Sexisme en entreprise : qu’est-on vraiment prêt à faire pour que ça change ?

Suite à l’intérêt suscité par l’opinion publiée dans l’édition du Temps du 17/12/2020, je partage ci-dessous la version longue du texte.

Depuis le début du mouvement #metoo il y a 3 ans, jusqu’aux récentes affaires touchant des institutions phares de la Suisse romande, nous assistons à une séquence identique qui semble se répéter ad nauseam. Comme si chaque univers, chaque secteur d’activité, chaque organisation, devait attendre de vivre « elle aussi » cette découverte pour y croire vraiment, pour se décider à agir. Du cinéma à la politique, des médias au monde scientifique, en passant par les universités et les entreprises, le schéma est le même : quelques témoignages courageux, un écho médiatique amplifié par les réseaux sociaux, une libération de la parole révélant de nombreuses victimes, la sidération de constater la gravité des faits, la souffrance générée et le poids de l’omerta.

S’ensuit une certaine cacophonie de discours entre « tout le monde savait » et « on ne pouvait pas imaginer cela chez nous », une dissertation savante sur ce qu’il aurait fallu faire, la proclamation de la tolérance zéro et l’impression que, maintenant qu’on a pris conscience, ça va aller mieux. Et ensuite ? Que se passe-t-il ?

De la libération de la parole à une réelle prévention

Bien sûr, cette libération de la parole est essentielle. Arrêter de tolérer, de banaliser, de minimiser le sexisme ordinaire et le harcèlement sexuel, affirmer la volonté de l’entreprise de ne pas fermer les yeux par confort, par lâcheté, ou par loyauté envers les puissants, est une étape fondamentale. Permettre aux victimes de dire la violence des actes, comme la violence du silence. Permettre aux témoins de devenir soutiens. Dire ce qui n’est pas acceptable, ce qui est illégal. Mener des enquêtes justes pour que les victimes puissent être reconnues comme telles, pour que les auteurs soient sanctionnés et doivent assumer la responsabilité de leurs actes. En finir avec l’impunité. L’existence de procédures et d’outils adéquats est exigée par la loi, et la répression, par le signal qu’elle envoie, est aussi partie prenante de la prévention.

Mais ce n’est pas suffisant. Les unes après les autres, ces affaires se succèdent, éclatent puis se taisent comme des vagues au pied d’une falaise. La falaise résiste pourtant, elle ne vacille pas. On nous parle d’un changement de culture nécessaire. En effet. On nous dit que c’est complexe, ce qui est vrai, mais cela ne doit pas être une excuse pour ne pas traiter le problème. Au contraire, il est urgent d’agir et, au lieu de déplorer des situations particulières, de s’attaquer au système.

Le sexisme prévaut “par défaut”

Car si les sanctions et les belles déclarations ne suffisent pas, c’est bien parce que nous avons affaire à un système : le sexisme. Ce n’est pas agréable à entendre. On a envie de penser qu’aujourd’hui, quand même, les choses vont mieux. Que l’époque du droit de cuissage, des gros lourds ou des calendriers inappropriés dans les bureaux, c’est du passé. Surtout dans les métiers qualifiés, chez les managers, les gens cultivés, ça ne cadre pas. Et pourtant… le sexisme est partout. Qu’il soit invisible, inconscient, bienveillant, insultant, ou criminel, il existe, par défaut et dans tous les milieux. Dans les entreprises que je visite, j’entends quotidiennement : « ça n’existe pas ici » ou « chez nous, il n’y a pas ce genre de problèmes ». Mais c’est malheureusement faux. En fait, ce n’est pas possible. Si rien n’a été fait pour le remettre en cause, c’est le système qui prévaut partout.

Pas parce que nous l’avons décidé consciemment, mais parce que nous vivons toutes et tous encore dans l’héritage d’une culture patriarcale où les hommes sont plus souvent en position de pouvoir (seules 9% des entreprises privées sont dirigées par des femmes en Suisse). Dans cette organisation de la société, on peut être encouragé à penser que dénigrer ou mépriser les femmes, les percevoir comme des objets sexuels, est valorisant, que le consentement est quelque chose d’accessoire, on peut se complaire dans un entre-soi qui permet de ne pas se remettre en question et de ne pas partager le pouvoir. Je comprends que certains hommes se sentent heurtés par cette description, parce qu’ils n’en ont pas conscience ou parce qu’ils ne s’y reconnaissent pas. Néanmoins cette réalité perdure et nous devons la regarder en face. Il ne s’agit évidemment pas de dire que tous les hommes sont des auteurs de violence potentiels, mais de rappeler que nous vivons dans une société qui est imprégnée de cette culture-là et que, si nous ne faisons rien pour la remettre en question, de fait, nous la tolérons.

Et pourtant, les solutions existent

Ce n’est pas si compliqué, pourtant, d’agir en amont. En éduquant différemment, bien sûr, notamment les garçons. En mettant un terme à une construction de la masculinité qui repose sur la performance, la domination et le refoulement de ses émotions. D’une part car les hommes ont beaucoup à y gagner, d’autre part car le management dont les organisations ont besoin aujourd’hui ne s’articule plus autour de ces valeurs.

Dans le monde professionnel, la solution est double : il faut à la fois plus de mixité (donc plus de femmes) dans les postes décisionnels, et une culture inclusive qui permette à chacun et à chacune de se sentir à sa place, respecté∙e, reconnu∙e pour ses compétences, avec les mêmes chances de progresser quel que soit son sexe. L’un ne va pas sans l’autre et c’est évidemment un cercle vertueux. Cela implique une réelle volonté de changement et du courage managérial : la capacité à partager son pouvoir, à souhaiter en finir avec ce que certaines appellent « la politique des petits copains », à questionner un modèle de leadership encore trop souvent fondé sur l’ego plutôt que l’empathie, la réussite individuelle plutôt que collective, la concurrence plutôt que la collaboration, l’excès d’assurance plutôt que la compétence. Et c’est d’autant plus nécessaire que toutes ces qualités sont fondamentales pour évoluer dans un environnement économique et technologique en pleine transformation.

Si la volonté est là, les actions ne sont pas compliquées à mettre en place et les effets peuvent être rapides : former l’ensemble des collaboratrices et collaborateurs sur le sujet en expliquant clairement ce qu’est le sexisme, comment il s’exprime, pourquoi il est néfaste aux personnes et à l’entreprise. Informer sur ce que dit la loi, préciser ce que l’entreprise ne tolère pas, afficher son engagement et responsabiliser les personnes comme garantes de la culture d’une organisation qui se veut inclusive. S’assurer de l’exemplarité du management sur cette question. Recruter et promouvoir plus de femmes dans les postes décisionnels grâce à des processus dénués de biais et à une volonté d’aller chercher les talents féminins.

Ce ne sont pas de grands discours. C’est du concret. Et ça marche.

Eglantine Jamet

Docteure en sciences sociales, spécialiste des questions de genre et de diversité depuis 18 ans, à la fois dans la recherche académique et dans le monde de l’entreprise, Eglantine Jamet est co-fondatrice du cabinet Artemia Executive, spécialisé dans le recrutement de femmes cadres (www.artemia-executive.com), et de l’association SEM Succès Egalité Mixité (www.sem-association.ch).

Une réponse à “Sexisme en entreprise : qu’est-on vraiment prêt à faire pour que ça change ?

  1. N’avez-vous pas l’impression que le “sexisme” est, ce qu’est le communisme au capitalisme?
    On sait l’enclencher, mais on ne sait pas comment l’arrêter.

    Langage incisif, autant qu’inclusif et autre épicène, ayatollahs verts, chartes éloquentes, vaines promesses politiques et l’orang-outanesse se meurt inexorablement, par manque de véritable oxygène sous ses cocotiers, bientôt martiens.

    Ou plutôt des palmiers à la crème à bronzer, une mer d’huile turquoise, un soleil niquabé, coco ou beurre suisse au soja brésilien!

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