Expérience sur les insecticides

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Mambo !

Bonjour de ce pays où les Masaï se battent pour rester sur leurs terres sacrées.

https://avaaz.org/fr/maasai_lands_loc/

Le temps est un animal sauvage que l’on croit domestiqué. Ici il file à vive allure et vos parasitaires débordés ne trouvent pas le temps de tremper leurs orteils dans l’océan. Je ne vous le cache pas, nos journées sont pleines de rebondissements. Nous oscillons entre heureuses nouvelles et déboires, de la confiance la plus absolue en la réalisation de ces projets de recherche à la certitude qu’ils ne pourront se faire. La vague passe et nous y croyons à nouveau. Bref, nous nageons au cœur d’une réalité palpitante, pas toujours saisissable, parfois éreintante.

De quoi s’agit-il?

Nous commençons à récolter nos premières larves de moustiques demain et il est plus que temps de vous expliquer nos expériences.

Comme cela représente beaucoup d’informations, je vous en présente une seule aujourd’hui. Je vais vous demander un peu de concentration et vos méninges ne seront pas épargnées, mais vous le verrez, le sujet est passionnant.

Plaît-il?

L’étrange question de notre recherche est:

Toi, le moustique infecté ! T’es moins repoussé par les insecticides ?

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Les insecticides

Pour introduire le sujet, voici quelques mots sur les insecticides.

Une des méthodes les plus efficace de lutte contre la malaria est l’emploi d’insecticides dans les maisons et sur les moustiquaires.

Les insecticides ont plusieurs effets. Ils tuent les moustiques ou les repoussent. Les moustiques, découragés, entrent moins facilement dans les maisons et ceux qui poussent la bravoure jusqu’à piquer malgré les insecticides s’exposent au risque de mourir.

L’emploi d’insecticides a drastiquement diminué le contact entre les humains et les moustiques. Selon certaines études, l’utilisation de ces produits réduit les cas de malaria de plus de 50%. Pour mille enfants qui dorment sous une moustiquaire imprégnée d’insecticides, cinq auront la vie sauve grâce à cette méthode. On entend par là que ces cinq enfants mourraient de la malaria sans cette protection.

Je précise qu’il s’agit d’insecticides utilisés pour le controle des vecteurs (les moustiques) et non employés à visée agricole. Ce sont les mêmes produits, mais utilisés à un dessein différent, à des doses différentes et surtout, sur des surfaces plus réduites. Dans un cas, on met des insecticides dans des maisons; des îlots humains dans lesquels on décide que les moustiques n’ont pas leur place. Dans l’autre, on inonde des champs et cela contamine le sol, l’eau, le ciel…

Enfin sachez que 99,75% des insecticides sont utilisés pour l’agriculture et que cette utilisation massive pose un gros problème dans la lutte contre la malaria, parce que les moustiques deviennent résistants… mais il s’agit là d’un vaste sujet et nous y reviendrons plus tard.

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les stades de développement influencent la manipulation

Vous le savez maintenant (sinon je vous renvoie au post du 28 avril), les moustiques infectés sont « manipulés » par la malaria. Autre fait stupéfiant, suivant son âge l’indésirable hôte induit différentes “manipulations”:

Le parasite a besoin de se développer dans le moustique durant 20 jours avant d’être transmissible à l’humain.

Au stade infectieux (lorsque la malaria est transmissible) les moustiques deviennent plus motivés à piquer.

Avant, en plein développement, la malaria a besoin que le moustique survive le temps d’être contagieuse. Elle aurait tendance à réduire l’agressivité du moustique pour qu’il soit moins exposé au risque de mourir écrasé de nos petites mains.

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Alors, c’est quoi cette expérience sur les insecticides ?

Nous sommes ici pour vérifier l’hypothèse que:

  • les moustiques infectés sont moins repoussés par les insecticides lorsqu’ils sont prêts à transmettre la malaria. Une partie d’entre eux prendraient le risque d’entrer dans les maisons et de piquer malgré la menace, transmettant ainsi la maladie.
  • Les moustiques infectés au stade précoce, au contraire, préservent le développement du parasite en réduisant leur tendance à piquer, fuyant le danger des insecticides.

Ce n’est pas un peu fou d’imaginer un stratagème pareil ? Certes, mais on vous l’annonce formellement, cela a été démontré à Neuchâtel avec la malaria du rongeur, par notre doctorant Kevin (alias Steeve sur les dessins).

Sur le terrain nous allons vérifier cette hypothèse avec la malaria de l’humain (plasmodium falciparum).

Comment ?

Nous allons élever nos moustiques puis nous allons en infecter la moitié avec la malaria. L’autre moitié servira de référence pour comparer les comportements. Tous les moustiques (infectés et sains) vont être mis dans une boîte à l’extrémité de laquelle se trouvera notre doctorant.

Comme nous voulons vérifier si les moustiques infectés sont moins repoussés par les insecticides, nous allons comparer le nombre de moustiques qui tentent de piquer Kevin malgré la présence de ce produit répulsif. Je vous rassure, une moustiquaire protégera notre brave doctorant des piqûres de ces dames moustiques parasitées.

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Pourquoi c’est important ?

Si le moustique infecté est moins repoussé, la protection individuelle est réduite puisqu’il risque tout de même d’entrer et de piquer. Ce n’est pas une bonne nouvelle pour la personne qui se trouve dans la maison. Par contre, puisqu’il va s’exposer à un produit mortel, il a plus de chances de mourir, donc par la suite il ne transmettra plus la malaria.

Evidemment, on souhaite que le moustique ne transmette rien à personne. Comprendre le comportement du moustique infecté permet de réfléchir à des méthodes de luttes qui les ciblent particulièrement. Comme par exemple déposer des pièges à moustiques à proximité des moustiquaires. Tiens, c’est justement une expérience que j’ai faite à Neuchâtel (les analyses sont encore en cours).

Une affaire à suivre, n’est-ce pas ?

Pour ma part, j’espère vous transmettre le virus de la passion pour ces questions et je vous remercie de votre attention. Le prochain post sera plus court et plus… piquant…

 

Bien à vous, l’équipe de parasitaires qui découvrent l’art de conduire à moto dans les rues de Bagamoyo et pour qui les pannes n’ont bientôt plus de secret.

 

 

Elise Rapp

Elise Rapp est infirmière spécialisée en médecine Tropicale (IMT Anvers). Elle a repris le chemin des études pour faire de la recherche sur les maladies tropicales. Elle est actuellement basée en Tanzanie où, dans le cadre d’un master de biologie elle mène un projet de terrain sur la malaria.