COP26: à l’heure des choix énergétiques stratégiques

La COP26 s’ouvre cette semaine à Glasgow, la ville écossaise qui s’apprête à accueillir une centaine de Chef.fe.s d’Etat, 20,000 délégué.e.s accrédité.e.s par les Nations Unies et potentiellement plus de 100,000 militant.e.s venant rejoindre la marche pour le climat prévue le 5 novembre prochain.

Ce sommet pour le climat est unique et important pour plusieurs raisons. Il s’agit bien du plus important rendez-vous politique depuis la COP21 qui s’était tenue à Paris en 2015, il y a six ans. L’Accord de Paris, ratifié par presque tous les pays du monde entier, prévoit en effet un mécanisme de revue des engagements nationaux pris tous les cycles de 5 ans, sous la forme de “Nationally Determined Contributions” (NDCs). Les plans nationaux déposés lors de la ratification de l’Accord de Paris, nous emmènent, si nous les additionnons, vers une trajectoire de +3°C de la température mondiale; et encore, si tous les pays mettent vraiment en oeuvre la totalité de leurs engagements pris à cette date, ce qui est loin d’être gagné d’avance.

Il était donc prévu que les “Parties” ayant ratifié l’Accord de Paris se retrouvent en 2020 pour déposer les nouveaux NDCs pour les 5 prochaines années, avec un niveau d’ambition qu’il faut absolument relever si nous voulons rester dans la zone de sûreté recommandée par les scientifiques du GIEC (Groupe Intergouvernemental d’Experts sur le Climat), c’est-à-dire rester sous la barre des 2 voir 1.5°C d’augmentation de la T°C mondiale comparée à l’ère pré-industrielle.

Les leaders du G20 réunis à Rome, en Italie, se sont mis d’accord sur l’impératif des 1.5°C, en particulier à la lumière des derniers éclairages scientifiques et des effets d’emballement climatique, à l’origine de feux de forêt gigantesques, de fonte des glaces accélérée, et de montée du niveau de la mer menaçant l’existence des états insulaires et des villes des zones côtières. C’est une bonne nouvelle, mais insuffisante. La vraie question que nous devons poser au G20 est: comment allez-vous y arriver ?

A l’heure de l’ouverture de la COP26, se posent des choix stratégiques majeurs, en particulier pour définir l’avenir de nos ressources énergétiques. Vladimir Putin a annoncé qu’il bouderait la COP26. Xi Jinping ne sera pas non plus présent pour la Chine. Ce sont deux géants qui ne seront pas présents, l’un détenant des réserves stratégiques de gaz naturel, l’autre à l’origine d’un volume gigantesque de consommation d’énergies fossiles malgré des annonces répétées de sortie du charbon. Avec près de 1 000 gigawatts (GW), la Chine détient près de la moitié des capacités mondiales des centrales à charbon, suivie par les États-Unis (259 GW) et l’Inde (221 GW). Lors de l’Assemblée Générale des Nations Unies en septembre dernier, Xi Jinping a certes annoncé que son pays arrêterait de construire des centrales au charbon, mais cela concerne les constructions à l’étranger, et il n’a pas indiqué de calendrier précis.

Restent les Etats-Unis de Joe Biden, dont le grand retour dans le giron de la diplomatie climatique est très attendu. Pierre angulaire de la politique du président américain: le Programme de performance dans le secteur de l’électricité (CEPP) d’un montant de 150 milliards de dollars (138 milliards de francs), dont l’idée est de récompenser les services publics qui passent aux énergies renouvelables et de pénaliser les autres. Selon les experts, le CEPP réduirait la majorité des émissions de gaz à effet de serre liées à la production d’électricité, qui représentent environ un quart des émissions américaines. Les Etats-Unis restent encore très dépendants du pétrole, en particulier pour le secteur des transports (aérien et routier), mais ils pourraient bien rattraper leur retard du fait de leur grande capacité de développement de technologies innovantes.

En renouant un dialogue étroit avec les américains, les Européens souhaitent reprendre le leadership de la diplomatie climatique après une longue période d’attentisme provoquée par le scepticisme de Trump. Ursula Von Der Leyen se positionne en grande championne de la relance économique verte et neutre en carbone, avec €672.5 milliards investis dans les pays européens, à condition que 37% contribuent à l’action climatique et aux objectifs de 55% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030, puis la neutralité carbone en 2050. La nature est cependant la grande oubliée des ces investissements, avec seulement 1% des fonds allant à la biodiversité et à la restauration des écosystèmes, pourtant nos meilleurs alliés pour absorber du carbone dans les puits naturels et nous adapter aux impacts du changement climatique. De plus, les objectifs climatiques tracent une trajectoire qui n’est pas encore à la hauteur des ambitions. L’UE vise actuellement une part de 32 % de renouvelables dans son bouquet énergétique total d’ici à 2030, mais cet objectif devrait être révisé à la hausse, entre 38 % et 40 %. Pour y parvenir, la croissance de la production éolienne et solaire, encore trop lente, devrait quasiment tripler, précisent, dans un rapport publié le 25 janvier, les centres de réflexion Ember et Agora Energiewende.

Enfin, l’Europe reste très dépendante des importations de gaz russe, et vulnérable aux fluctuations du marché, comme l’a montré l’affolement de ces dernières semaines face au triplement du prix du gaz. La question nucléaire est vite revenue sur le tapis, en commençant par la France qui se voit acculée devant le choix stratégique de renouvellement de son parc nucléaire, ou de développement massif et expansif des énergies renouvelables, ou encore de risque de black-out collectif et répété. Le nucléaire de seconde génération se heurte cependant à une forte opposition de l’opinion publique et de réels problèmes de gestion des déchets nucléaires, d’approvisionnement en uranium, mais aussi de coûts économiques exorbitants pour les générations futures qui devront assumer la prise en charge des démantèlement des centrales en fin de vie. Reste encore la piste du nucléaire de troisième ou quatrième génération et de l’utilisation du thorium, mais les investissements en recherche et développement restent très importants, et certainement pas à portée de porte-monnaie pour les pays en voie de développement.

La COP26 s’ouvre donc sur des choix stratégiques majeurs, d’autant plus importants que nous entrons dans une phase de reprise économique post-COVID qui a fait augmenter la demande de matières premières et qui mobilise tous les Ministres de l’Economie et des Finances pour recréer des emplois et éviter des explosions sociales plus fréquentes, comme il y a en eu d’ailleurs au Chili en 20219, lorsque la COP a dû être déplacée à Madrid.

La toute première décision que les dirigeants du G20 devraient prendre, afin de donner l’exemple pour les autres pays qui se mobilisent pour le climat lors de la COP26, c’est de ne plus subventionner les énergies fossiles. Comment pourrions-nous encore accepter de l’argent du contribuable aille dans ces énergies polluantes, destructrices pour la planète mais aussi pour la santé humaine, à l’origine de millions de morts prématurées dans les grandes villes polluées ? D’après une étude récente publiée par l’IMF, les gouvernements continuent de dépenser $11 millions par minute pour les énergies fossiles, et au total $ 5.9 trillions en 2020, soit 6.8% du PIB mondial, un chiffre qui devrait encore augmenter pour atteindre 7.4 % en 2025. Vraisemblablement, il faut croire que nous marchons sur la tête.

La raison de la lenteur des dirigeants du G20 à réformer les subventions aux énergies fossiles n’est cependant pas sans explication. Dans des pays comme l’Indonésie, les populations les plus vulnérables dépendent de ces subventions pour leur apport énergétique et leurs déplacements. La transition énergétique, pour être acceptable, doit donc s’accompagner de mesures sociales de redistribution des richesses et de soutien massif aux alternatives (transports publics, mobilité douce, accès aux énergies renouvelables y compris dans les villages reculés). A une autre échelle, le mouvement des gilets jaunes dans les zones rurales et le non des Suisses à la loi CO2, plus marqué dans les zones de montagne éloignées des centres urbains, montrent aussi l’importance de la transition juste, sociale et équitable.

L’Objectif n°7 de l’Agenda 2030 pour le développement durable (des 17 “Sustainable Development Goals” vise à faciliter l’accès à tous et toutes à des sources d’énergies durables, abordables, modernes et fiables. Alors que nous nous attelons à réduire notre empreinte énergétique en réalisant des économies d’énergie, en isolant nos bâtiments, et en adoptant des gestes éco-responsables, la consommation d’électricité est cependant en train d’exploser dans les pays riches, du fait de la digitalisation, des centres de données gourmand en énergie, et aussi du développement de l’électro-mobilité.

Mais sur le continent africain, pour beaucoup l’énergie est une question de survie et de droits humains, que ce soit pour cuisiner des aliments dans un contexte de déforestation croissante et de pénurie de bois de cuisson, ou pour l’éducation, quand il manque simplement une lampe pour permettre aux enfants de faire leurs devoirs le soir. Aujourd’hui 1 milliard d’être humain est en situation de pauvreté énergétique, principalement en Afrique et en Asie. En Afrique sub-saharienne, 57% de la population n’a pas accès à l’électricité. Face à la pauvreté énergétique, notre gourmandise de surconsommation donne le tournis.

Face à cette situation, quels sont les choix que nous pouvons ou devons faire ?

Plusieurs options se dessinent, qui se complètent les unes les autres, plutôt que de s’opposer entre elles:

  1. Réduire notre consommation énergétique est un impératif en particulier dans nos pays développés; la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et l’adaptation de nos modes de vie sont autant de remède à la gabegie énergétique qui nous rend dépendants aux énergies fossiles importées de pays plus ou moins démocratiques; la meilleure des énergies est encore celle que nous ne consommons pas; cela veut dire aussi potentiellement se passer de la 5G, et n’utiliser la voiture électrique qu’en dernier recours, après avoir considéré toutes les options de transports publics et de mobilité douce;
  2. Développer massivement les énergies renouvelables, reste une stratégie gagnant-gagnant pour l’économie et l’environnement; l’énergie solaire n’a jamais été aussi bon marché et concurrence désormais la plupart des autres sources d’énergie, notamment le charbon dont le prix n’est plus aussi compétitif; ancrées dans le territoire, les énergies renouvelables (solaire, éolien, géothermier) sont des réservoirs d’emplois locaux remarquables;
  3. Ne plus subventionner les énergies fossiles paraît être un levier fiscal indispensable, mais qui doit s’accompagner de mesures de transition juste, équitable et solidaire pour les plus pauvres;
  4. Investir dans des réseaux d’énergie locaux plus résilients, c’est aussi redonner du pouvoir aux citoyens, à la gouvernance et à la démocratie locale, pour s’affranchir des oligarques riches en monopoles d’énergies carbonées; à terme, les impacts du changement climatique se feront aussi sentir et les risques de black-out liés aux interdépendances et interconnections entre réseaux ne peut que nous inciter à développer des “écosystèmes” d’acteurs et de réseaux énergétiques qui peuvent se substituer entre eux en case de panne ou d’arrêt de l’un d’eux;
  5. Enfin investir dans les transferts de technologie, la formation et le développement de savoir-faire, tant dans les pays du Nord que les pays du Sud, c’est aussi une garantie pour améliorer la qualité de vie dans les pays les plus pauvres et assurer un avenir pour des jeunes en quête de sens et d’avenir professionnel. Si tous les jeunes qui suivent aujourd’hui Greta dans la rue pour les grèves du climat se retrouvent un jour sur des toits en train d’installer des panneaux solaires, c’est que nous aurons gagné une partie du pari de la transition énergétique.

Comme l’eau, l’énergie est source de vie. Elle est la condition essentielle d’accès à de nombreux autres biens et services, en commençant par la santé, l’alimentation et l’éducation. Si nous développons des réseaux locaux et résilients d’énergies locales et renouvelables, nous investissons dans un avenir plus juste et plus solidaire pour les générations futures. A condition de faire les bons choix stratégiques aujourd’hui, et de ne pas céder aux solutions de facilité, celles du “business as usual”, qui consiste à relancer l’économie à coup de subventions énergies fossiles et aux infrastructures lourdes (constructions de routes, autoroutes, aéroports par exemple).

C’est aujourd’hui que nous devons investir dans une relance économique verte alimentée par les énergies du futur, d’autant plus que les milliards que nous investissons aujourd’hui peuvent soit nous mettre sur la trajectoire de la neutralité carbone, soit nous enfermer encore pour des décennies de plus dans cette dépendance toxique aux énergies fossiles.

Enfin, sujet tabou mais pourtant central et essentiel pour atteindre les objectifs de l’Accord de Paris, la réduction des émissions de gaz à effet de serre passe aussi par un contrôle “choisi” de la démographie. L’égalité entre les femmes et les hommes et l’éducation des filles sont des facteurs essentiels permettant aux femmes de choisir réellement le nombre d’enfants qu’elles souhaitent avoir. C’est une des clefs devant permettre au monde entier d’atteindre la neutralité carbone, comme démontré par les scientifiques du projet Drawdown passant en revue toutes les solutions climatiques, et cela bien avant le recours au nucléaire.

Le sujet sera-t-il à l’ordre du jour de la COP26 à Glasgow ? Rien n’est moins sûr. Mais l’énergie sera au goût du jour.

Et sans aller jusqu’aux questions sensibles au plan éthique du planning familial, de nombreuses femmes leaders dans le secteur de l’environnement se posent tout de même une question très simple: où sont passées les femmes dans l’équipe de la Présidence de la COP26? C’est le sens de la campagne SHEchangesClimate lancée avec mes collègues Bianca Pitt et Antoinette Vermilye, qui demande à ce que 50% de femmes leaders soient présentes aux tables de négociation. Rachel Kyte fait d’ailleurs partie des ces femmes extraordinaires à l’origine de l’initiative Sustainable Energy For All, dont un des objectifs premiers était de promouvoir l’accès à des énergies propres pour les femmes en Afrique.

A voir donc si les femmes et les énergies propres s’invitent à la table des négociations à Glasgow. Dans tous les cas, elles font déjà partie des ingrédients indispensables à la réussite de la transition énergétique au niveau local.

 

 

Elise Buckle

Elise Buckle travaille dans le domaine du climat et de la durabilité depuis 20 ans. Conseillère stratégique auprès des Nations Unies, titulaire des Masters LSE et Sciences Po, elle est Présidente de Climate & Sustainability, une plateforme de partenariat pour l’action climatique et a co-fondatrice SHE Changes Climate. Elle enseigne au Graduate Institute à Genève et au Glion Institute for Entrepreneurship and Sustainability.

2 réponses à “COP26: à l’heure des choix énergétiques stratégiques

  1. Bonjour,
    Ma fille (Matu 2ème année – Gymnase de Nyon) a fait un devoir (évaluation de français) ce dimanche 31.10. sur un article de presse, publié dans le Temps, quasi identique au contenu de ce blog : Le titre de l’article s’intitulait: “A Glasgow, la conférence cruciale pour freiner le réchauffement climatique a commencé”
    https://www.letemps.ch/monde/continu-glasgow-conference-cruciale-freiner-rechauffement-climatique-commence
    Ma fille devait imprimer cet article aujourd’hui pour remettre son test complet (article + analyse) à son enseignant de français mais l’article a soudain disparu et n’est même pas disponible dans les archives du journal, ni même disponible par le lien que nous avions pourtant enregistré.
    Vous pourrez constater que le lien de l’article redirige vers un autre article différent.
    Auriez vous encore accès à cet article ? Ou pourriez vous nous donner d’urgence un contact au Journal qui pourrait nous résoudre ce mystère ? Et nous régler d’urgence ce problème ? Je vous en serais très reconnaissante!

    1. Bonjour ! Je vois votre message maintenant. J’espère pour elle que tout s’est bien passé. Pour la suite, le mieux est de contacter: [email protected] pour les questions techniques d’accès aux articles. Bien cordialement, Elise

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