Après la COP26: graines d’espoir pour l’avenir de la planète

Le chemin non linéaire de la transition verte

L’essentiel en 7 points:

  1. La COP 26 a eu le mérite de relancer le multilatéralisme et l’action climatique dans un monde fragmenté par le COVID-19.
  2. La pression médiatique et la mobilisation de la société civile n’ont jamais été aussi fortes et pousse les gouvernements à relever le niveau d’ambition et accélérer la transition énergétique pour sortir des énergies fossiles et aller vers un avenir sobre en carbone.
  3. De multiples nouveaux engagements ont été pris, notamment pour réduire les émissions de méthane (en lien avec les sols, l’agriculture et l’alimentation) et mettre fin à la déforestation; la nature a eu sa place à la table des négociations. Si nous additionnons tous les engagements NDCs et tous les secteurs, nous sommes cependant encore loin du compte pour arriver à rester sous la barre des 1.5°C d’augmentation de la T°C mondiale.
  4. Les pays riches n’ont pas fait suffisamment preuve de solidarité envers les pays du Sud les plus impactés par le changement climatique, avec des lacunes sur les finances et les mécanismes de réparation des dommages.
  5. Les négociations internationales créent une environnement de coopération et d’émulation positive entre les Etats mais ne remplacent pas l’action locale et nationale.
  6. La COP27 sera présidée par l’Egypte au nom du continent africain et devrait reprendre les travaux pas terminés à Glasgow. La Ministre de l’Environnement Yasmine Fouad souhaite un processus transparent et inclusif avec toutes les parties prenantes et tous les acteurs de la société civile, y compris en renforçant le rôle des femmes.
  7. Le Secrétaire Général des Nations nous encourage à continuer à plantes les graines d’un avenir plus positif pour le climat, la nature et l’humanité.

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Le retour en train depuis Glasgow m’a donné le temps de la réflexion, après cet évènement majeur qui a rassemblé des milliers de personnes venues du monde entier. Nous partageons toutes et tous le même espoir pour l’avenir de l’humanité, celui de répondre au plan grand défi de notre siècle: le changement climatique. Nous rêvons parfois de résoudre ce problème complexe avec une baguette magique, en une fois, et lors d’une conférence, mais cela ne marche pas ainsi. Répondre au changement climatique demande un changement profond et systémique de nos sociétés, à tous les niveaux, dans les secteurs, et avec tout le monde à bord. Cette transformation a commencé. Mais elle ne se fait pas de linéaire. Elle empreinte plutôt un chemin sinueux, et avance à un rythme irrégulier, en fonction des avancées technologiques mais aussi des dynamiques de pouvoir exercées par les mouvements politiques et sociaux.

En prenant de la distance, on peut voir chaque COP comme un animal unique et différent à chaque fois. Ma première COP était en 2005 à Montréal. Depuis, j’ai eu la chance de participer à une dizaine de COPs, au sein de délégations gouvernementales, de la Présidence de la COP23, de représentant.e.s du Parlement Européen, de la société civile, du secteur privé ou encore des syndicats: COP11 – Montreal, COP23 – Bali, COP14 – Poznan, COP15 – Copenhagen, COP16 – Durban, COP21 – Paris, COP22- Marrakech, COP23 – Fiji, COP24- Katowice, COP26- Glasgow.

Dans ce “train” de COPs, en quoi celle de Glasgow était-elle nouvelle ?

Relancer le multilatéralisme et l’action climatique dans un monde fragmenté par COVID-19

Dans le tourbillon des Chefs d’Etat, des évènements, de la foule, des manifestations, de la couverture médiatique et de l’adrénaline, il aurait été facile d’oublier que nous émergions encore d’une pandémie majeure. L’obligation de faire un test anti-génique chaque matin était pourtant là pour nous rappeler la réalité. L’an passé, en 2020, et pour la première fois dans l’histoire des Nations Unies, la COP climat avait était annulée.

C’est déjà un miracle si la COP26 a pu avoir lieu. A ce titre, nous devrions exprimer notre gratitude envers le gouvernement britannique qui a assumé la Présidence de la COP, et a pris la responsabilité de ne pas reporter encore le sommet pour le climat, malgré un nombre incroyable d’incertitudes jusqu’au jour même de son ouverture. Il n’est pas étonnant d’avoir vu Alok Sharma verser des larmes dans les dernières heures de la plénière, avant d’être encouragé par des applaudissements lui redonnant courage pour finir la dernière ligne droite de ce marathon climatique.

La pandémie et ses multiples conséquences ont fragmenté le monde, divisé les nations, autour des questions de financement de la dette, et d’équité d’accès aux vaccins. Dans ce contexte, nous devrions célébrer le fait que la COP26 ait pu avoir lieu. Même si les résultats ne sont pas satisfaisants, c’était une étape essentielle pour relancer le multilatéralisme et l’action climatique.

L’esprit de Paris, du leadership partagé, est encore en vie

Certes ces COP onusiennes sont loin d’être parfaites. Elles emergent, vivent et survivent comme de grands organismes vivants dont les différentes parties interagissent de manière complexe. Elles sont imprévisibles et incluent souvent une dose de drame, avec des interventions émouvantes de la part des négociateurs et négociatrices des pays en développement, renforcées par la réalité tragique des impacts du changement climatique sur les populations les plus vulnérables. Les COPs restent essentielles, comme moments uniques dans le temps et l’espace qui permettent à toutes les nations de se rencontrer, se concerter et prendre des mesures conjointes pour répondre à l’urgence planétaire et protéger nos biens communs.

Nous partageons toutes et tous la même planète, devrions travailler ensemble comme une grande équipe, avec un seul objectif commun: sauver l’avenir de la planète et de l’humanité.

L’adoption du Pacte de Glasgow pour le climat par 197 nations redonne vie à l’esprit de coopération et de leadership partagé de l’Accord de Paris. L’accélération du changement climatique, comme relevé par le dernier rapport du GIEC, appelle aussi une accélération de la revue des objectifs climatiques des pays, qui souhaitent désormais le faire chaque année plutôt que tous les cinq ans. Dans ce contexte perturbé par la pandémie, les pays réunis à Glasgow ont aussi réussi à se mettre d’accord sur les derniers éléments du “Rulebook” (livre de règles), notamment sur l’article 6 concernant les mécanismes de compensation et de marché du carbone. Ils doivent aussi revoir leurs plans climat nationaux pour s’aligner avec l”objectif global de 45% de réduction des émissions d’ici à 2030, sur le chemin de la neutralité carbone d’ici à 2050.

La pression de l’opinion publique et des medias augmente, et pousse les gouvernements à relever le niveau d’ambition

Même en comparaison avec la COP21 à Paris, il n’y a jamais eu autant de pression sur les gouvernements pour relever l’ambition et accélérer l’action climatique. La couverture médiatique internationale, ainsi que la mobilisation des jeunes et de la société civile poussent les décideurs à agir, au niveau global, national et local. Les CEO des grandes multinationales sont eux aussi sous la loupe. Les engagements pris par certaines entreprises ayant un business lié à l’aviation ou l’industrie pétrolière, visant la neutralité carbone mais au prix de compensations carbones à l’étranger, ne sont pas suffisants. Réduire les émissions de gaz à effet de serre est un “must”. Investir dans les puits de carbone naturels est utile et complémentaire, mais ne doit pas remplacer la décarbonisation.

Les résultats positifs des COPs sont souvent le fruit de campagnes chevronnées et de multiples points de pression. En plaçant les leaders mondiaux sous les projecteurs, les medias créent un espace d’émulation positive, où il y a de moins en moins d’espace pour les fausses annonces. La crédibilité, l’authenticité, la transparence et l’engagement sont en haut de l’échelle. Le respect pour les autres aussi, respect pour la diversité culturelle, qui est au coeur du système des Nations Unies.

De multiples engagements ont été pris à la COP26. Nous n’allons pas tous les lister, mais en voici quelques-uns qui paraissent marquants:

  • Mettre fin à la déforestation d’ici 2030, c’est l’engagement pris par plus de 141 pays, représentants 90% des forêts, avec le soutien de 33 institutions financières représentant US $ 8.7 trillions d’investissements. C’est sans doute la première fois, lors d’une COP climat, que la nature a autant sa place à la table des négociations.
  • 107 pays ont rejoint l’UE et les USA pour réduire les émissions de méthane de 30% d’ici 2030, couvrant ainsi des secteurs importants liés à l’utilisation des sols, l’agriculture et l’alimentation.
  • L’Inde a adopté un objectif de neutralité carbone d’ici à 2070, contribuant ainsi à atteindre au total 88% des émissions mondiales et 90% du PIB mondial de taux de couverture pour la neutralité carbone. Cet élément a cependant été affaibli politiquement par la demande de dernière minute de l’Inde de revoir le texte final de Glasgow, pour remplacer la sortie du charbon par la “réduction” de la part du charbon.
  • 40 pays et acteurs de la finance ont lancé un partenariat stopper les financements aux énergies fossiles; l’Alliance Beyond Oil and Gas Alliance vise aussi la sortie des énergies fossiles. L’Afrique du Sud, l’Union Européenne, les Etats-Unis et le Royaume-Uni travaillent de concert sur le “just transition deal”.
  • Près de 8000 acteurs non-étatiques, dont 1049 villes et régions ont rejoint la course pour le zéro carbone.

Cependant, ces engagements ne sont pas suffisants, et il y encore beaucoup à faire.

Si nous additionnons tous les engagements, nous allons vers une augmentation de la T°C de 2.4 °C (au lieu de 3.5°C auparavant); il y a donc une amélioration mais nous sommes encore loin du compte pour arriver à 1.5°C. Nous sommes passés de 52.4Gt avant Glasgow à 41.9 Gt, mais il faudrait être à 26.6 Gt d’ici 2030.

La second élément problématique, a clairement été aussi le manque de solidarité des pays les plus développés envers les pays en développement. Les pays les plus vulnérables attendaient un mécanisme de réparation plus fort, pour compenser les dommages causés par les impacts du changement climatique en particulier pour les pays insulaires.

Enfin, sur le volet finances, le compte n’y est pas pour atteindre les US $ 100 milliards par an pour aider les pays du Sud (entre 40 et 60 milliards selon les méthodes de calcul). Il faut ajouter que les Etats, ainsi que le FMI et la Banque Mondiale, ont déboursé des trillions pour les plans de relance économiques, suite au COVID, mais sans pour autant mettre en place des critères stricts et clairs pour assurer la neutralité carbone et les impacts positifs pour la biodiversité et l’équité sociale de ces investissements.

Le Green Deal européen, avec 672 milliards d’euros, établit un critère de 37% pour financer l’action climatique mais on est loin du compte pour la biodiversité avec seulement 1% de financements.

Tous les regards se tournent vers la Présidence égyptienne de la COP27

L’Egypte présidera la COP27 pour le continent africain. Il est certain que les questions des finances et des mécanismes de réparation reviendront sur la table.

Pendant la COP26, j’ai eu l’honneur de rencontrer la Ministre de l’Environnement Mme Yasmine Fouad. Elle a présidé la Convention sur la Biodiversité Biologique et mené les négociations sur les finances pour le climat pour la présidence britannique. Si elle devient la présidente de la COP27, elle mettra certainement à l’honneur aussi les solutions basées sur la nature, l’alimentation durable, et le dialogue inclusif avec toutes les parties prenantes. Elle bénéficie du soutien du Secrétaire Général des Nations.

Pour conclure, il est clair que les négociations internationales ne remplacent pas l’action nécessaire au niveau national et local. Mais les COPs créent un environnement favorable à la coopération et aussi au relèvement du niveau d’ambition. C’est aussi à nous, en tant qu’individus, de prendre des décisions responsables et de faire de bons choix en tant que citoyen.ne.s, électeurs/trices et consommateurs/trices. En mettant en place des législations et des incitations économiques plus favorables, les gouvernements ont aussi un rôle fondamental à jouer pour encourager les individus et les entreprises à faire les meilleurs choix sociaux et environnementaux. La transition ne se fera que si elle est accompagnée des mesures de redistribution et d’équité sociale, pour que personne ne soit laissé de côté.

De toutes les réactions publiées et partagées après la COP26, celle du Secrétaire Général des Nations Unies reste celle qui paraît la plus clairvoyante.

“Le chemin n’est pas toujours une ligne droite. Il y a parfois des détours.”

” Comme le disait l’écrivain écossais Robert Louis Stevenson: ne jugez pas chaque journée en fonction des récoltes effectuées, mais plutôt en fonction des graines que vous avez plantées.”

” Nous avons encore beaucoup de graines à planter le long de ce chemin. Nous n’arriverons pas à destination en un jour ou en une conférence. Mais je sais que nous y arriverons. C’est le combat pour nos vies.”

“N’abandonnez jamais. Ne rebroussez pas chemin. Continuez vers l’avant. Et et je serai avec vous tout le long du chemin.”

COP26: à l’heure des choix énergétiques stratégiques

La COP26 s’ouvre cette semaine à Glasgow, la ville écossaise qui s’apprête à accueillir une centaine de Chef.fe.s d’Etat, 20,000 délégué.e.s accrédité.e.s par les Nations Unies et potentiellement plus de 100,000 militant.e.s venant rejoindre la marche pour le climat prévue le 5 novembre prochain.

Ce sommet pour le climat est unique et important pour plusieurs raisons. Il s’agit bien du plus important rendez-vous politique depuis la COP21 qui s’était tenue à Paris en 2015, il y a six ans. L’Accord de Paris, ratifié par presque tous les pays du monde entier, prévoit en effet un mécanisme de revue des engagements nationaux pris tous les cycles de 5 ans, sous la forme de “Nationally Determined Contributions” (NDCs). Les plans nationaux déposés lors de la ratification de l’Accord de Paris, nous emmènent, si nous les additionnons, vers une trajectoire de +3°C de la température mondiale; et encore, si tous les pays mettent vraiment en oeuvre la totalité de leurs engagements pris à cette date, ce qui est loin d’être gagné d’avance.

Il était donc prévu que les “Parties” ayant ratifié l’Accord de Paris se retrouvent en 2020 pour déposer les nouveaux NDCs pour les 5 prochaines années, avec un niveau d’ambition qu’il faut absolument relever si nous voulons rester dans la zone de sûreté recommandée par les scientifiques du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat), c’est-à-dire rester sous la barre des 2 voir 1.5°C d’augmentation de la T°C mondiale comparée à l’ère pré-industrielle.

Les leaders du G20 réunis à Rome, en Italie, se sont mis d’accord sur l’impératif des 1.5°C, en particulier à la lumière des derniers éclairages scientifiques et des effets d’emballement climatique, à l’origine de feux de forêt gigantesques, de fonte des glaces accélérée, et de montée du niveau de la mer menaçant l’existence des états insulaires et des villes des zones côtières. C’est une bonne nouvelle, mais insuffisante. La vraie question que nous devons poser au G20 est: comment allez-vous y arriver ?

A l’heure de l’ouverture de la COP26, se posent des choix stratégiques majeurs, en particulier pour définir l’avenir de nos ressources énergétiques. Vladimir Putin a annoncé qu’il bouderait la COP26. Xi Jinping ne sera pas non plus présent pour la Chine. Ce sont deux géants qui ne seront pas présents, l’un détenant des réserves stratégiques de gaz naturel, l’autre à l’origine d’un volume gigantesque de consommation d’énergies fossiles malgré des annonces répétées de sortie du charbon. Avec près de 1 000 gigawatts (GW), la Chine détient près de la moitié des capacités mondiales des centrales à charbon, suivie par les États-Unis (259 GW) et l’Inde (221 GW). Lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre dernier, Xi Jinping a certes annoncé que son pays arrêterait de construire des centrales au charbon, mais cela concerne les constructions à l’étranger, et il n’a pas indiqué de calendrier précis.

Restent les Etats-Unis de Joe Biden, dont le grand retour dans le giron de la diplomatie climatique est très attendu. Pierre angulaire de la politique du président américain: le Programme de performance dans le secteur de l’électricité (CEPP) d’un montant de 150 milliards de dollars (138 milliards de francs), dont l’idée est de récompenser les services publics qui passent aux énergies renouvelables et de pénaliser les autres. Selon les experts, le CEPP réduirait la majorité des émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité, qui représentent environ un quart des émissions américaines. Les Etats-Unis restent encore très dépendants du pétrole, en particulier pour le secteur des transports (aérien et routier), mais ils pourraient bien rattraper leur retard du fait de leur grande capacité de développement de technologies innovantes.

En renouant un dialogue étroit avec les américains, les Européens souhaitent reprendre le leadership de la diplomatie climatique après une longue période d’attentisme provoquée par le scepticisme de Trump. Ursula Von Der Leyen se positionne en grande championne de la relance économique verte et neutre en carbone, avec €672.5 milliards investis dans les pays européens, à condition que 37% contribuent à l’action climatique et aux objectifs de 55% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, puis la neutralité carbone en 2050. La nature est cependant la grande oubliée des ces investissements, avec seulement 1% des fonds allant à la biodiversité et à la restauration des écosystèmes, pourtant nos meilleurs alliés pour absorber du carbone dans les puits naturels et nous adapter aux impacts du changement climatique. De plus, les objectifs climatiques tracent une trajectoire qui n’est pas encore à la hauteur des ambitions. L’UE vise actuellement une part de 32 % de renouvelables dans son bouquet énergétique total d’ici à 2030, mais cet objectif devrait être révisé à la hausse, entre 38 % et 40 %. Pour y parvenir, la croissance de la production éolienne et solaire, encore trop lente, devrait quasiment tripler, précisent, dans un rapport publié le 25 janvier, les centres de réflexion Ember et Agora Energiewende.

Enfin, l’Europe reste très dépendante des importations de gaz russe, et vulnérable aux fluctuations du marché, comme l’a montré l’affolement de ces dernières semaines face au triplement du prix du gaz. La question nucléaire est vite revenue sur le tapis, en commençant par la France qui se voit acculée devant le choix stratégique de renouvellement de son parc nucléaire, ou de développement massif et expansif des énergies renouvelables, ou encore de risque de black-out collectif et répété. Le nucléaire de seconde génération se heurte cependant à une forte opposition de l’opinion publique et de réels problèmes de gestion des déchets nucléaires, d’approvisionnement en uranium, mais aussi de coûts économiques exorbitants pour les générations futures qui devront assumer la prise en charge des démantèlement des centrales en fin de vie. Reste encore la piste du nucléaire de troisième ou quatrième génération et de l’utilisation du thorium, mais les investissements en recherche et développement restent très importants, et certainement pas à portée de porte-monnaie pour les pays en voie de développement.

La COP26 s’ouvre donc sur des choix stratégiques majeurs, d’autant plus importants que nous entrons dans une phase de reprise économique post-COVID qui a fait augmenter la demande de matières premières et qui mobilise tous les Ministres de l’Economie et des Finances pour recréer des emplois et éviter des explosions sociales plus fréquentes, comme il y a en eu d’ailleurs au Chili en 20219, lorsque la COP a dû être déplacée à Madrid.

La toute première décision que les dirigeants du G20 devraient prendre, afin de donner l’exemple pour les autres pays qui se mobilisent pour le climat lors de la COP26, c’est de ne plus subventionner les énergies fossiles. Comment pourrions-nous encore accepter de l’argent du contribuable aille dans ces énergies polluantes, destructrices pour la planète mais aussi pour la santé humaine, à l’origine de millions de morts prématurées dans les grandes villes polluées ? D’après une étude récente publiée par l’IMF, les gouvernements continuent de dépenser $11 millions par minute pour les énergies fossiles, et au total $ 5.9 trillions en 2020, soit 6.8% du PIB mondial, un chiffre qui devrait encore augmenter pour atteindre 7.4 % en 2025. Vraisemblablement, il faut croire que nous marchons sur la tête.

La raison de la lenteur des dirigeants du G20 à réformer les subventions aux énergies fossiles n’est cependant pas sans explication. Dans des pays comme l’Indonésie, les populations les plus vulnérables dépendent de ces subventions pour leur apport énergétique et leurs déplacements. La transition énergétique, pour être acceptable, doit donc s’accompagner de mesures sociales de redistribution des richesses et de soutien massif aux alternatives (transports publics, mobilité douce, accès aux énergies renouvelables y compris dans les villages reculés). A une autre échelle, le mouvement des gilets jaunes dans les zones rurales et le non des Suisses à la loi CO2, plus marqué dans les zones de montagne éloignées des centres urbains, montrent aussi l’importance de la transition juste, sociale et équitable.

L’Objectif n°7 de l’Agenda 2030 pour le développement durable (des 17 “Sustainable Development Goals” vise à faciliter l’accès à tous et toutes à des sources d’énergies durables, abordables, modernes et fiables. Alors que nous nous attelons à réduire notre empreinte énergétique en réalisant des économies d’énergie, en isolant nos bâtiments, et en adoptant des gestes éco-responsables, la consommation d’électricité est cependant en train d’exploser dans les pays riches, du fait de la digitalisation, des centres de données gourmand en énergie, et aussi du développement de l’électro-mobilité.

Mais sur le continent africain, pour beaucoup l’énergie est une question de survie et de droits humains, que ce soit pour cuisiner des aliments dans un contexte de déforestation croissante et de pénurie de bois de cuisson, ou pour l’éducation, quand il manque simplement une lampe pour permettre aux enfants de faire leurs devoirs le soir. Aujourd’hui 1 milliard d’être humain est en situation de pauvreté énergétique, principalement en Afrique et en Asie. En Afrique sub-saharienne, 57% de la population n’a pas accès à l’électricité. Face à la pauvreté énergétique, notre gourmandise de surconsommation donne le tournis.

Face à cette situation, quels sont les choix que nous pouvons ou devons faire ?

Plusieurs options se dessinent, qui se complètent les unes les autres, plutôt que de s’opposer entre elles:

  1. Réduire notre consommation énergétique est un impératif en particulier dans nos pays développés; la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et l’adaptation de nos modes de vie sont autant de remède à la gabegie énergétique qui nous rend dépendants aux énergies fossiles importées de pays plus ou moins démocratiques; la meilleure des énergies est encore celle que nous ne consommons pas; cela veut dire aussi potentiellement se passer de la 5G, et n’utiliser la voiture électrique qu’en dernier recours, après avoir considéré toutes les options de transports publics et de mobilité douce;
  2. Développer massivement les énergies renouvelables, reste une stratégie gagnant-gagnant pour l’économie et l’environnement; l’énergie solaire n’a jamais été aussi bon marché et concurrence désormais la plupart des autres sources d’énergie, notamment le charbon dont le prix n’est plus aussi compétitif; ancrées dans le territoire, les énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermier) sont des réservoirs d’emplois locaux remarquables;
  3. Ne plus subventionner les énergies fossiles paraît être un levier fiscal indispensable, mais qui doit s’accompagner de mesures de transition juste, équitable et solidaire pour les plus pauvres;
  4. Investir dans des réseaux d’énergie locaux plus résilients, c’est aussi redonner du pouvoir aux citoyens, à la gouvernance et à la démocratie locale, pour s’affranchir des oligarques riches en monopoles d’énergies carbonées; à terme, les impacts du changement climatique se feront aussi sentir et les risques de black-out liés aux interdépendances et interconnections entre réseaux ne peut que nous inciter à développer des “écosystèmes” d’acteurs et de réseaux énergétiques qui peuvent se substituer entre eux en case de panne ou d’arrêt de l’un d’eux;
  5. Enfin investir dans les transferts de technologie, la formation et le développement de savoir-faire, tant dans les pays du Nord que les pays du Sud, c’est aussi une garantie pour améliorer la qualité de vie dans les pays les plus pauvres et assurer un avenir pour des jeunes en quête de sens et d’avenir professionnel. Si tous les jeunes qui suivent aujourd’hui Greta dans la rue pour les grèves du climat se retrouvent un jour sur des toits en train d’installer des panneaux solaires, c’est que nous aurons gagné une partie du pari de la transition énergétique.

Comme l’eau, l’énergie est source de vie. Elle est la condition essentielle d’accès à de nombreux autres biens et services, en commençant par la santé, l’alimentation et l’éducation. Si nous développons des réseaux locaux et résilients d’énergies locales et renouvelables, nous investissons dans un avenir plus juste et plus solidaire pour les générations futures. A condition de faire les bons choix stratégiques aujourd’hui, et de ne pas céder aux solutions de facilité, celles du “business as usual”, qui consiste à relancer l’économie à coup de subventions énergies fossiles et aux infrastructures lourdes (constructions de routes, autoroutes, aéroports par exemple).

C’est aujourd’hui que nous devons investir dans une relance économique verte alimentée par les énergies du futur, d’autant plus que les milliards que nous investissons aujourd’hui peuvent soit nous mettre sur la trajectoire de la neutralité carbone, soit nous enfermer encore pour des décennies de plus dans cette dépendance toxique aux énergies fossiles.

Enfin, sujet tabou mais pourtant central et essentiel pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe aussi par un contrôle “choisi” de la démographie. L’égalité entre les femmes et les hommes et l’éducation des filles sont des facteurs essentiels permettant aux femmes de choisir réellement le nombre d’enfants qu’elles souhaitent avoir. C’est une des clefs devant permettre au monde entier d’atteindre la neutralité carbone, comme démontré par les scientifiques du projet Drawdown passant en revue toutes les solutions climatiques, et cela bien avant le recours au nucléaire.

Le sujet sera-t-il à l’ordre du jour de la COP26 à Glasgow ? Rien n’est moins sûr. Mais l’énergie sera au goût du jour.

Et sans aller jusqu’aux questions sensibles au plan éthique du planning familial, de nombreuses femmes leaders dans le secteur de l’environnement se posent tout de même une question très simple: où sont passées les femmes dans l’équipe de la Présidence de la COP26? C’est le sens de la campagne SHEchangesClimate lancée avec mes collègues Bianca Pitt et Antoinette Vermilye, qui demande à ce que 50% de femmes leaders soient présentes aux tables de négociation. Rachel Kyte fait d’ailleurs partie des ces femmes extraordinaires à l’origine de l’initiative Sustainable Energy For All, dont un des objectifs premiers était de promouvoir l’accès à des énergies propres pour les femmes en Afrique.

A voir donc si les femmes et les énergies propres s’invitent à la table des négociations à Glasgow. Dans tous les cas, elles font déjà partie des ingrédients indispensables à la réussite de la transition énergétique au niveau local.

 

 

Notre économie dépend de la nature, notre vie et notre santé aussi.

D’après le dernier rapport du Forum Économique Mondial, plus de la moitié de nos richesses économiques dépendent de la nature, avec des pertes potentielles estimées à 44,000 milliards de dollars liées à l’effondrement de la biodiversité et aux changements climatiques.  Or, nous faisons déjà face à une 6ème extinction de la biodiversité. La population d’animaux vertébrés a connu une chute vertigineuse de 68% depuis 1970 et plus d’1 million d’espèces animales et végétales sont menacées d’extinction dans les deux prochaines décennies.

Les secteurs économiques les plus exposés à la perte de biodiversité sont ceux de la construction (USD 4,000 milliards), l’agriculture (USD 2,500 milliards) et l’alimentation (USD 1,400 milliards). Les écosystèmes jouent un rôle clef dans le bon fonctionnement de notre économie, en procurant des biens et des services indispensables, tels que la pollinisation, l’assainissement de l’eau et la régulation des vecteurs de maladies virales ou bactériennes. Nous appelons aussi cela : les services écosystémiques.

Les plus grandes économies mondiales, en particulier la Chine, l’Union Européenne et les États-Unis, sont exposées à la perte des services écosystémiques.

C’est donc seulement en réconciliant notre économie mondiale avec les grands équilibres naturels que nous pourrons assurer un système stable et viable à long terme pour les générations futures.

Certains grands groupes privés l’ont compris, à l’instar des multinationales regroupées pour la bannière de la plate-forme OP2B (One Planet Business for Biodiversity), lancée par Emmanuel Faber, ancien PDG de Danone, véritable visionnaire – et sans doute trop visionnaire pour une partie des actionnaires du géant français de l’agro-alimentaire.

D’autres entreprises, comme Unilever, ont compris que si elles voulaient encore exister dans 50 ou 100 ans, elles allaient devoir investir massivement dans la restauration de nos écosystèmes, car ils sont à la base même de la vie et de la création de valeur ajoutée pour toutes les chaînes de production.

Afin d’encourager les gouvernements mais aussi tous les acteurs de la société civile et des entreprises à investir massivement dans la régénération des sols, des forêts et des océans, les Nations Unies ont lancé le 5 juin dernier, pour la Journée Mondiale de l’Environnement, la Décennie pour la Restauration des Ecosystèmes. Au même moment, David Attenborough et Johan Rockström lançaient un nouveau documentaire « choc » sur Netflix, « Breaking Boundaries », un appel SOS lancé à tout un chacun pour sauver l’humanité.

En réalité ce sont bien tous les Objectifs de Développement Durable, les 17 « Sustainable Development Goals » adoptés par tous les pays du monde en 2015, qui dépendent de la biosphère et l’atmosphère, et d’une nature en bonne santé, comme le montre ce graphique.

Investir dans la nature, c’est notre meilleure assurance vie pour l’avenir.

Les scientifiques sont unanimes pour dire que la destruction des écosystèmes, l’urbanisation débridée et la production de viande industrielle augmentent le risque de zoonoses, c’est à dire de transmission de virus des animaux aux humains. La santé des humains est intimement liée à celle des animaux et de la planète, car au final nous faisons tous partie du même système vivant.

La pandémie du COVID-19 aura coûté de nombreuses vies, et des milliers de milliards à l’économie mondiale. Et nous ne sommes pas à l’abri de résurgences d’autres infections. Ebola par exemple a été transmis à un enfant depuis un arbre couvert de chauve-souris, dans un village de Guinée où la déforestation avait poussé les animaux sauvages à quitter leurs habitats naturels. C’est ce que rappelait récemment Mme Ursula Von der Leyen, Présidente de la Commission Européenne, dans un discours en faveur du « Green Deal » européen, un plan de relance pour l’économie de l’Union promouvant les investissements verts.

La relance sera-t-elle vraiment verte ?

La sortie de crise du COVID-19 appelle en effet tous les leaders européens à repenser leurs sociétés et relancer leurs économies sans reproduire les erreurs du passé. Après des mois de négociation, les États membres de l’Union Européenne se sont mis d’accord sur un paquet de relance de 671 milliards d’euros, à débourser entre 2021 et 2026. Ils doivent pour cela présenter des plans de relance et de résilience (RRPs) à la Commission Européenne pour approbation des grandes lignes d’investissement. Ils se sont aussi engagés à investir au moins 37% pour l’action climatique. En ce qui concerne la biodiversité, les choses se compliquent. En effet, il n’y a pas eu de critères stricts, de directives, ou même de recommandations claires de la part de la Commission Européenne envers les États membres à ce sujet.

Les résultats de l’étudeFund Nature, Fund the Future” rendue publique le 9 Juin par Vivid Economics et Climate & Sustainability sont donc peu étonnants. Au terme d’une analyse approfondie près de la moitié des plans de relance, que nous avons réalisée avec l’équipe d’économistes de Vivid Economics, nous constatons que la plupart de ces plans remplissent les critères de l’action climatique mais sont bien loin du compte en ce qui concerne les objectifs de la Stratégie pour la Biodiversité de 2030. Pour les 10 pays européens passés au crible, moins de 8% des investissements contribuent à une relance économique positive pour la nature, 10% ont des impacts négatifs pour la biodiversité et seulement 1% des investissements sont clairement identifiés pour financer des solutions basées sur la nature, par exemple les projets de reforestation et de restauration des zones humides. Ne devrions-nous pas viser une relance 100% positive pour la nature, quand nous savons à quel point notre économie et notre santé en dépendent ?

Il s’agit là clairement d’une opportunité manquée, pour la biodiversité, mais aussi pour l’action climatique, car un tiers des réductions des émissions de gaz à effet de serre peut être atteint avec le développement des solutions basées sur la nature.

C’est aussi une opportunité manquée pour l’emploi, quand on sait que les solutions basées sur la nature génèrent aussi plus d’emplois et de valeur économique que les mesures de relance classiques.

Le Forum Économique Mondial a d’ailleurs estimé qu’un programme de relance post-COVID-19 axé sur la protection et la restauration de la nature, la stimulation de la productivité des ressources et le renforcement des chaînes de valeur régénératives pourrait favoriser la création de 395 millions d’emplois au cours de la prochaine décennie, tout restaurant le capital naturel et en bénéficiant à la santé humaine.

Ici en Suisse, osons dire Oui à la Nature

En juin 2021, en en Suisse, nous nous apprêtons à voter sur des initiatives importantes pour l’interdiction des pesticides de synthèse et pour la protection de la qualité de l’eau. Le débat fait rage, sous couvert de peur de perte de compétitivité économique sur les marchés agricoles. Et pourtant, c’est bien en restaurant la biodiversité et la richesse des sols que nous pourrons assurer une productivité agricole stable et durable.

Chaque année, ce sont plus de 2,000 tonnes de fongicides, herbicides et insecticides qui sont pulvérisés sur les champs en Suisse, ce qui équivaut à plus de cinq tonnes par jour. Ces produits phytosanitaires appauvrissent les sols et se retrouvent dans l’eau. Les communes doivent désormais investir des  millions pour construire des stations d’épuration aux normes, afin de s’assurer que ces produits phytosanitaires ne se retrouvent pas notre verre d’eau. Autant d’argent dépensé par les contribuables. A noter aussi que ces produits sont pour la plupart des perturbateurs endocriniens hautement toxiques qui modifient le fonctionnement naturel de nos hormones et donc de notre capacité de reproduction. Ils sont également cancérigènes, à l’origine d’une nette augmentation des tumeurs au cerveau dès l’enfance et des lymphomes, dont les agriculteurs sont les premiers à en souffrir. A la souffrance humaine, s’ajoute la facture sanitaire élevée qui se retrouve aussi dans les frais imputés à l’économie réelle.

Pour se donner la chance d’engager une relance résolument verte, positive pour la santé, l’économie et la nature, nous devons oser prendre le virage de l’agriculture régénérative, pour se passer des intrants chimiques qui empoisonnent nos vies et nous rendent dépendants de l’industrie pétrochimique. Cela passe bien sûr par un dialogue apaisé et un soutien sans faille à nos agriculteurs, pour réussir ensemble cette transition, de façon unie et solidaire, pendant cette décennie de la restauration des écosystèmes.

Avec mes remerciements pour sa relecture à Mathieu Logeais, Co-Directeur du Programme de relance économique verte ([email protected]).

Voir ici le rapport sur la relance économique verte en Europe, publié le 9 Juin 2021: https://www.climate-sustainability.org/news-1/2021/6/9/nature-is-key-to-economic-recovery

 

 

 

Loi CO2 : pourquoi il faut dire Oui

Notre planète brûle

Les flammes ont ravagé l’Australie, la Sibérie, la Californie et l’Amazonie, qui pourrait se transformer en savane d’ici 2050. L’année 2020[1] aura été marquée par une surenchère de catastrophes climatiques, certes moins médiatisées que la crise sanitaire, mais bien réelles. L’Atlantique Nord a vu un doublement de l’activité des tempêtes et ouragans. Le typhon Goni a battu tous les records d’intensité aux Philippines. En Chine, les inondations ont coûté plus de 32 Milliards de dollars. La glace du pôle Nord s’est réduite à peau de chagrin, ayant perdu ¾ de son volume en 40 ans. Tous les signaux sont au rouge.

La Suisse[2] n’est pas immunisée contre le changement climatique. 2020 a été l’année la plus chaude[3] enregistrée depuis 1864. Les glaciers fondent à vue d’œil. Les agriculteurs sont inquiets pour leurs récoltes. Les Villes s’inquiètent de l’arrivée des prochaines canicules et de leurs lots de moustiques vecteurs de nouvelles maladies.

Les émissions mondiales de CO2 auront connu une baisse spectaculaire de 7%[4], du fait du ralentissement économique causé par COVID 19. Malgré ça, la concentration de dioxyde de carbone[5] dans l’atmosphère a continué d’augmenter. Cet effet d’emballement est dû aux boucles de rétroactions positives[6] : les forêts dégagent des quantités énormes de carbone en brûlant, la fonte du permafrost relâche du méthane jusque-là stocké dans les sols gelés,  et les Océans acidifiés et saturés n’absorbent plus autant de CO2 et de chaleur.

Nous n’avons pas de temps à perdre

Face à ce niveau d’urgence climatique, nous pourrions être tentés de dire que la Loi sur le CO2, – qui sera soumise au vote populaire le 13 juin prochain-, ne va pas assez loin, pas assez vite.

Pourtant, cette loi est une étape extrêmement importante, pour permettre à la Suisse de rattraper son retard et de se mettre en conformité avec les objectifs de l’Accord de Paris adopté par presque toutes les Nations du monde le 12 décembre 2015. En cas de refus, nous nous retrouverions devant un vide juridique, la loi actuelle étant arrivée à échéance. Ce serait un retour à la case départ, extrêmement dangereux, et nous perdrions encore de précieuses années. Nous n’avons pas de temps à perdre si nous voulons parvenir à réduire nos émissions de gaz à effet de serre d’au moins 50% d’ici à 2030 pour atteindre la neutralité carbone avant 2050. C’est essentiel pour avoir une chance de rester au-dessous du seuil de 2 voir 1.5°C d’augmentation de la température mondiale. Au-delà de ce seuil, les scientifiques ne sont plus capables de prévoir quels seront les risques de changements systémiques qui pourraient remettre en cause les conditions mêmes de la vie humaine sur Terre.

Le verre à moitié plein 

Pourquoi faut-il voir le verre à moitié plein, plutôt qu’à moitié vide, et quelles sont les principales avancées de la Loi CO2 ?

Tout d’abord, cette loi est le fruit d’un processus démocratique approfondi, basé sur le consensus et la consultation de tous les acteurs et de tous les partis politiques. Après un premier échec en 2018, cette nouvelle mouture a été enfin votée et approuvée le 25 septembre 2020 par le Conseil d’Etat (33 Oui, 5 Non, 6 abstentions) et par le Conseil National (129 Oui, 59 Non, 8 abstentions). Il n’y aurait d’ailleurs pas eu de référendum facultatif, si cela n’avait été demandé par une partie de l’UDC, sous la pression des lobbys de l’industrie et des énergies fossiles.

La Suisse en retard et dépendante des importations d’énergies fossiles

Sur le plan international, et alors que nous approchons de la date de la COP26 à Glasgow en Novembre, tous les pays du monde se penchent au chevet de la planète, avec le grand retour des Etats-Unis dans le giron de l’action climatique, mais aussi une mobilisation diplomatique intense de l’Union Européenne, de la Chine, du Canada et du Japon. Il s’agit pour tous les pays ayant ratifié l’Accord de Paris de soumettre un nouveau plan d’action pour 5 ans (« Nationally Determined Contribution » ou NDC dans le jargon onusien), et de rejoindre la course contre la montre pour atteindre la neutralité carbone avant 2050. La Suisse se classe au palmarès des émissions de gaz à effet de serre, en 6ème position devant 129 autres pays pourtant souvent plus peuplés et plus grands qu’elle. En étant un des pays les plus riches du monde, comment se permettre de ne pas être exemplaire ? C’est une question d’équité sociale au niveau planétaire, car les populations les plus pauvres, qui sont les moins responsables des émissions carbone, en subissent de plein fouet les conséquences.

D’un point de vue purement économique, notre pays est aussi extrêmement dépendant des importations d’énergies fossiles. Nous dépensons pas moins de CHF 8 milliards par an pour importer du pétrole et du gaz. Ce qui représente une facture de CHF1000 par an et par habitant. Et encore, ce montant n’inclut pas les taxes. Il reflète donc la pure «exportation d’argent» vers l’Arabie Saoudite, la Libye ou l’Iran. Nous sommes bien loin de l’autonomie énergétique visée par la Stratégie Energétique 2050 approuvée par la population avec plus de 58% de Oui, lors du vote de 2017.

Une loi juste et équitable

Agir pour le climat ne signifie pas seulement faire preuve de solidarité envers les pays pauvres. La loi prévoit en effet une transition juste, avec une redistribution des richesses entre les familles les plus aisées et les plus modestes. La loi CO2 est basée sur le principe de responsabilité du pollueur-payeur. Ceux qui consomment plus d’énergies fossiles paient la facture. Ceux qui consomment moins, et qui adoptent de nouvelles habitudes positives pour la planète, reçoivent un soutien financier. Les régions rurales et de montagne qui sont particulièrement touchées par les conséquences du changement climatique (sécheresse, canicule, inondations, glissements de terrain, etc.) seront aussi aidées avec des mesures supplémentaires de dédommagement.

Le secteur aérien enfin couvert

En 2018, le kérosène utilisé au départ de Suisse a contribué à 27% de l’effet de serre du pays. C’est gigantesque. Les Suisses prennent l’avion en moyenne deux fois plus que leurs voisins européens. Mais ce privilège profite surtout à une petite minorité aisée, environ 10% de la population, qui devra s’acquitter d’une taxe sur les billets d’avion de CHF 30 à CHF120, sur la base du principe de pollueur payeur. Et pour 90%, ils bénéficieront de redistributions et d’un soutien à la transition énergétique via les aides allouées par le Fonds pour le climat en faveur des technologies et innovations sobres en carbone. Cela permettra notamment de mieux financer l’offre des trains de nuit longue distance. La taxe sur les jets privés, allant de CHF 500 à CHF 3,000 est aussi particulièrement juste et indolore pour les plus fortunés.

 Une place financière Suisse plus responsable et plus sûre

La seconde principale innovation de la loi CO2 concerne le secteur financier. D’après l’OFEV, 80% des instituts financiers investissent dans les énergies fossiles, avec un impact considérable à l’étranger, lorsqu’il s’agit par exemple de financer de nouvelles centrales à charbon en Asie du Sud-Est. Comme démontré par l’ancien Gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, les impacts et les risques associés au changement climatique sont considérables et pourraient déstabiliser le système financier international, avec des chocs systémiques allant au-delà de la crise économique actuellement engendrée par le COVID -19. Avec la nouvelle loi CO2, l’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA) et la Banque Nationale Suisse (BNS) devront évaluer les risques climatiques auxquels s’expose la place financière et assurer un reporting plus transparent pour tracer les investissements et les rendre plus compatibles avec une économie résiliente et sobre en carbone.

 Se libérer des énergies fossiles pour des bâtiments autonomes en énergie

Le Conseil fédéral le montant de la taxe sur la pétrole, le mazout et la gaz à un niveau compris entre 96 francs et 210 francs par tonne de CO2. Les entreprises peuvent être exonérées de la taxe sur la base d’une convention de diminution des émissions, ce qui veut dire que les « bons élèves » seront récompensés pour leurs efforts.

Deux tiers des produits de la taxe seront redistribués à la population via le décompte des primes d’assurances maladie et par un rabais sur les contributions des employeurs à l’AVS. Un tiers financera une partie du Programme Bâtiments ainsi renforcé, pour mieux innover, rénover et remplacer les chaudières au mazout coûteuses et inefficaces avec des énergies renouvelables de type chauffage à distance, géothermie et solaire. Ces investissements seront largement rentables à long terme, en permettant de réduire la facture énergétique. Le mazout deviendra bientôt obsolète. Les co-bénéfices pour l’économie locale seront importants avec la création d’emplois dans les secteurs de la rénovation énergétique et des énergies renouvelables, un bon moyen de favoriser une relance économique verte et solidaire.

Les constructeurs et importateurs automobiles offriront des véhicules plus efficaces aux consommateurs

Le trafic routier représente 23% des émissions de la Suisse. Mais les progrès technologiques sont considérables. Les nouvelles normes d’émissions (de 95 à 186g/CO2 selon les véhicules) stimuleront l’innovation et pousseront les constructeurs et les importateurs d’automobiles à offrir des véhicules moins gourmands en carburant. D’ici à 2030, les émissions des véhicules devraient diminuer en moyenne d’un tiers. Des mesures d’efficacité et de recyclage sont aussi à prévoir pour les batteries des voitures électriques en plein essor, annonçant la potentielle disparition à terme des moteurs à diesel et essence. De nouvelles législations devront aussi être mises en place rapidement pour favoriser les alternatives que sont la mobilité douce et les transports en commun.

Améliorer la qualité de l’air et la santé

Le oui aidera à réduire la pollution aux particules fines liées aux énergies fossiles et à améliorer la qualité de l’air et donc à réduire l’incidence des maladies respiratoires qui touchent nombre d’entre nous et nos enfants. En Suisse, les maladies cardio-vasculaires ou respiratoires, provoquées par la pollution de l’air, ont entraîné quelque 14,000 jours d’hospitalisation en Suisse. Toutes ces affections engendrent approximativement 3,5 millions de jours d’activité réduite pour les adultes, soit globalement des coûts de santé de l’ordre de 6,5 milliards de francs par an. Des études révèlent cependant que la santé des enfants et des adultes s’améliore assez rapidement lorsque la pollution atmosphérique décroît. Des actions visant à améliorer la qualité de l’air ont donc un effet positif mesurable sur la santé de la population.

Investir dans une économie résolument tournée vers l’avenir et protéger les générations futures

Les investissements que nous réalisons aujourd’hui pour le développement des énergies propres représentent des coûts en moins pour les générations futures. Sans action rapide de notre part, nos enfants et petits enfants auront à subir des pertes économiques grandissantes du fait des impacts du changement climatique et du nombre croissant de catastrophes naturelles. La Suisse se réchauffe déjà deux fois plus que la moyenne mondiale. L’été caniculaire de 2003 a engendré des pertes économiques estimées à CHF 500 millions. D’après l’OCDE, les changements climatiques pourraient coûter 10% du PIB. A l’inverse, l’économiste Nicholas Stern a montré que l’action climatique ne coûterait que 1% du PIB. Il est donc beaucoup plus efficace et prudent de prévenir plutôt que de guérir.

Au final, la loi CO2 repose sur un principe très simple : ponctionner les énergies fossiles du passé pour financer le développement des énergies du futur.

Notre planète vaut de l’or. Son avenir, et l’avenir de nos enfants valent plus que de l’or.

Carlos Loal, acteur de cinéma engagé pour la campagne « Generations For the Future » partageait récemment ses mots touchants dans les réseaux sociaux:

« J’aimerais que la planète, comme un plateau de cinéma, soit interchangeable. Malheureusement, la planète, on en a qu’une. Je pense au monde demain. Le monde de demain nous appartient. Pour que le monde de demain soit vivable, pour nos enfants, pour qu’ils aient un peu de puissance dans leur main et surtout beaucoup de bonheur, votons Oui à la Loi CO2. »

Elise Buckle (Présidente de Climate & Sustainability, Conseillère aux Nations Unies, Elue Verte à la Ville de Nyon), [email protected].

Pour aller plus loin, voir aussi :

 

[1] EcoWath, Yale Climate Connections, 23 Décembre 2020

[2] Le Matin, 21 Décembe 2020

[3] Bulletin Météorologique année 2020, Office Fédéral de météorologie et climatologie MétéoSuisse

[4] The Global Carbon Project, Carbon Brief, 11 décembre 2020

[5] WMO, 23 Novembre 2020

[6] Voir l’explication sur les rétroactions climatiques : https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9troaction_climatique