Empathie, courage et persévérance

Les femmes présentes à Davos ont montré qu’elles avaient toute leur place dans la construction d’un monde plus juste et plus respectueux de l’environnement.

Le mouvement que nous avons représenté à Davos, SHE Changes Climate, encourage les gouvernements, les entreprises et les organisations à inclure au moins 50% de femmes à tous les niveaux décisionnels. Car les racines de la crise climatique sont aussi à trouver dans la crise du modèle de leadership traditionnel.

A quoi ressemblerait le monde s’il était dirigé par des femmes ? Il ne serait sûrement pas parfait, mais il serait sans doute meilleur. Pour une raison simple : les femmes placent généralement en haut de leurs priorités la protection des biens communs pour les générations futures.

De l’urgence de mettre fin au court-termisme des leaders de l’industrie fossile

 Nous avons été nombreux et nombreuses à être choqué.e.s par la nomination du Sultan El Jaber comme Président de la COP28. Certes, cette décision appartient au pouvoir souverain des Émirats Arabes Unis, le pays qui a accepté d’accueillir la rencontre annuelle de la Convention Cadre des Nations Unies pour le Climat. Mais tout de même… Qui peut naïvement faire pleinement confiance à celui qui est aussi le dirigeant de la plus grande entreprise pétrolière du pays, elle-même assise sur la cinquième plus grande réserve mondiale de pétrole ?

Aujourd’hui, nous nous élevons contre cette situation de très fort potentiel conflit d’intérêts. Avec plus de 140 autres organisations, nous avons signé une lettre destinée à Simon Stiell, Secrétaire Exécutif du Secrétariat des Nations Unies en charge de la Convention Climat, et Antonio Guterres, Secrétaire Général des Nations Unies. Cette lettre sera rendue publique le 25 janvier.

Certains ont eu le courage de partager leur vision clairvoyante, y compris le Secrétaire Général des Nations Unies lui-même, lors d’une interview sans filtre en marge du Forum Economique Mondial de Davos. Il ne mâcha pas ses mots pour dénoncer l’hypocrisie des dirigeants de l’industrie fossile, qui ont essayé de détourner des vérités scientifiques, notamment Exxon Mobil, et tous ceux qui continuent à extraire sans vergogne l’or noir qui fait leur plus grande fortune, mais le plus grand malheur des autres.

D’autres ont appelé à soutenir sans attendre la pétition en ligne diffusée par les 4 jeunes femmes activistes du climat Greta, Vanessa, Helena et Luisa appelant les CEOs représentés à Davos à cesser de financer le développement des énergies fossiles; près d’1 million de personnes l’ont déjà soutenue.

Mais nous avons été choqué.e.s, aussi de voir que Simon Stiell, le patron des Nations Unies pour le climat, mais aussi John Kerry, Envoyé Spécial pour le Climat aux Etats-Unis, osaient célébrer avec joie la nomination du Président de la COP28. Auraient-ils été anesthésiés par l’illusion selon laquelle l’argent du pétrole allait nous sauver ?

Car il s’agit bien du message favori des grandes entreprises du secteur : nous pouvons continuer les affaires comme avant, et investir les profits dans de nouvelles technologies comme la capture et séquestration du carbone, ou encore l’hydrogène. Il est pourtant clair que la capture et séquestration du carbone est une technologie trop chère pour les communautés qui auraient vraiment besoin de « budget carbone » pour se développer, et que l’hydrogène « vert » n’existe pas. L’hydrogène est produit dans le meilleur des cas à partir de larges quantités d’énergie renouvelable (alors rendue indisponible pour d’autres usages), ou bien comme dérivé de transformation des hydrocarbures… On comprend donc pourquoi les Émirats Arabes Unis sont si intéressés.

La science est pourtant claire. Les énergies fossiles sont au cœur du problème. En brûlant les énergies fossiles extraites des entrailles de la Terre, nous brûlons littéralement la planète. Nous sommes rôtis par les vagues de chaleur accentuées par l’effet de serre. Embrasées par le soleil et la sécheresse, les forêts aussi brûlent. Ce sont des millions d’animaux et de plantes qui partent en fumée. Et des millions de personnes impactées, y compris les enfants qui souffrent également de la pollution de l’air causée par les combustibles fossiles dans les grandes villes, aussi sources de mortalité infantile prématurée.

La question est suivante: qui est responsable ? Les dirigeants politiques. Certainement, mais pas seulement. Envers qui les CEOs des multinationales doivent-ils rendre des comptes ? Pas grand monde, à part ceux qui les financent, les actionnaires et les investisseurs.

Et pendant que les actions en justice fleurissent à l’encontre des défenseurs de l’environnement et des activistes du climat, on voit bien peu de CEOs d’entreprises pétrolières se défendre au tribunal à la barre des accusés. Vous me direz : ils ont sûrement bien assez de moyens pour se payer des bons avocats et éviter de telles procédures.

En réalité, El Jaber est l’arbre qui cache la forêt. Nous avons fait une petite recherche sur les profiles des dirigeants des 21 plus grandes entreprises d’énergie fossile au monde. Tous sont des hommes, à l’exception d’une femme américaine qui a déclaré que la capture et la séquestration du carbone allaient nous sauver… Mais au-delà du fait qu’ils soient tous des hommes, ils partagent surtout un objectif commun : celui d’augmenter la production d’énergies fossiles afin de faire croire rapidement leurs profits à court terme.

Il est vrai que certains ont commencé à investir dans les énergies renouvelables. Mais cela fait penser à la stratégie d’un alcoholique qui aimerait se faire passer pour une personne saine et en bonne santé, en annonçant qu’il boit désormais un verre de jus d’orange par jour… en plus de 4 bouteilles de vodka par jour. Le « saupoudrage » d’investissements verts ne suffira pas à faire disparaître les océans de barils de pétrole déversés chaque jour pour répondre à la demande de nos économies « accros » aux énergies fossiles.

Il est vrai aussi que nous faisons partie du problème, à la fois de nos modes de vie et de nos mix énergétiques. Nos société sont devenues si dépendantes des énergies fossiles que nous tremblons dès que la Russie ferme les tuyaux. Nous aurions pu et dû investir dans des solutions sobres en carbone, la géothermie par exemple pour chauffer nos maisons. Mais nous étions sans doute endormis par cette douce addiction, depuis trop longtemps.

Ces femmes porteuses d’espoir

Et pourtant il y a encore de l’espoir. Ce qui nous donne de l’espoir, c’est la montée en puissance de ces femmes incroyablement courageuses et inspirantes, celles qui réveillent le monde et nous sortent de la torpeur. Et souvent, derrière leur succès, il y a un homme fort qui les soutient. Le changement positif passera par une alliance et une confiance renouvelée entre les hommes et les femmes, pour avancer ensemble, main dans la main, sur le chemin de la transformation de la société.

Le premier coup de projecteur que nous aimerions donné, c’est sur Madame la Ministre Mariam Almheiri. Elle est en charge du climat, de l’environnement et de l’alimentation aux Emirats Arabes Unis. Diplomate de haut niveau, respectée dans les milieux internationaux, elle est la candidate naturelle pour la Présidence de la COP28. Face aux critiques, les Emirats Arabes Unis auraient meilleur temps d’anticiper et d’éviter un désastre diplomatique en décembre. En la nommant Co-Présidente de la COP28, ou au minimum envoyée spéciale en charge des négociations, ils pourraient non seulement rétablir l’équilibre hommes-femmes au sommet de la pyramide, mais aussi restaurer la confiance dans l’intégrité environnementale du processus, garantie sine qua-non d’un succès diplomatique à Dubaï. Comme l’avait fait l’Ambassadrice Khan, Mariam Almheiri serait tout-à-fait à même de mener des consultations avec toutes les parties prenantes des négociations afin de mener à son terme l’accouchement parfois douleurs des fameuses décisions de COP après deux semaines de marathon diplomatique.

Nous espérons sincèrement que les Emirats Arabes Unis feront sienne cette proposition innovante, qui ferait de leur pays la première Présidence de COP pionnière à adopter un modèle de leadership équitable et partagé, avant même qu’un pays occidental ne l’ait osé.

De nombreuses autres femmes mériteraient un coup de projecteur. Leur style de leadership inclut souvent une bonne dose d’empathie, de courage et de persévérance. Nous voulons les soutenir et célébrer leurs victoires.

Avez-vous entendu parler de Camilla Douraghy– Fischbacher ? Iranienne devenue suisse, mère de trois enfants, elle était invitée à Davos pour parler de son combat pour les droits et les libertés des femmes dans son pays d’origine. Artiste photographe passionnée, elle sait aussi qu’elle risque une peine de prison si elle retourne en Iran. Ses clichés en noir et blanc laissent apparaître une main ou un bout de corps sous un voile… et pourraient être condamnés pour pornographie. En plus de son activité militante, Camilla fait partie du Conseil d’Administration de la fameuse société suisse d’industrie textile, qu’elle a convaincue de développer une toute nouvelle gamme de textiles entièrement recyclés.

Vous connaissez peut-être Helena Gualinga. A seulement 20 ans, elle est le fer de lance des femmes indigènes engagées pour la défense de leurs terres ancestrales face à l’intrusion massive des géants du pétrole, dans la forêt Amazonienne, en Equateur. Sa mère et sa tante ont dû faire face à des hostilités et attaques incessantes, alors que les membres de leurs communautés voyaient leur eau potable polluée par les fuites de pétrole, et leur santé se détériorer. Aujourd’hui Helena a créé un réseau d’entre-aide pour les femmes indigènes qui doivent parfois aller jusqu’au tribunal face aux responsables de multiples abus, qui encore une fois ont plus de moyens financiers qu’elles pour leur protection et défense légale.

Vous aurez sûrement entendu Olena Zelenska, première dame d’Ukraine, qui s’est rendue à Davos et a dénoncé la séparation des enfants ukrainiens de leurs mères naturelles et leur adoption forcée par des familles russes. Vous ne connaissez sans doute pas encore Elena Balbekova, qui a travaillé comme conseillère diplomatique sur le climat et l’énergie à l’Ambassade du Royaume-Uni à Kiev, jusqu’à ce que son quartier soit ciblé par les bombes… Présente aussi à Davos, elle a partagé son histoire et son parcours de vie, un parcours de résilience durant lequel elle a dû se réinventer plusieurs fois pour faire face aux soudains imprévus. Elena détient un doctorat spécialisé sur la transition énergétique en Chine. Elle a dirigé la délégation Ukrainienne pendant la COP21 pour la négociation de l’Accord de Paris. Et elle a créé le premier département pour le climat qui n’existait pas auparavant, au Ministère de l’Environnement Ukrainien.

Enfin, vous connaissez sûrement le nom de Marina Silva. Marina a grandi au sein d’une communauté indigène de l’Amazonie, au Brésil. Avec sa force, son courage et sa détermination, elle a réussi à grimper les échelons du système politique brésilien. Elue à l’Assemblée et au Sénat, nommée Ministre de l’Environnement, elle est parvenue à réduire considérablement le taux de déforestation du Brésil (50% en 5 ans) et à restorer les écosystèmes. Mais ensuite elle a presque tout perdu. Elle s’est présentée aux élections mais a perdu la bataille. Puis Bolsonaro a été élu et il a détruit tout ce qu’elle avait mis en place. Les centres de contrôle ont été fermés ou brûlés, les gardes et responsables environnementaux licenciés. Les forêts aussi ont brûlé…  Elle est désormais de retour et dois tout reconstruire, en repartant de zéro, après des années de violences envers les populations indigènes, de crimes et de trafics de drogue. Même après toutes ces années, elle n’abandonnera pas.

J’ai eu la chance de la rencontrer en personne à Davos. Sans hésitation, je l’ai prise dans mes bras pour lui souhaiter beaucoup de courage. Nous avons échangé quelques phrases dans un mélange de Portugais et d’Espagnol. Elle m’a parue à la fois si fragile et si forte. Un petit bout de femme forte de ses convictions et de ses valeurs, face à une immense forêt à protéger des géants de l’industrie minière et agro-alimentaire. Avec le Président Lula et la task force intergouvernementale qu’ils ont mise en place (car tous les Ministères sont concernés au-delà de l’Environnement : police et sécurité, agriculture, économie, commerce), ils se sont engagés à réduire la déforestation à zéro d’ici 2030 et restaurer des hectares d’écosystèmes.

Voici encore une belle démonstration de la force du leadership partagé, avec une femme et un homme qui partagent à la fois la vision et la responsabilité de l’action collective.

Espérons que le tandem Lula-Silva en inspirera d’autres !

 

 

 

 

 

 

 

 

Elise Buckle

Elise Buckle travaille dans le domaine du climat et de la durabilité depuis 20 ans. Conseillère stratégique auprès des Nations Unies, titulaire des Masters LSE et Sciences Po, elle est Présidente de Climate & Sustainability, une plateforme de partenariat pour l’action climatique et a co-fondatrice SHE Changes Climate. Elle enseigne au Graduate Institute à Genève et au Glion Institute for Entrepreneurship and Sustainability.

5 réponses à “Empathie, courage et persévérance

  1. Être femme est une construction sociale.
    50%, ce n’est pas genderfluide.

    Vous faites quoi de celles et ceux qui ne s’identifie pas à l’un de vos deux genres ?

  2. Pourquoi ramener les questions environnementales que vous soulevez à une opposition homme-femme ?
    Pourquoi réclamer une parité de 50% ?
    Moi je préfère des personnes compétentes et motivées et je me moque que cette personne soit un homme ou une femme, c’est ses compétences qui compte et que cela. S’il faut prendre une femme moins compétente qu’un homme plus comptent, juste pour respecter la parité, c’est que votre combat est absurde et que vous n’avez pas pour objectif le succès de votre cause, mais une parité aveugle et obstinée.
    Pour information, la chine et l’Inde vont ouvrir 800 centrales à charbon dans les 10 prochaines années pour subvenir aux besoins de leur population, vous proposez quoi ? Il serait plus intéressant de lire vos propositions constructives chiffrées et détaillées plutôt que de ramener cela à un sois-disant combat homme-femme…

      1. En quoi? Et quid de la parité grand – petit, brunes-blindés, gros-mince….
        Où mettez-vous la limite et en quoi cela est une clé et pour quelle transformation? La déconstruire complètement? Merci de préciser

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