’esprit que certains politiques tenteront d’utiliser le GND comme outil de campagne. Alors que ce programme n’est encore que majoritairement une ébauche, il semble crucial pour les partis écologistes et de gauche de se pencher sérieusement sur son élaboration avant que la droite ne s’empare de ce projet. En Suisse, les écologistes et activistes pour la protection du climat auraient tout intérêt à se mobiliser derrière le projet du GND en raison de sa capacité de changement radical de l’économie globale et de transition sociale et écologique.

Finance verte: entre mythe et réalité

Dans son récent article sur l’investissement “vert”, le Professeur en économie Sergio Rossi présente les arguments économiques en faveur d’une finance durable. Pour ce fait, il se base sur des études dans le domaine qui ont démontré les rendements supérieurs des investissements dans l’économie “verte” par rapport aux profits générés dans les énergies non-renouvelables, telles que le charbon ou le pétrole. Bien que contraire à la pensée dominante, ces faits paraissent tout à fait justifiés en prenant compte du risque systémique que pose le changement climatique pour l’économie et met ainis en péril la rentabilité des énergies fossiles au sein des portefeuilles d’investissement.

 

Investissements fossiles VS finance durable

Malgré tout, les derniers chiffres sur le sujet portent à croire que ces propos n’ont pas été assimilés par les architectes de la finance globale. En effet, une étude internationale publiée hier fait le constat que depuis la signature des Accords de Paris sur le changement climatique, 33 grandes banques internationales, avec en tête le Crédit Suisse, ont investis plus de 1900 milliards de dollars dans les énergies fossiles. Ceci va nécessairement à l’encontre d’une limitation du réchauffement au dessous de 1.5 °C, tel que les grandes puissances mondiales se sont engagées à respecter suite aux Accords de Paris.

Pourtant, comme le constate Sergio Rossi dans son article, ces dernières années ont vu un essor de la finance responsable avec notamment la création d’indicateurs environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) mis en place par l’ONU. La finance durable a désormais la cote et n’est plus synonyme d’utopie.

En raison de ce contexte nettement favorable à un investissement au triple service de la société, de l’économie et de l’environnement, comment se fait-il qu’on note toujours une croissance des fonds de placement dans les énergies fossiles?

 

Les raisons de l’inertie

Plusieurs motifs sont à l’origine de ce constat. Premièrement les risques climatiques ne sont encore que très peu traduits en termes de risques économiques et financiers. De plus, la classification des actifs “verts” et “bruns” n’est toujours pas harmonisée et il existe encore trop peu d’indices d’investissement qui puissent faire concurrence aux index principaux – tels que FTSE100 – sur lesquels se basent majoritairement les banques et institutions financières. En outre, grands nombres d’acteurs financiers ont connaissance des risques liés à leurs investissements fossiles mais préfèrent les ignorer au profit de retombées économiques à court terme. La Banque Nationale Suisse en fait également partie. L’Alliance Climatique Suisse a ainsi calculé que ses fonds de placement dans les énergies non-renouvelables la placent sur la trajectoire d’un réchauffement de 4 à 6 degrés, bien au delà de ce qui a été convenu par les Accords de Paris.

 

Suggestions de pistes d’action

Dès lors, on peut se demander quelles sont les perspectives d’action nécessaires pour engendrer une réelle transformation de la classe financière. En premier lieu, il est plus que jamais nécessaire que les politiques suisses prennent en charge ces questions et mettent les acteurs financiers tel que la BNS, les banques suisses et caisses de retraite, devant l’obligation de divulguer les risques climatiques liés à leurs investissements. Cette pratique appelée “climate financial related disclosure” en anglais a notamment été adoptée par le Gouvernement britannique qui a créé une commission à ce propos.

De même, il va falloir continuer à exposer l’incohérence des engagements politiques suisses pour le climat avec les pratiques de la BNS et autres acteurs institutionnels financiers. Un autre levier d’action de première importance consiste à faire pression en tant que contribuables sur les caisses de retraite afin de les forcer à retirer les énergies fossiles de leur portefeuilles et de se souscrire aux pratiques d’investissement responsable.

 

Une politique d’investissement bénéfique pour la société de demain requiert un changement radical des institutions qui dominent l’architecture financière suisse. Pour ce faire, il va falloir mettre ces acteurs devant le fait accompli qu’une politique d’investissement responsable, qui limite le réchauffement en dessous de 1.5 degrés, passe obligatoirement par un retrait immédiat des énergies fossiles.

Echec de campagne “Mitage du territoire” : un tournant radical nécessaire pour les Verts

Il y a quelques semaines, la votation sur le mitage du territoire, un référendum proposé par les Jeunes Verts, a subi un cuisant échec avec plus de 60% de refus de la population malgré l’importance de ce vote pour le futur du pays. Il semble aujourd’hui nécessaire de mettre en lumière quelques points qui pourraient avoir fondamentalement joué en sa défaveur.

 

L’aménagement du territoire: sujet de discorde

Le sujet de l’étalement urbain en Suisse n’est pas nouveau et fait souvent l’objet de vifs débats tels que celui de l’émission Infrarouge sur la RTS à l’aube du vote, où le co-président des Jeunes Verts avait pourtant démontré sa maitrise du sujet face à ses adversaires. Les principaux arguments des Jeunes Verts en faveur d’une inscription dans la Constitution de la limitation du bétonnage des sols sont de nature écologique. En effet, le sol est une ressource limitée et mise en péril en raison d’une agriculture intensive et une urbanisation croissante. La préservation des sols est cruciale pour la biodiversité ainsi que notre propre survie comme l’a justement mis en avant le Professeur Dominique Bourg sur le plateau d’Infrarouge. De plus, les considérations liées au changement climatique portent à croire qu’il est aujourd’hui urgent de mettre un terme au bétonnage du territoire s’il l’on veut véritablement limiter les effets extrêmes des canicules ainsi que les dégâts d’inondations qu’engendre une augmentation des surfaces bétonnées.

 

Arguments écologiques VS choix individuels

Malgré le fondement scientifique de ces arguments et l’urgence d’action nécessaire pour préserver ce qu’il reste de la biodiversité et limiter les dégâts liés au changement climatique, ces constations sonnent creuses face à des arguments qui sont ancrés dans des thématiques de patrimoine et d’identité. L’appel de la villa individuelle en région péri-urbaine reste, selon les adversaires de cette campagne, un objet central pour tout citoyen et toute citoyenne en Suisse. Dès lors, selon ces mêmes opposants, limiter les constructions irait à l’encontre de principes fondamentaux de liberté individuelle. Malgré les arguments contraires à ces propos, jouer sur le terrain des choix personnels est nécessairement perdu d’avance dans une société fondée sur ces valeurs néolibérales.

 

Percer la bulle immobilière

En dépit de l’urgence climatique, les partis écologistes devront obligatoirement se pencher au coeur de la problématique qui touche des domaines telles que la politique d’aménagement du territoire. Ainsi, pour que cette campagne eût eu une quelconque chance d’atteindre l’opinion publique, elle aurait dû obligatoirement s’attaquer à la bulle spéculative immobilière qui est à l’origine du bétonnage intensif du territoire suisse. Cette dernière est elle-même encouragée par des politiques de dézonage des communes et cantons, qui, influencés par de puissants arguments économiques, cèdent aux pressions des acteurs immobiliers. L’aspect économique est pourtant un leurre, car ce n’est ni la population ni les cantons et communes qui bénéficient de ce bétonnage massif mais uniquement le secteur immobilier. En effet, malgré l’argument phare des opposants à la votation d’une pénurie de logements qui justifierait de nouvelles constructions, on compte aujourd’hui en Suisse plus de 72’000 habitations vides, en hausse de 13% par rapport à 2017. De plus, la fulgurante croissance immobilière n’a fait qu’augmenter le prix des logements et mis à mal la population suisse qui doit désormais accepter des loyers hors de prix.

 

Question de politique économique 

En vue des innombrables changements que requiert une politique d’adaptation au réchauffement climatique, il est nécessaire que les partis écologistes prennent en compte le contexte d’économie politique qui influence toute problématique écologique. Désormais, bon nombre de partis ont réalisé qu’il n’est plus possible d’atteindre un compromis avec un ordre économique néolibéral qui va à l’encontre de tout principe de justice sociale et environnementale. Au Royaume-Uni, le manifeste du parti travailliste Labour se porte garant d’un changement économique radical avec des politiques de redistribution des richesses et de démocratisation du capital. Récemment, il a même été question de mettre en place un programme national d’investissement vert – le “Green New Deal” – faisant référence à l’appel de l’élue démocrate et membre du congrès américain, Ocasio-Cortez, qui a conquis le public outre-mer.

 

Alors que la société civile demande un changement systémique afin de lutter contre le dérèglement climatique, à travers notamment les grèves des écoliers et les nombreuses manifestations pour le climat dans le pays, les politiques suisses affichent un sérieux train de retard. Tant que les partis de droite et les lobbies auront le privilège des questions de nature économique, toute politique environnementale ou sociale proposée sera compromise. Il est dès lors nécessaire que les politiques progressistes vertes et sociales en Suisse se réapproprient le terrain de l’économie politique afin de toucher au coeur du problème et de se donner les chances de mettre en place un réel changement de société.