Collection Lieu et Temps : 20 ans c’est une fête !

Nourritures terrestres et mets littéraires

C’est à l’Atelier Grand Cargo, l’antre d’Yves Robert, auteur de plus de 20 pièces de théâtre et de romans adaptés pour la scène, que l’AACL – Association pour l’Aide à la Création Littéraire – a fêté son vingtième anniversaire ce dernier samedi. Un public particulièrement dense, pour lequel il a fallu faire de la place et rajouter des chaises, est venu suivre des lectures articulées par des gens de plume. Six courts métrages, réalisés par le cinéaste Alain Margot, ont donné un souffle nouveau à plusieurs textes. Des nourritures pour l’esprit agréablement aérées par des pauses aux mets plus terrestres, devant lesquels se sont tissées des conversations littéraires fort animées. A l’extérieur de l’atelier, un itinéraire emmenait les curieux à la rencontre des phrases des écrivaines et écrivains dont on fêtait les livres. Au dernier mot, situé sur un promontoire, l’on découvrait, depuis les hauteurs, une vue donnant sur les quartiers de l’Est de La Chaux-de-Fonds.

Sur scène Claude Darbellay répond aux questions du public.

20 ans, 20 livres, 20 visions du monde

Avec sa collection Lieu et Temps, la bourse de l’AACL vise à constituer, à raison d’un livre par an, une collection d’auteurs neuchâtelois invités à traiter du thème du temps en résonnance avec un lieu vernaculaire de leur choix. En vingt-ans, les hommes et femmes de lettres les plus connus et les plus emblématiques du canton – Anne-Lise Grobéty, Jean-Bernard Vuillème, Antoinette Rychner, Thomas Sandoz, Odile Cornuz, Hélène Besençon…  – se sont suivis pour donner leur vision de la vie et du monde, tout en la mettant en lien avec leur région. Une démarche originale qui ne manque pas d’aboutir sur des ouvrages dont l’intérêt dépasse largement les frontières cantonales.

Odile Cornuz dans le court-métrage “Biseaux” d’Alain Margot, d’après le texte de l’autrice.

La collection Lieu et Temps est née de la volonté d’un homme politique. Dans les feuillets relatant l’histoire de cette épopée, Jean-Bernard Vuillème écrit : « Le très actif et remuant ex-député libéral Bernard Matthey avait déposé au Grand Conseil, en 1995, un projet de loi visant à modifier la loi sur l’encouragement des activités culturelles. Il souhaitait ainsi réformer la pratique de l’Etat en matière de décoration artistique des bâtiments officiels. « C’est presque toujours une œuvre plastique ou picturale » regrettait-il, proposant « d’élargir le bénéfice du pour cent artistique à d’autres domaines des arts et de la culture ». Plutôt qu’une sculpture ou une fresque murale, l’Etat commanderait un court métrage, une création musicale, une pièce de théâtre, un roman… Il est clair qu’une telle idée ne pouvait que rencontrer la ferme opposition de la société des peintres, sculpteurs et architectes ».

Le projet de loi fut enterré mais la petite graine n’était pas tombée dans du terreau stérile. Malgré les intempéries, elle se mit à grandir, et à se laisser pousser des branches et des feuilles grâce à la fertilisation enthousiaste et passionnée de Jean-Pierre Jelmini, ancien directeur du Musée d’art et d’histoire de Neuchâtel et archiviste communal. Auteur d’ouvrages d’histoire neuchâteloise, il fut le premier président de l’AACL.

En 2001, signé par la regrettée Monique Laederach, « L’ombre où m’attire ta main » initia la collection. Les quatre premiers ouvrages de ce projet furent imprimés à Saint-Blaise à l’imprimerie Zwahlen. L’Association se chargeait de la promotion et de la diffusion. Cette manière artisanale de produire du livre rencontra vite des limites. C’est ainsi que, durant de longues années l’édition fut confiée aux Éditions d’Autre Part, de vrais professionnels qui firent pendant longtemps le bonheur des écrivains et écrivaines ayant obtenu le mandat de l’AACL. Toutefois, depuis 2021, la collection a été confié à la prestigieuse maison d’éditions ALPHIL, sise en terres neuchâteloises, et connue dans toute la francophonie pour ses ouvrages universitaires, ses essais et ses parutions sur l’histoire régionale. Souhaitant élargir son catalogue en promouvant de la littérature de qualité, elle a repris le flambeau de cette aventure éditoriale.

Alain Cortat, l’un des fondateurs des prestigieuses Editions ALPHIL.

Après vingt ans d’existence les années 2020 sont, à n’en point douter, celles du coup de jeune de l’AACL. En effet, durant les festivités, son hyperactive présidente Anne-Marie Cornu a officiellement transmis sa place à deux jeunes co-président-e-s : Marie Wanert, 30 ans, qui possède un Master en études muséales, également chargée de diffusion et de communication pour divers projets culturels et à Thibault Ziegler, 28 ans, étudiant en lettres préparant son Master en littératures.

 

Anne-Marie Cornu, la présidente sortante de l’AACL, en compagnie des deux nouveaux co-présidents : Marie Wanert et Thibault Ziegler.

Les ouvrages de la collection Lieu et Temps

Le premier, « L’Ombre où m’attire ta main », est une lettre d’amour à un mort composée en 2001 par l’inoubliable Monique Laederach.

Jean-Bernard Vuillème nous lègue ses « Meilleures pensées des Abattoirs », ceux de La Chaux-de-Fonds, où l’auteur mêle à ses souvenirs d’enfant vivant à proximité des Abattoirs les idéologies contradictoires qui jalonnent le parcours d’un bâtiment aussi dérangeant qu’encombrant.

L’une des images du film “Meilleures Pensées des Abattoirs” d’après le texte de Jean-Bernard Vuillème. Une peinture de Chaïm Soutine (1925) sur le modèle du “Bœuf écorché” de Rembrandt (1665) qui figure aussi dans le film. On y voit également la toile de Pieter Aertsen dit Lange Pier (1508-1575) intitulée Étal de boucherie (1551).

Roger Favre se promène « Ici est ailleurs » en 2003. Décédé en ce début d’année 2022, l’auteur nous laisse ce roman né dans le son des grelots d’un traîneau dans les neiges de Le Locle. Une musiquette qui entraîne le lecteur vers des contrées lointaines comme l’Afrique ou l’Amérique du sud.

Après un séjour dans un Berlin en chantier naît « Mémoire pendant les travaux » en 2005, sous la plume d’Hélène Bezençon. La trajectoire décrite dans ce livre, correspond autant que faire se peut, à l’état des lieux qui était visible à Berlin en mai-juin 2003.

Jean-Pierre Bregnard, établi en France, écrit le quatrième ouvrage. « NE » voit le jour dans un questionnement permanent qui ramène l’auteur vers son passé. « … si j’étudie les grands évènements du monde, les philosophes ou les galaxies lointaines, lorsque j’ai des calculs rénaux, un minuscule bout de calcaire me semblera plus vaste qu’un astéroïde ».

« Dérapages », c’est le titre de l’ouvrage de Jean-Marie Adatte qui livre cinq nouvelles très différentes qui pourtant s’enchaînent avec une porosité qui offre des explorations intimes inattendues.

Avant que la maladie ne l’emporte en 2010, Anne-Lise Grobéty a écrit « L’Abat-Jour » deux ans auparavant. « Ces champs de ruines où je scrute de toutes mes forces, comme si une part de moi y était restée pétrifiée, même si je n’étais pas née… »

En 2009, Odile Cornuz porte un regard en « Biseaux » sur les utopies humaines. L’acceptation d’une réalité rude, râpeuse, exigüe, mais avec une exigence de poésie.

« Même en terre » sort de la marne et de la plume de Thomas Sandoz. Il imagine un narrateur, un fossoyeur entêté dans une démarche d’accompagnement, qui refuse d’abandonner les enfants morts. L’ouvrage, publié en 2010, a été réédité chez Grasset puis également publié en allemand.

L’écrivain Thomas Sandoz.

« Léa » est le personnage imaginé par Gilbert Pingeon. Pour utiliser le langage cinématographique, on peut dire que Léa est une sorte de « remake » d’Adolphe. Benjamin Constant y fait même une brève apparition, en «guest star».

En 2012, paraît « L’Affaire », une fiction politique recomposée par Claude Darbellay. L’ascension, la grandeur et la décadence d’un conseiller d’Etat, raconté au scalpel dans ses agissements politiques mais aussi dans ses dérives intimes.

Valérie Poirier l’« Ivre avec les escargots », un recueil de 24 tableaux chaux-de-fonniers. Un voyage entre paradis et enfer.

En 2014, Yves Robert suit « La Ligne obscure » d’un personnage qui apprend qu’il est condamné. Le roman d’un homme qui meurt et s’en va seul, loin des siens.

Laure Chappuis propose de « S’en remettre au vent »  en 2015 et, en 2016, Antoinette Rychner de « Devenir pré ». Deux fabuleuses propositions venues de femmes qui ont les yeux et le cœur ouverts.

Bernadette Richard écrit « Heureux qui comme » en 2017. Clément a arpenté les continents pour son travail en cherchant à s’affranchir de son coin de terre, à la recherche d’un Graal illusoire. Son retour aux sources prend alors des allures de poésie et d’apaisement. Ce roman a permis à Bernadette Richard de recevoir le prix Edouard-Rod.

En 2018, Alexandre Caldara choisit d’associer Peseux  à Paterson, la ville du New Jersey et le titre du poème composé par William Carlos Williams, créant un chassé-croisé poétique entre les lieux et les êtres.

Une image du court-métrage “Peseux Paterson” d’après le texte d’Alexandre Caldara.

Julie Guinand imagine « Survivante » en 2019. Son personnage, seul au bord du Doubs, écrit après un effondrement. Un journal de fin du monde au bord de l’eau. Pour ce roman Julie Guinand a reçu le prix Auguste-Bachelin 2021 et le prix CiLi de la même année.

Le Covid a imposé une interruption dans le rythme que s’était imposé l’AACL de sortir un livre par an, mais les parutions ont repris en 2021 avec Emanuelle Delle Piane qui propose au lecteur une visite dans la tanière de son enfance avec son titre « Grenier 8 ». « Pendez-le haut et court » de Reda Bekhechi, paraîtra au printemps 2023.

De gauche à droite, les écrivains Alexandre Caldara et Karim Karkeni, qui viennent de publier une année d’échanges épistolaire ” Ce grand remous en nous”  – éd. de L’Aire -, en compagnie de Gilbert Pingeon.

Fanny Vaucher : la poésie du dessin

De l’histoire vraie au dessin poétique avec Paprika et le clan des Bruxellois

En ce jour de fête pour beaucoup d’enfants, je me suis penchée sur les poétiques dessins de Fanny Vaucher. Cette ancienne élève de l’École des Arts Appliqués de Genève, qui possède un Master en lettres, illustre –entre autres- la série d’albums jeunesse Paprika qui relate l’histoire vraie d’une chatte recueillie par l’écrivaine Bernadette Richard. Quand la lecture n’est pas encore acquise –ou pas tout à fait avec aisance– l’illustration joue le rôle d’une écriture, d’un langage visuel universel ou le texte n’est plus forcément le meilleur vecteur d’information. Par ailleurs, les dessins aident à mémoriser les phrases, le langage, l’histoire, tout en sensibilisant les enfants à l’Art.

 

Paprika en trois albums

Paprika et le clan des Bruxellois vient de paraître aux éditions L’Âge d’Homme. C’est le troisième album de cette série après Paprika sauvée de la rue et Paprika prend l’avion. Imaginé et rédigé par Bernadette Richard, illustré par Fanny Vaucher, dans Paprika sauvée de la rue, le premier album de la série, on découvre la protagoniste, son frère et sa sœur, trois chatons nés sur un parking en Guadeloupe. Leur maman chatte est très maigre. Elle a toujours faim. Un soir, comme d’habitude, elle part chasser après avoir caché ses petits dans des trous. Elle ne revient pas. Alors qu’ils sont presque morts de peur et de faim, une gentille dame vient les sauver. Dans le tome II, on vole au-dessus des océans avec la petite boule de poils quand Paprika prend l’avion. Paprika et le clan des Bruxellois, nous emmène à Bruxelles, où résidait l’écrivaine à l’époque. Les chats qui vivent déjà sous ce toit lui réservent un accueil peu amène mais… comme dans les contes les plus classiques, tout finit bien. Les histoires de cette petite chatte s’adressent à des enfants entre 7 et 8 ans, parfois moins, si elles leurs sont lues par des adultes.

Fanny Vaucher: entre la Suisse et la Pologne

« Après un diplôme en Lettre de l’Université de Lausanne, Fanny Vaucher se lance dans sa passion du dessin et suit une formation d’illustration et bande dessinée de l’école des Arts appliqués de Genève. Depuis, elle travaille comme illustratrice et auteure entre la Suisse et la Pologne. Fruit de ses deux ans de résidence en Pologne, elle publie Pilules polonaises aux Editions Noir sur Blanc en 2013, à partir du blog éponyme qu’elle anime toujours. Elle a participé à des expositions collectives à Varsovie, Budapest, Munich, Genève et Lausanne, et figure au sommaire du numéro de Strapazin sur la bande dessinée en Pologne. Elle participe à BDFIL dans le cadre de l’exposition Waterproof en 2013 et pour le projet Périples masculins en 2014. S’investissant également dans le fanzinat, elle est la cofondatrice du fanzine collectif de BD La bûche, dont le premier numéro paraît à l’occasion de BDFIL 2015 (espace microédition) ». Biographie 2019, extraite du site BDFIL. Sa collaboration avec Bernadette Richard a débuté en 2013.

Bénéfices: pour la protection des animaux

En imaginant cette série de petits livres illustrés, facilement compréhensibles par des enfants d’âges divers, Bernadette Richard – Prix Edouard Rod 2018, pour son ouvrage Heureux qui comme paru aux éditions d’Autre Part – souhaite sensibiliser les plus jeunes, de manière ludique, à la défense des animaux. Les bénéfices de ces livres sont reversés à diverses associations de protection des animaux. Par ailleurs la série continue. D’autres albums sont déjà prévus.

 

Rencontres et dédicaces :

– Ce samedi 8 décembre, à 14h, à la librairie Basta, à Lausanne, Fanny Vaucher dédicacera tous ses livres – y compris ceux qui s’adressent à des lecteurs plus âgés.

– Le jeudi 20 décembre, de 17h à 19h, Fanny Vaucher et Bernadette Richard dédicaceront Paprika et le clan des Bruxellois à la librairie Payot, à la Chaux-de-Fonds.

 

 

A savoir :

Actuellement , Paprika sauvée de la rue, le tome I, est en cours de réimpression. Il est épuisé – y compris chez l’éditeur. La seule librairie ou l’on peut encore l’obtenir avant les fêtes, c’est chez Payot à la Chaux-de-Fonds. Vous pouvez le commander en écrivant à la librairie. Pour ce faire cliquez ici, puis écrivez à la librairie en cliquant sur le lien en rouge qui apparaîtra.

 

 

Sources :

-Dossier documentaire L’illustration dans l’édition jeunesse

-BDFIL

Le blog «Écrire à mille : littérature romande et autres arts»

-Bernadette Richard