Corinne Reymond: une plume pour rendre hommage aux aînés
Avec beaucoup d’empathie et de tendresse, Corinne Reymond rend hommage aux personnes happées par l’âge ou la maladie. Sa longue carrière d’aide-soignante aux soins à domicile, en EMS, à l’hôpital ou en hôpital psychiatrique, l’a amenée à écrire ses expériences avec les patients. Dans son métier, plus que les soins, ce qu’elle recherche c’est le relationnel, le contact avec les gens, apprécier qui ils sont, sentir leurs états d’âme, se pencher sur l’histoire de leur vie. “Plus on devient âgé, dit-elle, plus ça devient riche”. Une richesse qu’elle n’a pas voulu laisser perdre. Un trésor qu’elle a soigneusement protégé dans un livre que chacun d’entre nous peut, avec émerveillement, découvrir. Tous les poèmes sont tirés de situations vécues. Une suite de tableaux délicats, certes, mais également touchants, poignants, troublants quand ils nous rappellent des personnes que nous avons côtoyées, aimées, ou lorsque l’on se projette soi-même dans un futur presque inéluctable.
Bernard Walter, qui préface l’ouvrage, écrit:
“C’est un livre qui est à mettre entre les mains des parents et des proches, ainsi que des personnes responsables, qu’ils soient directeurs, directrices, hommes médecins, femmes médecins, employés, employées, politiciens, politiciennes, aumôniers, aumônières.
Chaque personnage exprime sa vie, c’est lui qui parle, ce n’est pas celle qui vient leur rendre visite, leur apporter son aide. Corinne ne se met pas en scène, elle est juste là, pas trace d’ego, pas de jugement non plus. D’elle on sait peu de chose, et pourtant, dans ces portraits saisissants, elle dit beaucoup d’elle-même et de sa sensibilité des petites choses”.
De Corinne Reymond, on apprendra uniquement qu’elle est domiciliée au Sentier, dans la Vallée de Joux, qu’elle est mère de trois enfants et grand-maman.
Nous naissons pour le meilleur et pour le pire. Le pire est toujours possible. Le meilleur nous aide à vivre, à supporter la vie quand, parfois, arrive le pire. Je me reconnais privilégiée et sais que, le pire peut, hélas, s’avérer bien pire que le pire supposé. Ma mère me disait souvent un dicton espagnol qui s’est fréquemment vérifié: “Que Dios no te dé jamás todo lo que tu cuerpo soporte”. Que Dieu ne te donne jamais tout ce que ton corps peut supporter. Quand je me plonge dans l’histoire de l’humanité, j’éprouve un vertige en me remémorant ces mots, couramment répétés dans ma famille qui a connu une guerre fratricide et une terrible après-guerre. Pour les croyants, comme pour les athées, cette phrase prend probablement tout son sens en cette période de Pâques. Surtout, en cette année particulière où célébrations, festivités et déplacements vacanciers ont été annulés, ou remis à l’imagination de chacun et à l’inventivité des communautés. “Que Dieu -que la vie- ne te donne jamais tout ce que ton corps peut supporter”. Qui croyait pouvoir supporter un confinement? Et pourtant…
Le décès d’un être cher fait également partie des choses que l’on n’imagine pas endurer. Puis, malgré les larmes, la vie nous apprend que c’est possible. Dès les premiers instants de notre existence, la maladie et la mort nous accompagnent, même si nous préférons les ignorer. Puis, soudain, elles surgissent. Intempestives. Pour nous autres privilégiés occidentaux qui croyions pouvoir les narguer, les combattre, les oublier, les voici aussi dévastatrices qu’un ouragan. J’ai toujours su qu’elles habitent parmi nous. Mais, ce qui me déstabilise actuellement, c’est qu’elles pourraient emporter, quasiment d’un seul coup de faux, plusieurs personnes que j’aime sans que je puisse les soutenir, les embrasser ou participer à une cérémonie d’adieux. Douloureux constat pour celles et ceux qui ont leurs familles ici. Plus attristant encore pour celles et ceux qui avons les nôtres au-delà des frontières.
Lettre et souvenirs au temps du Covid-19
Le journal ArcInfo, en collaboration avec l’émission Porte-plume, de la RTS La 1ère, m’a demandé d’écrire une lettre pour les aînés. Je l’ai adressée à ma famille en me rappelant des moments et des ambiances qui ont embelli mon enfance. Après sa publication, j’ai reçu des messages de personnes qui se sont identifiées à mon écrit, qui connaissent la même situation, même si leurs proches se trouvaient dans le périmètre de l’Helvétie, tout comme des personnes ayant leurs familles, pères, mères, enfants en Italie, au Portugal, en Serbie ou ailleurs. On m’a aussi demandé d’en faire la traduction pour les immigrés de langue castillane ne sachant pas encore le français. C’est pourquoi, je publie également ce courrier dans ce blog, avec sa version espagnole légèrement augmentée.
A tous, en ces temps de nouveau Coronavirus, je souhaite de Bonnes Pâques. Que la joie et la santé s’invitent à votre table malgré ces curieuses circonstances. Que la vie ne vous donne jamais tout ce que vous êtes capables de supporter.
Pour ma part, je reviendrai le 7 mai avec des romans, des nouvelles et des poèmes. En attendant, je me confine pour écrire mon prochain ouvrage où il ne sera guère question de cet étrange printemps 2020.
Lettre aux aînés
La Chaux-de-Fonds, le 2 avril 2020
Chers papa, mama, tantes et oncles,
J’ai eu le bonheur de grandir dans une famille élargie où l’on formait un clan. Je me souviens de vous jeunes, beaux, la bouche pleine de calembours et l’esprit farceur. Dans ma mémoire, j’ai des instants de bonheur. Je ne marchais pas encore. L’oncle Jésus me lançait par-dessus sa tête et tante José, la fiancée de Pepe, louchait pour m’amuser. Je la trouvais belle avec les grains de beauté qu’elle s’était tatoués sur le visage. Et comme j’étais fière, dans ma petite tenue blanche, avec mes gants en dentelle, lorsque je tenais la traîne de la robe de mariée de la cousine Marga. Qu’il m’épatait l’oncle Angel, avec les radios qui avaient probablement diffusé la voix du Général Guisan, qu’il récupérait, bricolait et réparait. Pour nous divertir, tante Violeta construisait des cabanes au salon ou préparait des sandwichs avant une promenade en forêt. Papa, je me souviens de nos premières vacances à la mer. A l’époque, on s’habillait de tee-shirts colorés façon batik, et Los Payos chantaient « Vamos a la playa calienta el sol ». Tu m’as appris à nager en me tenant par le menton. Et toi mama, sublime quand tu sortais avec papa, avec tes bottes lacées et ta courte jupe en daim. Mais le soir, en djellaba, tu me lisais des contes de Perrault ou des frères Grimm. Je me rappelle aussi: les mères des copines bêchant leur potager, les voisins du quartier taillant les fruitiers, mon institutrice de 2ème année primaire que j’aimais tant. Vous me donniez l’impression que l’existence s’apparentait au printemps. Que je ne grandirais jamais. Que pour toujours vous resteriez jeunes et forts. Puis le temps a fait son œuvre. La famille s’est éparpillée, comme souvent chez les immigrés. Une partie est restée ici. L’autre est retournée en Espagne. Mais vous faites tellement partie de moi, que je vous croyais immortels. Et soudain, le Covid-19 est apparu en rappelant les règles! Qu’elles sont cruelles ces règles ! A présent, j’ai peur de vous perdre, surtout vous, père et mère. En particulier toi, mama, qui te trouve dans le cyclone, pas très loin de Pepe et José, dans une région de la Péninsule ibérique où les personnes de votre âge meurent par centaines. Je m’aperçois, que je pense à vous. Que mon cœur vous suit. Tout comme il accompagne les personnes qui m’ont vu grandir et, qui à présent, en Suisse comme en Espagne, sont éloignées de ceux qu’ils aiment. Alors pas de mauvaise blague, s’il vous plaît. Prenez soin de vous, por favor. Je veux vous revoir.
Je vous embrasse.
Dunia
Si vous souhaitez écouter cette lettre très joliment lue par Manuella Maury, cliquez sur Porte-plume, La Première, RTS. Vous pourrez écouter la lettre à ma famille à partir des minutes 16:49. Participent également Anne Claire Martin, Bernard Comment, Anne-Marie Perrinjaquet.
Mi carta para los mayores
La Chaux-de-Fonds, el 2 de abril de 2020
Queridos papá, mamá, tíos y tías,
Aunque estábamos muy bien integrados en Suiza, tuve la suerte de crecer en una familia donde entre padres, tíos, tías, primos y primas formábamos un clan. A la primera generación, os recuerdo jóvenes, guapos, con la boca llena de bromas y de chistes. Mi memoria rebosa de momentos felices. Aun no andaba, cuando el tío Jesús me arrojaba hasta el techo mientras me reía a carcajadas. También recuerdo como, la tía José, antes de que fuera mi tía porque en ese momento era la prometida de mi tío Pepe, el hermano de mi madre, me sentaba en sus rodillas y ponía los ojos bizcos para divertirme. Que guapísima era con los lunares que se había tatuado en la cara un día en que, a su hermana y a ella, les dio por distraerse con tinta y agujas. Y lo orgullosa que estaba yo, entrando en la iglesia cuando se caso la prima Marga, con mi vestidito blanco y los guantes de encaje, sosteniendo la cola del vestido de la novia. Y cuánto me fascinaba mi tío Angelito, con las radios que recuperaba, limpiaba y reparaba. Eran tan antiquísimas que, probablemente, cuando habían transmitido la voz del General Guisan, el héroe suizo de la Segunda Guerra Mundial durante la movilización, ya tenían unos cuantos años y hasta habían anunciado los estrenos de las películas de Rudolfo Valentino. Para entretenernos, la tía Violeta construía cabañas con mantas y sillas en medio del salón o preparaba bocadillos antes de llevarnos de paseo por el bosque, en invierno, bajo la nieve. Papá, recuerdo nuestras primeras vacaciones junto al mar, en Mallorca. En aquella época, solíamos vestirnos tipo hippies, con camisetas teñidas con la técnica de batik, muy guais, y Los Payos cantaban “Vamos a la playa calienta el sol”. Me enseñaste a nadar sosteniéndome por la barbilla. En cuanto a ti, mamá, que bella y sublime te veía cuando salías de fiesta con papá, con tus botas de cordones y tu falda corta en piel de ante. Pero por lo general, cuando andabas por casa, te vestías con una chilaba comprada en el rastro de Madrid –cuanto me gustaba el rastro de entonces- y antes de apagar la luz, cuando ya estaba en la cama, me leías cuentos de Perrault o de los hermanos Grimm. También recuerdo: las madres de mis amiguitas regando las huertas que en ese momento tenían casi todas las casas antiguas de nuestro barrio, los vecinos podando los árboles frutales, y mi profesora de segundo año de primaria a la que tanto quería. Todos me dabais la impresión que la vida era una eternal primavera. Que yo nunca crecería y que vosotros os mantendríais jóvenes y fuertes para siempre. Pero, el tiempo hizo su cruel trabajo. La familia se disperso, como suele ocurrir con los inmigrantes. Algunos nos quedamos aquí. Sobre todo la segunda generación. Otros regresaron a España, incluso ciertas personas de la tercera generación nacidas en Suiza. Pero hacéis tan parte de mí, que pensaba que erais inmortales. Pero de repente apareció el Covid-19, recordándonos las reglas! ¡Qué duras son esas reglas! Ahora tengo miedo de perderos, en particular vosotros, padre y madre. Especialmente tú, mamá, que vives en el ciclón, no lejos de Pepe y José, en una región de la Península Ibérica donde la gente de tu edad se está muriendo por cientos. Me doy cuenta que pienso en vosotros. Que mi corazón os sigue. Que acompaña la gente que me vio crecer y que ahora, en Suiza como en España, está lejos de sus seres queridos. Así que, aunque seáis chistosos, por favor, evitad las bromas pesadas. Cuidaros por favor. Que quiero volver a veros.
Besos a todos.
Dunia
Photographies / Fotografias :
Mon 3ème anniversaire / Mi cumpleaños: 3 años
Avec ma mère: mes premières vacances à la mer / Con mi madre: mis primeras vacaciones cerca del mar.