Corruption à tous les niveaux : le ras-le-bol des Roumains

Depuis le 31 janvier 2017, la Roumanie est le théâtre de nombreuses manifestations contre la corruption omniprésente dans le pays et incarnée par le gouvernement de Sorin Grindeanu du Parti social-démocrate (PSD). Des rassemblements spontanés d’une ampleur historique ont commencé après la tentative de l’exécutif social-démocrate de passer un décret gouvernemental qui avait pour but de dépénaliser certaines infractions et, surtout, d’assouplir la législation anticorruption.

Le PSD, déjà chassé du pouvoir par la rue fin 2015, est connu pour divers démêlés avec la justice. Le chef du parti Liviu Dragnea par exemple a écopé de deux ans de prison avec sursis pour fraude électorale, et a également été accusé dans un procès pour emplois fictifs.

Dans ces circonstances, malgré l’argument officiel du gouvernement selon lequel ce décret permettrait de « désengorger les prisons » et de « moderniser le système judiciaire », celles et ceux qui manifestent aujourd’hui leur indignation voient dans celui-ci la volonté de renforcer ses privilèges, de dépénaliser des pratiques douteuses des politiques et du parti au pouvoir et d’affaiblir dans les faits la lutte anticorruption.

Bien que ce décret ait été retiré le 4 février, qu’une motion de censure contre le gouvernement ait échouée le 8 février et que le ministre de la justice Florin Iordache (PSD) ait démissionné le lendemain, les manifestations continuent à travers le pays et sont devenues le symbole d’un ras-le-bol général des Roumains vis-à-vis de la corruption présente à tous les étages de la société.

 

Piața Unirii – Cluj-Napoca (10 février 2017)

Une « petite » corruption intégrée et banalisée

 Je me suis rendu en Roumanie la semaine dernière (07.02.17) et j’ai pu observer quelques pratiques qui témoignent de la corruption présente dans le quotidien des Roumains.

Arrivé tout d’abord en Bulgarie, je me suis rendu à Bucarest en taxi. Nous étions six dans un taxi prévu pour cinq. A la frontière, un douanier roumain contrôle le véhicule et constate bien évidemment que nous sommes en surnombre. Le conducteur du taxi et le douanier discutent quelques minutes, rigolent un peu, et nous passons notre route sans soucis. Le chauffeur du taxi nous expliquera qu’en revenant de Bucarest, il devra repasser par le même poste frontière et offrir cinq bouteilles de bière au douanier qui nous a laissé passer.

Cette histoire cocasse s’est déroulée sous les panneaux officiels anticorruptions du gouvernement roumain, installés à tous les postes frontières. De prime abord insignifiante, elle illustre bien la « petite » corruption courante en Roumanie. Si aucune somme d’argent n’a été échangée, la pratique est loin d’être innocente : ce fonctionnaire de l’Etat a tout de même accepté de « fermer les yeux » devant un acte illégal en échange (symbolique peut-être) de cinq bouteilles de bière.

A Cluj-Napoca, une ville du nord-ouest de la Roumanie, j’ai rencontré un responsable du contrôle des chauffages de la ville. Il m’a raconté que, régulièrement, lorsqu’il constate qu’il est nécessaire de changer un chauffage défectueux pour des raisons de sécurité, certaines personnes tentent de lui donner de l’argent pour qu’il ne les oblige pas à changer leur installation. Se déclarant lui-même opposé à ce genre de « petite corruption », il m’a assuré qu’elle était courante, répandue et banalisée. Cette autre petite histoire tranche pourtant avec la première : des personnes peuvent se retrouver moralement corruptrices parce qu’elles n’ont pas financièrement les moyens de payer ce que les autorités leur demandent.

Une prise de conscience générale ?

En Roumanie, comme ailleurs sans doute, petite et grande corruptions semblent s’entretenir comme un cercle vicieux. Pour bon nombre de Roumains avec qui j’ai discuté, la « petite » corruption qui est totalement intégrée à leur quotidien ne leur pose pas réellement problème au regard de la « grande » corruption qui gangrène le pays : « Que sont quelques bouteilles de bières ou quelques lei (la monnaie roumaine) face à la corruption gouvernementale à grande échelle ? » me demandait un peu cyniquement un manifestant à qui je racontais mes anecdotes.

Si ce n’est pas la première fois que les Roumains descendent dans la rue pour condamner ce gouvernement corrompu, il semble bien pourtant que ses malversations récentes aient engendré une prise de conscience et une volonté plus fortes que par le passé d’en finir avec cette corruption qui s’est répandue à tous les étages de la société. Ce même manifestant ajoutait : « En attaquant ces pratiques par le haut nous voulons aussi changer celles du bas ». Espérons que l’avenir lui donne raison et que la Roumanie ne sera pas descendue massivement dans la rue pour rien.

 


Photographies: Piața Victoriei, Bucarest (7 février 2017) et Piața Unirii, Cluj-Napoca (10 février 2017) ©Elio Panese