Billions : combat de Titans à Wall Street

Dopé à la testostérone, le thriller de Showtime plonge dans l’univers impitoyable de la finance. Une jungle où les mâles alpha, esclaves de leur soif de pouvoir, se brûlent les ailes en atteignant les sommets.

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Billions : bande-annonce

L’histoire : À New York, le puissant procureur Chuck Rhoades mène un combat acharné contre la corruption financière. Un jour, une source lui offre la possibilité de mettre en examen pour délit d’initié son ennemi, le milliardaire Bobby Axelrod.

Billions © Showtime

“When you’re at his level, you’re more like a nation-state than a person.”

Une série de mâle alpha
Certaines séries, comme le vin, se distinguent par une finale savoureuse, après une attaque décevante. C’est le cas de “Billions”, dont la première saison s’est achevée le 10 avril aux Etats-Unis. Palpitant mais écrit et réalisé à la truelle, ce thriller financier essentiellement destiné à savoir « qui a la plus grosse ? » gagne en substance au fil des épisodes au point d’offrir une conclusion réussie et laisser une impression globalement positive (deuxième saison diffusée en hiver 2017).

Créée par les scénaristes d’“Ocean’s 13” et le journaliste du New York Times Andrew Ross Sorkin (auteur du best seller “Too Big to Fail”), “Billions” est donc avant tout une série de mâle ou plus exactement de mâle alpha. L’argent est ici un instrument de pouvoir et l’intrigue une partie d’échec à l’enjeu simple voire simpliste : marquer son territoire.

Billions © Showtime Jeff Neumann

Procureur du district Sud de Manhattan, Chuck Rhoades (Paul Giamatti) est aussi respecté que craint. Incorruptible (“You don’t buy your way out of justice here”), il est invaincu dans les poursuites financières : 81 victoires – 0 défaite. Fin stratège, Chuck sait que monter un dossier solide n’est pas tout ; il faut savoir attaquer au bon moment.

“A good matador doesn’t try to kill a fresh bull. He waits until he’s been stuck a few times. I know when the time is right.”

Self-made-man milliardaire
Face à lui, Bobby “Axe” Axelrod, incarné par Damian Lewis (“Homeland”). Parti de rien, ce natif de Yonkers est aujourd’hui l’un des hommes les plus riches des Etats-Unis. Il dirige le fonds spéculatif Axe Capital depuis ses bureaux de Westport, Connecticut. Tous les jours, Axe jongle avec les milliards et prend des paris gigantesques sur la base de son instinct, grâce à une pensée algorithmique et un flair hors du commun.

Billions © Showtime 2
“How are you gonna risk billions every morning if you don’t feel like Superman?”

Affichant tous les signes extérieurs de richesse, Axe n’en oublie pas ses racines modestes ou le fait qu’il a survécu par un coup de chance aux attentats du 11 septembre. Le milliardaire n’est pas pour autant aimable. Sa fortune, il l’a bâtie sur des coups de poker amoraux, qu’il assume. Les petits arrangements avec la légalité font partie du jeu. Seule compte la victoire et l’accession au sommet. Des valeurs qu’il transmet à ses fils, à qui il enseigne les rouages de la manipulation.

S’il fait preuve d’un sang-froid absolu dans les affaires et est assez habile pour ne jamais avoir à abattre son jeu, Axe a deux points faibles : une impulsivité qui le pousse à prendre de mauvaises décisions (“What’s the point of having fuck you money if you never say fuck you”) et un sentiment de toute-puissance qui pourrait précipiter sa chute. Car, pour la première fois de sa vie, Axe a en face de lui un adversaire véritablement redoutable.

Bouffées de testostérone et crise de la quarantaine

Billions © Showtime 4

Drame, intrigues, trahison. Si “Billions” détient tous les atouts d’une tragédie shakespearienne, la partition n’en possède hélas pas la stature. Habitant leurs personnages avec conviction, les excellents Paul Giamatti et Damian Lewis n’ont longtemps à se mettre sous la dent qu’une succession de dictons sportifs et de métaphores douteuses (les réflexions sur la castration du chien dans le pilote valent leur pesant de cacahuètes). Le duel entre les deux hommes est ainsi le plus souvent réduit à des tirades consternantes :

“It’s like Highlander — there can only be one.”

Ne craignant pas le ridicule, les auteurs, qui ont visiblement eu carte blanche, se font – eux – très plaisir. Dans l’épisode 4, Axe et ses amis s’envolent en jet privé pour Québec, où ils assistant au lancement de la tournée de Metallica. L’occasion d’une scène improbable entre Axe et James Hetfield, durant laquelle le chanteur donne des conseils à l’homme d’affaires sur la gestion du stress – puisqu’il fallait bien lui faire dire quelque chose.

Billions © Showtime Jeff Neumann 3

Globalement, alors que la testostérone suinte par jets horizontaux sur fond de “Master of Puppets”, on se demande si l’on regarde une série ou un documentaire sur la crise de la quarantaine. Régulièrement pris de sursauts de rebelle attitude, Axe commet un excès de vitesse sur une route secondaire en écoutant du rock à s’exploser les tympans… mais dans sa Bentley et avant de rentrer sagement à la maison. Il porte un blouson en cuir, un t-shirt Metallica et accueille ses collaborateurs les pieds sur le bureau… mais lorsqu’il est soumis à la tentation par une jolie jeune femme, son besoin de stabilité le délivre du mal. Flirtant avec le grotesque, le scénario de “Billions” interpelle d’autant plus que la série est largement inspirée de la réalité.

La fiction rejoint la réalité

Billions © Time
La série s’inspire de l’affaire S.A.C. Capital, qui a secoué Wall Street en 2013.

Pour insuffler un maximum de réalisme au récit, les créateurs de “Billions” ont rencontré des centaines d’acteurs de la scène financière new-yorkaise. Leur constat laisse songeur : les hommes qui mènent Wall Street par le bout du nez ne sont pas plus connectés avec la réalité qu’avant 2008 (“this is a fucked up free zone”), mais ils ne travaillent plus chez Goldman Sachs ou Morgan Stanley. Les nouveaux milliardaires de la finance dirigent des fonds spéculatifs dans le Connecticut et viennent au bureau en jean et basket.

Face à eux, les représentants de l’Etat ne sont pas plus recommandables. Tous ne sont de loin pas incorruptibles et le pouvoir les mène à adopter des conduites transgressives, sur le plan sexuel notamment, comme le souligne la série.

Mais le parallèle avec la réalité va plus loin. Stéphane Lauer, correspondant du Monde à New York, l’explique dans « Lettre de Wall Street » : « Comment ne pas faire le parallèle entre le duel Axelrod – Rhoades à l’écran et l’affaire S.A.C. Capital. Le patron de ce fonds spéculatif, Steven A. Cohen, est en effet depuis des années dans le collimateur de Preet Bharara, le (vrai) procureur du district Sud de Manhattan, dans le cadre d’une affaire qualifiée par ce dernier de plus grand délit d’initié de l’histoire. »

Faux-semblants et quête d’identité

Billions © Showtime 3

Par-delà les bouffées de testostérone, le vernis s’effrite peu à peu pour laisser entrevoir les failles de ces mâles alpha que rien ne semblait pouvoir faire vaciller. L’occasion pour la réalisation d’enlever les gants de boxe pour s’adonner à quelques effets de mise en scène. Au début de la saison, le bâtiment vitré d’Axe Capital est baigné de lumière (une lumière si aveuglante que les studios devaient être visibles depuis la Lune), alors que les bureaux lambrissés du procureur sont plongés dans la pénombre.

Au fur et à mesure que Bobby Axelrod révèle sa part d’ombre et le Ministère public met en lumière les malversations du milliardaire, l’effet s’inverse pour livrer quelques plans intéressants. Pas de quoi décrocher un Emmy Award, mais suffisamment pour appuyer l’intrigue.

L’épisode 11 est de loin le plus intéressant de la saison. Acculé, Axe s’interroge sur les raisons qui le poussent à commettre des erreurs stratégiques pour la première fois de sa vie :

“If you’re successful enough, people think you can do anything, and then you start to believe it, too.”

Le milliardaire avoue être effrayé par le détachement qui lui a permis d’atteindre les sommets sans se soucier des dommages collatéraux de ses actes. Conscient de se munir d’un masque, il s’interroge : qu’adviendrait-il s’il le retirait ?

Les épouses, tout sauf des femmes trophée

Damian Lewis as Bobby "Axe" Axelrod and Maggie Siff as Wendy Rhoades in Billions (Season 1, Episode 11). - Photo: Jeff Neumann/SHOWTIME - Photo ID: Billions_111_1105.R

Si Bobby Axelrod réussit à effectuer un travail d’introspection, c’est grâce à sa plus proche collaboratrice, Wendy, la femme de Chuck Roades. Incarnée par Maggie Siff (“Sons of Anarchy”), Wendy Rhoades est la coach en performance d’Axe Capital. Depuis 15 ans, cette psychologue brillante aide les traders à rester au top niveau. Très proche d’Axe, elle a toujours veillé à tracer une frontière stricte entre son engagement professionnel et sa vie privée. Mais l’enquête menée par le bureau du procureur va la plonger dans un conflit de loyauté inextricable.

Comme elle, l’épouse de Bobby Axelrod est tout sauf une femme trophée. Lara Axelrod (Malin Åkerman), est aussi intelligente que redoutable. D’origine modeste, elle épaule son mari depuis le début et ne reculera devant rien pour conserver leurs acquis.

Billions © Showtime James Minchin

Faisant voler en éclat le stéréotype des épouses d’hommes puissants qui s’effacent derrière leur mari, les deux rôles féminins de “Billions” sauvent la série. Bobby et Lara Axelrod forment une équipe. Le succès de l’un n’aurait jamais été possible sans le soutien de l’autre et tous deux le savent. De même, Wendy Rhoades gagne huit fois plus que son époux et il serait inenvisageable pour elle de renoncer à sa carrière. Le pouvoir au fond, ce sont ces deux femmes qui le détiennent. Lara et Wendy savent se montrer fortes et ingénieuses là où leurs maris restent narcissiques et vulnérables.

La réplique la plus étonnante de “Billions” revient sans doute à la mère de Chuck :

“They’re Neanderthals. It’s the hormones. It makes their brains seem small.”

À l’inverse de la misogynie latente des séries qui mettent en scène “l’hystérie” de femmes gouvernées par leurs hormones, “Billions” pose le constat inverse : les hommes qui ont atteint les sommets sont esclaves de leur soif de pouvoir, un aveuglement qui ne peut les conduire qu’à leur perte.

Billions © ShowtimeAu-delà de ses caricatures et d’une écriture à grosses mailles, “Billions” reste une série palpitante qui distille des messages subliminaux assez intelligents. Quelle meilleure métaphore de la relation entre le pouvoir et l’argent que l’union sadomasochiste entre un procureur et une coach d’entreprise ?

 

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.