The Night Manager : permis de bâiller

Adaptation d’un best-seller de John le Carré, “The Night Manager” est l’évènement britannique de l’année. La mini-série produite par la BBC et AMC ressemble furieusement à un James Bond. Mais ce n’est pas un James Bond. 

The Night Manager © BBC - AMC

The Night Manager : bande-annonce

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L’histoire : Ancien soldat de l’armée britannique, Jonathan Pine est directeur de nuit d’un palace du Caire. Un soir, la belle Sophie Alekan, maîtresse de l’un des hommes les plus puissants de la ville, lui confie des documents révélant que le milliardaire philanthrope Richard Roper est en réalité trafiquant d’armes.

The Night Manager © BBC - AMC

« When a continent enters into chaos, that’s when opportunities open up. »

Série événement de la BBC
Transposée avec succès au cinéma, l’œuvre de John le Carré n’avait plus fait l’objet d’une série télévisée depuis trois décennies. L’annonce en 2015 de l’adaptation du best-seller “The Night Manager” par la BBC et AMC fut donc un évènement. Pour mener à bien le projet, les producteurs ont fait appel à la crème de la crème : en plus d’un casting cinq étoiles, la réalisation de cette mini-série de six épisodes a été confiée à la cinéaste danoise Susanne Bier (Oscar du meilleur film étranger en 2010 pour “Revenge”) et le générique conçu par Patrick Clair (“True Detective”). Une production au coût pharaonique : 4 millions par épisode, soit le budget le plus important jamais attribué à une série britannique.

The Night Manager 2 © BBC - AMC

The Night Manager 11 © BBC - AMC

Et le moins qu’on puisse dire, c’est que le spectateur en a pour son argent. Générique clinquant, mise en scène soignée, bande originale somptueuse, lieux de tournages à couper le souffle (Zermatt, Istanbul, Marrakech, Le Caire, Majorque, Londres), palaces et villas rivalisant d’opulence, vêtements de haute-couture, placement de produits luxueux, l’enveloppe fastueuse de “The Night Manager” lui confère tous les atouts d’un excellent divertissement.

Qu’en est-il des personnages ? Un jeune loup solitaire assoiffé de vengeance, un psychopathe sans foi ni loi, un homme de main cruel et paranoïaque, une jeune femme sans défense prisonnière du mal. Tout cela rappelle furieusement une certaine franchise mettant en scène un agent double zéro, le héros allant jusqu’à commander une vodka martini au bar d’un casino. Bref, “The Night Manager”, ça a la couleur de James Bond, ça a le goût de James Bond. Mais ce n’est pas un James Bond.

Petit oubli : l’humour

The Night Manager 4 © BBC - AMC

À cette production classieuse, il manque un élément fondamental, qui fait le sel de l’œuvre flemingienne : l’humour.  Volontaire du moins. Le seul bon mot de ces six heures de spectacle revient à Hugh Laurie, à l’issue d’une scène de guerre ébouriffante. Dans un clin d’œil savoureux à “Apocalypse Now”, le criminel déclare en contemplant un champ de bataille :

“Nothing quite as pretty as napalm at night.”

Pour le reste, si vous espériez une démonstration d’humour anglais, passez votre chemin. Ici, on fait dans le premier degré. Afin d’illustrer la complexité du double je(u) auquel les personnages sont contraints, la réalisatrice multiplie de façon compulsive le même plan : un œil fixe, dont il s’agit de sonder les mystères. Et pour qui n’aurait pas saisi la métaphore, un scan de l’iris de l’agent double tient lieu de sésame permettant d’accéder au compte bancaire des méchants. Tout un programme.

Agent double, déception triple

The Night Manager 5 © BBC - AMC

L’interprétation n’est guère plus fracassante. Là où 007 arbore en toutes circonstances un sourire flegmatique et un charisme viril à damner un saint, le jeu de Tom Hiddleston consiste à froncer les sourcils l’air pénétré. Aussi torride qu’un radiateur en fonte, l’acteur ne semble pas vraiment à l’aise, lorsqu’il s’agit d’ôter leurs vêtements aux gazelles qui se pendent à son cou, et il affiche à la moindre occasion un sourire propret de premier de la classe. Un jeu pas intolérable, pour qui réussit à détacher son attention des mèches qui tapissent son brushing gominé.

L’ambiguïté supposée de son personnage peine également à convaincre. “I was living half a life when you met me”, déclare-t-il à l’agent qui l’a recruté. Une faille que sa double identité criminelle pourrait avoir comblée. Ou pas.

Dr. oh, no!

The Night Manager 9 © BBC - AMC

Face à lui, Hugh Laurie est impeccable en psychopathe négociant la vente d’armes létales entre deux tasses de thé. Mais l’inénarrable interprète de “Dr House” jouit hélas de dialogues plutôt faibles. Quant au duel œdipien qui l’oppose au jeune héros, il produit suffisamment de vent pour faire tourner un parc éolien.

En agent des services secrets britanniques, la pauvre Olivia Colman (“Broadchurch”) est le plus souvent réduite à sourire pour signifier son impuissance. Dans le rôle de la belle jeune femme un brin cruche qu’il faut sauver des griffes du méchant criminel, Elizabeth Debicki passe son temps à pleurer. Le seul personnage à sortir du lot est Major Lance Corkoran, l’homme de main de Richard Roper, incarné par l’excellent Tom Hollander. Dans cet univers de faux-semblants cher à John le Carré, il est le seul à voir clair dans le jeu de Jonathan Pine. Se rapprochant du savoir, il se brûle les ailes dans une jolie métaphore mythologique.

Jamais plus jamais
“The Night Manager” ravira les amateurs de divertissement à gros budget (on s’interroge sur l’opportunité de diluer sur six longs épisodes une intrigue qui aurait pu être bouclée en deux heures), mais laissera sur leur faim les spectateurs friands d’humour et d’intrigue subtile. À ces derniers, on suggère de se plonger plutôt dans l’excellente et palpitante mini-série britannique “The Honourable Woman”. Ou de revoir “Casino Royale” et “Spectre”, en attendant la sortie du prochain opus de James  Bond – le dernier mettant en scène Daniel Craig, promis pour 2018.

Emilie Jendly

Emilie Jendly est spécialiste en communication et journaliste RP, de nationalité suisse et française. Passionnée de séries télévisées, elle présente ici les nouveautés à ne pas manquer. Spoil prohibé.

2 réponses à “The Night Manager : permis de bâiller

  1. Ceci est un thriller d’espionnage puissant avec des éléments dramatiques. L’histoire handicaper la majorité des films sur le même sujet. Les héros du film ne sont pas des formules, ils agissent en fonction des circonstances et se transforment à la finale dans une des personnalités complètement différentes. Ceci est l’une de mes images préférées de Hugh Laurie. Je suis également très friands de lui dans le film “À la poursuite de demain” ( http://filmstream.co/1147-a-la-poursuite-de-demain-2015.html ).

    1. Merci Dana pour ce commentaire. Hugh Laurie est en effet excellent dans ce rôle. Si vous appréciez cet acteur, je vous conseille la série “Chance”, diffusée fin 2016 sur la chaîne Hulu et dans laquelle Laurie tient le rôle d’un neuropsychiatre.

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