Je vous écris aujourd’hui pour vous informer sur un changement important concernant ce blog “Toute une Affaire”.
Comme vous le savez peut-être, l’espace blogs du journal LeTemps est en train de fermer pour tous les contributeurs, et cela sans distinction. Je remercie le journal LeTemps pour l’hébergement accordé depuis janvier 2019.
Cependant, cela ne marque pas la fin de mon engagement envers la création de contenu de qualité et le partage d’informations intéressantes dans le domaine des entreprises, la gestion de crise et des organisations, les stratégies, l’innovation, les processus.
Et pour la suite des publications ?
Par le passé, j’ai eu le plaisir de collaborer avec plusieurs autres plateformes. Dès lors, je vous invite de me suivre sur ces canaux; et selon liste ci-après.
La Suisse Romande est (toute) petite mais ôh, combien vivace — alors c’est un bon au revoir, et pas un adieu.
L’ensemble de mes publications en français
Si les archives sur le site LeTemps ne devaient pas fonctionner comme prévu, retrouvez alors la lecture gratuite de ces archives et articles sur mon propre site et tels qu’ils ont été publiés : https://www.debbaut.solutions/fr/tag/toute-une-affaire/
Sur l’ensemble de ces canaux, découvrez de nouvelles publications, dont certaines teintées d’une ironie subtile sur le monde des entreprises, comme celles qui ont déjà ravi les lecteurs de ce blog sur le site LeTemps. Voici une courte sélection.
Le CEO d’Apple se lève à 3:45. D’autres, plus paresseux, se réveillent au maximum une demi-heure plus tard à 4:15. C’est ainsi aux États Unis. En Suisse, l’entrepreneur se réveille à 3:30. Enfin, s’il arrive à dormir. Suite …
Le chat, lui, n’est jamais allé à l’école, ne suit pas de formation continue, n’a pas de profil LinkedIn, et pourtant, il excelle pour développer et gérer ses affaires. Suite …
Le résultat des séminaires de “design thinking” reste globalement le même: après quelques mois, plus personne ne s’en souvient encore de ces réunions stratégiques. Suite …
En pratique, les entreprises font face à des défis liés soit à un excès, soit à une absence de processus, ou encore à des processus désorganisés ou non standardisés. Suite …
Depuis quelque temps déjà, l’aide au développement entrepreneurial est une intervention présentée comme une action noble et prétendument dépourvue de tout intérêt mercantile direct ou indirect pour le fournisseur.
Voici l’apparition de diverses associations, clubs, cercles, fondations, et même des sociétés peu viables mais reconverties dans l’aide aux entreprises. Outre les quelques très rares participations comme la fourniture gratuite d’une place débout dans un bureau open-space, ou la consommation illimitée de boissons gratuites, tout cet écosystème offre aussi une myriade de formations, masterclass, des mentors, ou séances de coaching d’affaires.
L’idée derrière ces structures est facile à comprendre: démocratiser à un coût mutualisé l’accès au savoir-faire et à la gestion d’entreprise pour développer l’économie locale.
Quelques belles réussites temporaires ont été possibles grâce à ce modèle, mais le pourcentage de succès est très bas sur les milliers d’initiatives.
En effet, l’accès aux services des cabinets de conseils en entreprise n’est pas toujours possible pour les “jeunes pousses“. Ces structures manquent souvent de maturité stratégique et opérationnelle, sans mentionner l’absence d’un financement suffisant. Ainsi, sous certaines conditions, une aide ponctuelle de la part des personnes plus expérimentée peut bien faire l’affaire et augmenter les chances de succès.
Je ne suis pas la seule à observer que depuis quelque temps, cette aide est présentée de plus en plus comme “entre-aide” — c’est une nouvelle tendance. Cet emballage fait plus “noble” et présente un hypothétique avantage réciproque. Tout le monde aurait à gagner: autant le mentor que son protégé d’élève, autant le formateur que ses classes, autant l’entreprise que ses clients. Un apprentissage mutuel au long de la vie sous la forme d’une entre-aide. Il y a aussi de nouveaux termes qui apparaissent pour emballer ce nouveau concept comme:
le bien-être de la communauté,
le partage avec le monde entier,
des échanges dans la bienveillance,
ou la transition vers de nouveaux modèles d’affaires.
En soi, ce sont des belles idées sociales et économiques qui méritent bien d’être explorées.
Mais la pratique est plus nuancée.
Table des matières
L’engagement dans une relation d’aide au développement entrepreneurial ou entre-aide
Les entrepreneurs expérimentés et qui ont quelque chose de concret à partager réfléchissent avant de s’engager dans une relation d’aide ou mentorat. Ce genre de rapports professionnels est d’une nature et responsabilités particulières. De plus, pour nombreux chefs d’entreprise, l’entre-aide et même l’aide directe à un compétiteur est une occupation assez éloignée des occupations et aspirations philosophiques habituelles. En effet, de nos jours, même l’aide humanitaire est emballée sous un message marketing et présentée partout dans les médias et sur les sites web — regardez comme on est bons.
Alors pourquoi aider un possible compétiteur ?
Pourquoi s’engager à encadrer une entité qui présente des bonnes chances pour littéralement, tourner le dos une fois qu’un hypothétique succès serait au rendez-vous ? Et en plus, ne pas avoir le droit de mentionner cette activité de soutien, ni comme receveur ni comme fournisseur ? Encore: pourquoi présenter cette sollicitation d’aide sous le terme d’entre-aide, alors que cela va dans un seul sens unique ?
Cette activité serait presque à classer dans la catégorie d’aide humanitaire, sans rien attendre en retour, mais avec obligations strictes et souvent irréalistes accompagnées d’un contrat de confidentialité et punitions lourdes en cas de violations involontaires.
C’est un fait: l’économie actuelle est libérale et globalisée, avec un niveau hautement compétitif dans tous les domaines. Pour tous les chefs d’entreprise ou dirigeants, cette complexité est difficile à gérer. Toutes les entreprises ont des difficultés à faire face à la compétition qui propose à la vente des services ou produits très similaires. Mais les problématiques actuelles du monde des affaires exigent des compétences réelles.
C’est extrêmement rare que ces compétences soient disponibles de manière gratuite ou sans aucune arrière-pensée. Malgré ce contexte, l’idée de solliciter de l’entre-aide par des entrepreneurs expérimentés apparaît comme une solution possible à ces complexités, sans devoir passer par les cabinets spécialisés ou ceux de niche, tous réputés coûteux d’accès.
De l’autre côté, pour les chefs d’entreprise, les ressources en temps sont limitées. Ceux et celles qui ont une entreprise stable et fonctionnelle ont d’autres priorités et vision du monde des affaires. Voici pourquoi, avant d’assumer quelques nouvelles responsabilités, il est donc utile de faire les bons choix. Ainsi, des questions apparaissent rapidement devant ce nouveau concept d’aide entrepreneuriale.
Ces questions sont justifiées aussi pour ceux et celles qui se font aider.
Les questions sur l’aide à fournir ou à recevoir
Avant d’envisager une activité d’aide, soutien, ou se faire faire aider, quelques clarifications sont nécessaires.
L’investissement en temps ou en autres ressources pour cette “aide — ou entre-aide” va-t-elle la peine de ses efforts ?
Qu’est-qu’il y a à gagner ?
Y a-t-il une valeur réelle dans ce type d’échanges ?
Une réciprocité ?
Un plaisir à le faire ?
Un résultat réel pour la personne aidée ?
Un esprit de gagnant-gagnant ?
Faut-il payer pour accéder à ce cercle d’entre-aide ?
Qui paye pour le local de réunion, le marketing, les repas ou les rafraîchissements, ou les divers autres frais administratifs ?
Qui sont les participants ?
Quelles sont leurs attentes, qualifications et expertises réelles ?
Pourquoi ces intervenants participent-ils ?
Quelles sont les obligations en temps ?
Quelles sont les conditions financières de ces échanges ?
Quelle est l’hiérarchie pendant les interventions ou entre les participants ?
Autant de questions qui sont rapidement apparues dans mon esprit quand j’ai été contacté plusieurs dizaines de fois par les organisateurs de ces structures d’aide à l’entrepreneuriat et à l’innovation. Je commence à me méfier quand j’entends le mot “innovation” et utilisé (trop) souvent sans justification réelle. En effet, de nos jours, le mot innovation est exploité comme publicité pour aguicher et vendre plus.
Devant la multiplication de ces prises de contact, et sur des canaux suffisamment créatifs pour me trouver et entamer une conversation directe, je me suis demandé … pourquoi cette envie soudaine d’aider et entre-aider ? Que se cache-t-il derrière les beaux discours des démarcheurs ?
Il se trouve que je n’avais rien demandé, ni fait des démarches pour offrir mes services pour “entre-aider” et encore moins pour “aider” des chefs d’entreprise. Le tout, sans aucune compensation ou tellement symbolique sous le prétexte de “se faire connaître” et “réseauter” — même que c’était à moi-même d’y contribuer financièrement pour “aider” ou se faire faire “entre-aider“. Dans les deux situations, je ne vois toujours pas d’intérêt.
J’avais posé une partie de ces questions ci-avant.
Mais … silence.
A ce stade, vous pensez déjà qu’il y a quelque chose de pas trop sérieux de la part de ces démarcheurs et les organisations qu’ils étaient censés les représenter.
J’ai été intriguée par le modèle d’affaires derrière cette aide et entre-aide entrepreneuriale. Et il se trouve que ce modèle est hautement profitable mais plutôt pour les fournisseurs.
Nous allons maintenant brièvement passer en revue quelle est la base de ce type de services d’aide aux entrepreneurs, et quel est son principal mécanisme d’action.
Les organisations qui offrent de l’aide entrepreneuriale
Les formes d’organisation de ces structures d’aide aux entrepreneurs sont diverses, mais avec une typologie similaire, et toujours avec un but commercial. À titre d’exemple, une association a bel et bien un chiffre d’affaires et un profit; sauf que celui-ci est utilisé en entier — et du moins en théorie —pour la cause défendue ou le bénéfice de ses membres.
Les mots comme “non-profit” ou autres terminologies similaire ou d’intérêt prétendument publique ont seulement une couche contreplaquée de noblesse. Comme pour toute entreprise, il y a des centres de coûts et profits. Ces organisations ont aussi un marché, des niches, et des clients. La direction et les autres collaborateurs employés ainsi que les fournisseurs de services et produits sont payés (et même bien) pour leurs prestations. En même temps, des organisations entièrement basées sur le bénévolat offrent des services gratuits et professionnels, quoique leur durée de vie est limitée — il est difficile de garder les chiffres noirs dans ces conditions. Le domaine des structures non-profit reste complexe.
Outre les associations et les fondations, il y a aussi diverses “cercles” ou “tribus” avec une pensée non-profit, et dont les noms commerciaux ont une consonance si hautement chamanique qu’on penserait à des loges secrètes.
Dans une autre gamme, mais avec un positionnement similaire, quelques chefs d’entreprise tentent maladroitement de constituer un “réseau propre” d’experts. Ces experts et autres personnes “stagiaires” avec un rôle de soutien administratif devraient être prêtes à travailler comme indépendants à leurs entiers frais, sous le nom de quelqu’un d’autre, et exactement dans les mêmes conditions qu’un collaborateur à statut d’employé. Une sorte de consultants senior et employés en mode uberisés.
Toutes ces organisations sont des entreprises commerciales, mais leur manière de se présenter laisser penser à un but désintéressé. Or, leur intérêt est de vendre divers produits et services comme une cotisation annuelle, l’accès hypothétique à une base de données sans intérêts, le billet d’entrée à un ou plusieurs événements, des formations, des cours en surnombre.
Ces organisations ont des éthiques de ventes fort discutables, en tentant d’attraper le poisson/client avec des offres alléchantes, voire gratuite. Une fois les contacts établis et avoir accès au fameux “secret de l’entrepreneuriat” il faudra passer à la caisse. Cette situation dure aussi longtemps jusqu’au moment où l’entrepreneur en herbe se rend compte du mécanisme, ou reste sans financements ou quand son entreprise fait faillite — selon ce qui arrive en premier. Mais vu l’engouement actuel pour l’entrepreneuriat et innovation, ce type de marché est encore bien développé.
Selon mes autres observations, ces structures présentent une hiérarchie surchargée et sans justification réelle, ainsi que des catégories de dépenses qui n’existent pas dans les entreprises privées. Ce n’est pas tout: ces organisations ont un nombre élevé de projets qui sont surpayées et surdimensionnées par rapport aux besoins réels. Ce contexte arrive si souvent qu’il gagne le mérite de le mentionner.
Pour un grand nombre de personnes jeunes, le sport national en Suisse n’est plus le hockey ou le curling. Pour cette catégorie de personnes, le sport national en Suisse, et même au niveau mondial, est devenu la création de start-up et l’innovation.
Dans cet écosystème de soutien à l’entrepreneuriat et à l’innovation, nous retrouvons ainsi des éléments similaires à une league B, une super league, des compétitions, des concours avec des prix à valeur hautement humoristique, et pour des projets l’étant tout autant. Il y a aussi de multiples classements entre les “start-up nations” — selon une expression dorénavant tournée en dérision.
Même les enfants se transforment en entrepreneur: au stade de graine déjà.
Les discours pour atteler et rester motivé dans ce type de projets complexes sont étrangement similaires et simplifiés pour être comprises par le plus grand nombre de personne. Des mantras comme “prendre des risques, sortir de sa zone de confort, quitter son job et goûter à l’indépendance” sont devenues habituelles.
La “recette” du “succès” entrepreneurial est connue:
trouver une niche, miser à fond sur ses compétences,
écrire une phrase pour un “pitch” (soit un discours rapide présentant un concept ou une idée),
copier la stratégie et les méthodes des grandes entreprises à succès planétaire,
trouver des investisseurs qui trouvent l’idée géniale et mettent sur la table quelques dizaines de millions en moins de 24 heures,
contacter 100 inconnus le premier jour, et même 10’000 dans les mois qui suivent, le tout pour “scaler” (terme utilisé pour designer l’agrandissement de l’entreprise, et l’augmentation du nombre des clients et ventes),
les harceler jusqu’à ce qu’ils achètent ce dont ils ne savent pas encore avoir besoin,
ne pas fournir ce qui a été convenu et ignorer le client parce que la stratégie de “blitzscaling” serait la seule voie à suivre pour grandir,
se planter, et faire une autre entreprise en parallèle (même plusieurs tant qu’on y est),
et répéter le même processus jusqu’au moment où une autre entreprise fonctionnerait.
En veux-tu un business à 9 (neuf) chiffres au minimum avec une croissance mensuelle à minimum 2 chiffres en pourcentage, et plusieurs revenus dits passifs en quelques années, en voici. Avant de passer le cap de 30 ans d’âge, si possible. Ensuite ce sera repos, piscine, et tout ce qui gravite autour: voitures de luxe, fêtes poudreuses et arrosées, nanas, et neuneus.
Comme tout propriétaire d’entreprise fonctionnelle vous le dira, cette recette est une véritable connerie.
Le fait d’être compétent dans un domaine ou avoir des bonnes idées ne peut pas garantir que l’entreprise aura du succès. Même l’argent des investisseurs n’est pas toujours suffisant pour un grand nombre d’entreprises à bon potentiel. En effet, les investisseurs savent que nombreux projets échouent; ils espèrent de se rattraper avec un bon “coup” de chance mais si les analyses de risques sont élevées, alors ils tirent vite la prise. Même le fait d’avoir une excellence opérationnelle et venir avec des centaines d’idées chaque semaine ne sont pas des garanties pour le succès.
Au moins dans une première étape, et sans financements externes importants (ce qui est le cas de la majorité des nouvelles startups, surtout en Suisse), ou être le rejeton d’une famille aisée avec “le” bon carnet d’adresses, alors le futur patron devra couvrir des aspects comme la gestion des ressources humaines, le marketing, l’encadrement des opérations courantes, le développement de nouveaux produits et services. Sans oublier l’élément du développement commercial et les ventes (que personne ne veut faire de gaieté de cœur).
La surcharge de travail comme chef d’entreprise force à vite oublier les sorties régulières entre amis, les échanges de fluides corporels, et dans quelques situations extrêmes, même l’hygiène corporelle de niveau avancé.
J’ai vu des centaines de personnes désireuses et enthousiastes à lancer leur entreprise, et qui l’ont fait au détriment des signaux de risque très élevé. Quelques mois ou années plus tard, et des dépenses importantes plus tard, c’était devenu l’échec le plus inavouable. Ou si, avouer à demi-mots pour tenter de rebondir pendant les fameuses soirées “Fuck Up Nights“.
Pour certains, c’est devenu presque une fierté d’avoir fichu en air son entreprise avec moins de 7 (sept) minutes pour s’exprimer sur cette performance intéressante.
L’idée de partager les échecs et tirer quelques leçons n’est pas mauvaise en soi, sauf quand il y a un aspect financier permettant de couvrir les divers “frais et honoraires” des intervenants ayant échoué sans même faire des efforts particuliers. Ou quand les histoires racontées sont d’une cruelle banalité d’incompétence. Ou quand ces typologies de personnes sont devenus inemployables, bercées par les illusions d’un succès entrepreneurial qui tarde à arriver.
Les aides au développement entrepreneurial et l’entre-aide
Créer et développer une entreprise et la tenir fonctionnelle dans la durée est difficile. Vraiment difficile, surtout quand l’absence de chance ou investissements ou du bon carnet d’adresses rendent l’entier de projet encore plus compliqué.
L’entrepreneuriat reste le choix et le parcours le plus difficile et complexes dans la vie d’une personne.
Il y a une relation complexe de haine et amour avec son entreprise: haïr les sacrifices personnels, mais aimer chaque seconde du travail. Utiliser son expérience et son intuition pour la résolution des problèmes, mais devoir faire ce travail gratuitement sans compter ses heures, du moins dans un premier temps. Et enfin, être content quand tout est stabilisé pendant quelques mois ou années ou pour les plus chanceux.
En effet, le contexte du marché change, et il change de plus un plus vite. Cela fait qu’un entrepreneur devra adapter sa stratégie et répéter le même processus et les mêmes sacrifices.
Je ne connais aucun entrepreneur dire qu’il adore les nuits blanches ou le travail à l’extrême. La zone de confort est confortable justement, pour son … confort. Qui n’aime pas le confort d’une vie facilitée ? Prétendre le contraire est un mensonge.
Voici pourquoi, les organisations et les personnes qui essaient de vendre les prétendues “recettes à succès” mais en simplifiant à l’extrême l’un des parcours les plus complexes n’offrent pas beaucoup de résultats concrets.
Nombreux entrepreneurs renoncent malgré un certain degré de succès, et retournent poursuivre leur carrière comme collaborateur employé. Il n’y a aucune honte à vouloir un revenu stable et régulier, ne plus avoir des responsabilités stratégiques, ne plus devoir sacrifier sa vie familiale, et avoir des vacances payées.
Ce n’est pas un échec, contrairement aux discours actuels sur l’entrepreneuriat, mais un autre choix de vie qui n’a absolument rien d’honteux.
Selon les structures d’aide entrepreneuriale, le monde de demain ne serait plus un monde où des personnes apprennent un métier, et ont un travail, mais un univers idéalisé qui transforme des chômeurs sans compétences en entrepreneurs à succès. Cela grâce aux formations continues et payantes pour réussir ce prétendu “défi” et “prouver” sa valeur aux yeux du monde.
Et si par malchance, le succès n’est pas au rendez-vous, alors l’entrepreneur en question n’aurait pas “assez fait” pour réussir et devra acheter encore plus de formations payantes. La réponse usuelle et simplifiée est que la vie est un apprentissage constant. Oui, sauf que cette idée ne s’applique pas toujours dans les affaires.
Comme entrepreneur, la base essentielle est d’avoir suffisamment d’expérience et une bonne intuition. Une sorte de talent. Un véritable entrepreneur “sait” ce qui fonctionne, et comment atteindre ses buts. Tout le reste n’est que de la garniture inutile, avec très peu de valeur par rapport aux investissements en temps.
Ainsi, quelqu’un qui n’a jamais travaillé dans le marketing ne pourra pas créer un bon plan de communication réaliste, ni identifier le budget nécessaire ou anticiper les nombreux pièges des vendeurs dans une agence.
Une personne qui n’a jamais tenu la moindre écriture dans la comptabilité ne pourra pas comprendre les subtilités d’un rapport financier.
L’histoire racontée souvent aux futurs entrepreneurs est qu’ils doivent “déléguer” et “bien s’entourer” avec des professionnels longtemps vérifiés sous toutes les coutures, éthiques, fiables, et payés aussi peu que possible. Or, cette idée est fausse, par construction, pour plusieurs raisons. D’abord, il faudra savoir identifier les priorités stratégiques avant de déléguer quoiqu’il soit. Ensuite, savoir identifier comment et quoi déléguer. Et enfin, appliquer la règle essentielle dans les affaires — faire confiance quand on trouve les “perles rares” mais vérifier toujours.
Si à ce stade de la publication vous n’avez pas encore commencé à réfléchir sur la notion de “courage entrepreneurial qui permettrait de se lancer tête foncée“, ni à une stratégie d’entreprise qui tient la route, alors vous devriez. Pour votre futur bien.
Les dangers des formations et programmes de bas niveau pour les entrepreneurs
Certes, les notions de base et théoriques dans le marketing, la comptabilité, la gestion des opérations et des ressources humaines peuvent être transmises, acquises et implémentées rapidement. Ces typologies d’aides, formations, coaching et mentorat ont une bonne valeur. Mais il faudra faire attention à plusieurs éléments et qui tirent la sonnette d’alarme.
D’abord, qui sont les intervenants ?
Des influenceurs ? Des prétendus “entrepreneurs en série” ? Des experts “masterclass” sans expérience autre que les cours et les formations ? Passez vite votre chemin — tout ce que vous obtiendrez ce sera la vente d’un rêve qui frôle l’escroquerie, un enthousiasme temporaire, et aucunement des connaissances validées en pratique. Les réseaux sociaux sont surchargés par ces “influenceurs” autoproclamés. Or, de nos jours, les suiveurs s’achètent, et avec quelques exceptions notables, les gains naturels d’abonnés sur les réseaux sociaux ne sont pas spectaculaires.
En général, ces influenceurs n’ont pas suivi des formations reconnues — voire abandonné après quelques mois. Après tout, qui aurait besoin de ce genre de “autodiscipline” et une “structuration intellectuelle” dans le cadre d’un programme d’enseignement officiel, alors que les exemples de réussite à la Zuckerberg ou autres semblent être la règle ?
Chose curieuse: l’objet et le but de ce type d’entreprises consiste souvent à “aider” les autres devenir “entrepreneur comme eux” … et ils seraient prêts à vous l’apprendre, moyennant beaucoup de finances, évidemment.
Des professeurs ? Il est très probable que vous recevrez une multitude d’informations qui restent à un niveau de recherche académique et qui ne sont pas toujours validées en pratique. En effet, dans la plupart des cas, ces gens n’ont pas travaillé de manière strictement opérationnelle dans une entreprise pour connaître la finesse des mécanismes en place.
Des consultants ? Ceux-ci n’offrent pas de formations généralistes, ni programmes de soutien sous la forme de masterclass, mais plutôt des services et réponses à des questions concrètes sous la forme des ateliers ou workshops “sur mesure” et adaptés à l’entreprise cliente.
Ensuite, quelles sont les typologies visées par ces formations ?
Le “client idéal” pour ces typologies de formations est jeune et inexpérimenté. Le “formateur” a souvent le même degré d’expérience que ses élèves, ce qui fait qu’ils manquent d’exemples pour montrer comment ils ont accompli eux-mêmes un projet complexe. Les “cours” sont copiés d’ici et là depuis Internet. Cela ne les rend pas plus qualifiés que vous-mêmes.
Les séances de “masterclass” et sans experts véritables sont encore plus sournoises — ils prêchent la croyance dans un esprit de l’univers qui ferait venir la richesse juste en y pensant. J’avais vu une émission à la télévision sur ce sujet. L’idée des masterclass a l’air super-méga-génial au minimum, et surtout quand les clients participants sont invités à “créer des stratégies” en groupe, pour les autres participants. Comment quelqu’un serait capable, ne serait-ce qu’une seconde, à résoudre des problèmes stratégiques, se prononcer et “conseiller” sur un marché qui n’est pas le sien, et sans aucune expérience ? C’est de la magie, avec les mêmes trucages d’un spectacle de cabaret bien mis en scène.
Le mécanisme de ce modèle d’affaires peut se résumer en une seule phrase: “si moi j’y suis arrivé à avoir le succès, alors vous aussi … mais seulement après avoir payé pour accéder au secret très bien gardé“. Ce mécanisme fonctionne très bien avec des personnes jeunes, peu sophistiquées et peu expérimentées. Tant qu’un nombre suffisant de personne continue d’y croire et acheter, alors ce mécanisme continuera de plus belle, vers la plus grande déception des victimes.
Les solutions alternatives à l’aide entrepreneuriale
Il fut un temps quand cette idée d’aide entrepreneuriale avait une valeur.
Les arguments en faveur d’une aide presque désintéressée étaient encore valables. Ces aides couvraient des aspects comme:
l’accès à une expertise inaccessible autrement,
le partage réciproque d’expériences d’affaires ou bons contrats,
les séances de “brainstorming” (soit une technique consistant à venir avec des idées afin de résoudre en commun un problème) avec des personnes expérimentées,
contributions à une “communauté” locale avec son “économie circulaire” selon la nouvelle terminologie.
Pour un entrepreneur, trouver un menteur ou avoir accès à un professeur était un des éléments qui pouvait augmenter significativement ses chances de succès. En bref, ces mentors apportaient une valeur ajoutée, même si le paysage n’était pas rose non plus. Souvent, un entrepreneur à succès et proche de sa retraite faisait le choix de prendre sous sa protection un autre entrepreneur qui était son propre miroir de jeunesse.
De nos jours, la situation a profondément changé.
D’abord, il y a le copier-coller qui permet à quiconque de s’improviser expert en seulement quelques heures.
Ensuite, pour une entreprise, il n’est pas possible de résoudre les problèmes stratégiques avec des étapes purement opérationnelles.
Et enfin, l’accès à un vivier de connaissances après une simple recherche sur Internet offre l’illusion que les problèmes d’une entreprise seraient “simples” à résoudre. Non, ce n’est pas le cas, et même les grands cabinets et les consultants de haut niveau commencent à ne plus “tout voir et anticiper” des années en avance. Les difficultés sont croissantes pour tous.
En effet, et depuis des dizaines d’années déjà, soit dans les années 1998 avec la crise asiatique, les entreprises se trouvent dans un mode de gestion de crise constante. Or, ce mode de fonctionnement et résolution des problèmes nécessite des expériences et compétences multiples. L’accès à de tels profils est rare, et cher.
Très souvent, nous pensons être capables d’identifier les arnaques sur Internet. Or, les chiffres de la criminalité sur Internet sont en hausse. Si vous êtes tentés d’acheter une formation ou faire appel à un coaching d’affaires, vous devriez vous demander les questions suivantes:
Avez-vous utilisé toutes les ressources gratuites de formation en ligne, comme Coursera (www.coursera.org), Udemy (www.udemy.com), ou Linkedin Learning (www.linkedin.com/learning/) ? Pour les intéressés, il est possible d’obtenir même un certificat contre un investissement raisonnable.
Avant de faire appel un coach ou suivre une formation, avez-vous lu quelques livres reconnus pour leur qualité ? Les listes de lecture business circulent souvent, y compris via des sources réputées comme The Economist. De plus, les dossiers thématiques sont créés souvent par des professionnels reconnus et les journaux locaux d’affaires.
Même si ce n’est pas toujours un critère fiable, quelle est l’âge de l’entreprise ou celle du formateur ? Quelle est l’expertise pratique ? Le domaine concret d’actions ?
Évaluez toujours la qualité du programme à suivre et demandez l’aide des personnes de confiance. Quelques fournisseurs de services dans l’entrepreneuriat ont des buts narcissiques ou opaques, plutôt que de répondre concrètement aux questions de leurs clients. Une interview dans un journal ne fait pas une carrière. Une vidéo sur YouTube ou comme invité par une chaîne de télévision locale non plus. Gardez ces éléments dans votre esprit.
Croire sans vérifier tout ce qui est écrit sur Internet ou qui fait partie d’une campagne de relations publiques n’est jamais une bonne idée. En effet, le fait d’écrire sur une page web sur une quelconque offre de ses services n’offre jamais la crédibilité nécessaire pour faire des affaires. Le fait de publier des articles sur un blog non plus. Le fait d’être anormalement actif sur les réseaux sociaux et avec un grand nombre de suiveurs entre dans la même catégorie d’alerte. En effet, les algorithmes des réseaux sociaux sont créés pour quelques catégories de public-cible majoritaires. Ce type de publique est également la cible des divers escrocs et vendeurs de rêve.
Conclusions
La généralisation après plusieurs expériences similaires a le mérite de trouver quelques caractéristiques communes pour illustrer une manière de faire. En même temps, tout sujet présente une certaine complexité et pour des raisons évidentes, cette publication n’a pas couvert tous les aspects.
C’est reconnu que les bases théoriques de l’entrepreneuriat peuvent être transmises et apprises. Mais ensuite, c’est le talent qui devra prendre le relais, d’une manière similaire aux chanteurs, artistes, danseurs. Un artiste sans dons innés pourra suivre toutes les formations et faire le tour de tous les cours disponibles, avec les meilleurs maîtres, mais sans jamais réussir à acquérir les agilités naturelles.
Il est rare que les gens ayant subi un échec suite à ces programmes d’aide à l’entrepreneuriat ou entre-aide expriment leurs expériences, notamment sur le sujet des prix aux entrepreneurs. En même temps, quelques voix commencent à se faire entendre, telles quelques publications dans PME Magazine, ou encore des conseils pratiques d’entrepreneurs qui partagent une expérience réelle.
Dans la pratique, l’acte complexe et hautement risqué de créer une entreprise est devenu un modèle économique pour gagner de l’argent sur la méconnaissance des personnes inexpérimentées, et souvent, jeunes. Les influenceurs sont les pires à utiliser les faiblesses humaines et la naïveté naturelle.
Vendre du rêve et enthousiasme n’a absolument rien d’un processus pour devenir un entrepreneur à succès. C’est de la propagande entrepreneuriale.
Mais ce type de discours plaît énormément aux personnes qui ont le plus de chances pour se planter avec leurs projets d’entreprise. Ce type de publique ne veut rien entendre d’autre quant aux dangers, et suivent des gourous d’entreprise qui leur explique que se lever à 3:30h la nuit permettrait de réussir.
Je conseille de faire toujours attention avant d’envoyer de l’argent et acheter des formations sur Internet ou auprès des organisations qui n’ont pas grand-chose à offrir. Soyez toujours méfiant, vérifiez, et posez des questions.
Le fait d’être proactif et se protéger est un bon moyen d’éviter à devenir un “entrepreneur à succès” après seulement quelques achats sans valeur réelle. Dès lors, assurez-vous que les personnes ou les structures auxquelles vous faites confiance sont réellement capables et compétentes dans leur domaine. Dans toutes les situations, gardez votre esprit critique.
L’aide au développement entrepreneurial et l’entre-aide est toute une affaire … bien juteuse.
L’entrepreneuriat est mort. L’écosystème des nouvelles entreprises est dysfonctionnel.
Cela choque ?
Pas tant que ça, vous l’avez peut-être senti instinctivement dans le parcours de vos amis ou autres connaissances qui se lancent comme “entrepreneurs” d’une start-up et tentent de faire fonctionner une telle structure, alors qu’ils déménagent chez leurs parents, ou dans un pays avec un coût de la vie plus réduit. Trop souvent, derrière leurs messages faussement optimistes se cache une déception et une souffrance réelle.
Vous avez peut-être déjà lancé une ou plusieurs entreprises, et avez constaté que le marché n’est pas seulement hyper-concurrentiel, il est aussi cruel et maléfique, sans aucune protection légale réaliste. Vous avez peut-être aussi lu les titres de presse quand le “gagnant du marché” élimine sa compétition par une position de quasi-monopole, mais sans être le meilleur, seulement par un accès à des investisseurs favorables envers un modèle d’affaires immoral. Vous-même ou vos connaissances ont peut-être aussi vécu quelques histoires malheureuses, comme employé, stagiaire, ou client de ce type d’entreprises.
Partout dans le monde, nombreux sont les entrepreneurs intelligents, compétents et réellement innovants qui ne se lancent même plus dans l’aventure entrepreneuriale, car ils savent que les chances de succès sont beaucoup plus réduites que par le passé. Voire même inexistantes pour certains secteurs d’activité. Soyons clairs: la création d’entreprise a toujours été faite dans la douleur. Mais quand un jeu est triché, sans règles communes, et les chances de gagner se trouvent à zéro … alors y participer s’avère inutile. Le résultat est une sorte de démission au niveau de la société. Ou un abandon, sans même avoir essayé.
Culturellement, les pays asiatiques croient beaucoup dans les notions de travail et la chance. Mais même la Chine se trouve actuellement en état de rupture. Sa jeunesse commence à pratiquer une nouvelle philosophie d’abandon “tang-ping” et comme vous pouvez lire dans ce récent article du journal LeTemps: https://www.letemps.ch/societe/desabusee-desireuse-stress-jeunesse-chinoise-veut-rester-allongee. La nouvelle génération de jeunes dans les pays occidentaux pratique cette attitude depuis longtemps encore. Paradoxalement, cette nouvelle tendance de société est hautement entrepreneuriale, parce qu’elle consiste à optimiser les résultats selon les conditions existantes.
Loin des histoires à succès qui sont fortement médiatisés, ou le prétendu amusement dans le parcours entrepreneurial, ou encore les belles théories dans les livres pour les chefs d’entreprise, c’est plutôt ça la réalité du terrain. La nouvelle tendance de l’entrepreneuriat s’apparente à un spectacle de “gladiateurs uberisés” et qui se bagarrent sans loi ni foi pour quelques miettes, au lieu d’une réelle prospérité pour la société dans son ensemble.
Table des matières
La vitalité entrepreneuriale est un nuage de fumée
Cet énoncé n’est pas une surprise pour les entrepreneurs et les investisseurs expérimentés. De nos jours, l’entrepreneuriat est souvent un choix forcé, par manque d’autres options viables dans l’actuelle économie numérique. La prétendue vitalité, bien appuyée par les chiffres impressionnants quant aux entreprises enregistrées, n’est qu’un simple coup d’épée dans un nuage de fumée à forte saveur marketing.
Et non, le seul nombre des entreprises enregistrées ou leur valorisation irréaliste n’est jamais un indicateur de réussite. Le nombre des postes de travail théoriques ou les prétendues innovations qui sont annoncés par voie de presse non plus.
La réalité des faits est cruelle: un très grand nombre des “nouvelles entreprises” s’apparentent plutôt à un hobby de dimanche, entre la vente des graines pour le petit-déjeuner, la fabrication de cupcakes, limonades, lessives, ou quelques services à la personne. La multiplication des “coach” qui les accompagnent, et qui savent encore moins que le fondateur, est un triste spectacle, avec des marionnettes délabrées et poussiéreuses.
Malgré leurs communications marketing, ces nouvelles structures n’ont absolument rien d’innovant, elles s’adressent à un marché surchargé, ou trop fragmenté, ou qui est difficile à faire grandir en taille, ou au pire, qui est très peu profitable sans un grand volume de ventes, et l’atteinte sauvage d’une position de quasi-monopole à l’international. Entre autres difficultés, la compétition en provenance des pays à plus faible coût salarial, le vol constant de sa propriété intellectuelle et les coûts significatifs pour leur défense n’arrangent pas non plus les choses.
Pire encore, un trop grand nombre d’entreprises sont sous-capitalisées, avec seulement quelque 20 à 50 milliers de francs comme fonds de départ, ou une marge opérationnelle tout simplement misérable et inférieure à 5%, mais qui ne permet pas d’en vivre, et encore moins de se développer ou créer. Quant à la levée des fonds à plusieurs millions pour aller à l’international, il ne s’agit que d’une immense dette pour pouvoir manipuler le concept de l’effet réseau (“network effect“). En effet, l’obtention d’un prêt qui se mesure au minimum en quelques dizaines de millions n’est jamais un signe de vitalité, mais celui d’un dysfonctionnement important. Par le passé, ce n’était pas possible d’aller à l’international si “facilement” ou devenir une “grande multinationale” en quelques mois. Le profit de sa propre entreprise était une condition indispensable pour arriver à ce stade.
En même temps, il existe des entreprises à bon potentiel qui nécessitent des investissements très importants, compte tenu de la complexité du service ou du produit.
Malheureusement, les financements obtenus par voie “normale” sont trop souvent insuffisants pour un développement rapide, et telles les exigences actuelles du marché. Le “bruit” des entreprises sans potentiel est plus fort. Les fondateurs talentueux souffrent. En effet, il suffit qu’un autre fonds d’investissement fasse le choix d’un autre “gagnant” du marché. Pour certaines entreprises, ce n’est même plus le meilleur produit ou service qui gagne le client, c’est plutôt la famille du fondateur qui peut lui donner accès facilité à un meilleur carnet d’adresses, ou une meilleure somme comme fonds de départ permettant d’attirer les bons investisseurs. La chance d’avoir vu le jour au bon endroit.
L’entrepreneuriat moderne
Depuis les années ’60 déjà, la notion d’esprit entrepreneurial était glorifiée comme un moyen pour réussir sa vie professionnelle et personnelle. Une entreprise était souvent le résultat du travail initial d’un fondateur talentueux. Le fondateur presque toujours immigré, sans connaître la langue de son pays d’accueil, forcément jeune, sans carnet d’adresse, sans famille, et qui par la force de son travail acharné a poursuivi ses rêves, commencé sans argent, échoué plusieurs fois, et créé au final un service ou produit qui s’est bien vendu. Le tout, avec un bon mix marketing, le respect des lois, du client et de ses employés. La notion éthique est toujours discutable dans les affaires, mais la déontologie était une condition pour la réussite entrepreneuriale.
Ce schéma se retrouve de manière similaire un peu partout dans le monde. D’ailleurs, les livres destinées aux chefs d’entreprise se basent surtout sur des notions d’un autre temps, et souvent acquises principalement pendant la période des trente glorieuses.
La presse et le public adorent les histoires qui finissent bien.
Mais aujourd’hui, à l’exception de la fin heureuse, les choses ont évolué, et pas toujours en bien. La création d’une entreprise n’est pas devenu plus facile, ou plus complexe, c’est juste différent. Le mythe entrepreneurial actuel laisse penser que la création d’une entreprise, son expansion à l’international, et son succès répondrait à un besoin du marché. Ou encore, que la création d’entreprise serait facilitée, et que chacun peut avoir sa chance.
Il y a une part de vérité, mais en pratique c’est … non.
Dans l’actuelle économie numérique, cette ancienne idée ne correspond plus aux besoins du marché.
L’identification d’un besoin du marché, qui permet de créer une entreprise viable et capable de créer un “cercle vertueux” au niveau de la société est dysfonctionnel. Pour certains secteurs d’activité, l’analyse du potentiel de marché se fait en quelques secondes et de manière totalement automatisée, sans aucun intérêt sur l’entreprise en soi ou son impact sociétal. Des entreprises qui ne devaient même pas exister mettent à mal celles existantes, et détériorent les conditions de travail et du marché. En effet, il n’y a rien d’innovant dans la prétendue création d’une plateforme d’intermédiaires pour les indépendants.
De plus, aujourd’hui, tout se copie, quel que soit le service ou le produit, ou sa difficulté. Sous le prétexte de “bien faire” le parasitisme et le vol est officialisé et se monnaye en plein jour, entre les listes des clients, les données, la technologie, les brevets, les services, les produits, et même quelques images et textes des articles de blogue. La création coûte de l’argent, alors que le vol est rapide et sans aucun investissement important.
L’éthique dans les affaires serait même une notion désuète. L’irrespect des lois est devenu presque une condition indispensable de réussite. Et même si un entrepreneur voyou se fait prendre, les procès sont longs et coûteux, avec des punitions ridicules par rapport aux gains réalisés entre-temps. Quelques tartuferies juridiques plus tard, et l’esprit des lois et la volonté des législateurs sont détournées en plein jour, sans aucune honte. Les approches éthiques sur le commerce dans les conventions internationales restent au stade d’une simple recommandation qui n’est même plus suivie.
A peine adoptée, la législation est déjà en retard. La technologie va trop vite. Les réglementations actuelles sont trop lentes pour arriver sur le marché. Le renforcement des lois ne peut plus toujours apporter l’ordre nécessaire à un écosystème sain pour les entreprises existantes ou en création. Les mauvais exemples se multiplient, restent impunies, et en voilà d’autres qui répètent la même “recette” d’un succès volé. L’irrespect des lois est devenu la nouvelle loi.
Malheureusement, la vitesse de changement de la technologie oblige les entreprises à aller aussi vite que cette évolution, mais souvent, c’est au détriment de l’éthique. Je ne suis pas la seule personne qui constate que cette dynamique est malsaine pour la société dans son ensemble. En même temps, un usage positif des technologies permettrait de réagir plus vite et renforcer les lois existantes, tout en offrant une adaptabilité constante aux nouvelles conditions du marché. Le potentiel positif est bien présent. J’en ai parlé plus en détail sur ces aspects dans mon livre sur la face cachée de l’économie numérique.
Le cercle vertueux de l’entrepreneuriat
Fort heureusement, il existe encore des exceptions à ce paysage sombre.
Ainsi, le marché européen est peut-être moins dynamique dans son ensemble, mais bien plus stable. Le marché suisse suit aussi cette tendance, bien qu’il y a d’autres spécificités qui y contribuent. Il y a ainsi un bon nombre des entreprises et collaborateurs de qualité qui réussissent sans vendre son âme, mais le chemin est plus long, moins rapide, et bien plus difficile. Les chances d’échouer avec une telle stratégie sont effectivement plus grandes, tout comme la possibilité réelle de se faire dépasser par une compétition étrangère qui méprise l’éthique et même les lois existantes.
Le succès d’une entreprise éthique est néanmoins plus solide et durable dans le temps.
Pour ma part, et depuis plus de 30 ans de vie professionnelle, je privilégie l’éthique dans les affaires, et je boycotte systématiquement tout pays, ou entreprise, ou personne qui présente des attitudes de voyou. Cette approche de boycott permet de faciliter les choix, surtout quand il s’agit de couper dans les coûts opérationnels pour les entreprises ou les projets en difficulté. En effet, les entités qui figurent sur ma liste de boycott ne sont pas seulement mauvaises, mais aussi très coûteuses par rapport à la qualité de leurs offres.
Le monde des affaires et des entreprises n’est pas compliqué.
Une nouvelle entreprise crée un service ou un produit destiné à la vente. Les ventes répétées permettent à l’entreprise de s’agrandir, investir plus, créer de l’innovation, et embaucher de nouvelles personnes, produire plus, et vendre encore plus. L’entreprise et les personnes qui y travaillent payent des taxes qui sont utilisées à bon escient pour construire des écoles, des routes, ou établissements de santé. Dans la même ligne, une entreprise ou ses collaborateurs contribuent au développement d’autres entreprises par leurs achats d’autres services et produits. Ce cercle vertueux permet la création d’une stabilité économique et psychologique pour les personnes qui y travaillent, le développement d’autres entreprises, l’apparition de nouvelles véritables innovations, et au final, une région ou pays fort.
Le désastre entrepreneurial
Le problème actuel est qu’une trop grande majorité de personnes sont forcées d’aller vers un type d’entreprises qui ne permet plus de se développer ni investir ou embaucher, et créer ainsi un créer un cercle vertueux de l’entrepreneuriat.
Paradoxalement, un très grand nombre de ces nouvelles entreprises détruisent des postes de travail. Vous l’avez certainement déjà observé par vous-mêmes: le marché actuel est surchargé par des offres et services trop similaires, voire identiques, avec messages marketing et textes de pages web copiés carrément en entier depuis les autres publications qui apparaissent dans les premières pages en Google. La seule “différenciation” pour ce type d’entreprises est soit un marketing agressif qui est souvent externalisé dans les pays à plus faible coût salarial, soit l’exploitation d’une main d’œuvre sans autre choix viables, soit une course vers les prix et la qualité la plus basse.
Le marché n’est pas devenu plus compétitif dans le sens sain du terme.
Le marché actuel est devenu plus fragmenté, avec des milliers de micro-entreprises qui récupèrent quelques miettes, et quelques gros acteurs et groupes avec un statut de quasi-monopole. Pour un grand nombre de services et produits, l’illusion d’un “choix abondant” est seulement une duperie macro-économique. En réalité, le client a seulement le choix entre une entreprise avec un statut de quasi-monopole ou un fournisseur avec une capacité de service réduite et une qualité souvent à l’identique.
Cette situation se retrouve dans toutes les régions du monde; ce n’est pas quelque chose qui arrive seulement en Suisse.
Les régions et les états se retrouvent avec une grande cohorte d’entrepreneurs “start-upeurs” mais qui travaillent principalement en mode uberisé. Par exemple, en Suisse, et selon les chiffres de fin 2018, ce chiffre se situait à 594’000 personnes de condition indépendante. En d’autres mots, voici presque un demi-million de chômeurs déguisés, et qui ne figurent plus dans les statistiques officielles.
A l’échelle d’une région et d’un pays ce n’est pas joli à voir. C’est même très moche. Oui. Il faut rester réaliste, ce n’est pas tout le monde qui possède l’expérience stratégique et opérationnelle du terrain, avoir le capital de départ, et être capable de tenir un tel choix de carrière.
Les régions et les états investissent chaque année de millions dans diverses associations de “soutien à l’entrepreneuriat” et multiplient les programmes d’innovation, les concours avec prix qui ne couvrent même pas le temps pour y participer, et le nombre des personnes qui sont assez grassement payées dans le cadre de ces structures. Sans oublier les jolis sites web qui leur sont dédiés. En pratique, tout cet écosystème est une coquille vide: les montants accordés comme “aide” sont souvent comiques, tellement qu’ils sont petits, et ne peuvent pas apporter des résultats sur le terrain. De temps à l’autre, ces entreprises font la une des journaux parce qu’elles sont forcées de fermer pratiquement du jour au lendemain, et bien que leur valorisation théorique était considérée comme très intéressante.
Au final, les résultats sont décevants: très peu d’entreprises viables, encore moins d’innovation et production réelle par manque de fonds, et un nombre encore plus petit d’entreprises qui se développent pour créer de l’emploi ou acheter les produits ou les services d’autres entreprises. Ces entreprises ne peuvent pas contribuer à la société; elles coûtent plus cher qu’elles n’en rapportent.
Les budgets investis par les états dans le développement des nouvelles entreprises n’est pas toujours optimisé. Autant explorer d’autres solutions complémentaires, comme la création d’un revenu de base, en lieu et place d’investissements inutiles. J’ai été longtemps assez opposée à cette idée (je le nommais revenu de naze), mais le contexte actuel de l’économie numérique impose l’exploration de nouvelles solutions. Je parlerai plus sur ce sujet et mes observations, dans une future publication.
La viabilité d’une entreprise dans l’actuelle économie
L’époque où il était possible de lancer son entreprise tout seul dans son garage n’existe plus.
La viabilité d’une entreprise passe aujourd’hui principalement par la technologie de pointe, ou les sciences de la vie.
Or, ces entreprises ont un besoin accru en investissements, et qui se chiffrent en quelques centaines de millions de francs suisses. Des compétences pointues aussi. De plus, le cycle du développement de ce type de produits ou services est long. Malgré les jolis vidéos de promotion pour l’innovation par diverses structures de soutien, il est peu réaliste de penser que seulement 5 000 francs d’aide peut créer un vaccin dans sa salle de bain, ou encore, faire la soudure d’un système électronique miniaturisé sous le microscope qui se trouve sur la table de cuisine.
Le but non-avoué de ce type de fondateur est “se faire racheter” par une autre grande entreprise après le lancement d’un produit minimum viable, et continuer à y travailler comme … employé.
Voici l’entrepreneuriat uberisé.
Les grandes entreprises ont réussi à externaliser même le risque entrepreneurial.
Il ne faut pas rêver, les grandes entreprises et groupes qui “aident” l’écosystème des start-up ne le font que dans une démarche de communication à but marketing, ou le rachat préventif d’un futur compétiteur. En grande majorité, les grandes entreprises n’innovent plus et ne prennent plus de risque entrepreneurial; elles achètent des start-up.
Encore: même si ces nouvelles entreprises ne se font pas racheter, et arrivent à dégager un profit et persister vers l’indépendance, ces start-ups restent fragiles. Les salaires de leurs collaborateurs sont très inférieurs à la médiane du marché, quand il ne s’agit pas de postes sur base de “volontariat” au niveau de la direction stratégique et faux “stagiaires” autonomes avec plus de 15 ans expérience. Les postes de travail proposés par une telle start-up sont instables. Le personnel est trop souvent démotivé, quand il ne s’agit pas d’incompétence ou mauvaise foi. Et même si leurs collaborateurs de qualité souhaitent se reconvertir ou créer leur propre entreprise, ce n’est pas toujours possible par absence de capital, contacts d’affaires plus forts que ceux existants dans les “bonnes familles” ou l’absence de ses économies personnelles. Après avoir fait le tour des diverses association d’une hypothétique aide, ces entrepreneurs potentiels jettent l’éponge. Le cercle vertueux de l’entrepreneuriat n’existe plus.
Le décalage de l’écosystème entrepreneurial
Nombreux sont les futurs entrepreneurs qui n’ont absolument aucune idée du quotidien vécu par le fondateur d’une entreprise. Cette réalité n’est pas remplie d’une musique énergisante, ni de jolis paysages, ou une vie heureuse et équilibrée avec sa famille. C’est plutôt le contraire: un entrepreneur travaille du matin au soir, et possède peu de temps pour admirer la nature. Ses efforts sont trop souvent volés.
Comme entrepreneur qui vient de commencer ou qui envisage de l’être, il vous faudra donc bien s’informer, et ne plus croire toutes les publications optimistes et amusantes sur le lancement entrepreneurial, ou sur l’accès à un réseau secret après le paiement d’une cotisation, ou le quotidien rose d’un start-upeur heureux qui travaille dans un quelconque espace de co-working.
De nos jours, la création d’une entreprise est présentée comme une activité ludique. Or, c’est loin d’être le cas.
Le monde entrepreneurial est cruel et maléfique. L’économie avance tellement vite que les lois, alors quand ils existent, sont obsolètes en seulement quelques années. La participation au marché est une tricherie géante, puisque chaque joueur peut violer la législation existante et définir ses propres règles. Les attaques contre l’existence de son entreprise sont de plus en plus violentes. Les choix éthiques sont de plus en plus difficiles. Un entrepreneur est seul, avec toutes ses souffrances, et personne ne va l’aider. Dans une majorité de situations, un entrepreneur n’est même plus compris. Faire des affaires a toujours été compliqué, mais aujourd’hui c’est encore plus éprouvant.
Les nouveaux entrepreneurs doivent avoir conscience de cet état des faits. La création d’une entreprise dans l’actuelle économie c’est bien plus que les simples considérations stratégiques, financières, ou opérationnelles.
La création d’une entreprise est toute une affaire. Et même très sale.
Note: Cette publication présente seulement quelques extraits depuis mon essai d’économie et gestion dans la série “la face cachée de l’économie”. Commandez votre exemplaire auprès de votre libraire, en format électronique ou imprimé en format de poche, ou directement auprès de moi-même, Elena Debbaut. Je vous remercie pour votre soutien.