La Suisse digitale est excellente. Elle pourrait être aussi souveraine.

Faut-il brandir le drapeau rouge à croix blanche dans le monde digital ? Y a-t-il un sens à se battre pour une souveraineté numérique, même limitée à des actifs clés, dans un monde globalisé ? Nous le croyons. Et nous croyons que la Suisse doit garder la main sur son futur digital, en restant dans le peloton de tête des nations les plus compétitives, en la matière.

Cela ne pourra se faire que grâce à un partenariat ambitieux entre les pouvoirs publics et les entreprises privées de la high tech. Ainsi se sont construites les histoires à succès de notre passé. Ainsi s’est construite l’histoire du chemin de fer, qui pourrait servir de modèle.

 

La Suisse, la nation des trains

Il est communément admis que notre pays possède l’un des meilleurs réseaux ferroviaires au monde, des plus denses et des mieux organisés. Il n’en a pas toujours été ainsi. La Suisse a même accumulé un retard considérable sur ses voisins européens, à la naissance du chemin de fer, au 19ème siècle. Alors que l’Angleterre avait déjà 10’000 kilomètres de réseau, alors que l’Allemagne voisine en possédait 6’000, c’est péniblement que la Suisse inaugurait, en 1847, les 25 kilomètres de la ligne Zurich-Olten, surnommée « Spanischbrötli », du nom d’une pâtisserie argovienne ! Notre pays était alors enfoncé dans des querelles politiques et les freins fédéralistes bloquaient tout projet d’envergure. Chaque canton agissait dans son coin, au risque de voir le vaste réseau ferroviaire, qui se mettait en place en Europe, contourner la Suisse. Voilà qui nous rappelle des évènements récents.

En 1853, la Confédération décide de confier la gestion des lignes de chemin de fer à des compagnies privées. Des sociétés privées naissent alors dans tous les coins du pays et l’aventure à succès débute. Beaucoup de compagnies ne résisteront pas aux lois du marché mais en 10 ans la Suisse totalisera 1´300 km de rail. En 1872 elle lancera le projet du percement du Gothard qui changera durablement le visage de l’Europe entière. Rien n’aura été simple, on connaît les drames humains, les grèves, les faillites de l’extraordinaire épopée. Mais l’alliance de politiciens et de conseillers fédéraux visionnaires et de pionniers, comme Alfred Escher ou le genevois Louis Favre, aura permis la mise sur en place d’un secteur qui a beaucoup contribué au développement économique du pays et à son essor industriel.

Les politiques publiques de l’époque se sont adaptées. Les autorités ont noué des partenariats avec les secteurs privés, dans l’intérêt général du pays.

 

Un modèle pour le monde de la High tech swiss made.

La Suisse se place régulièrement en tête des nations les plus compétitives en matière digitale. L’IMD, l’Institute for Management Development, la place en 5e position sur 63 pays étudiés. Le Danemark prend la tête de ce classement, la Suède est à la 3e place, les Pays-Bas en 6e position. Les pays nordiques sont donc un modèle à étudier mais la Suisse est dans la course.

Tout va donc bien ? Oui pour l’instant, mais le monde numérique est un univers où tout va très vite et tout peut basculer très vite. On connaît la concurrence féroce à laquelle se livrent les pays européens, pour décrocher les meilleurs talents, les meilleurs ingénieurs, les meilleurs développeurs, les meilleurs cerveaux. Le niveau de nos Hautes Écoles et notre qualité de vie nous permettent d’être encore compétitifs. Mais jusqu’à quand ? Notre mise à l’écart du programme européen Horizon est à cet égard inquiétante.

La mise en place d’un cloud national confié à cinq multinationales étrangères, pour héberger les centres de données et les clouds privés actuels de la Confédération, a suscité un émoi considérable dans le monde politique et académique. Des milieux ont souhaité le lancement d’une initiative populaire, pour la souveraineté digitale, dans le but de susciter un débat démocratique sur la question.

Dans l’histoire du numérique, comme dans l’histoire du chemin de fer, L’État fédéral est de plus en plus appelé à faire office de coordinateur et de modérateur. La Suisse se cherche encore un modèle, qu’elle finira par trouver. Tout le digital suisse ne peut pas et ne doit pas être hosté sur des plateformes souveraines. A notre sens cependant, une identification claire des actifs qui doivent et peuvent être souverains est essentielle. Les protéger devra être une affaire de large partenariat entre public et privé. Les entreprises suisses de la high tech, comme Elca, s’y préparent.

Cédric Moret - ELCA

Cédric Moret est le CEO du groupe ELCA, qu’il dirige depuis 2015, après 20 ans de carrière au sein de différents postes à responsabilité chez Procter & Gamble et McKinsey. Monsieur Moret a étudié la gestion d’entreprise à l’université de Lausanne. Il est également titulaire d’un MBA auprès de la Harvard Business School.