Better Call Saul : itinéraire d’un criminel

La troisième saison de Better Call Saul vient de débuter sur Netflix. Multipliant les ponts avec Breaking Bad, la série dérivée préquelle a su trouver son style et surpasser l’originale, pourtant culte. Une gageure.

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Better Call Saul : Bande-annonce S01, bande-annonce S02, bande-annonce S03

L’histoire : Better Call Saul suit le destin de James McGill, petit arnaqueur de Chicago devenu avocat sans le sou à Albuquerque, jusqu’à ce qu’il adopte le pseudonyme Saul Goodman et défende la pègre dans la série Breaking Bad.

Diffusion : Netflix

« Wouldn’t you rather build your own identity? »

Dériver une série culte : pari risqué
Lorsque la chaîne AMC annonce en septembre 2013 le lancement d’une série dérivée préquelle de Breaking Bad centrée sur le personnage de Saul Goodman, les réactions sont partagées. D’un côté, les aficionados de l’avocat véreux qui plébiscitent un projet mettant en vedette l’acteur Bob Odenkirk, de l’autre une frange sceptique n’imaginant pas qu’un spin-off puisse arriver à la cheville de sa matrice.

La diffusion du pilote de Better Call Saul en février 2015 a mis tout le monde d’accord : la nouvelle création de Vince Gilligan et Peter Gould n’a rien à envier à sa grande sœur. Accessible en Europe sur Netflix, Better Call Saul a réussi le pari de s’affranchir de Breaking Bad, tout en multipliant les ponts avec la série originale, et gagne en maturité à chaque saison. Un plaisir pour les fans autant que les néophytes.

Captivant dès l’ouverture

Pour captiver le spectateur, il fallait frapper fort dès l’ouverture. C’est chose faite avec un prologue qui projette le récit dans le futur. Comme il l’évoquait en boutade dans l’avant-dernier épisode de Breaking Bad, James McGill à fui le Nouveau-Mexique pour se réfugier sous un faux nom dans le Nebraska, où il est manageur d’un Cinnabon.

La nuit venue, l’ancien avocat visionne les spots publicitaires de sa splendeur passée. L’époque où il attirait le chaland sous le pseudonyme Saul Goodman (« S’all good, man! ») avec des publicités à petit budget au slogan accrocheur : « Better Call Saul » (« Vous feriez mieux d’appeler Saul »).

Fin du flashforward. On retrouve Saul Goodman au début des années 2000 à Albuquerque (sept ans avant le début de Breaking Bad), alors qu’il exerce encore sous son vrai nom. Avocat raté, il encaisse des chèques miséreux, roule dans une épave et officie dans un bureau borgne à l’arrière d’un salon de beauté.

L’enjeu de la série est posé : comment James McGill, petit avocat sans le sou, est-il devenu le flamboyant Saul Goodman, défenseur de la pègre dans Breaking Bad, avant de terminer sa route déchu dans le Nebraska ?

Journal d’une transformation
Comme Breaking Bad qui suivait la métamorphose d’un professeur de chimie en baron de la drogue, Better Call Saul est le journal d’une transformation identitaire. Mais la comparaison s’arrête là. Si Walter White effectue sa catharsis dans la violence, James McGill se bat avant tout contre lui-même. Reléguant les scènes d’action au second plan, Better Call Saul sonde les profondeurs de la nature humaine par l’instrospection.

Petit escroc au bagout hors du commun, James – alias « Slippin’ Jimmy » – a quitté Chicago pour rejoindre son frère Chuck au Nouveau-Mexique, où celui-ci est associé d’un cabinet d’avocats prestigieux. Déterminé à réussir et à prouver qu’il est devenu respectable, Jimmy a gravi peu à peu les échelons, jusqu’à accéder lui-même au barreau. Mais malgré ses efforts, il n’arrive pas à se faire aimer d’un frère qui ne lui témoigne que mépris, persuadé que Jimmy sera toute sa vie un arnaqueur.

Héros pathétique et attachant
Toute l’habilité de la série repose sur la capacité à rendre un personnage pathétique inconditionnellement attachant. Incarné avec génie par Bob Odenkirk, Jimmy se débat pour tirer son épingle du jeu dans un environnement qui lui a toujours été hostile. Depuis l’enfance, il sacrifie sa vie, afin de faciliter celle de ses proches. Et s’il n’hésite pas à transgresser les règles en usant des talents que la nature lui a donnés, c’est avant tout pour se faire une place, être reconnu et aider les gens qu’il aime.

« I tried to make it work. Really, I did. I’m just a square peg. » © AMC

Mais la série se garde de verser dans la complaisance. De mésaventure en déconvenue, Jimmy échoue autant par son incapacité à rester dans le droit chemin que par sa candeur et sa bonté naturelle, qui font de lui la cible idéale d’un entourage souvent malveillant. Enclin à trouver des excuses à cet antihéros hypersensible, le spectateur comprend bientôt que la réalité est plus complexe.

L’attrait de la transgression
Car Jimmy ne possède pas qu’un bagout phénoménal, qui lui permet de s’extirper des situations les plus extrêmes et sait le rendre attachant. Le personnage principal de Better Call Saul est surtout mû par le besoin irrépressible de transgresser l’interdit. Un signe d’immaturité qui l’asservit au lieu de le libérer.

Alors que, dans Breaking Bad, Walter White transgressait les interdits pour se sentir vivant et asseoir son identité, Jimmy McGill reste esclave de sa lutte intérieure du bien contre le mal. Un mal qu’il n’arrive pas à définir, scellant l’ambivalence de son identité : est-ce la transgression de l’interdit ou l’interdit qui brime sa liberté ?

Mike – Jimmy : un tandem au sommet

Comme Breaking Bad, Better Call Saul a fait le pari du tandem pour déployer les ramifications de son récit. Un duo improbable servi par des dialogues savoureux. Agissant comme un révélateur sur l’identité de Jimmy, Mike Ehrmantraut (Jonathan Banks) est aussi taiseux que son acolyte est loquace.

– Not the loquacious sort, are you?
– We can’t all be as blessed as you.

Ancien policier devenu gardien de parking, Mike effectue lui aussi une mue passionnante qui l’amènera à devenir tueur à gage dans Breaking Bad. Mais il est avant tout le premier à montrer à Jimmy que tout acte entraîne des conséquences. Grâce à lui, Jimmy va peu à peu prendre conscience que les autres ne sont pas seuls responsables de ses malheurs et devenir maître de son destin.

« I know what stopped me. And you know what? It’s never stopping me again. » © AMC

Réussite formelle
L’un des coups de maîtres de Vince Gilligan est d’avoir su se démarquer de sa création originale sur le plan formel. Alors que Breaking Bad est filmée caméra à l’épaule, insufflant à la série une énergie nerveuse, Better Call Saul marque sa filiation avec les films noirs auxquels la série emprunte la splendide photographie.

Du « Troisième Homme » de Carol Reed au « Conformiste » de Bertolucci, les références aux chefs-d’œuvre du genre se succèdent (un plan séquence de quatre minutes trente rend hommage à la séquence d’ouverture de « La Soif du mal » d’Orson Welles), mais la série conserve aussi l’atmosphère et l’esthétique saturée de couleurs de Breaking Bad.

Autre rupture : le rythme volontairement lent de Better Call Saul laisse à l’intrigue le temps de dévoiler toute sa subtile complexité, et inscrit la série dans un format dramatique dont tous les paramètres sont maîtrisés à la perfection. En affirmant sa volonté scénaristique et esthétique d’être bien plus qu’un produit dérivé, Better Call Saul s’est ainsi très vite imposée comme une création qualitativement supérieure à la série originale, pourtant culte. Une gageure.

Saison 3 : un tournant ?

À quel moment Jimmy va-t-il basculer du mauvais côté ? La saison 3 livre un indice. Personnage emblématique de Breaking Bad, Gus Fring fait une entrée discrète dans le deuxième épisode sous sa couverture : manageur d’un restaurant de la chaîne de fast-food Los Pollos Hermanos. Un retour annoncé à grand renfort de publicité détournée et d’events éphémères, faisant le bonheur des fans.

Les créateurs de la série l’affirment : d’autres personnages de Breaking Bad feront peu à peu leur apparition dans la série. Mais, comme elle le démontre depuis deux saisons, Better Call Saul sait prendre son temps. Qui s’en plaindrait ?

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.

4 réponses à “Better Call Saul : itinéraire d’un criminel

  1. Bravo pour l’article Better call Saul. Il situe bien la série à la fois dans l’histoire des séries et dans celle du cinéma.
    Cordialement
    Raymond Vouillamoz

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