La pénurie de cerveaux menace notre prospérité

L’IMD place la Suisse au 5ème rang mondial en matière de compétitivité digitale, derrière le Danemark ou les Etats-Unis mais gagnant une place en 2022. Pour la 11ème année consécutive, notre pays est également en tête du classement mondial de l’innovation, publié par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, l’OMPI. En guise de clin d’œil, on peut imaginer ce que certaines nations voisines et amies auraient fait avec un tel classement! En Suisse, pas de chant du coq. On sait rester modeste. Trop? Sans doute. Car si tous les indices placent la Suisse en tête du concert des nations, ce que nous ne disons pas assez c’est que nous sommes très menacés, en raison du manque cruel de personnels qualifiés. Et cela, particulièrement dans les domaines de la high tech. ELCA le sait, qui a 150 offres d’emploi ouvertes en ce moment.

 

Pour y remédier, il faut impérativement que pouvoirs publics et entreprises privées marchent main dans la main. J’ai eu l’occasion de le dire récemment, lors d’une manifestation organisée par le département valaisan de la formation et de l’économie du Conseiller d’État Christophe Darbellay. Le maintien du niveau d’excellence et de prospérité de ce pays dépendra de notre capacité à construire des ponts.

 

La chasse aux cerveaux

Avec plus de 100’000 places vacantes enregistrées au premier trimestre 2022, la pénurie de main-d’œuvre atteint des records en Suisse. Les difficultés de recrutement touchent aussi bien l’industrie que les services. Le Conseiller d’État Christophe Darbellay a relevé, lors de l’évènement de la foire du Valais, les besoins urgents d’apprentis et d’étudiants bien formés dans les secteurs de l’hôtellerie-restauration, de la santé, de la construction, de la logistique ou encore de l’artisanat du bâtiment. Et bien sûr dans le secteur des hautes technologies.

 

On le sait, la pandémie a donné un coup d’accélérateur à la digitalisation de l’économie et tous les secteurs sont désormais en concurrence acharnée pour attirer le même type de compétences. Je dirais même tous les pays développés, car la guerre est ouverte entre les Européens pour attirer les emplois à haut niveau de qualification. Pour l’heure, la Suisse avec ses salaires attractifs et ses Hautes Écoles, parmi les meilleures du monde, arrive encore à rester plus ou moins compétitive. Mais qu’en sera-t-il dans le futur? On connait les problèmes que font courir à la recherche, le fait de ne plus être dans le premier wagon du programme européen Horizon 2020. Et pour les jeunes générations, le salaire n’est qu’une des composantes du choix professionnel. La pénurie de cerveaux est à prendre très au sérieux, d’autant que selon «Employés Suisses», d’ici quatre ans, lorsque tous les babyboomers auront pris leur retraite, il manquera près de 365’000 travailleurs et travailleuses qualifiées avec un diplôme professionnel ou universitaire en Suisse.

 

Un relais privé-public

Accélérer la transformation de notre système de formation pour préparer nos prochaines générations à un monde différent, voilà l’une des pistes qui est suivie, notamment par le système d’éducation valaisan. Un dialogue et un échange plus fréquent, avec les milieux privés, pourraient rendre le processus plus efficace encore. La bascule numérique de la société est en marche et tous les secteurs sont désormais concernés, santé, prévoyance, professionnelle, finances, justice, énergie… Le secteur de la high tech va fournir de plus en plus d’emplois et demander de plus en plus de compétences. Il serait souhaitable de rendre la frontière entre formation et monde professionnel plus souple et fluide. La transformation numérique n’est pas qu’une affaire d’HES ou d’Epfl. L’école est un partenaire crucial de la digitalisation de la société. Les jeunes générations doivent comprendre l’intérêt pour eux, à devenir des acteurs de cette transition. Il serait intéressant à ce propos d’étudier plus profondément ce qui se fait de mieux ailleurs, particulièrement dans les pays nordiques. Comme le disait Darwin, ce n’est pas l’espèce la plus forte qui survit, ni la plus intelligente mais celle la plus réactive aux changements.

Yves Pitton - ELCA

Yves Pitton est membre de la Direction d’ELCA et dirige le pôle «Swiss Business Solutions» du groupe depuis 2022. Il compte plus de 20 ans d'expérience dans les secteurs de l'industrie, des hautes technologies et de l'informatique, notamment en tant que CEO de VTX Telecom. Diplômé en physique de l'Université de Lausanne, il est titulaire d'un doctorat en sciences des matériaux de l'EPFL et d'un MBA avec mention de la SDA Bocconi – Bocconi School of Management.

6 réponses à “La pénurie de cerveaux menace notre prospérité

  1. Bonjour,
    article utile, mais insuffisant, j’explique:
    Le manque de “cerveaux bien instruits, dans toutes les disciplines des sciences, des techniques et de la philosophie” menace davantage que “notre prospérité” : cela menace aussi notre souveraineté démocratique, c’est a dire nos libertés.

    En France 2022, un gouvernement dont le cabinet est très majoritairement forme de juristes et administratifs, issues de l’école confessionnelle (catholique) puis presque tous/toutes de la même école (Science Po/ENA), avec un (ou plusieurs) joli diplômes, forment une caste de clercs sans grande expérience des sciences et techniques, de la vie et du fonctionnement des institutions qui menace la démocratie.
    Ici on s’éloigne a nouveau de l’époque des lumières de Diderot, Rousseau, Spinoza, Voltaires (et les autres..) on se rapproche a nouveau du sombre moyen age, de l’époque très glauque ou “la reforme” s’est avéré aussi indispensable qu’élusive.

    Pourquoi Albert Einstein employé au bureau des brevets a Zurich est-t-il parti a Princeton aux États-Unis ?
    Merci de votre attention.

  2. Moi qui regarde l’actualité suisse depuis l’autre bout du monde, je ne comprends rien. Les médias parlent effectivement de pénurie de main d’oeuvre, mais dans le même souffle, du problème lancinant des travailleurs “vieux” (il semble qu’on soit vieux à partir de 45 ans et complètement gaga à partir de 50 ans) qui n’arrivent plus à trouver un emploi malgré une expérience et une énergie au sommet.
    Je n’arrive pas à concilier ces deux nouvelles. A l’aide!

    1. Cependant il faut travailler jusqu’à 65 ans, même pour les femmes. Comment peut on être aussi cynique ?
      Maintenant ils forment des “codeurs” à l’école 42 Lausanne (qui se trouve à Renens, cherchez la logique) comme si le code seul suffisait…

  3. Bonjour Monsieur,

    Peut-on aujourd’hui se demander ( sans être caricaturé ) si la “pénurie de cerveaux” ne menacent pas beaucoup plus que la prospérité, à savoir l’esprit critique ?

    Cet esprit critique qui peut éviter de diviser les sociétés en camps “radicaux” et obstinés, qui facilite le débat et la recherche de solutions, qui ne fait pas de certaines pratiques à la mode un horizon indépassable ,et qui s’interroge, à sa modeste mesure, sur les risques que courent nos démocraties à s’enférer dans un présent tyrannique où l’on oublie précédents, Histoire et anciennes erreurs.

    La prospérité est-elle l’Alpha et l’Oméga de nos sociétés ?
    N’est-ce pas un risque si elle est cela, nous rendant aveugles à la marche d’un Monde où les démocraties sont en danger ?
    Nos cerveaux ne devraient-ils pas être nourris de plus que d’adéquation à la dominante en cours en économie ?

    Vous remerciant pour ce blog et vos réflexions,

  4. «lorsque tous les babyboomers auront pris leur retraite, il manquera près de 365’000 travailleurs et travailleuses qualifiées avec un diplôme professionnel ou universitaire en Suisse.»
    Un pays riche, innovant qui ne fait pas assez d’enfants pour sa relève, c’est juste pathétique. Vous allez faire quoi ? importer des talents ? Vous êtes fatigantes avec vos discours sur la pénurie de talent alors que les locaux ne trouvent plus de travail.
    D’autant plus que beaucoup de personnes exclues du monde du travail peuvent se reconvertir vers d’autres métiers. Mais les entreprises n’ont pas les moyens de former ces professionnels car cela coûte plus chers que d’importer des talents. À un moment donné, il faut être réaliste et faire avec ce que nous avons sur place.
    Si en plus, les GAFAM finissent toujours par aspirer toutes les richesses en rachetant les entreprises qui ont un vrai potentiel.
    Votre pénurie sera de plus en plus forte car c’est tout le système qui n’est plus viable.
    À moins que cela soit une stratégie marketing pour vendre des formations obsolètes dès le diplôme réussi, ou pour faire baisser la masse salariale en recrutant des talents étrangers pendant un cours temps avant de les remercier pour d’autres talents étrangers.

  5. Bonjour,

    J’ai eu le plaisir de lire ton article pour le blog d’ELCA, et j’ai quelques réflexions sur le sujet.

    As you say, ‘la pénurie de cerveaux menace notre prospérité’ – so the first question to ask is, where does this lack of sought-after know-how come from?

    Does Switzerland not invest enough in education? Does Switzerland in general invest enough in education, but not in the fields sought after by industry leaders (ergo, STEM)? If there is such a dearth of talent, where do you get the talent from? Do you grow it at home, or do you import it? Which alternative is more cost-friendly? Which alternative is more sustainable? Which alternative brings more profit in the short-term? Which brings more profit in the long-term? If there is a lack of home-grown STEM graduates, does one necessarily have to go to STEM alone to look for potential candidates? Have industry leaders only just started to realize that a potential candidate can also be found in other subjects? Could it be possible that industry leaders need to collaborate more closely with universities and maybe send off talent scouts to interactive events, instead of hoping the talent finds them by some magical coincidence? I would love to hear more about your own thoughts as to how we, as the Swiss, can win this war on talent. Merci beaucoup!

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