Écrire sagesse ou délire, écrire pour ne pas mourir

S’apercevoir qu’il faudra se presser

J’ai commencé ce blog en 2018. La passion qu’il a éveillé en moi m’a permis de découvrir des poètes, d’entretenir de magnifiques échanges avec des auteurs, des écrivaines, des libraires, des bibliothécaires et de nombreuses personnes qui s’investissent dans le monde de l’édition. A cet espace je me suis donnée corps et âme. A ma grande et heureuse surprise, le nombre de mes abonnés a constamment augmenté. Une superbe récompense.

Sans la littérature, sans les personnes qui la font, sans vous qui suivez ces lignes, cet endroit n’aurait pas pu exister. Alors merci, merci à tous, à toutes, d’avoir posé vos yeux sur mes mots. Merci de m’avoir confié vos livres et vos phrases, vos émotions, vos concepts et vos pensées. Merci !

Cependant, les flammes de la passion demandent de la constance et du temps. Ce blog m’en réclamait avidement et je les lui ai offerts sans compter.

Avant d’être invitée par le quotidien Le Temps, j’ai écrit pendant une quinzaine d’années pour le blog du journal Le Monde avant qu’il ne disparaisse presque subitement. Je m’y étais investie autant qu’en ce lieu qui ferme aussi ses portes. Je reçois cette deuxième rupture comme un signe : je dois me consacrer entièrement à mes futurs livres. Le moment est venu de totalement plonger dans mes écrits, de mettre en forme les projets, les idées, les sentiments, les sensations qui ne demandent qu’à égoïstement posséder sans partage ma peau et mon esprit. J’ai donc décidé de mettre un terme à mes aventures avec les blogs. D’enfin devenir fidèle à celle qui me réclame, pour elle seule, depuis longtemps : mon écriture littéraire. Or, tout à coup, je m’aperçois qu’il faudra me presser pour tout accomplir.

J’ai choisi d’imager ces impressions avec quelques mots d’Anne Sylvestre. Des mots qui me ressemblent, qui sont également miens depuis que j’écris et qui, au fur et à mesure que le temps passe, s’apparentent de plus en plus à ma réalité. Je me réfère à sa chanson Écrire pour ne pas mourir dont je vous laisse un extrait ci-dessous. Vous pouvez facilement la retrouver dans son entier sur la toile.

Les parutions de mes trois prochains livres – très différents les uns des autres – sont agendées. Si aucun imprévu ne vient contrarier ce timing, ils paraîtront successivement cet automne 2023, au printemps 2024 et au cours du premier semestre 2025.

Je vous invite à régulièrement suivre mon actualité sur mon site officiel : dunia-miralles.info

D’une manière plus ludique, je figure aussi sur Facebook et Instagram. J’utilise également ces voies pour annoncer les nouvelles publications à mon lectorat.

Au plaisir de vous retrouver bientôt.

Dunia Miralles, le 28 juin 2023

 

 

Dunia Miralles : livres parus entre mars 2000 et juin 2023 :

Swiss trash, roman, Baleine, 2000. Réédition : éditions L’Âge d’Homme, 2015

Fille Facile, nouvelles, Torticolis et frères, 2012

Inertie, roman, éditions L’Âge d’Homme, 2014

Mich-el-le, une femme d’un autre genre, roman, éditions L’Âge d’Homme, 2016

Alicante, poésie bilingue français-espagnol, Torticolis et frères, 2018

Folmagories, nouvelles, éditions L’Âge d’Homme, 2018

Le baiser d’Anubia, instants autobiographiques, Torticolis et frères, 2023

 

L’image qui illustre l’article est un détail de la couverture du recueil collectif Les Affolés et du bandeau qui l’accompagnait. Ce livre est à présent épuisé.

Un livre, une vidéo et 2 questions : « Le baiser d’Anubia » le dernier livre de Dunia Miralles

Trouble de la personnalité borderline : témoignage

Une fois n’est pas coutume, c’est dans mon univers que j’emmène aujourd’hui les lecteurs de cet espace. Mon dernier livre, des fragments autobiographiques sur le trouble de la personnalité limite (borderline) vient de paraître. Comme il est difficile, pour un-e auteur-e de parler de soi et de son propre ouvrage, j’ai choisi de publier l’article de l’écrivaine et critique littéraire Bernadette Richard, paru le 28 janvier 2023 dans l’hebdomadaire Le Ô.

Dunia Miralles : une œuvre bousculante

Le dessous des cartes, les arrière-cours de notre société malade, la dope, les petits secrets inavouables, la transidentité, les paumés en tout genre – selon le regard moraliste des citoyens dits raisonnables –, autant de sujets que Dunia Miralles traite dans ses romans.

Au début du millénaire, il avait fallu une *Espagnole pour dénuder dans « Swiss trash », son premier livre, une certaine face cachée de la Suisse, celle de la drogue. Entre les lecteurs qui avaient adoré, ceux qui s’étaient enfin reconnus et les heureux normés qui peinaient à croire que notre patrie propre en ordre abritait de tels cas sociaux, l’ouvrage est devenu culte.

Vaille que vaille, Miralles a poursuivi sa route dans le labyrinthe des mots – souvent des maux pour elle. S’ensuivirent « Fille facile », « Inertie », autres explorations d’univers peu conventionnels, puis le très décalé « Alicante », bilingue français-espagnol, une suite de pensées, de regards, agrémentée d’un CD.

Arrivèrent ensuite « Mich-el-le, une femme d’un autre genre », qui donna lieu à un spectacle émouvant, et « Folmagories », des nouvelles qui sont comme des hommages à Edgar Poe, Oscar Wilde ou encore Stephen King, inscrites (sauf deux) dans le décor des Montagnes neuchâteloises.

Le Baiser d’Anubia : une entrée pour les montagnes russes du TPL

Et voici « Le Baiser d’Anubia », un livre qui pourrait déranger, des pages qui ne laisseront aucun lecteur indifférent : une plongée dans la tête de l’auteure. Audace ? Exhibitionnisme ? Règlement de compte avec cette salope de vie qui ne ménage pas les borderline(s) ? Un peu de tout, principalement sous forme de phrases courtes, entre des perceptions, des souvenirs jetés dans l’urgence sur le papier, et des illuminations esthétiques, historiques, journalistiques, échappées d’une angoisse sous-jacente, celle qui ne permet pas à l’écrivaine de vivre selon les codes sociaux en vigueur.

Une deuxième partie fait office de reportage concernant ce fameux trouble de la personnalité limite, décortiqué avec précision. Miralles évoque également ses rapports difficiles avec les psys. Et, comme un phare bienveillant dans la nuit noire d’une existence difficile, l’amour de son compagnon.

L’auteure s’est longtemps interrogée sur le fonctionnement de son psychisme. Qui suis-je, en fait ? Pourquoi son mental est-il si fluctuant, la privant d’un bonheur facile et accessible à tous ?

Elle y répond – du moins pour le lecteur – à travers cette confession qui bouscule les codes littéraires. Qui sait ? Son témoignage permettra peut-être aux esprits étroits et emplis de préjugés de revoir leurs certitudes. 

 

 Dunia Miralles : l’interview

 Avec cette confession, vous ne craignez pas les commentaires désobligeants ?

Dans tous mes livres, excepté peut-être « Folmagories », je me suis mise en danger. Mais au final, je suis récompensée par la réaction de mes lectrices et lecteurs, concernés par les problématiques que j’aborde. Pour une fois, ils se sentent compris, écoutés et moins seuls. Je sais que j’écris des choses qui peuvent me valoir un retour de boomerang désagréable.

Ça ne vous gêne pas de vous mettre ainsi à nu ?

Ça fait partie de ma démarche littéraire de faire du funambulisme sur le fil d’une épée, en risquant de nuire à mon cheminement d’écrivaine, de nuire à ma réputation de femme, mais je m’en moque. Il est important pour moi de mettre au jour des choses que l’on tient généralement bien cachées.

Célébrités psychoatypiques

Dans  « Le baiser d’Anubia » le lecteur peut aussi rencontrer des célébrités psychoatypiques et neuroatypiques : Jean Cocteau, Billie Eilish, Kurt Cobain, Virginia Woolf, Elon Musk, Gérard de Nerval…

Ci-dessous, une lecture du « Baiser d’Anubia » mise en images par Chingón.

 

Site Dunia Miralles – Ecrivaine : ici

*A noter : je suis née en Suisse et naturalisée depuis 1987.

Source :

– « Le Baiser d’Anubia », de Dunia Miralles, éditions Torticolis et Frères, 2023

– Hebdomadaire Le Ô

Éditions Kadaline : la petite maison qui lutte contre la dépression

David Labrava s’exprime en français à Fribourg

David Labrava en couverture du livre Devenir un SON

Pris dans le grand tourbillon mondial qui nous induit un sentiment d’impuissance, nous autres quidams ne pouvons guère lutter contre les crises. En revanche, la lecture peut combattre la dépression. Une bataille contre la morosité, telle est la ligne suivie par les jeunes éditions Kadaline avec des livres parfois plein de romance et de positivité. Mais pas uniquement. Installées à Fribourg, en trois ans et dix-sept publications, elles sont parvenues à faire leur place dans les librairies romandes et françaises ainsi que dans le catalogue de France Loisirs. Elles s’enorgueillissent également d’avoir obtenu les droits pour la traduction en français de la biographie Devenir un SON de David Labrava. Souvenez-vous ! Dans la série américaine à succès Sons of Anarchy, de presque cent épisodes étendus sur sept saisons – la RTS l’avait diffusée dès 2009 – il jouait le rôle de Happy !

Généralistes, les éditions Kadaline ne prétendent pas découvrir le prochain Ramuz ou la prochaine Ella Maillart. En revanche, elles considèrent que chacun doit pouvoir trouver son bonheur dans la lecture. Y compris dans des genres dédaignés par quelques intellectuels comme la fantasy, la romance ou le feel-good. Elles défendent le droit de lire pour se distraire, pour s’échapper d’un monde d’un « sérieux » déprimant. Et que la littérature, tant qu’elle transmet des émotions, reste de la littérature, quel que soit son genre même si, pour d’évidents motifs de marketing, on l’a divisée en catégories afin d’aider les lecteurs à choisir ce qu’ils sont sûrs d’apprécier. Pour Kadaline un succès populaire n’est pas un tabou. Ses objectifs : publier de jolies histoires qui abordent, en toile de fond, des problématiques actuelles. Faire passer aux lecteurs des messages qui peuvent être durs, par des auteurs qui ont des choses à dire, tout en goûtant des moments agréables. Amener à la lecture des personnes dont les livres ne font pas forcément partie du quotidien. Les inciter à lire un classique après l’avoir découvert dans une trame plus actuelle. Dans cet esprit les éditions Kadaline appellent régulièrement à la réécriture d’un classique. C’est ainsi que  sous la plume de Jess Swann, une romancière belge Orgueil et Préjugés, de Jane Austen, est devenu Amour, Orgueil & Préjugés.

Kadaline en trois livres :

David Labrava : l’autobiographie

Devenir un SON, de David Labrava, nous emmène sur une route caillouteuse que l’auteur connaît bien, et dont il a surmonté les obstacles jusqu’à parvenir à la reconnaissance internationale. David Labrava ayant fait partie d’un gang, Devenir un SON est un récit parfois sombre et violent qui s’étend sur plus de quarante ans jusqu’à la rédemption de l’artiste. Ancien membre du club de motards des Hells Angels d’Oakland, David Labrava a obtenu la renommée en incarnant le rôle de Happy dans la série Sons of Anarchy dont il a également été le conseiller technique. Toutefois, en expérimentateur de la vie, il est aussi mécanicien de Harley Davidson certifié, souffleur de verre, tatoueur, producteur, réalisateur et scénariste. Devenu bouddhiste et végane l’ex bad boy, né en 1962, s’est entièrement engagé dans la défense de la cause animale.

Littérature jeunesse

Marie-Christine Horn : une plume acérée pour s’imprégner de l’allemand

Marie-Christine Horn est connue pour ses polars noirs. Après le succès de son roman Le Cri du Lièvre qui traite de la maltraitance faite aux femmes, elle vient de publier Dans l’étang de feu et de soufre, aux éditions BSN press, un brillant polar dont toute la critique salue le suspense et l’originalité. Aux éditions Kadaline, c’est un livre  jeunesse bilingue que l’on trouve d’elle : La malédiction de la chanson à l’envers. Bien que ce soit une lecture totalement adaptée pour les enfants dès 8-9 ans, c’est un récit plein d’émotions rock’n’roll, loin des mièvreries souvent écrites pour les plus jeunes. La traduction en allemand en vis-à-vis permet aux enfants, comme aux adultes, d’apprendre une langue tout en lisant une littérature divertissante et de qualité.

Quatrième de couverture :

Lundi matin, Martin n’est pas venu en classe. Il a disparu ! Le même jour que le célèbre Trash Clash, le batteur du groupe de rock School Underworld… Les amis de Martin soupçonnent un lien entre ces deux disparitions mais aucun adulte ne veut les croire… Alors Ludovic, Nathan, Julien et Line vont devoir mener l’enquête seuls contre les ondes maléfiques de School Underworld.

Romance et feel-good

Amour, bikers et football

Sur la route, de Marilyn Stellini, est une romance feel-good qui se conjugue comme une série semi-feuilletonnante. Pour l’instant deux tranches sont parues : Si je tombe et Mon âme mise à nu. La suite est en cours d’écriture. Marilyn Stellini, qui est une fan de football – pour la même maison d’édition et toujours dans le style feel-good, elle a écrit Talons Aiguilles & Ballon Rond – connaît bien le milieu des bikers où se déroule ses petits livres dans lesquels on entre pour s’évader d’un quotidien triste et morne. Toutefois dans cette série, comme dans ses autres écrits, cette ancienne étudiante en psychologie qui a fini par effectuer des études éditoriales, aime s’adonner à la critique de société. Elle n’hésite pas à aborder des thèmes tels que le burn-out, le stress ou la dépression. Lorsqu’on lui demande pourquoi une femme, avec son niveau d’études, écrit des choses que d’aucuns soupçonnent d’être de la sous-littérature, sa réponse nous éclaire : pour maîtriser ses démons. Pour rétablir un équilibre avec son côté obscur en espérant que cela puisse également servir de catharsis à ses lectrices et lecteurs. Marilyn Stellini est l’auteure de plusieurs romans, historiques ou contemporains, ainsi que de diverses nouvelles parues dans des journaux ou collectifs. Femme engagée, elle est éditrice, fondatrice du Salon du Livre Romand qui se tient à Fribourg – à présent renommé TEXTURES – et présidente du Groupe des Auteurs Helvétiques de Littérature de genre (GAHeLiG).

Quatrièmes de couverture :

Si je tombe…

Emma et Eirik souffrent du même mal. Celui de la société, perfectionniste, axée sur la performance et la réussite… Et tous deux pourraient bien être broyés par le système.

Emma, l’étudiante trop assidue, et Eirik, le DJ-producteur superstar en train de laisser sa peau au capitalisme, prennent tous les deux la route 66, la célèbre route-mère des États-Unis, pour tenter de se retrouver.

Lorsque leurs chemins se croisent, ils prennent conscience que leur salut se trouve dans leur humanité étouffée : leurs failles, leurs faiblesses, leurs peurs et leurs passions. Se faisant le miroir l’un de l’autre, ils se révèlent à eux-mêmes et acceptent de nouveau cette vie qui, parfois douloureuse, peut aussi nous réserver le meilleur.

Mon âme mise à nu

« Elle n’en revint pas. Il avait traversé le désert pour la retrouver.

Elle le toisa, lui, si beau, lui, si arrogant, et eut deux certitudes : elle allait le mener en bateau, et elle allait aimer ça. »

Stéphanie voue une haine féroce aux bikers des Motorcycle Clubs, ces gangs de hors-la-loi en motos qui lui ont pris son frère. Alors, quand l’un deux se met martel en tête de la séduire, elle y voit l’occasion de prendre sa revanche.

Qui sera gagnant, qui sera perdant, dans ce jeu dangereux ?

 

Extraits de Sons of Anarchy avec David Labrava.

 

Marie Neuser : « Délicieuse » une jalousie dévorante à éprouver à la plage

Délicieuse : dans l’enfer d’une femme trahie

De toujours, les sempiternelles histoires de cocuages s’emparent des arts, aussi bien de la littérature que du théâtre, du cinéma, de la peinture et j’en passe… Un thème assaisonné à toutes les sauces : de la comédie à la tragédie, de l’innocence à la perversion. Un sujet repris par l’auteure de romans noirs Marie Neuser dans « Délicieuse ». Un récit qui, à sa parution, connut un joli succès. Je l’ai lu à ce moment-là. J’avais songé à en parler dans cet espace mais je m’étais abstenue. Pourquoi ? Parce que ce livre m’avait beaucoup agacée. Parce qu’il dépeint ce que je déteste et combat : la jalousie, la possessivité, la vengeance. Parce que même si son héros est une héroïne, si on le lisait au masculin, il représenterait l’une des choses qui m’horripile le plus dans le patriarcat : considérer que l’autre nous appartient. Certes, quand le père de son fils lui annonce, après vingt ans de vie de couple, qu’il est amoureux d’une autre femme, plus jeune, plus fraîche, plus rigolote, en un mot plus délicieuse qu’elle, le trouble de Martha est typiquement féminin. Après avoir donné vingt ans de sa vie et un enfant à cet homme, il lui reproche d’être fade et fatiguée. Un coup de massue qui l’oblige à ne plus voir d’elle et de sa vie que l’image vieillissante, que le corps avachi et la monotone routine du couple dont Raph est aussi largement responsable. Une responsabilité qu’il n’assume pas, évidemment. Suite au choc causé par cette nouvelle, Martha tente de régater avec la belle jeunesse de l’amante ; met tout en œuvre pour récupérer « son homme ». Peine perdue.

Obsédée par cet abandon, rongée par le dépit, elle s’enferme dans son courroux et utilise tous les moyens à sa disposition pour échafauder sa vengeance : faux profil sur Internet, filature, se lier d’amitié avec sa rivale. Tout cela en ressassant ses sentiments sur presque 500 longues pages qui parfois donnent envie de lâcher le livre. Mais on continue de le lire. Ne serait-ce que parce que le plus sage d’entre nous a, un jour, éprouvé les ravages de la jalousie. De plus, dans mon cas, parce que dès les premières lignes j’en ai deviné la fin. Or, j’avais envie de savoir comment Martha en arriverait à cet extrême. D’autant qu’elle est psychologue dans des prisons ou elle rend visite à de grands criminels, et qu’il m’est difficile d’admettre qu’une personne supposée avoir travaillé un minimum sur elle-même et dont le métier consiste à connaître un tantinet les mécanismes de l’être humain, se laisse emporter par des sentiments aussi primaires et banals.

Cependant, je ne déconseillerai pas la lecture de Délicieuse. C’est un pavé idéal à emmener à la plage. Un livre qui décortique par le menu toutes les pensées, les angoisses, les tristesses et les rages engendrées par la jalousie. En particulier, celles qui peuvent mener une femme à commettre le pire.

Délicieuse de Marie Neuser : extrait

Marie Neuser : biographie

Née en 1970 à Marseille, Marie Neuser est enseignante dans les lycées les plus problématiques de cette ville. Pour écrire, elle préfère les terrasses des cafés plutôt que son chez elle. Son premier roman, Je tue les enfants français dans les jardins (L’Écailler, 2011), s’inspire de son expérience de professeure de collège et a été nominé pour plusieurs prix (Grand Prix de la Littérature Policière, 2012 ; prix SNCF du Polar, 2012). Un petit jouet mécanique (L’Écailler, 2012) a été récompensé par le Prix littéraire des lycéens et apprentis de la région PACA, et par celui de Corse en 2014. Elle a collaboré au recueil de nouvelles Marseille Noir (Asphalte, 2014). Prendre Lily (2015), Prendre Gloria (2016) et Délicieuse (2018) tous les trois parus chez Fleuve Éditions, ont reçu un bel accueil à la fois public et critique. Tous ses ouvrages sont repris chez Pocket dont Délicieuse.

 

Sources :

  • Délicieuse, Marie Neuser, Fleuve Noir Éditions, ou en poche chez Pocket.
  • Lisez, le site d’actualité des maisons d’édition du Groupe Editis

Jacques Prévert : poète, scénariste et plasticien surréaliste

Choses et autres : en toute liberté

« Ce Jacques Prévert, voilà qu’il devient doucement, mégot après mégot, un classique de la littérature française, de la poésie universelle » écrivait Gérard Guillot, dans le journal Le Monde, à la parution du dernier recueil publié du vivant du poète. L’un de ses livres les plus surprenants, où il osait son seul texte autobiographique tout en se livrant à des expérimentations audacieuses et en renouvelant son style avec une étonnante liberté.

Ainsi commence Choses et autres :

 « 1906, Neuilly-sur-Seine.

Souvent, au Bois, un cerf traversait une allée. Un peu partout, les gens mangeaient, buvaient, prenaient le café. Un ivrogne passait et hurlait : «Dépêchez-vous ! Mangez sur l’herbe, un jour ou l’autre, l’herbe mangera sur vous !» »

Jacques Prévert : un anticlérical convaincu

A Pâques, je me suis penchée sur l’ouvrage du diacre Jean-Marc Leresche. Afin d’équilibrer les tendances, à l’Ascension j’ai eu envie de publier un poème de l’impertinent anticlérical qu’était Jacques Prévert.

Jacques Prévert : un poète qui s’adonnait à tous les arts

Redécouvert dans ma bibliothèque, Choses et autres est paru en grand format en 1972.

Mon exemplaire de poche est daté de 1976, soit un an avant le décès du poète. La couverture est illustrée par un collage de Jacques Prévert lui-même. L’actuelle première de Folio Gallimard, que l’on peut voir en haut de cette page, est également l’un de ses collages.

L’édition Folio de 1976.

Le grand public a découvert Jacques Prévert à travers ses poèmes, ses scénarios et ses dialogues pour le cinéma. Il le connaît moins pour son talent d’artiste plasticien et pour ses œuvres surréalistes aussi poétiques qu’étonnantes. En effet, vers le milieu des années 1940, encouragé par Joan Miró et Pablo Picasso, suite à un accident qui l’oblige à garder le lit, il se passionne pour la pratique du collage. « Jacques s’exprime de plus en plus par les collages, comme il a fait par les poèmes. Mais je pense que ces collages, au fond, sont des poèmes », disait son éditeur, René Bertelé. « Et d’autre part, il se rend compte maintenant que certains de ses poèmes sont en quelque sorte des collages de mots, si on veut. » Dans le film sans paroles de Bruno Pollacci, vous pourrez découvrir son travail de plasticien.

 

En janvier 2019, j’avais déjà présenté ce poète dans cet espace. Pour vous rendre à l’article qui vous permettra d’accéder à davantage d’informations sur Jacques Prévert, cliquez ici.

 

Sources :

  • Choses et autres, Jacques Prévert, Collection Folio Gallimard
  • Fondation Michalski
  • Matière et Révolution

Jean-Pierre Rochat : « Roman de gares » arrêts sur instants douloureux ou amoureux

Roman de gares : le goût de l’amour

A présent, il m’est rare de retrouver les émois amoureux éprouvés durant mon enfance ou adolescence envers les héros ou héroïnes d’un livre. Avec une agréable surprise, j’ai goûté à cette délicieuse sensation en lisant le dernier ouvrage de Jean-Pierre Rochat. Roman de gares vient de paraître aux Editions d’Autre Part. A travers sa prose, l’écrivain a su m’instiller l’amour et le désir qu’il ressent pour les deux femmes qui le sauvent du désespoir. A l’inverse, j’ai également pu plonger dans le sensuel penchant amoureux qui attire ces femmes vers Dèdè, un homme d’une si grande sensibilité qu’il sait nous tenir sous son charme. Au cours de ses pérégrinations, Jean-Pierre Rochat, qui se confond avec le personnage de Dèdè, – avec des accents graves pour que cela signifie grand-père en turc – nous fera également découvrir la manière dont il écrit ses romans ainsi que les poètes et les écrivains qu’il aime : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Marcel Aymé

 

Roman de gares de Jean-Pierre Rochat : l’histoire

Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. De nos jours les campagnes se sont repliées sur elles-mêmes. A peine si on les laisse, son âne et lui, malgré une température peu clémente, s’installer sous le toit d’une remise. Ces mœurs, nouvelles et hostiles, n’améliorent guère la mélancolie et les idées suicidaires qui le rongent depuis qu’il a été contraint de se séparer de tout ce qu’il aimait : son coin de terre, ses vieux murs, ses animaux, ses livres… Il rêvait d’accueils chaleureux, d’échanges humains et de partage, il ne trouve que des visages fermés et des battants clos. Quitter cette existence, qui peu à peu anéantit ses idéaux et lui refuse tout ce qu’il aime de la vie, le hante. Tout lui est-il vraiment refusé ? Non pas tout. Deux femmes traverseront sa route. La première, une personne mariée à un homme puissant avec qui elle s’ennuie, vénère son talent d’écrivain. Elle lui offrira admiration, échanges intellectuels, luxe et volupté. La seconde, une ouvrière qui travaille dans une boulangerie industrielle, lui apportera joie et fraîcheur, une manière d’appréhender la vie au jour le jour, de croquer l’instant sans penser au lendemain. Avec Roman de Gares, Jean-Pierre Rochat nous emmène dans le passé de Dèdè, dans la nostalgie du partage traditionnel qui se pratiquait dans les milieux ruraux ainsi que dans les idéaux de mai 1968 qui ont marqué sa jeunesse. Bercé par ses illusions, la découverte des campagnes du XXIème siècle s’avérera amère. Par bonheur, l’amour et le sexe sauveront Dèdè d’une mort à laquelle il songe trop souvent.

 

Roman de gares de Jean-Pierre Rochat : extraits

« Ce serait facile de me déclarer dépressif en plus de SDF, les SDF sont tous un peu dépressifs. Et toi qui avouerais à ton mari suffisant : je fréquente et fricote avec un SDF, quelle plaisanterie ! Serait-ce par esprit de provocation, ou par mansuétude ? Je sais bien que non, nous partageons un rêve commun, trois bouts de ficelle. Le bus n° 8 traverse la banlieue, avec à son bord des femmes et des hommes qui montent ou descendent à chaque arrêt, une poussette, un déambulateur, une cuite carabinée, un sac à commissions, une cigarette en attente de l’air libre pour se faire allumer ; je me dis merde, c’est ça la vie ?  La banlieue passée, le cimetière dépassé, les premières fermes exploitées et quelques villas hors zone, construites à l’aide de dérogations obtenues en haut lieu, au-dessus des lois et de la population ordinaire.

Aujourd’hui est un jour de l’année où tous sont à la fête, sans exception autre que nous deux, tu me reçois chez toi en vitesse – faudrait pas qu’on se fasse prendre sur le vif, on serait pendus sur la place publique. Tu m’appelles du fond du pâturage, je te sens venir au galop, crinière au vent, nous nous poursuivons pour mieux nous rejoindre ; je gravis ton mont de Vénus et te caresse, là où le plaisir voile ton regard en te faisant soupirer d’aise ; j’embrasse ton nez, ta bouche, ton nez, ta bouche… à l’infini. Recommençons, c’est tellement bon une femme satisfaite et souriante étendue sur le dos, pendant qu’à ses côtés j’essaie de reprendre mon souffle, avant de repartir pour un tour d’honneur.

Nous sommes nus, après nous être ébattus inlassablement d’orgasme en orgasme, comme si j’étais un jeune étalon bien avoiné et toi une jument en pleine chaleur.

Il y a un quart d’heure de marche jusqu’à l’arrêt terminus du bus n° 8 menant à la gare. J’étais à nouveau rattrapé, récupéré, envahi par le spleen : pas celui de Paris, en Suisse nous avons aussi des spleens bien de chez nous, parfois même un dégoût de la vie, de nos forêts sombres et nos ciels gris, nos fleurs du mal ou notre saison en enfer. A la gare, une grande partie des passagers descend du bus pour prendre le train. J’aimerais être plus optimiste, les sanglots longs c’est trop con, je viens de prendre mon pied, un super pied de tous les tonnerres de Dieu, alors je ne vais pas recommencer à pleurnicher, même si ma turne est merdique et mes bouquins stockés dans des cartons au fond d’un garage bordélique. »

Jean-Pierre Rochat : biographie

L’écrivain paysan J.P Rochat. ©Gérard_Benoit_à_la_Guillaume

Jean-Pierre Rochat vit à Bienne dès l’âge de sept ans. Après un court passage en maison de correction, qu’il évoque dans Roman de gares, il devient berger : à l’alpage en été et comme journalier en plaine l’hiver. De 1974 à 2019 il exploite, avec sa famille, un domaine au sommet de la montagne de Vauffelin, et devient un éleveur réputé de chevaux Franches-Montagnes. Il commence à écrire vers la fin des années 1970. En 2012, L’Écrivain suisse allemand lui vaut le prix Michel-Dentan. En 2019, le prix du roman des Romands lui est décerné pour Petite Brume. Ce livre raconte l’histoire d’un paysan qui vit un drame en devant vendre sa ferme, son bétail et sa jument, baptisée Petite Brume.

Vous pouvez lire la chronique de Jean-Marie Félix / RTS – Culture et écouter son entretien avec Jean-Pierre Rochat en cliquant ici.

 

Sources :

  • Roman de gares de Jean-Pierre Rochat, éditions D’Autre Part
  • Wikipédia

 

Littérature : expérimenter pour éviter l’ankylose du style

Écrire : cette “inspiration” à travailler

A l’instar des danseuses qui chaque jour font leur barre, j’écris, tous les jours, avec ou sans envie, que l’inspiration me taquine le crayon ou qu’elle se soit terrée dans un lieu connu d’elle seule. Remarquez: je considère le mot INSPIRATION un tantinet surfait. Quand je donne des conférences, l’on me demande, souvent, si j’écris uniquement lorsque je suis inspirée. Pour ma part, je suis persuadée que l’inspiration n’existe pas. Ou peu. A la base il y a une idée. Une démangeaison. L’irrésistible envie d’exprimer quelque chose par écrit. De me plonger, de me perdre, de m’égarer et de me retrouver en littérature. Mais seul le travail et la persévérance me permettent d’approcher au plus près du résultat que je souhaite obtenir. S’il me fallait attendre “l’inspiration” je n’écrirais jamais. Toutefois, il est évident que les personnes qui écrivons aimons écrire. Mieux – ou pire : parfois l’écriture s’impose comme… un TOC. Une condition à notre survie qui ne nous laisse pas le choix. Nous DEVONS écrire comme il nous faut manger ou respirer pour vivre. Parfois l’on voudrait se passer de manger, mais c’est impossible de vivre sans manger. Ainsi en est-il pour la littérature. Cela ne signifie pas  que cette impératif d’écriture ou qu’une barre littéraire manquent “d’inspiration”. Une danseuse exécute toujours – souvent – les mêmes enchaînements lorsqu’elle s’échauffe. Ce n’est pas mon cas en écriture. Je me sens libre de me laisser aller au plaisir d’une certaine transe. D’essayer des choses nouvelles – pour moi. J’aime être saisie par la curiosité d’expérimenter d’autres formes d’expression écrites que celles que vous lisez dans ce blog ou que vous pouvez découvrir dans mes récits. Cela m’évite de m’ankyloser dans un unique style littéraire. Quand la magie- ou l’inspiration, allez savoir- s’en mêle, il arrive que le résultat me plaise, comme ci-dessous:

 

Rouge pivoine (courte prose rythmée)

 

TRANScender ( écriture automatique expérimentale)

 

Je reviendrai jeudi prochain vous présenter le dernier numéro de la revue littéraire La Cinquième Saison, entièrement consacré à la poésie, ainsi qu’un jeune poète romand.

Ensuite, ce blog fera une longue pause estivale.

A lire ou à relire : « Nouvelles histoires extraordinaires » d’Edgar Allan Poe

Le Masque de la Mort Rouge : récit parfait pour un déconfinement

Parfois, il est agréable de relire un livre dix, vingt ou quarante ans après une première lecture. Certaines expériences personnelles et d’autres ouvrages permettent aux textes de révéler des sens que nous n’avions pas perçus la première fois. Si vous fouillez dans votre bibliothèque, peut-être y trouverez-vous Nouvelles histoires extraordinaires d’Edgar Allan Poe, considéré comme le père du polar. Durant cette aventure Covid-19, j’ai relu cet écrivain, l’un de mes amours littéraires de jeunesse, l’un de mes pères en littérature. Je me suis penchée spécifiquement sur ce livre, car je me souvenais vaguement du Masque de la Mort Rouge, l’une des nouvelles qu’il contient. A l’adolescence, elle ne m’avait pas vraiment interpellée. J’avais un faible pour Le Puits et le Pendule et une admiration horrifiée pour Le Chat Noir et La Chute de La Maison Usher. Toutefois, durant ce confinement, j’ai redécouvert ce récit qui rappelle que nous ne pouvons pas ignorer la maladie, nous comporter comme si elle n’existait pas. Sinon, elle risque de nous rattraper. En cette première semaine de retour « à la presque normale » et à l’excitation joyeuse, peut-être un peu imprudente, qu’elle nous procure, elle prend un sens très singulier et pertinent.

 

Le Masque de la Mort Rouge : résumé

Cette nouvelle se situe dans une région imaginaire ravagée par la Mort Rouge, une maladie plus terrifiante que la peste. Entre la contamination et la mort, il ne se passe qu’une demie heure. Les malades sentent soudainement des douleurs aigües, un vertige, puis ils suintent du sang par les pores, jusqu’à la dissolution de leur corps. Quand ses domaines sont à moitié dépeuplés par la meurtrière contagion, le prince Prospero, un intrépide fêtard, convoque un millier d’amis, choisis parmi les chevaliers et les dames de sa cour, de vigoureux joyeux lurons en bonne santé. Avec eux, il s’enferme dans l’une de ses abbayes fortifiées. Tout est organisé pour qu’ils puissent être ravitaillés sans être contaminés, sans avoir à se soucier ni de la Mort Rouge, ni du désespoir et de la dévastation qu’elle provoque à l’extérieur. Au bout de cinq à six mois de fêtes permanentes, le prince décide d’organiser un grand bal masqué qui s’étend sur les sept salons de l’abbaye. Toutes les salles respirent la joie, hormis la dernière dans laquelle quasiment personne ne s’aventure. Couverte de tentures noires, le prince y a fait installer une horloge qui sonne toutes les heures avec une telle énergie qu’on l’entend dans toute la fortification. Au son du carillon, musiciens et danseurs sont obligés de s’arrêter, le geste suspendu, ce qui met tout le monde mal à l’aise. Les coups de minuit sont si longs et sinistres que la peur tétanise les participants. C’est alors que le prince remarque, parmi les convives, un costume de très mauvais goût. Barbouillé de sang, le masque représente un cadavre raidi par la Mort Rouge. Couteau à la main et talonné par ses invités, le prince Prospero s’élance avec bravoure à la poursuite de l’importun qui, ainsi déguisé, prétend se moquer de lui. Arrivé dans la salle de l’horloge, l’inconnu se retourne et fait face aux personnes qui le suivent. Une seconde après, le prince s’écroule brusquement sur le tapis terrassé par la mort. Un par un, tous les convives commencent à tomber dans toutes les salles de l’orgie qui s’inondent de sang. La Mort Rouge s’est invitée au bal alors que personne ne l’attendait.

 

Baudelaire fasciné par Poe

La première fois que Baudelaire ouvre un livre de Poe, il est la fois épouvanté et fasciné. Vingt ans avant lui, l’américain avait écrit ce qu’il aurait voulu écrire. Cependant, bien qu’il l’ait traduit, Baudelaire n’est jamais allé dans le courant de Poe. Le poète français s’est très peu adonné à la prose. Ses poèmes n’ont pas grand-chose en commun avec ceux de l’auteur du Corbeau. Toutefois, les deux ont eu des vies cataclysmiques. Extrêmement persécutés, tous deux ont été et malmenés par le destin. Ces similitudes ont probablement rapproché le Parisien des écrits du Bostonnais, et contribué à l’admiration qu’il éprouvait pour lui.

En 1856, dans la préface de la première publication, en France, des Histoires Extraordinaires, Charles Baudelaire fait un portrait d’Edgar Allan Poe. Extrait :

« Il y a, dans l’histoire littéraire, des destinées analogues, de vraies damnations, – des hommes qui portent le mot guignon écrit en caractères mystérieux dans les plis sinueux de leur front. L’Ange aveugle de l’expiation s’est emparé d’eux et les fouette à tour de bras pour l’édification des autres. En vain leur vie montre-t-elle des talents, des vertus, de la grâce ; la Société a pour eux un anathème spécial, et accuse en eux les infirmités que sa persécution leur a données. – Que ne fit pas Hoffmann pour désarmer la destinée, et que n’entreprit pas Balzac pour conjurer la fortune ? – Existe-t-il donc une Providence diabolique qui prépare le malheur dès le berceau, – qui jette avec préméditation des natures spirituelles et angéliques dans des milieux hostiles, comme des martyrs dans les cirques ? Y a-t-il donc des âmes sacrées, vouées à l’autel, condamnées à marcher à la mort et à la gloire à travers leurs propres ruines ? Le cauchemar des Ténèbres assiègera-t-il éternellement ces âmes de choix ? Vainement elles se débattent, vainement elles se ferment au monde, à ses prévoyances, à ses ruses ; elles perfectionneront la prudence, boucheront toutes les issues, matelasseront les fenêtres contre les projectiles du hasard ; mais le Diable entrera par la serrure ; une perfection sera le défaut de leur cuirasse, et une qualité superlative le germe de leur damnation. »

 

Edgar Allan Poe : poursuivi par La Camarde

Edgar Allan Poe était hanté par la mort. Depuis son enfance, les cadavres s’accumulent autour de lui. Alors qu’il a deux ans et demi ou trois ans, le décès de sa mère tuberculeuse le marque pour toujours. Par la suite, la tuberculose ou l’alcoolisme emportera tout ceux qu’il aime.

 

Edgar Allan Poe : une enfance et une jeunesse déchirées

Sa mère, Elizabeth Arnold, née en Angleterre d’une dynastie d’acteurs, arrive vers l’âge de 9 ans aux États-Unis. Excellente danseuse, chanteuse, comédienne, elle a un superbe répertoire. Elle sait jouer tous les rôles. Très vite, elle devient la mascotte de l’Amérique. A 11 ans, elle perd sa mère. A 15 ans, elle se marie. A 18 ans, elle devient veuve. Eliza rencontre ensuite le père d’Edgar, David Poe, que les critiques, qui le détestent, appellent « face de muffin » car il n’a, semble-t-il, aucun talent. Ce jeune fils de famille a fui les siens et abandonné les études de droit. Il monte sur les planches pour plaire à Elizabeth, mais donne la réplique sans nulle inspiration. De plus, comme de nos jours, la vie de comédien est difficile. Eliza et David manquent continuellement de moyens financiers. A l’âge de 24 ans, totalement alcoolique, David part sur les routes chercher de l’argent et s’évapore dans la nature. A ce moment-là, Edgar a deux ans et demi, un grand frère, William Henry Léonard, appelé Henry. Rosalie, la petite sœur, voit le jour quelques mois après le départ de leur père.

Né dans un théâtre de Boston le 19 janvier 1809, Edgar fera un mythe de sa mère comédienne. Sa mort prématurée, et son regard immense et dévorant, le poursuivront son existence durant. La tuberculose est une maladie spectaculaire. Les gens deviennent émaciés, avec des joues très rouges et de grands yeux brillants. L’image du regard, des yeux, traversera toute son œuvre. Dans ses récits, les personnages féminins sont à la fois éthérés et macabres.

A partir du décès de sa mère, en 1811, Edgar ne connaît que des abandons. A la mort de celle-ci, on sépare la fratrie. John Allan, un commerçant de denrées coloniales, recueille le garçonnet, mais le traite comme un chien qu’il aurait offert à sa femme pour la consoler de ne pas avoir d’enfant. Elle est probablement stérile puisque John a des descendants illégitimes. Les relations entre Edgar et John Allan sont difficiles. Très vite, Edgar, qui a besoin d’un regard constant sur lui, décide que le monde sera sa scène et devient un mystificateur, ce qui détériore ses relations avec son beau-père.

Ses études sont difficiles. Il peine à s’intégrer aux autres. La période de l’université s’avère un calvaire. Fréquentée par des jeunes hommes aristocratiques, riches, despotiques et turbulents, Edgar, pauvre et rêveur, n’y trouve pas sa place. D’autant, que les étudiants habitués au pouvoir, se permettent tout et n’importe quoi. Poe est terrifié par une scène où, lors d’une bagarre, l’un des étudiants arrache, à un homme, un morceau de chair gros comme la main. Ses études se passent mal.

A la mort de son épouse, John Allan, son beau-père, se remarie et ne veut plus rien savoir d’Edgar.

 

Edgar Allan Poe: une vie tumultueuse et sulfureuse

Sa tante Maria Clemm, le reçoit en 1829, à Baltimore, après sa dispute avec John Allan. Maria Clemm est la plus jeune sœur de son père. Bien que cette mère de huit enfants ait une vie malheureuse, elle l’accueille avec joie, ce qui permet à Edgar de retrouver son grand frère Henry. Quand Maria Clemm ouvre ses portes à l’écrivain, il ne lui reste que Virginia la petite dernière de 9 ans. Pour la première fois, le poète goûte à la vie de famille. Pour remercier sa tante, il devient le précepteur de Virginia. Mais, en retrouvant son frère, qui est complétement alcoolique, il rencontre l’éthylisme. Auparavant, il n’avait pas eu l’occasion de boire. Mais ce frère qui a une vie très mondaine et qui l’introduit dans tous les salons, l’entraîne dans la boisson. Edgar admire Henry, un talentueux conteur qui mène une existence fantastique et fait des choses extraordinaires. Dans cette fraternité retrouvée, Edgar se reconstruit. Cette vie est merveilleuse pour lui. Son frère l’amuse, Maria Clemm s’occupe de l’intendance et, lui transmet son savoir à Virginia. Par la suite, sa relation avec la fillette deviendra une clé importante de son écriture.

A Baltimore, Poe entre dans le journalisme en tant que critique et correcteur. Excellent journaliste, il donne à connaître la littérature européenne aux États-Unis. Malgré ses périodes d’alcoolisme, on l’engage dans les journaux car, en avance sur son temps, il a  compris l’importance du marketing. Sa plume tranchante scalpe ses victimes. Acharné, il ne s’arrête que lorsque le sang coule. On dit que ses critiques sont écrites «au tomahawk» ce qui lui vaut le surnom de L’Indien. Ses « assassinats » journalistiques augmentent tellement les tirages, que lorsque Poe estime que la polémique tarde, il intervient sous divers pseudonymes, n’hésitant pas à se contredire lui-même pour mettre de l’huile sur le feu.

Poe et son frère écrivent des contes ensemble. Ils se sont fabriqués un avatar de leurs deux noms cryptés : Edgar Léonard. Quand son frère meurt en 1831, Poe est bouleversé. C’est alors qu’il écrit son premier conte. Sa production devient alors très riche et diverse. Il produira notamment un essai, Eurêka, qui préfigure le Big Bang qui ne sera découvert qu’un siècle plus tard.

Edgar se marie avec Virginia alors qu’elle n’a que 13 ans. Les biographes prétendent que ce mariage n’a jamais été consommé. Il aurait épousé sa cousine, en falsifiant des papiers officiels, pour qu’elle échappe à un autre cousin à qui elle aurait dû être confiée pour parfaire son éducation. De Virginia, il a surtout besoin de l’admiration et du regard – encore et toujours les yeux qui le poursuivent. De plus, il adore jouer à Pygmalion. Toutefois, le poète plait beaucoup aux femmes et, pour son bonheur – ou son malheur -, compte énormément d’aventures en dehors de son mariage. Virginia meurt de la tuberculose à 24 ans, l’âge auxquels meurent ses proches en général. Ce décès l’accable.

Poe est un cérébral avec une lucidité implacable que l’on ne retrouve qu’à travers la littérature. Sa réalité est le lieu de ses désastres. Le lieu où il perd la face, où il est abandonné. Mais il se répare à travers l’écriture.

Très populaire, il fait beaucoup parler de lui. Les journaux sont toujours pleins de ses hauts-faits et scandales. Cependant, en 1845, la publication du Corbeau, son écrit le plus connu, lui apporte enfin une vraie gloire. En apparaissant partout, le corbeau est sujet à une sorte de marchandising. Actuellement, on en aurait fait des t-shirts et des figurines. D’ailleurs, de nos jours, l’on trouve des t-shirt imprimés qui rappellent ce poème. Mais déjà, à l’époque, à New-York, tout est corvusé. Même la silhouette de l’auteur se voit transformée en corbeau, ce qui en rajoute à sa sulfureuse réputation.

Certes, la vie de Poe a été marquée par l’alcoolisme, mais beaucoup moins que le mythe ne le prétend. Cette réputation d’ivrogne invétéré lui aurait été faite par ses détracteurs. L’on sait à présent, de source sûre, qu’il avait de longues périodes d’abstinence. L’étude de la calligraphie de ses manuscrits, prouve qu’il écrivait en étant sobre. En revanche, il souffrait probablement de maladies nerveuses et cérébrales induites par les traumas subis durant son enfance et au long de sa vie. Ce que l’on appellerait, aujourd’hui, des troubles de la personnalité. En effet, Poe a traversé des périodes de deuils effroyables et d’épuisants moments de pauvreté. A tel point qu’il se déplaçait couramment à pied, sur de longues distances, par exemple de Richmond à Washington -200 km- pour livrer ses textes. Souvent, sa tante Maria Clemm mendiait, entre autres, chez les éditeurs et directeurs de journaux pour que sa fille et son gendre puissent survivre.

Sa mort est entourée de mystère. A la fin de sa vie, il n’a que quarante ans. Ayant tout perdu, sans ressources, il descend de New-York vers le sud. Il s’arrête à Philadelphie. La ville est complètement ravagée par le choléra. Ce séjour s’avérera affreux pour lui. Finalement, le 27 septembre 1849, il prend le vapeur. On le retrouve le 3 octobre, à Baltimore, complètement hagard et dépenaillé. On l’interne dans le service des alcooliques de l’hôpital. Après avoir déliré durant plusieurs jours, il meurt le 7 octobre 1849.

La théorie la plus largement admise est qu’il aurait été victime de la corruption et de la violence qui sévissaient lors des élections. La ville était alors en pleine campagne électorale. Des agents des deux camps parcouraient les rues, d’un bureau de vote à l’autre, faisant boire aux naïfs un mélange d’alcool et de narcotiques afin de les traîner, abrutis par le détonant cocktail, au bureau de vote. Pour parfaire le stratagème, on changeait la tenue de la victime, qui pouvait également être battue. Edgar Poe, qui souffrait d’une maladie de cœur, n’aurait pas résisté à un tel traitement.

 

Sources :

– France Culture : La compagnie des oeuvres, avec Isabelle Viéville Degeorges et Marie Bonaparte.

– Nouvelles Histoires Extraordinaires, Edgar Allan Poe, préface de Tzevtan Todorv, notes de Charles Baudelaire, Éditions Folio Gallimard.

– Edgar Allan Poe, Isabelle Viéville Degeorges, Editions Léo Scheer.

– Wikipédia.

 

 

Poème: le Roi absent

Intronisé par le désir et l’amour

La sagesse exige distance et modération. Ce en quoi le désir et l’amour, quand la passion s’en mêle, sont l’antithèse de la sagesse. D’autant que les premiers émois, à l’instar des amours contrariées, des amours impossibles ou des amours que la distance sépare, s’avèrent souvent d’une extraordinaire puissance évocatrice. Dans notre imaginaire dépouillé de raison, l’être aimé devient elfe, magicien, déesse, fée, aigle ou roi, posant ainsi les fondations des futures déceptions quand la réalité nous rattrape.

“Est-ce qu’on est maître de devenir ou de ne pas devenir amoureux ? Et quand on l’est, est-on maître d’agir comme si on ne l’était pas ?” demandait Diderot. J’ajouterai même: sommes-nous maîtres de nos chimères lorsque nous sommes amoureux?

J’ai écrit ce poème alors que des centaines de kilomètres me tenaient éloignée d’une personne qui éveillait ma passion. Amoureuse, je n’ai jamais su être sage, ni modérée, ni raisonnable. L’objet de mes sentiments devient forcément magnifique. Sublime. Transcendant. Unique et royal.

 

Emily Dickinson: le plus grand poète de langue anglaise surnommé “La Reine Recluse”

Emily Dickinson: excentrique et profonde

Très jeune, Emily Dickinson limite son horizon au jardin de la demeure familiale. Puis, un jour, elle s’enferme dans la maison et n’en sort plus. Elle regarde l’extérieur de la fenêtre du salon ou de sa chambre. Ses amitiés sont épistolaires. « Si tu ne parles à personne, tu accumules des pensées qui seront d’or et de lumière », écrit-elle à Austin, son frère aîné. Samuel Bowles, rédacteur en chef du Springfield Republican l’appelle« La Reine Recluse ». Perçue comme une excentrique par les amis de sa famille, Emily Dickinson, qui de son vivant refuse que ses poèmes soient publiés – elle en publie moins d’une douzaine –  est, de nos jours, considérée comme l’un des plus grands poètes de langue anglaise. Sensible, mystérieuse et profonde, son œuvre est célébrée comme l’une des plus grandes œuvres poétiques anglophones de tous les temps. Les poèmes suivants sont issus du recueil bilingue “56 poèmes” suivi de “Trois lettres” paru aux éditions Le Nouveau Commerce. Traduction de Simone Norman et Marcelle Fonfreide.

 

Emily Dickinson: une éducation calviniste et riguoureuse

Emily Dickinson naît le 10 décembre 1830 à Amherst, une ville du Massachussets fondée par ses ancêtres. Son père, membre du Congrès et trésorier de l’Amherst College, est un avocat cultivé, austère et pieux. Sa mère, froide et distante, la pousse à chercher de la tendresse auprès de son frère Austin. Elle étudie à l’Amherst Academy et au Mount Holyoke Women’s Seminary où elle reçoit une éducation calviniste rigide qui marquera sa personnalité.

Emily Dickinson: une poétesse quasi mystique

Très vite, Emily Dickinson s’isole, ne gardant le contact qu’avec quelques amis, comme l’écrivain Samuel Boswell avec qui elle entretient une longue correspondance. À l’âge de vingt-trois ans, Emily Dickinson est déjà consciente de sa vocation de poétesse quasi mystique. A trente ans, sa distance du monde est absolue, presque monastique. Retirée dans la maison de son père, elle se consacre aux occupations domestiques et gribouille sur des feuilles de papier, qu’elle cache dans les tiroirs, ses notes et vers qui, après sa mort, s’avèrent être l’une des plus remarquables réalisations poétiques de l’Amérique du XIXe siècle. Dans son isolement, elle ne s’habille qu’en blanc. “Mon choix blanc” selon ses propres termes, trait qui exprime l’éthique et la transparence de sa poésie.

L’une de ses biographes écrit au sujet de sa nature poétique : “C’était une spécialiste de la lumière. Son écriture peut être décrite comme le produit de la solitude, du retrait de toute forme de vie sociale, y compris celle relative à la publication de ses poèmes ». Jorge Luis Borges dira d’elle : “Pour autant que je sache, il n’y a pas de vie plus passionnée et solitaire que celle de cette femme. Elle a préféré rêver l’amour et peut-être l’imaginer plutôt que de le vivre”. En effet, certains de ses poèmes, et quelques lettres adressée à un homme qu’elle appelle « Maître » mais dont on ne connaît pas le nom, révèlent sa déception amoureuse ainsi que sa sublimation. Par la suite, elle transférera cet amour à Dieu.

Bouleversée par plusieurs deuils consécutifs, en automne 1884 Emily Dickinson s’évanouit en faisant la cuisine et reste malade durant de longues semaines. En novembre 1885 sa santé se péjore au point que son frère annule un voyage pour rester avec elle. Début mai 1886 son état s’aggrave. Elle meurt le 15 du même mois à l’âge de 55 ans. C’est sa sœur Lavinia qui fait publier ses poèmes en 1890.

 

Sources: France Culture, La Croix, Biografias y Vidas,  Wikipedia