La Plage des Six Pompes (2) : estampillée label de qualité hors de nos frontières

Manu Moser ou le don d’ubiquité

Si quelqu’un a trouvé le secret de l’ubiquité ce doit être Emmanuel Moser. Directeur artistique de La Plage des Six Pompesvoir article d’hier – et du Centre de Compétences et de Création Helvétique des Arts de la Rue – CCHAR -, sa base se trouve à La Chaux-de-Fonds. Toutefois, ses multiples obligations l’obligent à parcourir l’Europe et d’autres parties du monde. Bien qu’il soit dans une période particulièrement intense, j’arrive quand même à le rencontrer à une terrasse du centre-ville, à l’heure du déjeuner, ou du petit-déjeuner comme disent nos amis français. Cela me confirme son talent pour le dédoublement. Metteur en scène et comédien, Emmanuel Moser – dit Manu – est une figure majeure des arts de la rue en Suisse, mais également en France et dans les nombreux pays francophones qu’il sillonne depuis 20 ans avec la compagnie Les Batteurs de Pavés qui adapte pour la rue de grands textes classiques : Hamlet, Macadam Cyrano, Les Trois Mousquetaires, Germinal, Richard III… Il est aussi co-fondateur de la FARS, initiateur du label Swiss Mad, de la bourse d’écriture pour les arts de la rue à la SSA, formateur AFDAS en France … J’arrêterai là cette énumération pour ne pas transformer cette page en l’armoire de rangement de ses nombreuses casquettes.

Dans la belle quarantaine, et avec ses compétences, Manu Moser pourrait être directeur de théâtre dans une ville plus smart que La Tchaux, mais il préfère l’air frais de la montagne à l’odeur des planches depuis trop longtemps séparées de leur arbre.

Le Théâtre Frenesí fusionne la commedia dell’arte, le spectacle de rue, l’acrobatie, le clown, l’art lyrique, la musique classique ou ethnique.

Emmanuel Moser : l’interview

Pourquoi es-tu resté à La Chaux-de-Fonds après ton passage par le Conservatoire de Lausanne, plutôt que de tenter Genève ou Paris comme la plupart des personnes qui, dans les années 1990, souhaitaient s’adonner au théâtre ?

Il me semblait que c’était plus simple de faire les choses ici, plutôt qu’à Lausanne. Il y avait moins besoin de lutter. Je suis né ici, j’avais déjà un réseau. Je n’avais pas besoin de faire semblant d’être copain avec des directeurs de théâtre pour réussir à La Tchaux. Ici, soit tu fais un bon projet et tu es aidé, soit ton projet n’est pas bon et on te le dit. Tu n’es pas obligé de serrer des pinces, de traîner dans des théâtres tous les soirs… Il n’y a pas le jeu de m’as-tu vu qui se pratique ailleurs, d’autant que La Chaux-de-Fonds est très ouverte. Dans les années 90, dans les villes suisses, ils ne voulaient rien savoir du théâtre de rue, et à Genève c’était compliqué parce qu’on n’existait pas. Tout le monde s’en foutait du théâtre de rue puisqu’ils avaient déjà de très grosses structures. A La Tchaux, il y a une ouverture d’esprit que l’on ne rencontre pas ailleurs tout en étant des teigneux ! Des râleurs ! Or, j’ai toujours aimé ce paradoxe.

Il y a une quinzaine d’années un pote m’a dit : « Si toute l’énergie investie à La Chaux-de-Fonds tu l’avais mise à Lausanne, tu serais déjà directeur de théâtre ». J’ai répondu : « Mais j’ai plus qu’un théâtre, j’ai toute une ville ! » Il y a toujours ce truc où tu DOIS grimper les échelons parce que tu as « forcément » envie de devenir directeur. Or, cela ne m’intéressait pas. Moi, j’avais envie de mener un projet qui est la Plage de Six Pompes, ce festival que j’ai vu naître, qui m’a toujours touché, et dont j’ai pris la direction et la coordination dès sa 6ème édition en 2000. Cet évènement m’attirait parce qu’il y avait un vrai boulot à faire. Être directeur de théâtre n’a jamais été une priorité.

– A présent, l’opinion générale sur le fait de tenter une carrière théâtrale à La Chaux-de-Fonds a-t-elle changé ?

Oh oui ! Et c’est très drôle. En ce moment beaucoup de compagnies de théâtre de rue s’installent ici. De plus en plus de gens viennent pour se rapprocher de la création du CCHAR, qui a fait son ouverture officielle le 8 juin, et qui est un projet d’envergure nationale. De surcroît, avec La Plage des Six Pompes, qui a une stature internationale, il y a une vraie reconnaissance culturelle de La Chaux-de-Fonds, surtout en ce qui concerne les arts de la rue. Tout le monde se fout de savoir si la ville est grande ou petite. Les vraies questions sont : Est-ce que le public est là ? Est-ce que les programmateurs vont venir ? Est-ce qu’il y a des bonnes compagnies qui sont venues ? Or c’est le cas à La Plage. Depuis quelques temps les compagnies se battent pour venir jouer chez nous sans autre gain que celui du chapeau. J’en suis le premier étonné. J’en viens à me faire engueuler au téléphone parce que je suis obligé de refuser des spectacles.

– Est-ce important, pour une compagnie de théâtre de rue, de pouvoir inscrire dans son Curriculum “La Plage des Six Pompes” ?

Oui, en effet. A présent, si l’on s’adonne aux arts de la rue, c’est important d’être programmé à La Plage. Nous sommes sollicités par des compagnies de partout : africaines, asiatiques, des États-Unis… Nous ne sommes pas dans le premier grand cercle qui compte quatre ou cinq festivals, mais nous sommes très près de ce cercle-là. Nous faisons partie des festivals dans lesquels, si t’es passé, t’as une super carte de visite. Certains organisateurs d’évènements de rue viennent, chaque année, regarder notre programmation. Si une compagnie est passée chez nous, ils la prennent pour leur manifestation. Quand tu hésites sur une compagnie, tu vas voir où ils ont joué, puis tu téléphones aux copains, et tu leur demandes. Ma référence, par exemple, c’est Mulhouse. Leur programmation est excellente. Je prends les yeux fermés une compagnie passée chez eux.

– Un bémol ?

Nous sommes parvenus à donner à La Chaux-de-Fonds un label de qualité. Mais c’est aussi un danger parce que nous recevons tellement de propositions d’excellente facture qu’en définitive la sélection devient plus dure, plus compliquée. Je suis obligé de refuser des bonnes compagnies ce qui est toujours fastidieux. Mais c’est le prix à payer pour cette réalité :  nous sommes devenus l’un des festivals de la francophonie où il faut passer. Il y en a plusieurs en France, un en Belgique, un au Québec et un en Suisse, or en Suisse c’est nous.

Plage des Six Pompes : du samedi 30 juillet au samedi 6 août

Cette année, le Festival de La Plage des Six Pompes aura lieu du samedi 30 juillet au samedi 6 août. Elle prendra cependant 24 heures de pause le lundi 1er août afin de laisser la place aux festivités de la fête nationale. Accédez au programme complet du festival en cliquant ici.

Pour lire la première partie de cet article : cliquez ici.

Découvrez comment Emmanuel Moser en est arrivé à jouer dans la rue, alors qu’il n’était qu’un jeune adolescent, en cliquant sur cette phrase.     (Article paru dans le journal Le Ô)

Emmanuel Moser a transformé la ville de La Chaux-de-Fonds en l’un des berceau des arts de la rue. S’il en éprouve de la satisfaction, aucun doute, c’est légitime. (Crédit photo : Guillaume Perret.)

 

 

 

 

 

La Plage des Six Pompes : le plus important festival suisse des arts de la rue…

…et l’un des plus importants de la francophonie

Ce week-end, à La Chaux-de-Fonds, débutera La Plage des Six Pompes Festival International des Arts de la Rue. Avec plus de 50 compagnies professionnelles invitées, et plus de 200 représentations réparties sur la semaine c’est, en Suisse, le plus important évènement de spectacles de rue et l’un des plus renommés de la francophonie. Après deux ans de Covid, c’est-à-dire d’absence ou de petits arrangements, l’excitation est à son comble. A mille mètres l’on trépigne dans l’attente de ce moment de culture et de fête, en espérant que le public sera joyeux et le soleil doux du samedi 30 juillet au samedi 6 août. Une journée de pause est agendée le lundi 1er août.

Venues des quatre coins d’Helvétie mais aussi de France, de Belgique, d’Italie, de Nouvelle-Zélande ou de Catalogne, pendant sept jours l’on pourra voir soixante-quatre compagnies s’adressant parfois aux enfants, parfois aux adultes, et souvent aux grands enfants. Et, au cas où cela ne suffirait pas à combler l’appétit des spectateurs, tous les soirs il y aura  les afters organisés par la salle de concerts Bikini Test.

Le menu de ce festival ressemblant à un festin royal, extrêmement éclectique et savoureux, je ne présenterai pas les spectacles. Cependant, je vous invite à vous mettre en appétit à en cliquant ici, un lien qui vous conduira directement au programme. Vous aurez le choix entre clowns, marionnettes, silent-party, cabaret, musique, sculptures de lumières, danse, improvisation, théâtre poétique, jeunesse, surréaliste, burlesque ou engagé (palette non-exhaustive) à ne plus savoir où donner des yeux et du cœur.

Des petits bars, des food-trucks et des stands aux cuisines variées permettront aux festivaliers de se désaltérer et de se restaurer à tout moment. Autrement dit, on peut monter à La Chaux-de-Fonds sur un coup de tête, les mains dans les poches, le temps de voir une série de spectacles l’après-midi ou le soir. On trouve de tout sur place.

Yldor Llach fera des prouesses acrobatiques avec sa petite reine.

Spectacles au chapeau

La Plage des Six Pompes est née en 1993, sous l’impulsion de Chaux-de-fonniers impliqués dans la culture. Leur souhait : « offrir une animation culturelle et gratuite durant l’été, à l’attention des habitants de la ville qui n’ont pas la possibilité de partir en vacances, soit amener la plage à celles et ceux qui ne peuvent s’y rendre ». En effet à l’époque, durant les vacances horlogères, la ville passait de 38’000 à 11’000 habitants. De surcroît, les commerces fermaient ou réduisaient leurs horaires. Les gens qui ne pouvaient envisager des vacances se sentaient abandonnés dans un grand no man’s land totalement assoupi. Ce pourquoi, selon une tradition qui se maintient année après année, les artistes invités à La Plage (comme on l’appelle familièrement) sont uniquement rémunérés au chapeau. L’accès à tous les spectacles est libre (pas de billetterie). Le seul “cachet” perçu par les artistes c’est ce qui tombe dans le chapeau à la fin des représentations. Ce système permet à chaque spectateur de fixer le montant qu’il souhaite (ou qu’il peut) attribuer. Ainsi, au moment où le chapeau passe, il ne faut pas perdre de vue que que ces personnes qui ont donné de leur âme pour vous divertir, vivent de leur art comme le médecin ou le garagiste du leur, et que personne n’a jamais envie de sucer des cailloux avant de s’endormir sous un pont.

Cet évènement local qui, au début, fut appelé La Plage du Marché pour ensuite devenir l’international Plage des Six Pompes, a beaucoup grandi en -presque- trente ans. En 2015, le festival a réuni environ 100 000 spectateurs sur les sept jours et engagé près de 450 collaborateurs bénévoles.

Demain je donnerai la parole à son directeur : Emmanuel Moser.

Dis Bonjour à la Dame – DBD se nourrit d’influences artistiques telles que le théâtre, le clown, les arts de la rue et la magie nouvelle.

 

Sources

– Emmanuel Moser, directeur artistique

– Site de La Plage des Six Pompes

– Wikipedia

 

 

 

Lectures et maladies : de la schizophrénie à la pandémie avec Marion Canevascini et Claude Darbellay

Violences et douceurs

En lisant L’Épidémie, on soupçonnerait aisément Claude Darbellay de complotisme. Tout y est : un grand projet liant les pharmas, la haute finance, l’OMS, le Haut Commissariat aux Réfugiés, des politiques d’ici et d’ailleurs et des mafias. Des expériences sans scrupules faites sur des êtres humains. Un monde prêt à tout pour imposer sa loi. Seule ombre au tableau : L’Épidémie, dont la deuxième édition vient de sortir chez Infolio, est parue pour la première fois aux Éditions G d’Encre en 2007, soit 12 ans avant les premiers cas de Covid-19. On ne peut donc guère accuser son auteur de prendre le train en marche ou de profiter de la pandémie pour vendre du livre. A la rigueur, on peut imaginer que les complotistes s’inspirent de son livre pour élaborer leurs arguments. Les conjectures s’arrêtent là même si, depuis plus d’un an, nous vivons des situations schizophrénisantes. Toutefois, la schizophrénie, la vraie, pas le mot qu’on glisse en tant que métaphore au hasard d’une conversation, ressemble à toute autre chose. Avec beaucoup de pudeur, Marion Canevascini s’est penchée sur cette maladie dans un très beau livre illustré que je tiens à vous présenter avant de revenir sur L’Épidémie.

Marion Canevascini : Notre frère

Paru aux Éditions Antipodes Notre frère, le roman graphique de Marion Canevascini, est particulièrement touchant. Actuellement la parole se libère. De plus en plus, on laisse de la place dans les livres et les médias aux personnes qui souffrent d’un handicap ou d’une maladie mentale. On donne aussi facilement l’occasion de s’exprimer aux parents ou aux conjoints. Il est plus rare d’entendre la souffrance de la fratrie. La douleur des enfants qui « vont bien » et, dont le frère ou la sœur qui présente une pathologie, efface l’enfance en retenant l’entière attention des parents. Avec délicatesse, le livre de Marion Canevascini raconte ses souvenirs : l’arrivée de la maladie dans une famille qui compte trois enfants. Face aux étrangetés de leur frère ainé et au désarroi de leurs père et mère, les deux sœurs cadettes s’unissent pour exister. Dans cet ouvrage aux dessins et aux textes épurés, ce sont les blancs des pages et les mots tus qui s’inscrivent dans le ressenti.

Ce témoignage sensible d’une pathologie évoquée entre les lignes permet aux plus jeunes d’aborder, de questionner et d’être accompagnés dans la maladie. En effet, il existe beaucoup de littérature sur la schizophrénie mais pratiquement aucun écrit ne s’adresse à des enfants.

Biographie de l’artiste

 Artiste fribourgeoise, Marion Canevascini, étudie les Lettres à l’Université de Fribourg et notamment le rapport entre le texte et l’image. Elle partage aujourd’hui son activité entre peinture, écriture, et enseignement.

 

 

Claude Darbellay : L’Épidémie

Dès les premières lignes, Claude Darbellay nous entraîne dans une aventure labyrinthique à un rythme qui laisse peu de pauses pour souffler. Rien ne nous est épargné : les meurtres et les morts se succèdent, les hypothèses nous mènent sur des chemins que l’on se voit obligé de rebrousser, on saute d’un pays à l’autre. Même la froide torture est au rendez-vous. Les personnes qui mènent l’enquête tentent de se rassurer en se raccrochant à ce qu’elles savent et qui ne devrait pas exister. Frank le narrateur, raconte ce qu’il a vu, espérant avertir l’humanité du danger qui la menace. Les Grands Manitous le laissent faire convaincus que, de toute façon, personne n’y croira.

 L’Epidémie : extrait

 « Il s’agissait d’allier santé, jeunesse, performance et donc, Charles Larson rit, bonheur. C’était en tout cas en ces termes que Fabio Rossi avait vendu son projet à la GlaxoSmithKline. Rendre à un corps vieillissant les performances de sa jeunesse. Parce que, pour le marché, ce créneau était porteur de gigantesques profits. La clientèle potentielle avait les moyens d’acquérir LE traitement qui accélérait la réparation des tissus musculaires. En vieillissant, nous perdons environ un tiers de notre masse musculaire. L’exercice constant, soulever de la fonte dans un fitness par exemple, pratiquer un sport, même à haute dose, ne fait que ralentir le processus. Trouver un moyen biologique de l’arrêter, voire de l’inverser, c’est la gloire et la fortune.

Nous avons commencé, comme souvent en laboratoire avec des souris blanches…

L’idée, c’était de stimuler l’augmentation de la croissance musculaire à n’importe quel âge et sans exercice. Ce que promettent toutes les cliniques spécialisées dans des cures hors de prix. Ce que nous espérions aussi, l’époque voulait ça, c’était démocratiser notre découverte en multipliant le nombre de clients. »

 

Claude Darbellay : l’interview

 – La première édition de L’Epidémie a été publiée en 2007 aux Éditions G d’Encre. D’où a surgi l’idée de ce roman ?

Cette idée m’est venue d’un événement et d’une peinture. L’événement c’est le SRAS, une pneumonie atypique pour faire simple, apparue en 2003, qui avait fait peu de victimes mais généré une grande panique, avec des déclarations alarmistes de dirigeants, aussi bien à Singapour qu’au Canada ou en Chine où tous les lieux de divertissement (théâtres, cinémas, cafés internet) ainsi que les bibliothèques avaient été fermés. Les mariages avaient aussi été ajournés. J’avais lu un article dans un journal anglais où l’OMS avertissait du danger. Or, l’OMS, en anglais, c’est la WHO, the World Health Organization. Qui peut être confondu avec sa traduction en français de QUI. On y ajoute un point d’interrogation et on a le départ d’une enquête sur qui est responsable de ces mesures anti SRAS et dans quel but. Et, au niveau de la fiction, on a déjà un des responsables : l’OMS. Voici pour l’événement. Quant à la peinture, c’est un tableau de Dürrenmatt qui m’a inspiré le premier chapitre où le président du conseil d’administration d’une firme helvétique est pendu au lustre de la salle du conseil par sa cravate. Il s’agit du tableau : « L’Ultime assemblée générale de l’établissement bancaire fédéral » peint en 1966. Tableau qui montre une scène apocalyptique : des banquiers se sont pendus à des lustres, d’autres se tirent une balle dans la tête. C’est le départ du roman. Pourquoi le président d’un conseil d’administration est-il pendu à sa cravate par un commando ? Qui est responsable ? L’OMS et l’industrie pharmaceutique seraient-elles mêlées à cet assassinat et dans quel but ?

– Ce roman vous a-t-il demandé beaucoup de recherches et de documentation?

Oui. J’ignorais tout de la vie des virus. Mais j’étais enseignant dans un lycée où est enseignée la biologie. J’ai donc demandé à un professeur de biologie de me donner de la documentation. Il m’a répondu, « accorde-moi une semaine ». Une semaine plus tard, j’avais une pile de livres, de documents, d’articles. Et le professeur m’a dit, « Tiens, lis ça. Après, quand tu auras bien assimilé la matière, je te donnerai la suite. » Cela m’a pris un temps certain pour en venir à bout. Avant la publication, le même professeur a relu tous les chapitres du roman concernant les laboratoires et la description des épidémies pour que tout soit rigoureusement exact. Ceci afin de créer un « effet de réalité » et de donner du crédit à ce que raconte la fiction.

– Votre livre fait référence aux mondes de la littérature et de l’art puisqu’on y croise Dürrenmatt, Nietzsche, Niki de St-Phalle, le poète américain William Stafford… tout en mélangeant enquête, industrie pharmaceutique et politique. Résultat : un thriller à la Robin Cook en plus intellectuel. Aviez-vous envie de conquérir un lectorat qui d’habitude s’intéresse peu aux lectures populaires ?

La question du lectorat est importante, certes. Je ne voulais pas écrire pour un lecteur particulier, mais donner du plaisir à un lectorat qui soit le plus large possible. J’espérais que le roman crée son lectorat. Il y a deux façons de voir les choses, je crois. Soit on calibre un texte pour qu’il corresponde à un public cible, on en fait un produit qui va séduire des consommateurs, soit on crée un roman qui, par ses qualités intrinsèques, va attirer les lecteurs. Aujourd’hui, c’est plutôt la première démarche qui prédomine. L’ennui, c’est qu’elle s’accompagne d’un code esthétique. On y « émotionne » beaucoup, et la compréhension doit être « Nescafé », immédiatement soluble. On appelle ça « les lois du marché ». Il faut saluer ici le travail des auteurs qui continuent de vouloir « faire de la littérature » et des éditeurs qui les soutiennent.

– Avec le recul avez-vous l’impression d’avoir écrit un roman qui anticipait la pandémie de la Covid-19 ?

Oui, je crois que ce roman anticipait la pandémie de la Covid-19. Pour une bonne raison. Les rouages sont les mêmes que ceux décrits dans le roman. Il y a cependant quelques différences de poids. La pandémie du roman était fictionnelle et les morts à venir. La situation actuelle a vu apparaître quelques aspects assez inquiétants, outre la situation sanitaire. Ce sont des mesures étatiques qui sont proches de l’absurdie. J’attends toujours que l’on m’explique pourquoi il n’était pas dangereux d’assister à un culte ou à une messe pour cinquante personnes et pourquoi ce n’était pas la même chose pour un théâtre ou une salle de concerts. Mais plus grave, derrière toute décision politique se profile une conception du monde et je ne partage pas la division entre « biens essentiels » et « biens inessentiels ». Division dont les librairies ont fait les frais, par exemple. Ont aussi été rognés des droits démocratiques, au nom de la santé qui a remplacé la liberté. Ce n’est plus « liberté, égalité, fraternité ». La liberté a cédé la place à la santé. Avec une armada de virologues, de médecins, d’experts en tout genre à l’égo surpuissant. Or, rappelons-nous que le Titanic a été construit pas des spécialistes et l’Arche par des amateurs !

– Une question que je pose à tous les auteurs: à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ou quel personnage littéraire auriez-vous aimé être ?

J’aurais aimé être Sancho Panza du Don Quichotte de Cervantès. C’est lui qui, juché sur son âne, commente les « exploits » de son maître, Alonso Quijano, qui a la tête farcie de romans de chevalerie et qui attaque des moulins à vent en les confondant avec des géants. Il est l’auteur de son maître, en fait, parsemant le récit de remarques ironiques, de jeux d’esprit, de proverbes espagnols détournés. Il nous invite à faire un pas de côté pour entrer dans la réalité ou, pour citer Lao Tseu, comme le fait Lopez, le philosophe de « l’Épidémie » : « Voyons ce qui est et non ce que nous aimerions voir ».

Interview : Dunia Miralles

 

Claude Darbellay : la biographie

Né en 1953 au Sentier, dès l’âge de dix-huit ans, il travaille comme manœuvre sur les chantiers, poseur de faux plafonds, monteur de parois mobiles afin de subvenir à ses besoins. Il fait des études de lettres à l’Université de Neuchâtel avant de voyager en Italie, dans l’East End londonien et à Grenade où il étudie le castillan. De retour en Suisse, il s’installe à La Chaux-de-Fonds et y enseigne le français et l’anglais à l’école supérieure de commerce.

Son œuvre a été distinguée par divers prix, Le Grand Prix poètes d’aujourd’hui 1984, le Prix Bachelin 1994, le Prix Louis-Guillaume 1995, le Prix Alpes-Jura 1996, et le Prix Michel Dentan 1999 pour Les prétendants.

L’écrivain Claude Darbellay. Photographie libre de droits.

 

 

Sources :

  • Notre frère, roman graphique, Marion Canevascini, éd. Antipodes
  • Éditions Antipodes
  • L’Épidémie, roman d’anticipation, Claude Darbellay, éd. Infolio
  • Claude Darbellay, écrivain et poète
  • Wikipédia

Éditions SUR LE HAUT : une petite maison à mille mètres

Dans les Montagnes hors des sentiers battus

De nos jours, les manières d’éditer sont nombreuses et diverses d’autant qu’Internet offre maintes possibilités. Acteur politique et culturel dont la réputation n’est plus à faire dans le canton de Neuchâtel, le chaux-de-fonnier Daniel Musy a créé, en compagnie de ses deux amis Pascal Kaufmann et Jean-Marc Leresche, une petite maison d’édition avec une charte particulière. Ça ressemble à de l’autoédition, et pourtant non, ce n’est pas vraiment de l’autoédition. Le principe : publier gratuitement le manuscrit sur le site des Éditions SUR LE HAUT après l’approbation d’un comité de lecture. En cas de publication papier, les frais reviennent à la personne qui l’a écrit. L’auteur-e accepte que la couverture soit faite par une agence de graphisme et une imprimerie des Montagnes neuchâteloises partenaires de la maison d’édition. La distribution de l’ouvrage se fait par l’ORIF, dont les différents sites de Suisse romande forment, orientent et intègrent des personnes en difficulté dans l’économie. Mais avant l’interview de son fondateur, découvrons deux des livres que SUR LE HAUT a édité.

 

Semaine sainte : Des Rameaux à Pâques de J.-M. Leresche

Les années comportent leurs cycles et les cycles leurs rituels. Publié vers Pâques 2020 durant le premier confinement, en cette Semaine sainte 2021 le récit de Jean-Marc Leresche a retenu mon attention. Des Rameaux à Pâques est un recueil de narrations quotidiennes. Sur un ton actuel, le lecteur est invité à suivre les personnages qui occupent l’arrière-plan des textes bibliques. Qu’ont-ils perçu ? Ont-ils compris ce qui se tramait ?

Extrait :

Pour obtenir gratuitement le texte en entier, cliquez la fin de cette phrase pour le télécharger depuis  la page qui va s’ouvrir. Vous pourrez ainsi découvrir les tableaux de Myriam Leresche qui l’illustrent.

 

Biographie de Jean-Marc Leresche

Jean-Marc Leresche

Après l’obtention de la maturité au début des années nonante, un peu par hasard, Jean-Marc Leresche commence à donner des cours de soutien scolaire à des élèves en difficulté ainsi que des leçons d’initiation à l’informatique. Il travaille également comme écrivain public. Les circonstances de la vie l’amènent à prendre une nouvelle orientation professionnelle, en choisissant la théologie. Il devient diacre de l’Église réformée. Aumônier dans des institutions pour personnes âgées pendant plus de dix ans, il l’a aussi été auprès de personnes marginalisées. Il a également animé un groupe de jeunes. Maintenant, il est diacre dans la paroisse réformée de La Neuveville.

 

Etienne Farron : un psychologue au service d’un artiste

La vie – pas toujours ! – facile de François Egli est un ouvrage du psychologue Etienne Farron qui s’est penché sur les péripéties de son ami d’enfance François Egli. Il s’agit d’une retranscription romancée, une fiction délirante écrite à partir d’une série d’interviews effectuées avec François Egli, un artiste plus connu à l’étranger qu’en Suisse. Le tour de force : transformer 350 pages d’interviews en un roman d’une dimension raisonnable. Dans ce récit, François Egli s’exprime sur un ton libre et gouailleur mêlant fiction et réalité. Véritable personnage de roman, l’artiste a très tôt tourné le dos à la vie bien trop réglée qui lui était réservée pour s’engager sur les chemins sans concession – ou presque ! – de la liberté. Ainsi, « celui qu’on traite d’artiste », parfois d’une manière un peu péjorative, nous emmène des plus fascinants paysages espagnols aux coulisses agitées des ventes aux enchères. Un livre où l’on croise également quelques personnalités bien senties et parfois célèbres. Une existence faite de hauts et de bas qui nous conduit dans le monde de l’art, avec ses richesses artistiques ou monétaires et, parfois, sur des rivages un tantinet plus obscurs. Sur le site de l’éditeur les éloges enthousiastes, concernant ce premier ouvrage, ne manquent pas.

Extrait :

« Il nous sort de derrière une commode un tableau emballé dans du papier kraft, mais vraiment caché derrière la commode. Il nous sort le machin, un tableau de Vallotton. Une pure merveille. Mais une pure merveille. De très longs arbres avec le tronc nu, effilés, un fond pastel, … , mais un truc extraordinaire. Un truc extraordinaire qui est dans le catalogue Vallotton. Il dit « j’en veux deux cent mille balles. J’ai besoin de deux cent mille balles, j’en veux deux cent mille balles. »

On trouve La vie – pas toujours ! – facile de François Egli en librairie. Vous pouvez également le commander directement chez l’éditeur. En cliquant sur la fin de cette phrase, vous pourrez téléchargez gratuitement le texte entier sur la page qui va s’ouvrir. Pdf et livre contiennent également les photographies des œuvres de François Egli.

Etienne Farron

Biographie d’Etienne Farron

Etienne Farron, né en 1964 à Neuchâtel (Suisse) est psychologue du travail. Élève de l’écrivain Jean-Pierre Monnier, hormis l’écriture, on trouve parmi ses passions les relations humaines et l’écologie. Bien que cela puisse paraître contradictoire, c’est un amateur et un adepte de la course automobile qu’il pratique encore à l’occasion.

La nécessité d’un circuit court dans le monde à venir

L’interview de Daniel Musy :

– Comment sont nées Les Éditions SUR LE HAUT ?

En août 2019, après avoir publié à mes frais ma petite fiction politique, Typhons sur l’hôtel de ville, pour laquelle j’avais créé un site internet, j’ai eu l’idée de ce site d’édition d’auteurs de l’Arc jurassien. J’ai tout de suite rencontré plusieurs « écrivants » intéressés qui n’auraient eu aucune chance de voir publier leurs textes dans une maison traditionnelle. Ils sont devenus des amis et nous formons un solide comité éditorial. Une graphiste amie et maintenant partenaire des éditions, Joanne Matthey, a créé le logo et l’imprimerie Monney, à trois cents mètres de chez moi, a été d’accord de se lancer dans l’aventure.

– Faut-il vivre dans l’Arc Jurassien pour publier aux Éditions SUR LE HAUT?

L’Arc jurassien va de Genève à Bâle et de Montbéliard à Lons-le-Saunier ! Nous n’avons aucune ligne éditoriale particulière fixée d’avance et accueillons chacun qui présente un projet de fiction, de témoignages, de poésie et de tout autre genre. Un projet qu’il désire voir se matérialiser dans « son » livre.

– Si ce n’est pas de l’autoédition cela y ressemble. Vous avez été professeur de français, de philosophie et d’histoire de l’art. On ne peut pas douter de la qualité des livres publiés. Toutefois la démarche sort de l’ordinaire et dans le milieu littéraire, ou de l’avis de certains lecteurs potentiels, elle pourrait paraître amateur. Est-ce une manière d’affirmer le côté anarchiste – dans le sens militant du terme -, le refus d’entrer dans le moule dont les Chaux-de-Fonniers sont parfois si fiers ?

La différence avec l’autoédition est qu’avec nous l’auteur est conseillé et accompagné dans son projet. Certes, il prend en charge les frais d’impression ainsi que le graphisme de la page de couverture mais le site l’accueille gratuitement. C’est pour échapper au modèle professoral d’un professionnel de l’enseignement que je consacre une petite partie de ma retraite à cette activité. Oui, je suis « amateur » de belles rencontres avec des gens qui veulent publier « leur » livre à eux, défenseur de proximité entre eux, la graphiste, l’imprimerie et les Éditions SUR LE HAUT. Si entrer dans le moule de certains éditeurs romands c’est faire imprimer ses livres dans les pays de l’Est, alors oui nous sommes fiers qu’ici à La Chaux-de-Fonds nous puissions sortir du « milieu », si milieu il y a. Et entrer dans une nouvelle logique de « circuit court », si nécessaire dans le monde à venir.

– Par quel biais vos livres sont-ils diffusés ? Peut-on les acquérir à Bulle, Orbe ou Thônex ?

Jusqu’ici toutes les demandes de librairies romandes sont relayées aux auteurs qui leur envoient leurs livres. Pour les prochaines publications, nous mettrons en place, pour les auteurs qui le souhaitent, une petite structure de distribution en collaboration avec l’ORIF de La Chaux-de-Fonds (Organisation romande d’intégration et de formation), qui diffuse aussi les ouvrages des Éditions La Salamandre.

 – Parlez-nous des auteurs et des ouvrages publiés.

Je veux mettre en avant quelques ouvrages parus en 2020, qui donnent la parole à ceux qui, sans les Éditions SUR LE HAUT, ne l’auraient pas eue : Une enfance à Shangaï ou les souvenirs d’enfance d’Edgar Tripet, ancien directeur du Gymnase, racontés par Claude-Eric Hippenmeyer ; la vie, pas toujours facile, d’un artiste-galeriste-bourlingueur, François Egli, racontée par lui et mise en forme par son ami Etienne Farron ; les souvenirs posthumes des balades avec sa cousine de PascalF Kaufmann, paysan-écrivain, publiés par sa famille ; le premier volume des Mémoires des Montagnon-ne-s consacré au popiste hockeyeur et voyageur Charles De La Reussille, par l’ancien journaliste Robert Nussbaum. Avec la publication de ces quatre livres s’esquisse, il faut le souligner, un axe éditorial possible pour la suite. Valorisons aussi Jean-Marc Leresche, un réformé engagé et « connecté ». Il a publié notamment un roman original, Mattaï : c’est l’histoire imaginée du 13e apôtre !

– Membre du parti socialiste depuis 2001, vous avez siégé au Conseil Général de La Chaux-de-Fonds de 2004 à 2016. Vous avez présidé ce Conseil de février à mai 2016. Les Editions SUR LE HAUT sont-elles ouvertes à tous les courants politiques et de pensée ?

Dans la charte qui lie les auteurs à nos éditions, nous demandons à ceux-ci de « respecter les personnes sous toutes les formes ». Nous ne tolérerons pas tout ! Comme le dit Popper, la tolérance a ses limites. Si nous acceptons que l’intolérance soit tolérée, nous détruisons alors la tolérance et l’État de droit.

– Une question que je pose aux personnes que j’interviewe : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ? Ou quel personnage littéraire auriez-vous aimé être, et pourquoi ?

Ignacio Abel, le héros de Dans la grande nuit du temps, de Antonio Muñoz Molina. Il a été créé par un écrivain extraordinaire de quarante-cinq jours plus âgé que moi. Il voyage dans le temps, matière même de l’écriture romanesque et élément constitutif de nos identités.

 

Daniel Musy tient aussi le blog Mille Tableaux

Sources :

  • Les Éditions SUR LE HAUT
  • RTN
  • Mille Tableaux, le blog de Daniel Musy

 

 

 

Lucette Junod : une poésie en fusion avec le monde

Lucette Junod: mosaïque surexposée

« Fusion poème symphonique pour tire-lignes et corde à noeuds» peut-on lire à la fin d’un cahier, bref mais intense, publié en 1980 par les Éditions du Panorama fondées par Paul Thierrin. Le premier ouvrage de poésie de Lucette Junod, un texte discontinu d’un superbe équilibre , nous emmène dans un monde contemporain qui, finalement, a peu changé en presque quarante-ans. Des bribes de vies, des moments de télévision, des accès de colère féministe quand Chazot parle de Gisèle Halimi, des conversations au restaurant ou des rêves, tout prend une teinte noir-blanc vaguement surexposée qui brûle les yeux sans pour autant les détacher de la lecture. Que la poétesse et l’éditeur me pardonnent, je n’ai pas su résister à la tentation de publier deux pages afin de mieux plonger le lecteur dans les ambiances de Lucette Junod. A noter: ce sont deux pages qui ne se suivent pas.

 

 

Lucette Junod naît le 25 décembre 1932 à La Chaux-de-Fonds d’un père savoyard et d’une mère de la Broye fribourgeoise. Au Technicum du Locle – aujourd’hui CIFOM– elle obtient un diplôme de régleuse dans l’horlogerie, puis fait des études de comédienne aux conservatoires de Neuchâtel et de Genève avant de se consacrer à l’enseignement du théâtre et à son écriture. A partir de 1977, elle donne de nombreux récitals de poésie. En 1983 elle fonde les Rencontres poétiques internationales qu’elle organise à Yverdon-les-Bains et à Neuchâtel et qu’elle dirige jusqu’en 2004.

En 1980 paraît Fusion qui reçoit un excellent accueil de la critique. Suivent d’autres recueils de poèmes. Elle a également écrit plusieurs romans dont Les Grands-Champs qui reçoit le Prix Paul Budry en 1980.

Elle a également écrit des pièces de théâtre radiophoniques. D’autres, écrites pour la scène, ont été adaptées pour la radio.

Elle est une invitée régulière des soirées poétiques de Struga, en Macédoine, ainsi que des Congrés de littérature de Lesbois.

Lucette Junod a également été, de 1977 à 1989, la directrice du Service de Presse Suisse.

Elle était l’épouse de l’écrivain Roger-Louis Junod.

 

Sources :

AENJ

-Fusion, Editions du Panorama

-La nouvelle revue neuchâteloise

-Wikipédia