Les accueillir

Nous sommes de plus en plus nombreux à vivre cette aventure: accueillir des “réfugiés” ukrainiens.

Le mot “réfugié” a d’ailleurs ce coté stigmatisant, dégradant, victimisateur. Pourrait-on les appeler nos “hôtes”, nos “invités” ou encore mieux, nos nouveaux “amis” ?

Bien loin des clichés véhiculés par les médias, j’ai rencontré Olena et Sergiy cette semaine, des personnes d’une immense gentillesse et qui nous ressemblent tellement. C’est comme un miroir qui nous rappelle que cette guerre, pourrait nous arriver à nous, ici, nous qui sommes bien installés dans nos vies occidentales.

En recevant l’appel téléphonique de Caritas, puis leur fiche d’identité, j’ai ressenti comme un brin d’angoisse. Ces questions m’ont traversé l’esprit: “Qui sont ces personnes ? Qu’ont-elles traversé ? Quelles histoires ont-elles vécu ?” La veille de notre rencontre, j’avais lu cet article de 24 Heures sur les exactions commises par les russes, les assassinats des hommes, les pillages et les viols des femmes dans les maisons ukrainiennes. Difficile de trouver le sommeil.

Le lendemain, je les retrouve dans un Tea-Room de Grimentz, au coeur du Valais. C’est ici que nous pourrons les héberger pour les prochains mois. Ce sont eux qui m’accueillent à bras ouverts. Je me sens immédiatement touchée par leur gentillesse, leur chaleur humaine, mais aussi cette proximité, cette ressemblance si forte avec les membres de ma famille. En somme, j’ai l’impression d’accueillir mes propres parents, ou mes beaux-parents.

Cette rencontre m’a bouleversée. C’était à la fois triste et douloureux, et réconfortant de solidarité et d’amitié naissante. Car au final nous venons tous du même monde, le monde de l’humanité, avec ses mêmes désirs et ses mêmes craintes.

Sergiy est né en 1950. Ingénieur, il a imaginé des systèmes de ventilation pour les bateaux et créé une petite entreprise qui exporte des modèles simples mais ingénieux et fiables partout dans le monde.

Olena est née en 1957. A 11 ans, sa mère décède d’un cancer. Olena rejoint son père. Plus tard elle devient juriste d’affaires. Elle aime la nature, montagne, l’escalade, le ski. Diagnostiquée en 2020 d’un cancer, elle survit d’une lourde opération et continue de sourire.

Leur fils Ivan a 36 ans. Il est né à la maternité de Mariupol, une ville qu’ils connaissent bien pour son port et son théâtre. Par chance il travaillait sur un bateau en Méditerranée quand la guerre a éclaté et a donc échappé à l’enrôlement militaire. Plus aucun homme ukrainien de 18 à 60 ans ne peut sortir du pays, sauf pour les pères de 3 enfants, encore en âge mineur.

Olena et Sergiy me montrent leurs photos de famille, leur maison, leurs aventures en voilier, les barbecues en famille dans la maison de son frère, les projets de sorties à ski dans les Carpates. On se croirait presque chez soi.

Quand la guerre a commencé, leur fils les a supplié de partir de Dnipro, leur ville de résidence. Olena me montre un groupe WhatsApp créé par les autorités gouvernementales locales: des alertes sont envoyées jours et nuits, parfois avec seulement 30 minutes d’intervalle entre elles. Les sirènes retentissent quand les russes envoient des Rockets ou quand des avions chargés de bombes survolent la ville. On ne sait pas où ça peut tomber. Les gens doivent se cacher dans leurs sous-sols, avant de ressortir pour aller chercher des vivres, puis se cacher à nouveau. Le maire de Dnipro a mis en place des équipes spéciales chargées de réparer les infrastructures de base, les canalisations d’eau, de gaz, l’électricité. Il a aussi demandé aux habitants de partir plus loin… pour se sauver, mais aussi pour faire de la place aux nouvelles personnes déplacées qui devraient affluer d’un jour à l’autre depuis le Donbass. La ligne de front est à seulement une centaine de kilomètres. Et Poutine a prévu une offensive majeure, avec le rêve fou de marquer une victoire le 9 mai prochain, jour anniversaire de la capitulation allemande en 1945.

Le 9 mai, c’est aussi l’anniversaire d’Olena. Et lundi 11 avril celui de Sergiy.

Ensemble nous essayons d’oublier la guerre, et de planifier des sorties en montagne pour dimanche et lundi, avec le retour du soleil annoncé par Météo Suisse. Les exactions, les fosses communes, les gares bombardées. Tout cela paraît tellement affreux et irréel.

Dans le village de Grimentz, l’accueil est très chaleureux, à la boulangerie, au Coop, au magasin de sport, sur le pas de la porte avec le voisin: tout le monde veut les aider. “De quoi avez-vous besoin?” leur demande-t-on. On leur offre des gants de ski, des bonnets, des habits, de l’aide matérielle, de la nourriture. Mais ils répondent toujours la même chose: “Merci, mais nous n’avons pas besoin de grand chose. Avoir un toit, en sécurité, à l’abri des bombes, c’est déjà beaucoup. Et nous ne voulons qu’une seule chose: la paix.”

Si vous souhaitez accueillir des Ukrainiens, et/ ou les aider, vous pouvez vous enregistrer ici: https://campax.org.

Elise Buckle

Elise Buckle travaille dans le domaine du climat et de la durabilité depuis 20 ans. Conseillère stratégique auprès des Nations Unies, titulaire des Masters LSE et Sciences Po, elle est Présidente de Climate & Sustainability, une plateforme de partenariat pour l’action climatique et a co-fondatrice SHE Changes Climate. Elle enseigne au Graduate Institute à Genève et au Glion Institute for Entrepreneurship and Sustainability.

4 réponses à “Les accueillir

  1. Et quand ils rentreront, après la défaite des Russes, vous hébergerez un sdf qui passe ses nuits sur le banc municipal ?

  2. Merci Élise pour ce très beau témoignage et pour la photo d’Olena et Sergiy. Puissent les ukrainiens retrouver leur sérénité et l’Ukraine la Paix dans les plus brefs délais. Ce que vit ce peuple et ce pays est impensable et pourtant réel. L’horreur, la barbarie sont là aujourd’hui et les séquelles seront présentes durant des décennies, ou plus. Ta phrase je l’ai entendu il y a une semaine : “Car au final nous venons tous du même monde, le monde de l’humanité.” lors d’une visite au Musée de l’Immigration (à Lausanne). Musée qui s’évertue, depuis 2005, à sensibiliser, notamment à la demande du HCR, à la question des réfugiés, nos hôtes comme tu le dis. Ce travail de sensibilisation est encore nécessaire et indispensable pour expliquer les “histoires individuelles et humaines de la migration” (Musée de l’Immigration) et en particulier celles des personnes qui fuient un conflit ou un état répressif.
    Puisse la Cour Pénale Internationale, au vu du nombre toujours croissant d’éléments de preuves de crimes de guerre, mettre fin à l’Impunité et instaurer au plus vite l’État de Droit en Ukraine. Et cela avant les atrocités annoncées jusqu’à l’infâme date anniversaire du 9 mai, précisément dans un mois, au nom de l’humanité et de nos valeurs humanistes.

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