L'innovation ne doit pas être perçue comme un concept simpliste pour augmenter les ventes - Elena Debbaut, conseils entreprise

Quand l’innovation est seulement un mot pour vendre plus

Fin 2019, j’ai reçu une boîte de biscuits.

Sur la boîte, le mot “PRODUIT INNOVANT” attire immédiatement mon attention.

Je n’ai pas compris comment ce banal biscuit pouvait être qualifié d’innovant; les ingrédients étaient celles d’une recette connue: de la farine, beurre, eau, levure. Est-ce que le fait de revenir à une fabrication classique était de l’innovation ?

Pendant que je lis les nouvelles, tout en croquant ce biscuit, je vois que le mot “innovation” se retrouve presque partout, et souvent, sans aucune justification quelconque.

Et si ce mot était utilisé seulement pour vendre plus ?

Une idée venue droit du département marketing pour cacher un dysfonctionnement de l’entreprise ? Une simple astuce pour augmenter les ventes d’un produit ou service qui manque d’innovation ?

L’innovation

L’innovation est assez facile à reconnaître, malgré les confusions avec des notions comme l’invention et l’amélioration.

 

Les différences entre innovation, amélioration et invention - présentation par Elena Debbaut

Lire l’article: Les différences entre innovation, amélioration et invention.

 

L’innovation change quelque chose d’existant, elle contamine par la force des idées d’autres secteurs d’activité, se développe de plus en plus vite, dans nombreux cas améliore la vie de millions de personnes, et amène la prospérité pour les entreprises, les emplois, la société dans son ensemble.

Dans d’autres cas, l’innovation est souvent perçue comme solution à presque tous ses maux, y compris contre la compétition, la situation du marché, l’attraction des nouveaux talents qui manquent, et même les dysfonctionnements organisationnels.

C’est presque magique.

Et voici comment une entreprise commence à déclarer l’innovation comme une “priorité stratégique” . Les grandes entreprises essaient d’innover à coup de grand investissements et Labs, départements, ou incubateurs qui sont spécialement dédiés à cette tâche. Même les petites PME savent qu’elles doivent suivre cette tendance.

En même temps, les chefs d’entreprise et les investisseurs se plaignent de l’absence des résultats.

 

L'innovation en quelques chiffres, selon les données cabinet conseil McKinsey et PWC - infographie par Elena Debbaut
– L’innovation en quelques chiffres, selon les cabinets conseils McKinsey et PWC  –
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Une enquête du cabinet McKinsey sur l’innovation avait découvert que seulement 6% des chefs d’entreprise sont satisfaits avec la performance de leur innovation. Et ce sont les chiffres du 2016. Toujours selon cette étude qui a fait pas mal de bruit à l’époque, pas moins de 84% considèrent que l’innovation est importante pour la croissance de l’entreprise.

Ces chiffres se retrouvent sous d’autres étiquettes dans d’autres analyses.

Par exemple, une analyse comparative de l’innovation du cabinet de conseil PWC avait constaté en 2017 que 54% des chefs d’entreprise ont de la peine avec l’innovation et 72% n’arrivent pas à dépasser ses compétiteurs.

Comment cela est possible pour une entreprise qui a la prétention d’être innovante ?

L’engouement pour l’innovation

L’innovation reste encore à la mode, même en 2020.

Il y a des années en arrière c’était la disruption par les petites entreprises (qui à coup de millions d’investissement deviennent des unicornes monopolistes en très peu de temps avec un produit ou service médiocre), auparavant, les talents (qu’il faut les appâter avec jouets et bananes), l’externalisation (implémentée plutôt comme réduction des coûts au détriment des expertises existantes), et toutes sortes d’autres idées.

Les nouvelles idées, c’est bien.

Le problème avec les nouvelles idées c’est qu’une fois qu’elles deviennent dominantes, elles perdent assez rapidement tout le bon sens et la logique. Avec le temps, le message initial se retrouve modifié, comme dans un téléphone sans fil. L’innovation actuelle ne fait pas exception, avec sa pléthore de séminaires, congrès, formations, chefs CIO’s (rien à voir avec le comité olympique) et experts autoproclamés.

En pratique, l’innovation est lancée sans aucune analyse préliminaire, sans stratégie, et sans même prendre en compte la gestion des opérations. Au final, aux échecs presque annoncés se rajoutent d’importantes pertes financières qui mènent directement à la faillite, ou des licenciements de masse et externalisations. C’est donc l’effet inverse qui est obtenu.

Pourquoi ?

L’idée à elle seule ne possède pratiquement aucune valeur, c’est l’implémentation qui compte le plus.

 

Le pire ennemi de l'innovation est l'envie d'innover à tout prix - conseil innovation opérationnelle Elena Debbaut

Lire l’article: Le pire ennemi de l’innovation est l’envie d’innover à tout prix.

 

L’innovation, les opérations et la stratégie

1 – L’innovation

Dans le monde des entreprises et plus particulièrement dans les startups, l’innovation est devenue presque obligatoire. Mais elle reste souvent au stade d’un simple mot.

En effet, la plupart des entreprises ne possèdent pas suffisamment de ressources humaines et financières pour soutenir les efforts nécessaires à un processus d’innovation. Souvent, la notion d’innovation est comprise par la plupart des entreprises et futurs entrepreneurs:

  • comme une copie d’une idée ou d’un modèle d’affaires qui semble fonctionner chez un compétiteur
  • qui se trouve dans les grâces (temporaires) des investisseurs
  • et bénéficie d’une bonne couverture médiatique dans la presse.

Et les choses s’arrêtent là; les aspects opérationnels de l’implémentation sont à peine survolés. Il est assez courant d’avoir cette confusion entre l’idée initiale et le processus d’innovation. Dans le cas de l’innovation, le lien entre la stratégie (le pourquoi) et les opérations (le comment) est encore plus négligé.

 

Lire l’article: Quelques fausses idées sur l’innovation.

 

La plupart des personnes qui travaillent au niveau C-level ou direction arrivent dans une entreprise en pensant systématiquement que la stratégie serait le seul élément qui compte et que la partie opérationnelle se doit d’être “déléguée” depuis le haut d’une tour d’ivoire.

Cette idée est très répandue surtout avec le tout nouveau c h o u c h o u département qui est celui “responsable des innovations“.

En vertu de cette fausse idée, voici comment se met en place une traque agressive des investisseurs. Par la suite, il suffirait de simplement exiger l’implémentation, mais sans posséder les compétences opérationnelles pour savoir ce qu’il faut demander. Un aspect qui n’est pratiquement jamais abordé c’est la livraison et la stabilisation d’un produit ou service “minimum viable” (MVP ou MVS).

Et voici comment l’innovation tourne au cauchemar pour le client.

2 – Les opérations (=le comment)

En pratique, les entreprises savent très bien que la partie opérationnelle et exécution est plus importante que la simple phase initiale des idées. Et que ces opérations ont un coût payé par le client final.

Les responsables ou directeurs de l’innovation pensent être embauchés pour “établir une stratégie d’innovation” mais concrètement, tout ce qu’ils font c’est gérer les opérations courantes ou réparer sur le terrain une mauvaise livraison d’un service, un produit ou logiciel quelconque; tout en gardant un œil attentif sur le budget et les ressources.

À cela se rajoute la confusion sur la complexité de l’innovation. Effectivement, pour innover il faut bien délivrer un produit ou service qui soit viable commercialement et profitable, pas seulement venir avec quelques idées.

Voici pourquoi la “déception” quand ces personnes comprennent que seule l’annonce du poste était “innovante” et finalement, assez bien présentée pour vendre un emploi de gestion et purement opérationnel. L’élément stratégique (soit la vision d’ensemble) n’a jamais existé, par conception. Le rêve d’être au même niveau, voir même dépasser les grands leaders charismatiques qui changent le monde avec une idée était seulement … un mirage.

L’innovateur est ainsi frustré rapidement, donc il décide de se lancer comme indépendant pour implémenter ses propres idées.

Ce phénomène se retrouve dans pratiquement toutes les entreprises.

3 – La stratégie (le pourquoi)

Peut-être vous avez déjà eu l’occasion de discuter ou rencontrer un entrepreneur qui a décidé de créer une entreprise sur la seule base de ses idées innovantes.

Pendant la recherche des fonds, le discours de ces entrepreneurs se limite très souvent à un enthousiasme et une énergie presque sans limites. Après tout, les histoires à succès ne manquent pas: il suffirait de venir avec une bonne idée pour créer des unicornes et des grandes entreprises, reconnues partout dans le monde.

En pratique, il faut bien plus pour réussir.

Est-ce que l’élément stratégie est présent et apporte la structure nécessaire aux opérations, et cela depuis la phase initiale à la livraison finale et la maintenance ultérieure ?

Cet élément est souvent absent.

Le lancement d’une présentation “allons innover dès demain, mais seulement entre 9h et 18h et après quelques séminaires et recherches d’idées chez les compétiteurs” – le tout parsemé de quelques citations fameuses sur les réussites spectaculaires n’est pas de la stratégie. Et ce n’est même pas de l’opérationnel.

En pratique, il s’agit à peine d’une “idée d’action” avec “quelques tactiques“. Or, cette construction est instable; il manque autant la partie planification stratégique que la partie opérationnelle. Les quelques éléments tactiques qui peuvent être confondus avec la gestion des opérations ne se substituent pas à la stratégie.

La gestion de l’innovation

La gestion de l’innovation est encore une chose qui est mal comprise.

La gestion de l’innovation est aussi un processus, tout comme le processus d’innovation. Les deux peuvent sembler identiques, mais ne le sont pas.

La confusion arrive parce que la gestion de l’innovation a une approche plus globale qui s’applique à l’ensemble de l’entreprise.

 

L'innovation est avant tout un processus. Elena Debbaut - conseil entreprise et restructuration projets en difficulté

Lire l’article: Le processus d’innovation.

 

La gestion de l’innovation couvre donc le cadre général, y compris la stratégie de l’innovation et les opérations d’entreprise. Revoir le concept: “run the business & change the business” – “gérer l’entreprise et changer l’entreprise“.

En d’autres mots, il s’agit d’intégrer l’innovation dans les opérations courantes d’une entreprise. Les opérations courantes d’une entreprise passent par des notions comme les équipes, les responsabilités, les ressources et équipements, gestion des risques, processus, coopérations et échanges entre diverses zones fonctionnelles, contrôles, optimisations. Le but final des opérations d’une entreprise est de délivrer et vendre un produit ou service profitable.

Le processus d’innovation est une sorte d’exécutant qui découle du cadre général de la gestion de l’innovation. Ce processus d’innovation ne doit pas être limité à un seul département, mais l’appliquer partout où cela est utile et possible.

C’est surtout ce processus qui permet d’atteindre l’excellence opérationnelle et en même temps, délivrer le produit ou le service innovant.

 

Voici pourquoi une entreprise a besoin de processus fiables - Elena Debbaut

Lire l’article: Voici pourquoi une entreprise a besoin de processus fiables.

 

Le fait de venir avec des idées n’est pas une gestion de l’innovation. Déclarer que l’innovation est une priorité stratégique et l’octroi d’un budget non plus. La création d’une équipe “responsable de l’innovation” encore moins.

Et pourtant, des nombreuses entreprises se limitent à ces activités; la création d’une équipe dédiée étant souvent perçue comme le summum de l’innovation.

Désormais, c’est leur travail pour “innover“.

L’innovation qui n’est pas de l’innovation

Une recherche avec le mot “innovation” sur un grand réseau professionnel donne pas moins de 5 198 297 résultats. Oui, en ce début 2020, il y a plus de 5 millions de personnes dans le monde dont le titre du poste contient ce mot.

Presque toutes les entreprises se vantent sur leur capacité innovante. Ce mot est présent partout: sur leur site web, sur les réseaux sociaux, dans leur philosophie et vision d’entreprise, dans les diapositives de présentation faites dans le cadre des grands événements. Les employés rajoutent aussi des louanges de “fiertécomme une sorte de chœur géant à la gloire de l’entreprise innovante.

Après tout, voici toutes ces personnes qui travaillent pour innover. Et nous, on en fait partie: l’élite de l’innovation.

Ce spectacle continue à l’intérieur de l’entreprise, pendant les longues heures de “réunion stratégiques” et où il est plutôt question de “créer un besoin” sur le marché – au lieu de l’écouter attentivement.

Ainsi, très rapidement, un écosystème malsain se met en place.

Que se passe-t-il quand la direction ignore volontairement, et pour des raisons purement politiques, des sources d’innovation importantes comme les besoins du marché ou le retour des clients existants ? Ou quand les équipes de production attendent sur les idées trop théorétiques du département d’innovation ? Ou quand le cycle de mise sur le marché est raccourci au minimum pendant que les risques sont augmentés de manière irréfléchie ?

Le signal donné aux équipes opérationnelles est clair: “livrer vite et peu cher” et cela même si ce n’est pas toujours réaliste, éthique, ou possible. Les départements marketing et ventes comprennent qu’il faut “vendre beaucoup, très vite” . Quand le marché ne suit pas et la direction s’impatiente au vu des montants investis, alors la tentation est très forte pour “forcer” le passage des clients vers les produits et services prétendument innovants. Seule la poursuite du profit rapide est imposée, et cela, au détriment du cercle vertueux d’améliorations constantes mais basées sur un retour des cycles d’itération.

Et voici comment des mauvaises pratiques commerciales mais déguisées comme “innovation” sont presque devenues la nouvelle norme pour vendre et faire des affaires.

Conclusion

Nombreuses sont les entreprises qui utilisent le mot innovation, alors qu’en réalité, la plupart de leurs équipes, cadres et directeurs ne font que manier quelques mots à la mode.

La gestion de l’innovation devrait permettre d’améliorer le service ou le produit qui est proposé au client final. Mais en pratique, cette notion se résume à “obtenir la vente, même si pour cela il faudra mentir au client” avec un produit ou service “minimum viable“. Ceci n’est pas de l’innovation, c’est seulement une entreprise qui, en utilisant ce mot dans un but purement marketing-ventes, cherche à grappiller quelques pourcentages de parts de marché. Dans ce contexte, l’innovation ne doit pas être perçue comme un concept simpliste pour augmenter les ventes.

Les situations dans cet article ne sont pas si rares que cela et conduisent invariablement à la crise. Les solutions pour résoudre ces problèmes ne sont pas simples, et il n’y a pas de “recette toute prête” .

En règle générale, je conseille aux entreprises de commencer à améliorer en premier lieu les opérations orientées client, comme ceux permettant un gain de réactivité, coûts et qualité, une meilleure logistique de production et temps de livraison réduit. Ensuite, l’entreprise devra résoudre les problèmes latents; par exemple ceux liés aux processus. Pas dernièrement, une entreprise doit constamment adapter sa stratégie d’innovation selon sa situation sur le marché. Ces étapes peuvent être exécutées en parallèle.

En procédant ainsi, il y a des belles opportunités pour la découverte et le développement d’une véritable innovation.

Une gestion adéquate de l’innovation permet de faire remonter les signaux donnés par les clients et les employés. Une entreprise peut développer les nouvelles idées selon les critères principaux: la bonne idée, le bon moment, la bonne profitabilité, et si affinité avec la stratégie d’entreprise. Ainsi, l’entreprise facilite la création de l’innovation.

Le mot “innovation” à lui seul, peut faire vendre beaucoup, mais pas pour longtemps.

 

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Elena Debbaut

Elena Debbaut possède plus de 25 ans de pratique dans le monde des affaires, un fort esprit entrepreneurial, ainsi qu’une expertise technologique polyvalente. Aujourd'hui, elle intervient comme spécialiste en restructuration opérationnelle sur des missions comme le redressement des entreprises et projets en difficulté. Ses clients sont aussi bien les grandes multinationales que les PME.