Editions BSN press : 10 ans de publications indépendantes (1)

BSN press : une Lausannoise née à Bangkok

Si vous êtes passé par Lausanne ce mois-ci, vous avez peut-être remarqué la vitrine que la librairie Payot a consacré à des petits livres qui exhibent deux marges blanches en première de couverture. Cet appel visuel est l’une des signatures de BSN press. L’étrange acronyme de cette maison d’éditions provient d’une entreprise d’informatique que Giuseppe Merrone, son fondateur, avait monté en Asie avec un collègue. Un négoce qui comprenait déjà un volet éditorial : les livres numériques. Signification de BSN: Bangkok Services Network. L’entreprise asiatique a disparu mais Giuseppe Merrone a gardé ce nom qui possédait déjà des connexions. Un réseau dont a pu bénéficier la maison d’édition lausannoise qui fête ses 10 ans cette année.

 

Indépendante et d’une structure minimaliste, elle a réussi en une décennie à s’attirer les meilleurs claviers que compte la Romandie. Dans ses parutions, notamment dans la collection Uppercut dont le fil rouge est le sport, on y lit des écrivaines et écrivains venus de tout l’horizon littéraire de Suisse romande. Par exemple, et de manière non exhaustive : Antonio Albanese, Claire Genoux, Edmond Vullioud, Mélanie Chappuis, Florian Eglin, Lolvé Tillmanns, Laure Mi Hyung Croset, Joseph Incardona, Sabine Dormond, Olivier Chapuis, Marie-Christine Horn, Abigail Seran, Gilles de Montmollin, Florence Grivel, Julien Burri, Pierre Fankhauser, Marie-Josée Imsand, Louise Anne Bouchard, Nicolas Verdan, Jean-Luc Fornelli ou la regrettée Ariane Ferrier. Un joli bouquet de plumes dont peut s’enorgueillir Giuseppe Merrone, qui édite non seulement des romans de littérature blanche ou noire – qui portent toujours à la réflexion -, mais également de la poésie ou de la prose poétique comme celle de Lucas Moreno avec Le Cracheur de crayons, du théâtre, des nouvelles. Dans ses collections l’on trouve aussi des publications universitaires : la revue A Contrario, qui sort deux fois l’an, consacrée aux contributions de chercheuses et chercheurs qui développent une approche interdisciplinaire en sciences sociales, et A Contrario Campus. Entre rigueur scientifique et transgression disciplinaire, cette dernière réserve une place particulière, mais non exclusive, aux travaux éclairant les liens entre sciences sociales et littérature, ainsi qu’aux études sur les sociétés non occidentales. Toutefois Giuseppe Merrone, qui est à la fois le directeur et le seul employé de BSN press, ne manque pas d’idées. En ce moment, il prépare la collection Sapentia qui se destine aux essais littéraires ou scientifiques. Ces ouvrages aborderont les perspectives critiques de l’actualité ou des témoignages exemplaires. Une collection qui privilégiera l’ouverture au plus grand nombre et la sagesse pratique sous toutes ses formes. Les parutions de type universitaire peuvent également être consultées en ligne.

Les livres BSN press sont facilement reconnaissables grâce à leurs marges blanches. Ici Fondre de Marianne Brun, Tiercé dans l’ordre de Louise Anne Bouchard, Le Cri du lièvre de Marie-Christine Horn et Sirius de Pierre Fankhauser.

 

Giuseppe Merrone : la tête et les jambes de BSN press

Giuseppe Merrone ©Charles Moraz

Ancien maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL, Giuseppe Merrone est né à Lausanne en 1964 dans une famille d’immigrés italiens. Fils d’un père cordonnier et d’une mère couturière originaires de la région de Campanie, dont Naples est le chef-lieu, il comprend rapidement que le savoir est le meilleur moyen de se défendre. Que l’instruction permet d’imposer le respect et d’éviter d’être maintenu sous le joug de n’importe quel ballot possédant une once d’autorité. Mais son goût pour la lecture lui est donné par une voisine. Plus âgée que le bambin qu’il était alors, elle lui prête le best-seller de la Comtesse de Ségur Les malheurs de Sophie, qu’il lira et relira dans l’espoir de se rapprocher d’elle. Son vœu de proximité ne sera pas exaucé mais son appétence pour la lecture restera en lui. Malgré les difficultés relationnelles qu’il rencontre dans le milieu scolaire en tant que fils d’immigrés, sa facilité pour les mathématiques et sa fascination pour les philosophes l’amènent à faire des études. Après avoir lu Kant, Marx, Schopenhauer, Kierkegaard et d’autres philosophes, il arrive jusqu’à l’Université où il étudie les sciences politiques avant de se lancer dans les mathématiques à l’EPFL. Lecteur averti d’ouvrages scientifiques, philosophiques ou de sciences sociales, de lectures abstraites telles que des essais ou des ouvrages théoriques, c’est par les auteurs asiatiques et par leurs voix singulières qu’il entre pleinement en littérature. Son premier coup de cœur lui est amené, vers 18 ans, par Confessions d’un masque de Yukio Mishima, roman du corps et de l’intériorité. D’autres lectures suivront, l’attirant irrémédiablement vers l’Asie et en particulier au Japon. En 1997, il passe une année à Tokyo où il sera enchanté par la politesse, la qualité du service et le sourire des gens. Cependant, il éprouvera très rapidement une incroyable solitude puisque les liens privilégiés et les affinités affectives sont très difficiles. Le pays du Soleil-Levant est idyllique pour y passer trois semaines de vacances mais pour y rester « il faut un projet » précise-t-il.

 

Giuseppe Merrone : BSN press c’est avant tout une entreprise

Après de nombreux voyages en Asie agrémentés de diverses expériences professionnelles, quelques années plus tard, épris de liberté et d’indépendance, peu enclin à laisser les autres lui dicter ce qu’il doit faire et comment, Giuseppe Merrone décide d’être son propre patron. Or, comme selon lui, un universitaire ne sait rien faire à part lire, il en conclu que l’édition est probablement l’un des seuls domaines qu’il puisse maîtriser. Ce qui ne l’empêche pas de penser en gestionnaire qui doit impérativement gagner sa vie, plutôt qu’en amoureux du livre qui œuvre pour l’amour de l’art. En tant que lecteur Merrone pourrait, durant des heures, parler de sa passion pour certains ouvrages et de ceux et celles qui les ont écrits. En tant qu’éditeur, il préfère conduire son entreprise en stratège. « Pour moi l’édition c’est un travail, je n’ai pas de discours sur l’amour de la littérature à vous offrir. L’édition est une profession et à l’intérieur de cette profession, je choisis mes lignes éditoriales ». Mû par cette logique et par ses connaissances littéraires multiples, Giuseppe Merrone a dirigé son entreprise vers le roman noir de qualité et le sport. Des choix sur lesquels nous reviendrons plus longuement dans la deuxième partie de cet article où l’on découvrira également quelques livres publiés par BSN press ces derniers mois.

(Suite demain matin.)

 

Sources :

  • Entrevue de Giuseppe Merrone par Dunia Miralles
  • Entre nous soit dit  RTS
  • ViceVersa Littérature
  • Editions BSN press

 

Un livre 5 questions: “Le cri du lièvre” de Marie-Christine Horn

Le cri du lièvre de Marie-Christine Horn: révolte contre la violence domestique

Selon l’Office fédéral de la statistique (OFS), une personne meurt toutes les deux semaines en Suisse, soit 25 personnes par an, des conséquences de la violence domestique. L’an passé, 27 personnes sont décédées en raison de violence domestique, dont 24 femmes. Un peu plus de la moitié (59%) de ces 27 homicides se sont produits entre partenaires. Les 27 homicides ont été commis par 25 personnes prévenues, dont 88% d’hommes.

D’après des informations obtenues par la RTS, on tue davantage de femmes en Suisse qu’en Espagne, qu’en Grèce ou qu’en Italie. On recense en Suisse 0,40 meurtre de femme pour 100’000 femmes, alors que cette proportion est de 0,13 en Grèce, 0,27 en Espagne, 0,31 en Italie et 0,35 au Royaume-Uni. Plus de féminicides sont en revanche enregistrés en France (0,50) et en Allemagne (0,55).

Le cri du lièvre de Marie-Christine Horn: l’histoire

Ces chiffres douloureux sont rébarbatifs à lire. Pour mieux nous les donner à comprendre, pour que l’on puisse exactement entrer dans une réalité dont la souffrance ne se mesure pas en statistiques, Marie-Christine Horn a écrit « Le cri du lièvre » paru chez BSN Press. Pour échapper aux violences de son mari, une femme maltraitée se réfugie à la montagne où elle retrouve des forces. Malgré cette récupération, elle imagine l’hiver lui prendre la vie sans que cela ne l’émeuve. Mais un lièvre pris dans un piège l’a fait changer d’avis et retourner chez elle.

La phrase extraite du livre:

“Je commençais à réaliser que le prince charmant dont mon coeur était tombé amoureux n’avait jamais réellement existé et la sonnerie du réveil me catapultait en enfer au lieu de m’extraire du cauchemar”.

Le cri du lièvre interview de Marie-Christine Horn

Quels motifs vous ont incité à écrire ce livre ?

Le roman noir a pour ambition de traiter une thématique sociale forte liée à son époque ou son pays. Auteure du genre, sensible à la cause féminine et révoltée par le manque de moyens mis en œuvre pour résoudre la problématique des violences domestiques, il me semblait tout à fait naturel d’apporter ma contribution à la cause par le prisme de la création littéraire dans un style qui m’est familier.

Dans votre roman, l’une victime de violences conjugales tue son mari. Est-ce une façon de venger toutes les victimes de violences par compagnon ou ex-compagnon ?

La réponse à la violence ne devrait jamais être la violence, même si parfois ça titille. Cela revient à donner du prétexte, du grain à moudre à la meule avec pour résultat un partage des torts et une atténuation des faits de base qui ont provoqué l’ire. Je crois profondément que le désir de vengeance est surtout nuisible à celui qui le nourrit, et maintient un lien qui gagnerait à être rompu. A contrario, je ne suis pas une fanatique du pardon, car certains actes ou paroles ne méritent ni compassion, ni empathie. C’est un droit, peut-être le dernier, qui appartient à celui qui est sollicité de le concéder ou non, et c’est faux de croire qu’on ne trouve de répit quand l’accordant. Que chacun porte seul le poids du bagage qu’il a paqueté de la même façon. Mais la vengeance, ça, non. C’est une perte de temps et le temps est précieux. De manière générale, on finit toujours par subir les conséquences de ses actes, parce qu’à la fin du bail, il nous revient à tous de payer ce qu’on a cassé. Cette certitude m’a toujours suffi à refermer la porte derrière moi sans la claquer. Dans Le Cri du lièvre, le mari n’est pas tué par sa femme, c’est sa propre violence qui se retourne contre lui. Elle se contente de laisser faire sans intervenir, comme ce fut le cas lorsque sa propre vie était mise en péril dans l’indifférence générale.

Dans le Cri du lièvre, l’une des victimes de violences conjugales finit par ne plus supporter une autre victime qu’elle accueille pourtant chez elle. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi avez-vous mis en scène cette irritation ?

Cette irritation est également la conséquence d’un tout. Il est nécessaire au préalable de se pencher sur la personnalité de la narratrice, son état d’esprit au moment où elle décide de refuser la société et ses contraintes, dont son mari, ses parents et l’ensemble des autres êtres humains font partie intégrante. Elle n’accueille pas chez elle des victimes, mais opte encore une fois pour la fuite quand il s’agit de soustraire des chairs aux sévices, sans anticiper les enchaînements qui vont suivre. Manu vit l’instant présent depuis le jour où elle a choisi la montagne. Elle n’anticipe rien, accepte la faim, le froid, la douleur, la crasse, l’inconfort matériel et physique du moment où elle n’est plus obligée. Ce ne sont pas ses compagnes d’infortune qu’elle ne supporte plus, mais bien le bruit, les concessions et l’horreur de la violence ordinaire dont elle-même a su s’affranchir et qu’elle n’entend pas revivre.

Auriez-vous des propositions à faire pour que cessent les violences conjugales et les féminicides?

J’aimerais croire qu’on arrivera un jour à faire cesser les féminicides, mais cela me semble toutefois utopique et impossible sans un changement radical du mode de fonctionnement humain et social. Cependant je reste intimement convaincue qu’un durcissement drastique des lois et des peines, qu’elles soient réellement dissuasives, permettrait de réduire le nombre de victimes. Si on est capable de le faire aujourd’hui pour les récidivistes de la route, par exemple, on devrait être apte à adopter la tolérance zéro en matière de violences domestiques également. Aujourd’hui, on empêche plus facilement un homme de conduire après s’être fait arrêté en état d’ébriété que de pénétrer au domicile de la femme qu’il a battue au sang.

La question que je pose à chaque auteur-e: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

J’adorerais être Elizabeth Bennet dans Orgueil et préjugés, mais je me sens souvent plus proche d’une Fantine, en vérité.

Interview réalisée par Dunia Miralles

Dédicaces de Marie-Christine Horn

Le 17 octobre : bibliothèque de Riddes
Le 14 décembre : Payot Yverdon

Biographie de Marie-Christine Horn

Auteure, chroniqueuse et scénariste née à Fribourg, Marie-Christine Horn a signé son premier roman en 2006, un policier intitulé La Piqûre. Son deuxième ouvrage, La malédiction de la chanson à l’envers, une fiction jeunesse parue en 2008, obtient le prix des Jeunes Lecteurs de Nanterre 2009.

Elle est aussi l’auteure de La Toupie : vivre avec un enfant hyperactif (Xenia, 2011), Le Nombre de fois où je suis morte (Xenia, 2012), Tout ce qui est rouge (L’Âge d’homme, 2015) et 24 Heures (BSN Press, 2018), un roman noir sur fond de course automobile.