Animal Kingdom : la loi du sang

Adaptation d’un brillant film australien, la nouvelle série de gangster de TNT est plus proche de ‟Point Breakˮ que de ‟Sons of Anarchyˮ. Et ce n’est pas un compliment.

Si vous avez aimé : Point Break, Sons of Anarchy, Ray Donovan

Animal Kingdom : bande-annonce 

L’histoire : suite au décès de sa mère, un adolescent de 17 ans est recueilli par sa grand-mère, femme démoniaque à la tête d’une famille de criminels ultraviolents.

« You’re lucky to have family »

Adaptation d’un film brillant
Adapter un chef-d’œuvre de la littérature est un exercice périlleux. BBC l’a démontré en début d’année en profanant le roman de Tolstoï, « Guerre et Paix ». Ainsi en est-il des perles du cinéma. Diffusée depuis le 14 juin sur la chaîne américaine TNT, ‟Animal Kingdomˮ est une version désastreuse du film éponyme. La déception est d’autant plus grande que les attentes étaient élevées.

En 2010, l’Australien David Michôd réalisait un premier long-métrage coup de poing, tiré de l’histoire vraie d’une famille de criminels de Melbourne. Brillant, ‟Animal Kingdomˮ a reçu plus de trente récompenses internationales, dont le Grand prix du jury du Festival du film de Sundance. Le long-métrage s’ouvre sur une scène glaciale, qui donne le ton. On y voit un adolescent hypnotisé par un jeu télévisé, pendant que des ambulanciers constatent le décès de sa mère d’une overdose d’héroïne.

Animal Kingdom © TNT
‟Animal Kingdomˮ en 2010 : autopsie brillante d’une famille toxique et violente. © Porchlight Films

Avec talent et sobriété, ‟Animal Kingdomˮ décrit durant 110 minutes la désintégration d’une famille de criminels, rongée de l’intérieur par la violence sur laquelle elle a édifié son empire. Le rythme implacable, l’économie d’effets, la violence essentiellement psychologique et les personnages d’une belle profondeur plongent le spectateur dans l’effroi, du premier au dernier plan.

L’annonce de l’adaptation du film par Warner Bros. Television, sous la direction exécutive de David Michôd, fut donc l’une des excellentes nouvelles de 2015. Orphelins de SAMCRO, les fans de ‟Sons of Anarchyˮ pouvaient se réjouir de suivre les nouvelles aventures d’une famille de criminels. Hélas, le huis clos terrifiant de 2010 a laissé la place à un navet à la violence ostentatoire et au scénario médiocre, laissant planer le doute sur l’implication réelle de David Michôd.

Première erreur de la série : le casting

Animal Kingdom © TNT
Incarné par Ellen Barkin, le personnage de la mère diabolique perd toute ambiguité. © TNT

La force du film réside avant tout dans le choix des acteurs. La matriarche démoniaque Janine ‟Smurfˮ Cody y est incarnée par l’excellente Jacki Weaver (nommée aux Oscar et multi récompensée pour ce rôle). Son allure de mamie gâteau et son sourire inoffensif ne rendent que plus glaçants son comportement diabolique de cheffe de meute et les rapports quasi incestueux qu’elle entretient avec ses fils. Hélas, les producteurs de la série ont jugé opportun de confier ce rôle clef à Ellen Barkin, que la chirurgie esthétique a rendue totalement inexpressive et qui use essentiellement de ses attributs physiques pour souligner l’attitude transgressive, là où Jacki Weaver sait mesurer regards et gestes.

Autre personnage incompréhensiblement dénaturé, celui de l’adolescent perdu débarquant dans une famille toxique – la sienne – et qui se retrouve tiraillé entre attraction, répulsion et loyauté. Pour interpréter le héros de son premier long-métrage, David Michôd a rencontré pas moins de 500 adolescents et son choix s’est porté sur un inconnu, James Frecheville.

Animal Kingdom © TNT 1

Époustouflant de talent, le jeune homme au regard hagard et aux cernes creusés traverse l’intrigue comme un fantôme, totalement apathique. Précisément ce que l’on attend de son personnage. Là aussi, erreur de casting phénoménale des producteurs de la série. Le rôle de Josh  ‟Jˮ Cody a été confié à Finn Cole (vu dans la saison 2 de ‟Peaky Blindersˮ), un jeune homme bodybuildé au visage lisse et poupon, dont le jeu consiste à froncer les sourcils et gonfler les pectoraux.

Animal Kingdom © TNT
Incarné dans le film par James Frecheville (image du haut), le personnage de Josh est repris par Finn Cole. © Porchlight Films / TNT

Mais le pompon revient aux frères torturés du clan, incarnés dans le film par quatre acteurs parfaits, Ben Mendelsohn ( ‟Bloodlineˮ) en tête. Pour une raison mystérieuse, ces rôles ambivalents ont été confiés à une brochette de playboys épais au charisme d’un bidet, que la caméra s’emploie scrupuleusement à filmer torse nu (on se demande à chaque scène ce que l’excellent Shawn Hatosy vient faire dans cette galère).

Entre deux braquages et puisque l’action se situe en Californie, les quatre molosses vont se confronter aux vagues dans des scènes de surf insignifiantes. Et lorsqu’ils ont fini de se passer la main dans les cheveux, de boire des bières et de se mettre la production annuelle de cocaïne colombienne dans le nez, ils couchent avec de jolies latinas, justifiant le quota de fesses et de seins. Bref, on s’ennuie ferme.

Animal Kingdom © TNT 1

Pour les fans de ‟Point Breakˮ
Accueillie tièdement par la critique américaine, la série pourrait cependant trouver son public. ‟Animal Kingdomˮ  est au fond une série très californienne, qui assume son côté show-off. En rapprochant son intrigue d’un film comme ‟Point Breakˮ et ses caricatures d’un ‟Natural Born Killersˮ (la télévision est ostensiblement désignée comme agent d’aliénation, là où le long-métrage effectue une allusion plus métaphorique que démonstrative), la série plaira sans doute à nombre de fans de ‟Sons of Anarchyˮ et, plus généralement, aux amateurs de séries d’action – gay-friendly.

Tout n’est d’ailleurs pas à jeter dans cette production testostéronée, qui dépeint avec juste ce qu’il faut de crasse luisante les travers de l’Amérique white trash. Mais la faiblesse du scénario, du casting et de la réalisation devraient tôt ou tard sonner le glas de cette série qui passe à côté de son sujet.

Animal Kingdom © TNT

Verdict : un film à voir, une série à oublier
Car ‟Animal Kingdomˮ, c’est avant tout une tragédie shakespearienne noire et dérangeante, qui interroge les fondements de la violence et explore la face obscure du conflit œdipien.

En espérant que la télévision produira un jour une adaptation digne de l’œuvre de David Michôd, ce n’est donc pas vers la série ‟Animal Kingdomˮ qu’il vous est conseillé de vous diriger cette semaine, mais vers le film.

Avantage non négligeable : voilà qui vous laisse tout loisir de profiter pleinement de la phase finale de l’Euro.

 

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.