Je n’appartiens pas aux milieux dits féministes.
Il ne s’agit pas d’une sorte d’excuse, ni un étrange moyen pour justifier ma présence dans le monde des entreprises. Comme chaque femme, j’ai vécu, surtout en Suisse, quelques histoires qui pourraient me pousser vers ce type de militantisme. Et pourtant, je ne suis pas devenue féministe.
La raison de mon absence d’engagement à cette cause est que je n’aime pas cette idée de séparation professionnelle entre les hommes et les femmes.
La normalité d’un mérite doit remplacer les discriminations dites positives.
Pourquoi faire cette séparation entre les genres ?
J’ai récemment appris qu’il y a une plateforme de trading d’actions spécialement conçue pour les femmes. Les hommes, eux, sont invités d’aller faire leurs transactions financières sur d’autres plateformes. Il y a aussi des associations pour faire “avancer la carrière” des femmes. Et la carrière des hommes ? J’ai aussi observé l’existence d’une sorte de club privé avec femmes administratrices d’entreprise. Il y a même un très grand nombre de présentations motivantes pour “oser à s’affirmer” et se “découvrir” comme femme. Toutes ces activités sont développées par les femmes, pour les autres femmes.
Or, c’est justement ce type d’initiatives et ces séparations qui maintiennent les différences.
Encore plus curieux: pour se donner bonne conscience, les initiatives en faveur des femmes apparaissent seulement autour de 8 mars. Même les hommes avec des attitudes machistes se font un “devoir” d’aimer sur les réseaux sociaux les quelques partages sur cette journée prétendument si spéciale.
Est-ce un simple hasard du calendrier ?
Que se passe-t-il le reste de l’année ? La culture de la société et dans les entreprises change seulement pendant quelques jours avant et après la journée internationale de la femme ? Il semblerait que oui, avec quelques discours et engagements sans substance et la conformité d’un message politiquement correcte.
Le poids culturel, lui, reste.
Lire l’article: Elena Debbaut: Quand l’innovation est seulement un mot pour vendre plus.
Je me demande si la nouvelle tendance de l’écriture inclusive ou le langage épicène qui met le feu à la RTS peut changer les manières de penser ou modifier une approche culturelle qui n’est pas toujours polie envers les femmes.
Je ne crois pas que cette nouvelle manière de communiquer apporterait quelque chose à la vision d’une égalité utopique.
Encore: dans le monde des entreprises, les femmes sont invitées d’imiter les comportements typiquement “masculins” comme la prise d’initiatives et risques. A leur tour, les hommes sont incités de s’inspirer dans l’organisation et l’expression féminine, prétendument plus “douce“.
Le tout, en utilisant la fameuse écriture dite inclusive.
En même temps, la manière et les mots utilisés pour communiquer restent bien encrés et se transmettent d’une génération à une autre. D’ailleurs, tous les stéréotypes liés au genre ou une nationalité reflètent un mode de pensée sommaire. Cette manière de penser n’évolue pas avec le simple changement de mots utilisés.
C’est le mode de pensée qui doit changer. Et ce changement est surtout culturel.
Or, le changement culturel est très difficile et lent.
Selon mon expérience, une entreprise peut changer sa culture après une période entre 3 et 5 ans. Cette durée est influencée, entre autres, par le secteur d’activité, la zone géographique, et la grandeur de l’entreprise. Mais selon une étude du cabinet de conseil McKinsey, la durée de vie moyenne d’une entreprise se situe entre 7 et 12 ans, alors un tel changent serait trop coûteux et trop long. J’en parlerai plus en détail dans un autre article. Quant à l’échelle d’une société, un changement culturel a lieu sur une période de minimum 2 générations.
Je n’aime pas non plus l’idée d’une égalité “forcée” dans le monde des entreprises. Pourquoi forcer un tel lissage de comportements et expressions, au lieu de travailler pour créer un respect réciproque de la personnalité humaine ?
En effet, entre une femme incompétente et un homme compétent, le choix est vite fait.
L’inverse est aussi valable.
D’ailleurs, l’incompétence est un monopole individuel.
Les capacités physiques peuvent représenter un critère pour certains types de métiers où il faut être fin et menu, ou au contraire, très musclé et grand.
Par contre, la nationalité, l’âge, le sexe, la couleur de sa peau, ou les habilités intellectuelles n’impactent pas la capacité d’exercer une profession.
Et pourtant, en Suisse, la loi sur l’égalité (LEg) est entrée en vigueur le 1er juillet 1996 et la discrimination à l’embauche est “pratiquée quotidiennement en Suisse” selon Jean-Philippe Dunand, docteur en droit, avocat et professeur à l’Université de Neuchâtel. Mais cette discrimination n’est pas limitée à la seule embauche ou seulement envers les femmes. Il y a toute une multitude d’autres aspects de la discrimination, sur la nationalité ou le niveau salarial, ou avec hommes promus régulièrement au détriment des femmes même dans un secteur ouvert intellectuellement comme le journalisme.
Quand je suis arrivée en Suisse dans les années 2001, j’ai découvert en seulement quelques jours qu’il y a un Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes (BFEG).
J’ai trouvé cela très drôle, tout comme la phrase sur mes “très beaux yeux bleus, et oh, la bouche rouge” entendue à mon égard dans le cadre d’une organisation fortement subventionnée par l’état. Heureusement que ce n’est pas l’inverse: une bouche bleue et des yeux rouges, j’avais répondu. Ma tentative d’humour n’a pas été appréciée, ni mes refus répétés de joindre le Monsieur en question dans son bureau, à une heure tardive de la nuit, et sans aucune justification professionnelle.
Mais qui a peur des femmes au travail et dans le monde des entreprises ?
Quand un homme exprime le fond de sa pensée, il est considéré comme un vrai “meneur” et un excellent dirigeant. Si une femme utilise exactement la même phrase, alors ce même message est perçu comme “virulent” et hystérique. L’hystérie féminine comme condition médicale qui n’apparaît jamais chez un homme.
Elle se croit qui, celle-là ?
Celle-là: la réponse à une question péjorative.
Les femmes intelligentes se taisent et ne prennent plus de risques, au risque de passer pour une “garce” décervelée. Les données de nombreuses études à ce sujet et l’analyse des mots utilisés pour catégoriser les mêmes attitudes dans le monde du travail sont confirmées par mes propres expérimentations sur les réseaux sociaux et celles des autres journalistes et blogueuses qui écrivent sur le site du journal LeTemps. La “virulence” des commentaires envers les femmes est notable.
Voici une raison parmi tant d’autres qui explique pourquoi le monde des entreprises présente un taux anormalement élevé d’hommes sous-qualifiés et mauvais stratèges, mais qui sont trop actifs et trop confiants. La présence d’un “meneur” avec une “grande gueule” est un élément plus valorisant que le travail délivré ou sa qualité. Par gain de paix, nombreux sont ceux qui laissent passer les erreurs évidentes de leur “leader” et cela au détriment de l’entreprise. Les erreurs s’accumulent jusqu’à un niveau où il devient difficile de les cacher. Heureusement que cette inefficacité fait le moindre mal pendant les périodes du télétravail ou quand l’entreprise se sépare de ce type de collaborateurs en période de crise.
Ce tempérament n’est pas limité aux seuls hommes.
Dans les entreprises il y a aussi des femmes sous-qualifiées qui réussissent parfaitement tous les critères d’une véritable garce incompétente mais avec grande gueule. Ces particularités ne sont pas des insultes: c’est l’assurance d’être reconnue comme similaire, et donc sans danger.
Un récent article du journal LeTemps annonçait dans son titre: La Suisse est le pays où les femmes ont le moins de chances d’être promues. Dans le premier paragraphe l’explication est déjà donnée: “un plafond de verre relativement solide“.
Je reste surprise en lisant le mot “relativement” mélangé à du “solide“.
Relatif à quoi ?
Avez-vous eu l’occasion de voir quelques interactions entre les hommes et les femmes au travail ?
En général, pour un poste équivalent, les femmes ont un savoir-faire d’excellence, arrivent avec des idées innovantes, et appliquent avec un meilleur bon sens les processus opérationnels. Encore: les femmes sont meilleures en gestion de crise, partagent les informations utiles, et développent davantage leurs collaborateurs et équipes, selon une étude publiée dans le journal Harvard Business Review.
En même temps, la différence globale en faveur des femmes n’est pas spectaculaire et se situe à 5.7%. Les données détaillées montrent un décalage de 10% en faveur des femmes sur caractéristiques comme la rapidité d’apprentissage agile, le développement des équipes, ou la prise de décisions.
Tous les autres critères d’évaluation sont également plus élevés que ceux des hommes. Il y a même un surplus de 1% en faveur des femmes quant à la prise des risques.
Le graphique ci-avant et les nombreuses autres études similaires apportent une preuve de plus au fait que la sélection d’un homme ou d’une femme doit être basée seulement sur le mérite. Je ne suis pas une grande adepte de ce type d’études parce qu’en général, les recherches prennent en compte seulement les moyennes, et la méthodologie n’est pas toujours claire. Or, une entreprise peut présenter un taux d’hommes ou femmes qui sont plus compétents que la moyenne présentée dans les études. Mais ce type d’études ont le mérite de systématiser les tendances principales.
Lire l’article: Voici pourquoi une entreprise a besoin de processus fiables.
Comment améliorer l’importance et la présence des femmes dans les entreprises ?
Les lois et les discriminations “positives” envers les femmes sont inapplicables en raison du poids culturel. L’énergie des débats législatifs et les coûts pour créer de tels lois sont inutiles. La réalité du terrain restera toujours différente, même en présence d’une loi.
Je crois néanmoins que le changement vers une culture plus égalitaire dans son ensemble passe par une évaluation neutre des compétences professionnelles et humaines. La technologie de l’actuelle économie numérique peut aider à une sélection objective des personnes qui travaillent dans une entreprise. Cela peut passer par un CV anonyme et divers tests automatisés pour mesurer l’existence des compétences nécessaires.
De plus, un système de “bonus technologique” pour les entreprises réduira le poids culturel et sera bien plus motivant que l’aspect punitif d’une quelconque loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes. Certes, la technologie présente des risques et vulnérabilités exploitables par les mauvais acteurs, mais les avantages seraient bien supérieurs sur le court et moyen terme.
Et si cette approche basée sur la technologie était la voie à suivre pour arriver rapidement à cette “parité” si chère aux communicateurs en relations publiques, politiques, et entreprises prétendument égalitaires ?
En attendant cette évolution, le sujet de la femme dans le monde des entreprises restera toute une affaire.