Ne vous fiez pas à son vernis rose bonbon. The Good Place est l’œuvre satirique la plus mordante du moment, une ode à la philosophie et une réflexion brillante sur la nature humaine.
Genre : satire existentielle déjantée
Si vous avez aimé : The Office, Parks and Recreation, The Last Man on Earth
Bande-annonce : saison 1, saison 2
L’histoire : Décédée dans un accident, Eleanor Shellstrop se réveille au paradis. Un quartier réservé aux personnes ayant, par leurs actions éthiques, contribué à améliorer le monde des vivants. Problème : Eleanor est un monstre d’égoïsme et son existence parfaitement amorale la destine plutôt à l’enfer. Comment dissimuler ce qui est, de toute évidence, une erreur ?
Diffusion : Netflix
« Being ethical, it’s hard. I kinda hate it. When does it get easier? »
Des débuts en demi-teinte
Dévoilée en septembre 2016 sur NBC (Saint Calice des émissions satiriques américaines), The Good Place a bien failli rater son rendez-vous avec le public. Personnages lisses, univers manichéen, rien n’éveillait l’intérêt dans cette comédie un brin moralisatrice, à part quelques répliques piquantes et situations gentiment loufoques.

Étonnant de la part de Michael Schur, l’une des plumes comiques les plus acérées de la télévision (Saturday Night Live, The Office, Parks and Recreation). Après deux épisodes sans relief, le public n’a donc pas hésité à changer de chaîne. Pour qui sait se montrer patient, la série finit pourtant par dévoiler tout son potentiel comique. Et c’est un festival.
Sommet d’humour satirique
Chaque réplique devient l’occasion de tirer sur une nouvelle cible. Politiciens, acteurs, gourous du développement personnel, stars de la téléréalité, mais aussi réseaux sociaux, modes alimentaires, inquisition contemporaine : pas une personnalité en vue, pas un travers de notre époque qui ne soient tournés en dérision.
« It’s a rare occurrence, like a double rainbow. Or like someone on the Internet saying, “You know what? You’ve convinced me I was wrong.” »
« Well, I should really be going. I have to begin my 12 step Korean skincare regimen. »
« Your favorite book is Kendall Jenner’s Instagram feed. »
Lâchant totalement la bride dès la saison 2, la série multiplie les rebondissements loufoques dans ce qui ressemble chaque épisode un peu plus à Un jour sans fin sous acide. Un humour délirant qui s’inscrit dans la pure tradition des émissions satiriques et late shows américains.
Le paradis, un enfer qui ne dit pas son nom
Entre répliques désopilantes et rebondissements déjantés apparaît en filigrane un propos plus profond. Et si le paradis était un enfer qui ne dit pas son nom ? Pour soutenir ce qui est en vérité la clef de voûte du récit, la série multiplie les allusions plus ou moins métaphoriques.
The Good Place pose ainsi le postulat que la place de chacun dans l’au-delà est déterminée par la somme des bonnes et mauvaises actions accomplies de son vivant. Une vision algorithmique du monde qui ne renie pas son héritage religieux et livre de solides indices sur les intentions de l’auteur (sans divulgâcher, disons que la réponse est à chercher du côté de Sartre : « L’enfer, c’est les autres »).
Utopie ou dystopie ?
Il est ainsi intéressant de savoir que Michael Schur a écrit simultanément le scénario de The Good Place et celui de l’un des épisodes les plus marquants de la série Black Mirror : Nosedive. Un épisode dans lequel les individus se notent entre eux, l’accumulation de bons points permettant d’accéder à une meilleure place dans la société.
Deux séries a priori antagonistes – l’une apparemment utopique, l’autre dystopique – mais qui possèdent en réalité de vertigineuses similarités.
Indice moins métaphorique : est-il réaliste pour les personnages d’imaginer qu’ils se trouvent au paradis, lorsque les enseignes à la mode servent du frozen yogurt et les restaurants proposent de la pizza hawaïenne ?
Janet : l’intelligence artificielle qui aimait
Au coeur de la thèse dystopique de The Good Place, le personnage hilarant de Janet (D’Arcy Carden) attire immédiatement l’attention. Cette intelligence artificielle à apparence humaine possède tout le savoir de l’univers.
Si recourir à ses services s’avère utile au quotidien, chaque réinitialisation accroît sa sophistication, au point que Janet commence à expérimenter des émotions humaines.
« I think I might hate things now, too. So far, it’s genocide and leggings as pants. »
Un dysfonctionnement qui va compromettre tout l’équilibre du quartier et n’est pas sans rappeler une autre série dystopique, où les intelligences artificielles sont submergées par leur mémoire fantôme : Westworld.
Vous reprendrez bien quelques théories philosophiques ?
Réflexion passionnante sur les contours de la nature humaine, The Good Place n’hésite pas à faire appel à la philosophie pour étoffer son propos. Mais nulle citation de Bouddha sur fond de fleur de Lotus.
La série convoque Emmanuel Kant, David Hume, Søren Kierkegaard ou John Stuart Mill et fait le pari stupéfiant de présenter leurs travaux. Dans l’outrance la plus totale.
Déterminée à conserver sa place au paradis, Eleanor convainc l’« âme sœur » que lui a attribué le système, un professeur de philosophie sénégalais, de lui prodiguer des cours qui feront d’elle une meilleure personne (ou au moins la meilleure version d’elle-même).
Exemples délirants à l’appui, la série permet au spectateur d’intégrer rien de moins que les fondements de l’éthique. Un enseignement ludique, reposant sur une base théorique solide, qui devrait suffire à inscrire la série au programme de philosophie des écoles.
Une crise existentielle ? Mortel !
Autre coup de génie : avoir confié le rôle du responsable de quartier à Ted Danson. Un ange que le statut d’immortel rend hermétique aux tourments humains.
« If you live forever, then ethics don’t matter to you because, basically, there’s no consequences for your actions. You tell a lie, who cares? Wait a few trillion years, the guilt will fade. »
Pour lui inculquer la notion de mortalité indispensable à la compréhension de l’éthique, les héros vont déclencher chez lui une crise existentielle (sic), qu’il tentera de surmonter en adoptant tous les comportements caractéristiques de la crise de milieu de vie. Sans doute le meilleur moment de la série.
Au bonheur du plus grand nombre
Fait suffisamment rare pour être souligné, The Good Place possède la capacité de plaire à tous les publics. Comédie bon enfant pour les uns, satire mordante de la société pour les autres, introduction à la philosophie morale et à l’éthique « pour les nuls », festival de private jokes pour initiés, réflexion méta sur les sitcoms et l’humour, chacun peut y trouver son bonheur.
Tahani, serial name-droppeuse
À relever pour conclure le personnage de Tahani Al-Jamil, socialite anglaise vaniteuse et superficielle, interprétée (il fallait oser) par une vraie it-girl britannique : la délicieuse et non moins désopilante Jameela Jamil. Les faits d’armes de Tahani : le serial name-dropping, qu’elle ne peut s’empêcher de poursuivre dans l’au-delà.
« That roast was the meanest thing I’ve ever seen, and I once saw a waiter bring Russell Crowe the wrong tea. »
Vulture s’est amusé à recenser dans un montage toutes les célébrités dont elle tente de s’approprier l’aura. Un personnage inénarrable qui mérite à lui seul de savourer sans plus attendre The Good Place.