Libraires, éditeurs et auteurs romands : les sacrifiés du confinement littéraire (1)

La sinistrose du milieu littéraire

Depuis début 2020 et mars 2021, considérées comme non-essentielles, les librairies suisses ont été fermées par deux fois. Toutes ont subi d’énormes pertes. Si cela s’est avéré difficile pour les libraires cela s’est révélé encore plus cruel pour les éditeurs. Actuellement, les librairies commencent à se « refaire » grâce à leur rayon « développement personnel » -pour celles qui vendent ces publications. Ces ouvrages, déjà fort prisés avant la pandémie, ont encore gagné en lecteurs grâce à elle. Ce n’est pas le cas des éditeurs romands. Beaucoup sont sur le point de glisser leur clé sous le paillasson. Financièrement, les auteurs avons peu perdu.  Pourquoi ? Parce qu’un bassin aussi réduit que la Suisse romande ne permet pas de vivre de l’écriture. Covid ou pas, la plupart d’entre nous n’entrons, ni n’entrerons jamais dans nos frais. Notre récompense est constituée du plaisir des lecteurs à se plonger dans nos livres, de nos rencontres avec eux et avec nos camarades de la littérature. L’écriture se nourrit de lectures, de prises de notes, de rencontres et de recherches diverses qui souvent demandent un investissement financier. Écrire un livre suppose des mois de travail, de longues heures de solitude devant une feuille de papier ou un ordinateur et souvent des frais que le quidam ne peut pas imaginer –repérages, déplacements, acquisition de livres, de matériel informatique, etc. D’où la sinistrose, voire la dépression, que les auteurs et autrices romands ayant sorti un livre durant 2020 et début 2021 se coltinent en ce moment. Ils se sentent frappés d’une double peine : au long travail jamais rémunéré à sa juste valeur, s’ajoute la détresse d’avoir passé des mois à écrire pour alimenter le pilon.

 

Lire local : soutenir les éditeurs et auteurs romands

Avec la fermeture des librairies, les annulations des salons et autres manifestations littéraires, les auteurs romands ayant sorti un livre durant ces confinements ont perdu des mois de travail. Personne n’était au rendez-vous : ni les librairies – qui ont fait au mieux de ce qu’elles pouvaient malgré les contraintes -, ni les salons littéraires, ni les lecteurs puisque les médias ne s’intéressent, souvent, qu’aux auteurs déjà plus que reconnus par le grand public. Certes, la commande de livres par Internet a bien fonctionné. Les libraires ont souvent pris des commandes par e-mail ou par téléphone et fait des envois postaux. Certains ont même livré à domicile. Hélas, ce mode de vente favorise surtout les GAFAM et une certaine littérature commerciale, généralement hexagonale ou nord-américaine. Les livres des auteurs suisses, publiés par des éditeurs romands, ne se vendent généralement qu’en librairie, conseillés par le ou la libraire. Si les points de vente de nos livres sont fermés, nos lecteurs ignorent leur existence. Mais il est encore temps pour lire local. C’est pourquoi je publie, ci-dessous, la liste des livres romands que j’ai présenté en 2020. En cliquant sur la référence, vous aurez directement accès à l’article complet.

Littérature romande : des lectures pour tous les goûts

Fondre, Marianne Brun, roman biographique, éd. BSN press : ce récit retrace la vie de l’athlète Samia Yusuf Omar qui avait représenté la Somalie aux JO de Pékin en 2008. Quatre en plus tard, elle disparaissait en Méditerranée en essayant de joindre l’Italie afin de poursuivre son rêve de médaille tout en échappant à un pays en guerre.

Mémoire des cellules, Marc Agron, roman, éd. L’Âge d’Homme : ce thriller psychologique, écrit avec une très belle plume, nous plonge dans le milieu de l’art contemporain tout en nous contant des histoires très humaines. Tellement humaines que l’auteur n’a pas hésité à transformer l’artiste uranaise Pamela Rosenkranz en personnage de fiction.

Touché par l’amour, tout Homme devient poète, collectif, poésies courtes, éd. Kadaline : livre poétique accessible à tous. L’ouvrage, pas plus grand qu’une main, contient des courts textes célébrant l’amour, écrits par trente-deux acteurs et actrices des lettres romandes, notamment Marc Voltenauer, Mélanie Chappuis, Nicolas Feuz, Abigail Seran ou Gilles de Montmollin. Il peut aisément aider à déclarer votre flamme à une personne aimée. Contrairement à ce que le titre peut laisser croire, beaucoup de textes ne sont pas genrés. Cela permet d’offrir ou de recevoir ce livre quelles que soient nos préférences amoureuses.

Le monde est ma ruelle, d’Olivier Sillig, courts textes de voyages, éd. de L’Aire : cet ouvrage nous emmène de Lausanne au Mexique en passant par l’Allemagne, l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Derrière son allure tranquille, ce romancier aux multiples casquettes passe sa vie à globe-trotter. Parcourir les rues et les places, regarder vivre les gens, photographier, s’imprégner des ambiances, prendre des notes, occupe une partie de son existence. Rédigées dans un style concis, presque lapidaire, il nous livre ces déambulations par flashs.

Les Aigrettes, Jean-Luc Fornelli, haïkus humoristiques, éd. du Roc : si le nom de ce trouvère ne vous semble pas familier, peut-être que Gossip, qui participait à l’émission La Soupe est Pleine de la RTS La 1ère, éveillera vos souvenirs. Il s’agit du même artiste,  « un poète givré même l’été » ainsi que l’annonce son ouvrage d’épigrammes et autres haïku(ku) suisses – tels qu’il les a baptisés. Fornelli nous propose de chopiner en sa compagnie avec une poésie tendre, comique, parfois ironique ou un tantinet grivoise.

Tu es la sœur que je choisis, collectif, nouvelles, éd. d’en Bas : cet ouvrage est l’aboutissement d’une initiative du quotidien indépendant Le Courrier. Le journal genevois a demandé à des écrivaines romandes un texte littéraire : une parole de femme, pas forcément militante sur le sujet des discriminations liées au sexe. Ces textes, d’une grande force littéraire et poétique, racontent des vies de femme sans tomber dans le militantisme. Un livre dont je conseille particulièrement la lecture aux hommes qui souvent, malgré eux, ignorent les problèmes spécifiques que les femmes doivent affronter.

L’Horizon et après, Bernadette Richard, illustrations de Catherine Aeschlimann, éd. Torticolis et Frères : cet ouvrage réunit des nouvelles inédites et des récits publiés dans divers livres collectifs, journaux et magazines : le journal Longines, Montres Passion, Hull et Erti Editeur à Paris, le site des Éditions Cousu Mouche… Des textes acides, visionnaires, glauques ou même érotiques. Un dessin de Catherine Aeschlimann illustre chaque nouvelle. Cela donne un côté précieux à ce livre accessible à toutes les bourses.

Je publierai la suite de cette liste la semaine prochaine. DM

Un livre 5 questions : « Le Monde est ma ruelle » d’Olivier Sillig

Le Monde est ma ruelle: instants d’évasion

Pour évader nos esprits hors des murs qui les confinent, « Le Monde est ma ruelle » d’Olivier Sillig, paru aux Editions de L’Aire, nous emmène de Lausanne au Mexique en passant par l’Allemagne, l’Afrique ou l’Amérique du Sud. Derrière son allure tranquille et débonnaire, ce romancier aux multiples casquettes – psychologue, informaticien, peintre, sculpteur, cinéaste – passe sa vie à globe-trotter, parfois même dans sa propre ville natale. Parcourir les rues et les places, regarder vivre les gens, photographier, s’imprégner des ambiances, prendre des notes, occupe une partie de son existence. Rédigées dans un style concis, presque lapidaire, dans son dernier ouvrage il nous livre ces déambulations par flashs. Pas de fioritures inutiles, ni de sentiments futiles. Les sentiments, c’est à nous de les ressentir au travers des mots qu’il jette sur ses cahiers. A nous de construire nos propres histoires à partir des courts moments captés, tel des instantanés. Trois cent soixante-huit chroniques nous emportent loin de notre quotidien, respirer l’air d’ici et d’ailleurs qui, actuellement, nous fait tellement défaut. Un dépaysement aux mille couleurs, parfums et saveurs.

Olivier Sillig s’exprime sur la quatrième de couverture

« Le Monde vu par le petit bout de la spirale. Géographiquement, du plus près au plus éloigné. Le point de départ de ma spirale, c’est donc la Suisse, le Canton de Vaud, Lausanne ma ville. J’y suis né. En gros, j’y ai toujours vécu. J’y mourrai sans doute, malgré des velléités périodiques : m’acheter une gare désaffectée au centre de la Sicile, m’installer dans une des vieilles bâtisses coloniales en bois vermoulu de l’Avenue Eduardo Mondaine à Beira Mozambique, terminer ma course dans une petite ville française du Gers pour autant qu’elle ait un bistrot, une bibliothèque publique et de bonnes liaisons ferroviaires. En attendant, au gré de la vie et des surprises qu’elle me réserve, je prends quelques notes dans un calepin que j’ai toujours à portée de main ».

Les calepins de l’écrivain Olivier Sillig.

Le Monde est ma ruelle : extraits

Afin de nous familiariser avec l’univers d’Olivier Sillig, j’ai choisi trois minis chroniques. Son ouvrage en compte également de plus longues, qui ressemblent davantage à de courtes nouvelles.

 

119. Marseille, 5 janvier 2010

Dans le bus, une fille est assise sur l’espace surélevé qui domine les roues avant du véhicule. Dépassant de son sac, un classeur arbore une étiquette troublante, écrite à la main, bien visible : « Copie du mensonge ». Peut-être une comédienne ?

165. Antananarivo, 3 avril 2008

Service social. Antananarivo, nuit. Deux cartons ondulés à plat sur le bitume. Sur le premier, une femme endormie. Sur le second, trois bébés alignés. S’agit-il d’une nichée de triplés ? Non, c’est une halte-garderie. Plus loin, sur d’autres trottoirs, les vraies mères rassurées font leur travail de belles de nuit.

 

307. Mexico, 2 octobre 2015

Parmi les démarcheurs ambulants, il y a les vendeurs d’électrocution. On met les deux index dans deux tubes et on se fait secouer. Cela ne sert absolument à rien, si ce n’est peut-être à prouver sa virilité quand le voltage augmente.

 

Le Monde est ma ruelle : interview d’Olivier Sillig

Qu’est-ce qui vous incite à voyager ?

Le hasard. Sur mon vélo professionnel et quotidien j’ai découvert l’écriture. Mes films m’ont fait découvrir l’Afrique. La traduction d’un livre, le Mexique. Une erreur de transcription, l’Afrique du Sud. Le hasard est un bon plan de carrière, un bon plan de vie.

Depuis quand voyagez-vous et quels sont vos souvenirs de voyage les plus marquants, qu’ils soient magnifiques ou sordides ?

A vélo ou à pieds surtout depuis mes 30 ans. Au-delà, depuis mes 45 ans.

Deux souvenirs pas évoqués ailleurs :

À l’âge de neuf ans, descendant en famille à la mer, à Florence, dans la rue de notre hôtel, dans un enfer de flammes, je suis tombé sur des souffleurs de verre qui soufflaient de simples bouteilles ou des fiasques à Chianti ; j’ai découvert alors que la vraie vie existait.

À 19 ans je suis parti faire un tour en stop en Allemagne, tout seul comme un grand. Sur le vapeur qui traversait le lac de Constance, anticipant, je me sentais tel DiCaprio s’embarquant sur le Titanic.

Un souvenir sordide ? Rien de ce qui est humain ne m’est sordide, sauf peut-être les armées, rarement croisées. Ainsi qu’un accident automobile, un amoncèlement de voitures à un carrefour de mon quartier à Johannesburg.

Sur quoi écrivez-vous, avec quoi et à quels moments ?

À Madagascar, j’ai déniché un calepin, genre Clairefontaine, au format idéal. Depuis je les confectionne aux dimensions qui me conviennent. J’en fais deux à partir d’un cahier A4, mais en format paysage afin d’avoir des lignes plus longues. Dedans, j’écris à la plume. Au bistrot, dans le bus, ou sur mes genoux. Quand c’est possible, j’en fais une saisie électronique le jour même ; j’écris si mal que je n’arrive souvent pas à me relire, mais j’ai la page, son format et son contenu désormais imprimés dans la tête.

En ce moment de Coronavirus êtes-vous confiné ?

Confiné ? En gros plus ou moins, plus ou moins discipliné. Mon côté zen-cynique-positif s’en trouve désarçonné. Autour du Coronavirus, plus ça avance moins je sais quoi penser, ce qui n’est pas dans mes habitudes.

La question que je pose à chaque auteur-e: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

Même si je l’ai à peine lu, Don Quichotte, pour les moulins à vent que nous partageons.

 

L’écrivain Olivier Sillig.

Biographie d’Olivier Sillig

Très brièvement psychologue, puis informaticien, puis peintre et sculpteur, cinéaste et écrivain, Olivier Sillig reste avant tout un romancier. A son actif : douze romans publiés, certains avec un joli succès et des traductions, des courts métrages qui ont fait le tour du monde, des interventions dans les arts plastiques, et du slam jusque dans les townships d’Afrique du Sud. Toujours en bordure de genre, ses romans vont de la science-fiction aux récits historiques, en passant par l’actualité, le fantastique, le kafkaïen, le roman policier et le livre pour enfants. Un éclectisme revendiqué avec des distinctions dans tous ces domaines, le tout porté par une inquiétude existentielle qui va, dit-il, s’amenuisant. Toutefois, pour en savoir plus sur cet artiste protéiforme, je vous invite à vous rendre sur son site : www.oliviersillig.ch

Acheter des livres durant le confinement

Si vous souhaitez lire durant votre confinement, vous pouvez vous procurer Le Monde est ma ruelle directement aux Éditions de L’Aire. Par ailleurs, beaucoup de librairies indépendantes livrent exceptionnellement à domicile.

 

Interview réalisée par Dunia Miralles