Marilyn Monroe : une sensibilité et une intelligence innées

Pour la découvrir :  3 livres hors du tapage Netflix

Ai-je vu le film Blonde ? Non. Je fais partie des extraterrestres qui n’ont pas Netflix. Ai-je envie de le voir ? Non. Le film est tiré du roman éponyme de l’immense écrivaine Joyce Carol Oates qui précise au début de son ouvrage : « Blonde est une œuvre de fiction. Si la plupart des personnages de mon livre présentent quelques ressemblances avec les proches et les contemporains de Marilyn, leur description et les événements rapportés sont entièrement le fruit de l’imagination de l’auteur. Il faut donc lire Blonde comme un roman et non comme une biographie de Marilyn Monroe. »

Pour cette raison, il m’a paru important de donner la parole à Marilyn elle-même que l’on laissait si rarement parler, ou à son meilleur ami, l’écrivain et poète Norman Rosten.

Hollywood la broyeuse

Que Marilyn ait été broyée par Hollywood me semble évident. Qu’elle n’ait été qu’un piètre objet dans la machine hollywoodienne me paraît, en revanche, discutable. Jayne Mansfield, formatée pour la remplacer, n’eut que des rôles de vulgaire et ravissante idiote. Elle était pourtant pianiste et violoniste classique, parlait cinq langues et avait un QI de 163. Avant de mourir dans un effroyable accident de voiture, Hollywood la transforma en une actrice déchue et pathétique, alcoolique, et bourrée de psychotropes. Quant à la brillante Hedy Lamarr, star de la MGM dans les années 1930-1940 et inventrice peu considérée de notre incontournable Wifi, elle finit enfermée chez elle, terrifiée par le vieillissement et ravagée par les successives chirurgies esthétiques. Hollywood a également détruit quelques hommes. Je me contenterai de n’en citer qu’un seul : River Phoenix, dont on parle beaucoup ces jours. La mâchoire de l’industrie du film américain a déchiqueté bon nombre de personnes. Nul besoin d’être femme ou imbécile pour se laisser happer par elle.

Un corps et un cerveau

L’essayiste et poétesse britannique Edith Sitwell, avec qui Marilyn Monroe parlait de poésie, écrivit à son propos « Elle était très calme et avait une sorte d’immense dignité naturelle et elle était extrêmement intelligente. Elle était aussi d’une sensibilité maladive… Au repos son visage était par moments étrangement tragique et prophétique, comme le visage d’un beau fantôme ».

Contrairement à Jayne Mansfield ou à Hedy Lamarr, issues de milieux cultivés et privilégiés, qui auraient peut-être pu échapper au chant des sirènes hollywoodiennes, Marilyn Monroe ne connut, durant son enfance, que les orphelinats et les familles d’accueil qui la traitaient en servante. Consciente de manquer de culture, pour échapper à son destin elle ne possédait que son corps. Un corps que son esprit affuté sut savamment utiliser pour fuir l’ignorance et la pauvreté, même si effleurer les étoiles et laisser son empreinte sur le plus célèbre boulevard de Los Angeles lui coûta cher. Mais rien ne nous indique que sa vie aurait été plus heureuse si elle s’était contentée de rester « à sa place » de « pauvre fille» désargentée fruit d’institutions.

Marilyn Monroe : Fragments

Marilyn Monroe aimait la littérature et la poésie. En 2010, les éditions du Seuil, grâce à l’éditeur et écrivain suisse -jurassien- Bernard Comment, publiait les notes et poèmes inédits que l’actrice avait légués à son professeur de théâtre Lee Strasberg. A travers ces écrits pour la première fois dévoilés au public, on découvrait une personne sensible, avide de culture et d’amitiés sincères. Exigeante envers elle-même et travailleuse, les uniques motivations de Norma Jeane Mortenson (son vrai nom) furent de toujours améliorer son jeu de comédienne, de se cultiver et de trouver un équilibre grâce à la psychanalyse. A n’en point douter, elle était une personne très éloignée des rôles d’idiote manipulatrice, vénale et dévoreuse d’hommes qu’on lui prêtait dans les films.

La forme poétique, ou plus largement celle du fragment, lui permit probablement d’exprimer des fulgurances et des sensations ponctuelles. Mais qui voulait vraiment entendre et comprendre cette voix ? Après sa mort, Arthur Miller dira : « Pour survivre, il aurait fallu qu’elle soit plus cynique ou du moins plus proche de la réalité. Au lieu de cela, elle était un poète au coin de la rue essayant de réciter ses vers à une foule qui lui arrache ses vêtements. »

Marilyn Monroe : Confession inachevée

En 1954, l’agent de Marilyn demande au célèbre scénariste Ben Hecht d’aider l’actrice à écrire ses mémoires. A 28 ans, elle compte une vingtaine de films à son actif, et elle est déjà plus que lasse des inventions et des potins que les journaux à scandales colportent à son sujet. Elle dicte ses mots, d’une grande liberté et maturité, au dramaturge qui les retranscrit sur le papier. Pour des raisons personnelles, elle ne terminera pas cette autobiographie qui s’achève comme s’achèvera sa vie : abruptement, au moment où elle se rend en Corée, par un froid polaire, pour chanter devant les soldats américains. Toutefois, l’on y apprend le calvaire que fut son enfance, les problèmes psychiatriques de sa mère, le viol subit alors qu’elle n’a que 8 ans, et comment à 12 ans, alors qu’elle n’est encore qu’une fillette innocente, elle s’aperçoit de la puissance évocatrice de son corps. Sans tabous Marilyn dévoile également ses états d’âme; les dessous cauchemardesques de l’usine à rêves; sa volonté acharnée à devenir une actrice contre vents et marées; comment ce fut une femme qui, la première, commença à la transformer physiquement; sa lutte continuelle pour être considérée en tant que talentueuse actrice et non comme un tapageur objet sexuel décérébré.

Ces textes intimes, bouleversants et féministes, ont été publiés pour la première fois aux États-Unis et dans les pays francophones en 1974.

 

Norman Rosten : Marilyn ombre et lumière

De 1955 et jusqu’au jour de sa mort, le poète et écrivain Norman Rosten et son épouse Hedda furent les plus proches amis de Marilyn. C’est à lui qu’elle donnait à lire ses textes.

« Elle me tendait souvent un bout de papier avec quelques mots dessus et demandait :

– Penses-tu que c’est de la poésie ? Garde-le, tu me diras.

Ou bien elle m’envoyait par la poste une feuille griffonnée, demandant ce que j’en pensais. Je l’encourageais toujours.

Elle aimait la poésie. Elle comprenait, avec l’instinct d’un poète, que la poésie menait au cœur des choses. »

Avec amitié et tendresse, Norman Rosten raconte la Marilyn qu’il connut. Ses hauts, ses bas, ses déconvenues avec le psychiatre qui la suivait, et son plongeon final. Il ne se remettra jamais vraiment de la brutale disparition de son amie. De n’avoir pas compris son appel à l’aide, alors qu’elle et lui, que les tendances suicidaires habitaient aussi, s’étaient promis de s’aider mutuellement si l’un d’eux se sentait sur le point de passer à l’acte.

Les trois livres contiennent de nombreuses photographies de la star.

 

Sources :

– Fragments, Marilyn Monroe, Points, 2012.

Confession inachevée, Marilyn Monroe, Pavillon Poche, Robert Laffont, 2022.

Marilyn ombre et lumière, Norman Rosten, Éditions Seghers, 2022. La couverture du livre illustre cet article. Il s’agit du détail d’une photographie     réalisée par Sam Shaw en 1957.

Blonde, Joyce Carol Oates, Stock, Le Livre de Poche, 2000.

– Wikipédia

Le livre à redécouvrir : “Le Chêne brûlé” de Gaston Cherpillod

L’affreux des lettres romandes

« Je ne puis me déprendre tout à fait de ma merde ; alors je la transmue ; écrivant un texte je coule un bronze. Je n’incarne point la norme et pourtant… Qu’on me salue ou non je m’en moque : la célébrité sent mauvais. Les trompes de la renommée ! Lisez mieux : les trompes de la ménorrhée ; la gloire, c’est glaireux. Celui qui en rêve je le conchie : c’est une bête à Bon Dieu, c’est un réac ; il hait ses semblables ; il perpétue leur asservissement en les faisant – sale cabot – s’agenouiller devant lui. « Génie ô tiare de l’ombre… » Pot de chambre plutôt. »

Ainsi écrivait le poète et romancier Gaston Cherpillod, en 1969, dans Le Chêne brûlé que les éditions de L’Aire viennent de republier dans leur collection bleue, avec une préface de Karim Karkeni. Sans chercher les honneurs, et malgré une plume trempée dans le vitriol qui décapa une Suisse ronronnante et satisfaite d’elle-même, Gaston Cherpillod fut par deux fois lauréat du Prix Schiller (1976 et 1986), et reçu le Prix des écrivains vaudois en 1992 pour l’ensemble de son œuvre.

Gaston Cherpillod : témoin d’une époque charnière

Gaston Cherpillod naît en octobre 1925, à Lausanne, dans une famille pauvre et travailleuse. Dans ce premier ouvrage, il nous rappelait que les Suisses ne sont pas tous issus d’une classe sociale favorisée, comme on se l’imagine hors de nos frontières et parfois même à l’intérieur. L’auteur est venu au monde dans un moment charnière du XXème siècle, entre deux guerres et peu avant la Grande Dépression de 1929. Une époque agitée, aujourd’hui oubliée, où montaient tous les totalitarismes. Qui se souvient encore qu’en 1932, à Genève, l’armée tirait à balles réelles lors d’une manifestation contre le fascisme ? Que l’assurance chômage n’existait pas et les aides sociales encore moins ? Révolté par le sort et le mépris réservés aux petites gens, dans Le Chêne brûlé Gaston Cherpillod témoignait de son enfance, de sa jeunesse et de l’ambiance explosive en ces temps troublés de l’Histoire :

« Nous dûmes nous loger dans un quartier où le labeur le disputait à la crapule : les ouvriers y coudoyaient les souteneurs et les prostituées. C’était à Cheneau-de-Bourg. L’appartement suintait ; les chambres donnant sur la façade voisine le soleil ne les visitait jamais. Un soir, mon père sortit respirer un air plus pur. Se trompait-il ? Ça sentait le roussi dehors. Un flic lui intima l’ordre de regagner son domicile. Il ne sut que le lendemain pourquoi l’on portait atteinte à la liberté de circuler : la classe ouvrière lausannoise s’était soulevée ; les pavés étoilaient les vitrines splendides de la rue de Bourg ; parmi les ouvriers les macs, complices de la flicaille, accomplissaient leur besogne : marquaient à la craie d’une croix dans le dos, les émeutiers vrais ou supposés, les travailleurs dans la rue, pour que la police ainsi renseignée pût les embarquer. La veille, des conscrits avaient tiré sur le peuple à Genève : des dizaines de blessés et treize morts. La foule était sans armes évidemment. »

Gaston Cherpillod devint membre du Parti suisse du travail en 1953, avec lequel il rompit en 1959. Il fut également conseiller communal à Lausanne de 1954 à 1956, puis à Renens de 1978 à 1985. En 1986, il se présenta comme candidat au Conseil d’État sur la liste Alternative socialiste verte.

Enseignant le latin et le grec, en 1956 on le suspendit de l’enseignement secondaire vaudois en raison de son appartenance au Parti ouvrier populaire. Il quitta alors le canton de Vaud pour vivre au Locle. Plus tard, il s’installa dans le sud de la France.

Gaston Cherpillod : écrire pour inquiéter

Grand consommateur de journaux, il les lisait tous, hormis ceux de l’extrême droite dont il prétendait connaître le contenu. Travailleur nocturne, il écrivait ses livres à partir de 17h et, comme beaucoup d’écrivains, de préférence au bistrot.

Huguenot anticlérical, il concevait l’écriture comme un martyre, c’est-à-dire un témoignage arraché au scribe par la violence sociale ou métaphysique. Pour Cherpillod, la littérature était la chose le plus pénible qu’il lui avait été donné d’accomplir, alors même qu’il avait exercé des travaux particulièrement physiques afin de pouvoir payer ses études, que plus tard il fut enseignant et que son investissement en politique fut total. Cependant, il considérait l’écriture comme l’activité la plus harassante d’entre toutes : « Ce travail de création esthétique demande une énorme concentration nerveuse. Une grosse dépense… Sans compter les agressions psychiques qu’il suppose dans un hôte suivant ce qu’il écrit ». Exigeant envers lui-même, il lui semblait inconcevable que l’on écrive uniquement pour divertir les gens. « Le rôle de l’écrivain c’est de poser des questions. Ce pays me met en colère tous les jours mais je l’aime… Au fond j’écris pour emmerder, pas seulement pour me plaire. Je veux inquiéter. Remuer les fourmilières. Voire les fourmis qui s’échappent affolées. »

Gaston Cherpillod : transclasse avant l’heure

Cet homme dont la plume aiguillonnait la Suisse, aimait la tranquillité du bord de l’eau et l’apaisante quiétude de la pêche à la ligne dont il tirait une grande et fierté. Il tenait beaucoup à son talent de pêcheur, titillant le poisson en s’intégrant dans un paysage afin de – pour une fois – ne penser à rien.

En écrivant Le Chêne brulé Gaston Cherpillod s’était aperçu qu’il était un bâtard culturel. Un transclasse, comme l’on dirait de nos jours, qui dérangeait autant les ouvriers que les bourgeois. D’ailleurs la particularité de son livre, c’est de passer avec une sublime aisance de l’argot au parler vaudois, et du parler vaudois au français le plus précieux. D’emprunter les mots de la rue tout en citant Proust ou St-Augustin, et en se référant à Sophocle, Balzac ou Dostoïevski.

Dans ce premier ouvrage Cherpillod n’occultait rien de ses mouvementées jeunes années. D’une encre altérée à l’acide, il nous emmène non seulement dans un moment de l’Histoire avec un grand H, mais également dans ses rébellions, dans ses beuveries, dans ses amours et dans son goût pour les prostituées.

« Nous avions une soif de damnés : je ne l’ai jamais tout à fait pardonné au soleil. Je trimballai des sacs de bûches des greniers aux caves de l’ancien évêché où se vendait du bois de chauffage à prix réduit ; je le distribuai aux misérables ; la retraite vieillesse n’existait pas encore. La quinzaine terminée je m’amusais comme je le pouvais. Mal. Saoulerie, coucheries : ça ne valait pas tripette ; j’en suais de dégoût. Elle schlingue ferme, une jeunesse de cette espèce-là. Il m’en reste encore du suint. On comprend pourquoi les écrivains du cru ne m’ont jamais tenu pour un des leurs : au nez de ces chatons je puais le fauve. Les frôleurs ! ça vit à la retirette et ça prétend être moniteur de conduite… Je t’en ficherai, moi, du pedigree, faux aristocrate, solipsiste à la manque ! »

Si certains thèmes abordés, ainsi que quelques propos, ont mal vieillis, on se surprend également à voir une multitude de concordances entre les années 1930-1950 et ce que nous vivons actuellement. Plus de cinquante ans après la première édition du Chêne brulé, sa lecture est une gifle magistrale qui ne laisse personne indifférent, quelles que soient ses opinions.

Décédé en octobre 2012, à l’âge de 86 ans, Gaston Cherpillod n’a eu de cesse de dénoncer les injustices infligées aux personnes les plus démunies.

Sources :

Le Chêne brûlé, Gaston Cherpillod, l’Aire bleue, nouvelle édition 2022.

La Voix au chapitre, RTS, le 3 décembre 1971. Les images en N/B sont également issues de cette émission.

LittéraTour de Suisse, RTS, le 1er octobre 1999.

– Wikipédia

 

Un livre 5 questions : « Grenier 8 » la rue des souvenirs d’Emanuelle Delle Piane

Un voyage dans une Suisse populaire et d’antan

Certaines lectures nous rappellent nos propres souvenirs : le cagibi secret où l’on se cachait avec nos cousins ou les vêtements que nous portions le dimanche quand c’était encore un jour exceptionnel et sacré. C’est le cas du roman Grenier 8 d’Emanuelle Delle Piane, connue pour ses scénarios de séries télévisées ou ses pièces de théâtre.

L’action se situe principalement à La Chaux-de-Fonds, dans les années 1960-1970, à la rue et au numéro où se trouve l’actuel mais très ancien restaurant La Pinte Neuchâteloise. D’où le nom du roman : Grenier 8. En compagnie d’Éli, la narratrice, on entre dans la machine à remonter le temps. Rafraîchie, notre mémoire retrouve les gens, les habitudes, les mots populaires et les objets de l’époque. Les qué, pétler, kratz, bringuer et fouzytout, ce parler d’antan qui s’utilisait encore, nous revient en tête. On se souvient des heures passées à jouer au flipper. On entend la musique de ces 45 tours que l’on écoutait au mange-disque. On se souvient du ronronnement de la vieille machine à coudre Pfaff, des peintures qui décoraient les boîtes à biscuits en métal blanc et des recettes de cuisine de grand-mère qui ne s’encombraient pas des adjectifs « légère » ou « détox ». Grenier 8 est un roman humoristique et nostalgique assaisonné d’un suspens exempt d’innocence.

Grenier 8 : résumé

L’héroïne de l’histoire aurait pu continuer à vivre paisiblement en dessinant ses BD, mais elle n’a jamais su refuser un service. Alors, quand son cousin lui demande d’aller récupérer des documents compromettants dans la maison de son enfance, elle s’exécute. La bâtisse, qui en plus des souvenirs de la narratrice a pendant longtemps abrité un café-restaurant, et dans ses combles, de sulfureuses affaires (que l’on découvrira en même temps qu’Éli) est un personnage à part entière du roman.

Grenier 8 vient de paraître aux Éditions Livreo-Alphil dans la collection Lieu et temps, supervisée par l’Association pour l’aide à la création littéraire qui vise à constituer, à raison d’un livre par an, une collection d’auteur-e-s du canton de Neuchâtel, invités à traiter du thème du temps en résonance avec un lieu vernaculaire de leur choix.

Emanuelle Delle Piane : l’interview

Comment est né le roman « Grenier 8 » ?

Il est né en pleine pandémie. Alors que tous mes projets théâtraux s’annulaient les uns après les autres du fait de la fermeture des salles de spectacle, l’AACL (l’Association des

Auteurs neuchâtelois pour la Création Littéraire) m’a approchée pour relever ce défi longtemps inimaginable pour moi : me lancer dans l’écriture d’un premier roman ! Pourquoi inimaginable ? Parce que j’avais jusqu’ici privilégié des formes d’écriture courte, vive, percutante. L’écriture a toujours été pour moi un processus plutôt fulgurant. Travailler à un roman m’angoissait. Je craignais de ne pas être capable d’un investissement sur le long terme.

Grenier 8 se situe en partie dans les années 1960-1970, comment avez-vous procédé pour retrouver les ambiances, les expressions et le vocabulaire de ces années-là ?

J’ai vécu une partie de ma petite enfance à La Chaux-de-Fonds. Certaines expressions et plusieurs souvenirs étaient encore très présents à mon esprit. D’autres, je les ai inventés, imaginés tout exprès pour l’histoire que raconte ce roman. Pour vérifier mes sources et « mes dires », j’ai également eu la chance de pouvoir séjourner dans l’appartement de la Fondation Velan (APOYV) durant plusieurs jours pour m’imprégner de l’atmosphère de la ville et peaufiner « in situ » certains passages qui concernent non seulement La Chaux-de-Fonds d’hier, mais aussi celle d’aujourd’hui.

 

Pourquoi avez-vous choisi de faire parler Éli à la 2ème personne du singulier, comme si elle se parlait à elle-même, plutôt qu’à la première ou à la troisième ?

Je ne suis pas une fanatique du « Je » et je voulais éviter que mon personnage fasse étalage de ses états d’âme. Si j’ai choisi d’utiliser le « tu », c’est d’abord pour offrir une sonorité et une oralité à l’écriture. Pour que le lecteur se sente proche, complice et au plus près de l’intrigue et de mon personnage principal. En optant pour cette forme, j’ai peut-être eu envie aussi de me forcer à sortir des sentiers battus…

Vous avez écrit des scénarios de séries télévisées et vous travaillez surtout pour le théâtre. Quelles différences il y a-t-il entre écrire des séries télévisées, du théâtre ou du roman ?

Peu importe la forme ou le fond, il faut avant tout que j’aie en tête des personnages qui me racontent leur histoire. Une histoire originale, cohérente, qui me surprenne et qui me tienne en haleine de bout en bout. Tant que je n’ai pas réussi à réunir ces principaux ingrédients, je suis incapable d’écrire quoi que ce soit.

La question que je pose à chaque auteur-e : à quel personnage de la littérature pourriez-vous vous identifier ?

Je ne sais pas si « identifier » est le mot juste, mais il y a sans doute plusieurs personnages nés de la littérature qui m’interpellent. Celui qui me vient tout à coup à l’esprit est Cyrano de Bergerac. J’apprécie son côté frondeur, idéaliste, téméraire, fier, qui se bat coûte que coûte pour défendre ses convictions. J’aime aussi son côté « personne de l’ombre » hypersensible qui se cache, s’efface, se sacrifie pour des causes qu’il croit belles et importantes… même si elles sont désespérées !

Emanuelle Delle Piane : biographie

Née un 24 décembre à La Chaux-de-Fonds, d’origine suisse et italienne, Emanuelle Delle Piane a suivi des études de lettres et des formations variées en écriture de scénarios en France et aux États-Unis. Elle a enseigné aux étudiants en audiovisuel de l’Université de la Sorbonne-Paris IV et donné des ateliers à des professionnels ou des enseignants. Elle est l’auteure de plus d’une trentaine de pièces pour adultes et pour enfants, mais aussi de scénarios, de pièces radiophoniques et de nouvelles. Ses textes ont fait l’objet de créations en France, en Suisse, en Allemagne, en Belgique, en Italie, en Pologne, au Canada, en Arménie, et sont régulièrement joués.

Pour en savoir plus visitez son site en cliquant ici.

Crédit de la photographie d’Emanuelle Delle Piane en début d’article : N.Sabato

 

Jacques Prévert : poète, scénariste et plasticien surréaliste

Choses et autres : en toute liberté

« Ce Jacques Prévert, voilà qu’il devient doucement, mégot après mégot, un classique de la littérature française, de la poésie universelle » écrivait Gérard Guillot, dans le journal Le Monde, à la parution du dernier recueil publié du vivant du poète. L’un de ses livres les plus surprenants, où il osait son seul texte autobiographique tout en se livrant à des expérimentations audacieuses et en renouvelant son style avec une étonnante liberté.

Ainsi commence Choses et autres :

 « 1906, Neuilly-sur-Seine.

Souvent, au Bois, un cerf traversait une allée. Un peu partout, les gens mangeaient, buvaient, prenaient le café. Un ivrogne passait et hurlait : «Dépêchez-vous ! Mangez sur l’herbe, un jour ou l’autre, l’herbe mangera sur vous !» »

Jacques Prévert : un anticlérical convaincu

A Pâques, je me suis penchée sur l’ouvrage du diacre Jean-Marc Leresche. Afin d’équilibrer les tendances, à l’Ascension j’ai eu envie de publier un poème de l’impertinent anticlérical qu’était Jacques Prévert.

Jacques Prévert : un poète qui s’adonnait à tous les arts

Redécouvert dans ma bibliothèque, Choses et autres est paru en grand format en 1972.

Mon exemplaire de poche est daté de 1976, soit un an avant le décès du poète. La couverture est illustrée par un collage de Jacques Prévert lui-même. L’actuelle première de Folio Gallimard, que l’on peut voir en haut de cette page, est également l’un de ses collages.

L’édition Folio de 1976.

Le grand public a découvert Jacques Prévert à travers ses poèmes, ses scénarios et ses dialogues pour le cinéma. Il le connaît moins pour son talent d’artiste plasticien et pour ses œuvres surréalistes aussi poétiques qu’étonnantes. En effet, vers le milieu des années 1940, encouragé par Joan Miró et Pablo Picasso, suite à un accident qui l’oblige à garder le lit, il se passionne pour la pratique du collage. « Jacques s’exprime de plus en plus par les collages, comme il a fait par les poèmes. Mais je pense que ces collages, au fond, sont des poèmes », disait son éditeur, René Bertelé. « Et d’autre part, il se rend compte maintenant que certains de ses poèmes sont en quelque sorte des collages de mots, si on veut. » Dans le film sans paroles de Bruno Pollacci, vous pourrez découvrir son travail de plasticien.

 

En janvier 2019, j’avais déjà présenté ce poète dans cet espace. Pour vous rendre à l’article qui vous permettra d’accéder à davantage d’informations sur Jacques Prévert, cliquez ici.

 

Sources :

  • Choses et autres, Jacques Prévert, Collection Folio Gallimard
  • Fondation Michalski
  • Matière et Révolution

“Dernier concert à Pripyat” : les photographies de La Zone (2)

Pripyat: une ville où il faisait bon vivre

Avant l’accident nucléaire, Pripyat se voulait une ville très occidentale et animée, avec ses cinémas, ses théâtres, ses centres culturels et ses bars à la mode. Ce qui est à présent un no man’s land fut, avant la catastrophe, un endroit très prisé ou les gens étaient heureux et contents de vivre. Il y régnait une fierté à faire partie de cette grande famille qui travaillait et vivait grâce à la puissance de l’atome.

L’eau de la rivière Pripyat, que l’on voit sur plusieurs photographies publiées entre jeudi et ce samedi, alimente la piscine de refroidissement. Elle traverse la zone de 30 kilomètres autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Elle draine encore actuellement des radioisotopes. La Pripyat se jette dans le fleuve Dniepr qui se jette à son tour dans la Mer Noire. La réserve radio-écologique qui correspond à la zone la plus contaminée par la catastrophe de Tchernobyl est en partie interdite d’accès. Toutefois, elle accueille une faune sauvage d’un grand intérêt.

Dernier concert à Pripyat, le roman de l’écrivaine et journaliste Bernadette Richard, paru aux Éditions L’Âge d’Homme cet automne, est inspiré par son séjour dans La Zone de Tchernobyl et Pripyat. Aujourd’hui, je publie une dernière sélection des photographies qu’elle a ramenées de son passage en ces lieux. Toutes datent de 2013 et sont légendées par la romancière elle-même. Si vous n’avez pas encore lu l’interview de Bernadette Richard, ni lu les extraits de son livre, vous pouvez cliquer ici.

 

 

Les immeubles qui ont inspiré le début du livre. ©BernadetteRichard2013

 

Malgré les ravages de la catastrophe et les pillages permanents, la nature, bien que hautement irradiée, reprend ses droits. ©BernadetteRichard2013

 

Sculpture en hommage aux liquidateurs qui ont donné leur vie dès le 26 avril 1986 pour tenter du juguler la catastrophe. ©BernadetteRichard2013

 

Bâtiment officiel sur la grande place. ©BernadetteRichard2013

 

Le très chic hôtel Polissa sur la grande place de Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Une salle de spectacles dans Pripyat ou ce qu’il en reste. ©BernadetteRichard2013

 

Bâtiment officiel dans la ville de Tchernobyl, en bon état car encore utilisé. ©BernadetteRichard2013

 

Un magnifique vitrail fracassé. ©BernadetteRichard2013

 

Près d’un bâtiment officiel, un pommier donne chaque années des fruits sans doute délicieux et irradiés. Une petite pomme pour la soif? ©BernadetteRichard2013

 

Les machines qui ont servi à assainir un minimum le lieu. Totalement contaminées, on a dû les enfermer derrière une barrière pour éviter que les touristes imprudent ne soient dangereusement irradiés. ©BernadetteRichard2013

 

Le restaurant branché de la belle époque, il borde la rivière. Le décor est magnifique et … irradié. Un petit verre pour la route? ©BernadetteRichard2013

 

Face au restaurant branché, le ponton qui permettait de prendre le bateau pour des balades sur la rivière Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Les arts de la rue défient la mort de Pripyat. Quelques très bons artistes et des stalkers ont laissé leur griffe. ©BernadetteRichard2013

 

Compteur Geiger de l’historienne qui m’accompagnait. A 1.12, rien de grave, mais le dosimètre s’emballe très vite, parfois à 10 mètres plus loin. ©BernadetteRichard2013

 

 

Un manège et divers jeux avaient été installés tout exprès pour la fête du 1er mai 1986. Un manège figé jusqu’à ce que la flore l’absorbe complètement. ©BernadetteRichard2013

 

Petite balade de « santé » le long de la rivière Pripyat qui borde la Centrale Lénine? ©BernadetteRichard2013

 

Au sortir de la Zone, examen dans une machine qui semble sortie d’un vieux film de science-fiction qui fait office de contrôle de l’irradiation des visiteurs. Ici, j’étais en zone orange, ça passe… mais j’y ai perdu mes Doc Martens et mon manteau trop irradiés pour les promener dans le reste du monde. ©BernadetteRichard2013

Sources :

  • Bernadette Richard
  • Wikipédia

 

 

“Dernier concert à Pripyat” : les photographies de La Zone (1)

Tchernobyl-Pripyat : No Man’s Land ukrainien

De son séjour dans La Zone interdite en 2013, la journaliste et romancière Bernadette Richard a ramené les photos des lieux qu’elle décrit dans son roman Dernier Concert à Pripyat. “Mes photographies sont nulles. Photographe c’est un métier or je ne suis pas de ce métier. En revanche, elles reflètent parfaitement les couleurs du lieu et les ambiances du roman”. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant de donner, exceptionnellement, une suite à ma publication d’hier. Beaucoup d’entre elles ont été prises d’une voiture. La radioactivité trop élevée ne permettait pas d’en sortir, d’où les flous. Elle sont légendées par Bernadette Richard. Mais auparavant elle nous invite à un à boire un thé ou un café un peu particuliers dans des tasses ramenées de son séjour dans La Zone.

“Alors, un petit goûter gore avec les souvenirs de Tchernobyl ? J’attends mes lecteurs avec impatience !” Euh, non merci Bernadette je passe mon tour. Surtout lorsque l’on sait ce qui suit.

Tchernobyl : la Centrale Nucléaire

Bernadette Richard : “Construit en urgence de mai à octobre 1986, afin de recouvrir les ruines du réacteur no 4 de Tchernobyl, le sarcophage avait été garanti 25 à 30 ans de bons et loyaux services. Il avait été réalisé, dans des conditions de travail abominables, en 206 jours, requérant 400 000 m. carré de béton et 600 000 ouvriers, tous très exposés aux radiations mortelles. Les pilotes d’hélicoptères qui transportaient le matériel eux aussi furent violemment contaminés. 

 

La Centrale de Tchernobyl avant que l’arche soit posée. Les cheminées sont en train d’être démontées. L’échafaudage est posé sur le réacteur no 4. La statue montre le courage des ouvriers face au travail de décontamination, mais hommage aussi à ceux qui ont continué à faire fonctionner les autres réacteurs durant des années. ©BernadetteRichard2013
Le vieux sarcophage a tenu ses promesses, vaille que vaille. Mais peu à peu, au début du millénaire, des fissures apparurent et bien que des travaux de stabilisation furent menés en 2004 et 2008, des brèches de plus en plus étendues (sur la photo, on distingue une large faille de 6 mètres de long dans la façade) firent craindre le pire, à savoir la dispersion d’une nouvelle pollution radioactive. 
En 2015, une faille de 6m de long est visible le long de la façade du 4ème réacteur. D’autres petites failles sont apparues au fil du temps, nécessitant la construction de la grande arche de protection. ©BernadetteRichard2013

Alors que la nouvelle arche était déjà en cours de réalisation, le toit de la vieille structure s’effondra au cours de l’hiver 2013, particulièrement rigoureux. Bouygues travaux publics et Vinci Construction Grands Projets, qui participaient largement au chantier, rappela ses 80 employés français le 13 février. Le chantier prit un retard considérable avant que l’arche soit « glissée » au-dessus des ruines du 4ème réacteur et hermétiquement fermée en 2019. Et enregistrera un dépassement du budget de plus d’un milliard d’euros.

La grande arche en construction, ici en 2013. Elle a coûté bien plus cher que prévu, a pris du retard, mais en 2019, elle a été roulée au-dessus du réacteur no 4, censée protéger l’Europe d’une seconde catastrophe durant un siècle: plus de 120 tonnes de matériel gravement irradié sont encore enfouis sous le réacteur no 4. ©BernadetteRichard2013

Cette réalisation pharaonique « composée de deux structures métalliques, pour un poids total de 25 000 tonnes, est longue de 162 mètres, haute de 108 mètres et elle affiche une portée de 257 mètres. A elle seule, elle pourrait recouvrir le Stade de France ou la Statue de la Liberté. Cette enceinte a été conçue pour résister à des températures comprises entre -43°C et +45°C, ainsi qu’à une tornade de classe 3 et à un séisme d’une intensité de 6 sur l’échelle de Mercalli. Sa durée de vie est estimée à une centaine d’années. » Parmi la population ukrainienne et biélorusse, le doute subsiste: un siècle, vraiment?”

Comme si tout était normal, distributeurs d’électricité à haute tension, bassin de refroidissement, signal routier… mais construction de la grande arche qui devrait protéger le réacteur 4 pour un siècle. Aujourd’hui posé. ©BernadetteRichard2013

Une cité morte : le décor du roman Dernier concert à Pripyat

Une école dans la Zone entre Tchernobyl et Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

 

 

Ce qui fut une maison de commune, école, centre culturel entre Tchernobyl et Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Entrée dans la ville de Tchernobyl, encore habitée aujourd’hui. On y trouve même une boutique à souvenirs , babioles, vaisselle, tee-shirts, etc. ©BernadetteRichard2013
Une vue de la grande place. ©BernadetteRichard2013

 

Le très chic hôtel Polissa sur la grande place de Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

L’entrée au Centre culturel de Pripyat. La monstrueuse déco soviétique a résisté à la radioactivité et au temps qui passe ! ©BernadetteRichard2013

 

La salle de spectacle du Centre culturel de Pripyat, vue depuis la scène… le carnage. Le temps n’a rien à y faire, ce sont les voleurs qui récupèrent tout ce qui est vendable loin de Tchernobyl, avec une décontamination plus ou moins laxiste. ©BernadetteRichard2013

 

A l’intérieur du Centre culturel de Pripyat, la razzia a eu lieu. Et pourtant, sur la scène, le piano à queue a résisté et sert parfois pour des concerts sauvages. Il est chouchouté, ripoliné, drôle de contraste. Est-il encore là aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Il m’a inspiré des scènes du roman. ©BernadetteRichard2013

Suite et fin demain.

Un livre 5 questions : « Dernier concert à Pripyat » de Bernadette Richard

Tchernobyl : une catastrophe nucléaire toujours d’actualité

Dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, eut lieu dans l’ex-Union Soviétique, dans la centrale nucléaire de Tchernobyl, ville à présent Ukrainienne située à 96km au nord de Kiev, l’accident nucléaire le plus dévastateur de l’histoire. Une hécatombe qui a coûté l’existence à 200’000 personnes au moins, et péjoré la vie d’autant de survivants. Toutefois, les chiffres des pertes humaines et des conséquences de la catastrophe sur les gens ayant été maintenus secrets ou manipulés, certains scientifiques les calculent à la hausse. A l’époque, le gouvernement soviétique avait tenté de minimiser les conséquences bien que cette tragédie ait envoyé dans l’atmosphère l’équivalent radioactif de 400 fois la bombe d’Hiroshima. Les gouvernements de l’Europe dite de l’Ouest n’avaient pas été plus transparents que l’URSS. Chaque pays prétendait que le nuage radioactif était allé jouer de la balalaïka sous d’autres cieux que le leur. Ce qui n’a pas empêché, en Europe de l’Ouest, une notable recrudescence des cancers de la thyroïde. L’augmentation de ces cancers n’est pas officiellement reconnue comme étant la conséquence de l’accident de Tchernobyl, mais elle laisse tout de même perplexe une partie du personnel médical spécialisé en oncologie. Par ailleurs Bernadette Richard reprécise ” A l’époque, le politburo de Moscou avait annoncé 47 morts. Actuellement, les chercheurs indépendants et occidentaux, même les ukrainiens, pensent qu’il y a eu au moins un million de décès, sans compter les maladies diverses maladies provoquées dans tout le continent européen. Tchernobyl a transformé le monde de la santé humaine et animale”.

A Pripyat le signe du nucléaire se trouvait partout pour vanter la modernisation de l’ex-URSS. ©BernadetteRichard2013

Par ailleurs, l’on peut raisonnablement supposer que si les sangliers des Grisons sont actuellement impropres à la consommation à cause du fort taux de radioactivité qu’ils contiennent suite à l’accident nucléaire advenu en 1986, il est probable que nous soyons nous-mêmes, trente ans après, victimes de cette pollution. Certes, nous ne nous nourrissons pas de truffes du cerf à l’instar des cochons sauvages, mais nous aurions probablement des surprises si nous passions toute notre nourriture et nos objets d’usage courant au compteur Geiger. Mais qu’en est-il sur place ?

Cette jolie mousse végétale qui s’installe peu à peu dans toute la ville est hautement polluée. Lorsque l’on se rend à Pripyat, il faut absolument l’éviter si l’on ne souhaite pas recevoir un maximum de radiations. ©BernadetteRichard2013

Bernadette Richard : Dernier concert à Pripyat une bal(l)ade dans Tchernobyl

Passionnée par la question nucléaire, la journaliste et romancière Bernadette Richard nous emmène, à travers un roman, écouter un Dernier concert à Pripyat. Paru aux Éditions L’Âge d’Homme, le livre relate l’histoire de trois jeunes garçons ayant des talents de musiciens. La nuit de l’accident nucléaire, ils fuient de chez eux en compagnie d’une vieille dame. Quelques années plus tard, adolescents et un peu casse-cous, les trois compagnons deviennent *stalkers. Défiant les dangers de la contamination, ils pénétreront régulièrement dans La Zone interdite, non seulement pour l’explorer, mais aussi pour lui rendre ses lettres de noblesse à travers la musique. Au cours de leurs expéditions, ils rencontreront tous les réprouvés et désœuvrés du système soviétique. Un roman où se mélangent des moments d’une grande humanité entremêlés à la dureté d’un quotidien sordide avec, pour décor, un no man’s land envahi par une nature qui reprend doucement ses droits. Demain et après-demain, je publierai les photographies que Bernadette Richard a réalisées sur le site. Légendées par l’auteure, elle vous permettront d’entrer dans l’ambiance du livre.

Dernier Concert à Pripyat : extraits

« Nous prenions des photos à l’insu des dealers de métal et nous entêtions à fureter du côté des chantiers où se déroulaient les mises à sac des villages enfouis et autres cimetières de véhicules. Nous secourûmes un truand égaré dans un marécage. Sans nous, il se serait enlisé dans la boue contaminée. Il nous relata les péripéties du trafic le plus rentable : sur les huit millions de tonnes de métal essaimés dans la Zone – c’était une estimation – des milliers de tonnes rejoignaient chaque semaine le marché mondial, notamment en Chine, où ces matériaux, mal décontaminés, subissaient une mue et retrouvaient une pernicieuse virginité : boîtes de conserve, outils, pièces de moteurs, ustensiles de cuisine, jouets, etc. qui arrosaient l’Europe et les États-Unis.

Au cours de ses pérégrinations, Boris avait moult occasions de s’entretenir avec la nouvelle faune qui squattait la région prohibée : psychopathes, fossoyeurs en tout genre, mercenaires tchétchènes et kosovars, putes abruties de drogues, criminels, agents secrets, braconniers, réfugiés économiques, collectionneurs d’objets contaminés ou de crânes d’animaux.

Au cœur de ce capharnaüm, les scientifiques – biologistes, écotoxicologues, géologues, hydrobiologistes, géophysiciens, botanistes, rudologues et autres ingénieurs et techniciens en chimie, physique nucléaire, analyses de l’air et des sols – nous valurent des amitiés qui perdurent au cours du temps. Les universités du monde entier envoyaient leurs chercheurs, mais manquaient de moyens pour mener des enquêtes rigoureuses. Biologistes et vétérinaires s’y étaient risqués dès les premiers mois qui avaient suivi la catastrophe. Les animaux qui n’avaient pas été abattus par la milice après le départ des habitants étaient nés avec des handicaps et de graves malformations, comme de nombreux enfants. Les bêtes étaient tuées, les enfants cachés, effacés de la liste des survivants afin de ne pas affoler la population ».

Dernier concert à Pripyat : entrevue avec Bernadette Richard

Bernadette Richard, dans quelles circonstances êtes-vous allée dans la zone contaminée de Tchernobyl ?

J’étais à Kiev pour représenter SOS-CHATS Noiraigue qui aide un refuge ukrainien. Les animaux sont persécutés en Ukraine, c’est un combat terrible pour leurs protecteurs, eux-mêmes agressés sans cesse. Un véritable état de guerre. Bien qu’il soit difficile d’entrer dans la Zone, la responsable de ce refuge m’a organisé ce séjour à Tchernobyl en deux temps trois mouvements. J’ai toujours été passionnée par la question nucléaire… j’ai un Pluton à l’ascendant pour ceux qui connaissent l’astrologie ! J’avais écrit en 1996 une pièce de théâtre qui donnait la parole aux Hibakushas, les rescapés des bombes américaines et à Oppenheimer, le papa de la bombe atomique. J’ai donc pu entrer avec une traductrice, un journaliste spécialisé dans le nucléaire et une historienne. J’ai interviewé plusieurs personnes versées dans le domaine de la catastrophe, dont des physiciens et la conservatrice du Musée de Tchernobyl, qui elle-même a récupéré des objets témoins et les a décontaminés. En 2013, aucune loi n’interdisait d’y rester le temps désiré. Seul le compteur Geiger nous indiquait les zones dangereuses à éviter. J’ai longuement arpenté Pripyat, la ville martyre de l’atome. C’était très émouvant, le silence rompu par le bruit de la rivière et le chant des oiseaux, parfois les pas d’un animal. Il y avait des arbres fruitiers aux fruits très appétissants, mais le compteur me rappelait à l’ordre. J’ai été marquée par la fameuse grande roue, aujourd’hui symbole de la ville, l’hôpital dont on ne peut s’approcher tant il dégage de rayons dangereux, par des classes et appartements à l’abandon, des jouets éparpillés ici et là, les vitraux d’un ancien bistro, les interventions anonymes d’artistes de rue, un piano qui devait encore servir aux stalkers, dont je parle dans le roman, la nature qui reprend ses droits, les immeubles qui résistent. Hors Pripyat, le paysage évoque une après-apocalypse (oui oui, je vois trop de films de science-fiction !) La nature est prodigieuse, d’une beauté sauvage, comme pour défier les hommes qui l’ont polluée.

Actuellement, la Zone est devenue un but touristique, celui de la désolation. Je suis profondément opposée à ce genre de tourisme qui me fait penser aux visites organisées dans les camps de concentration. Foutez la paix aux martyrs.

 – Quelle sensation éprouve-t-on lorsqu’on arrive dans un endroit qui a été le théâtre d’un tel désastre et, dont on sait qu’il restera pollué pour plusieurs milliers d’années ?

 Dans le cadre de mon boulot de journaliste, j’ai visité d’autres lieux d’horreur, notamment en Irak. Le sentiment qui domine est toujours le mépris de l’humain pour la vie, son inconséquence, ses incompétences, sa cruauté. Ensuite le silence qui prend aux tripes, alors que ce sont des lieux de fracas. Bien que les médias et les politiques cherchent à rassurer les populations depuis que le nouveau sarcophage a été posé au-dessus du 4ème réacteur, le danger demeure. Si les milliers de tonnes de matière fissile qui traînent sous le 4ème réacteur étaient rejointes par la rivière, lors d’un tremblement de terre par exemple, il n’y aurait plus d’Europe. Ce n’est pas moi qui l’affirme, mais des scientifiques ukrainiens.

– Certaines personnes ont continué à vivre dans la zone contaminée sans être, à première vue, atteintes par les radiations. Dans votre livre les habitants parlent « de foi », persuadés que leur terre ne saurait les trahir. A-t-on des explications plus scientifiques ?

Il n’y a aucune explication. Le corps humain reste mystérieux. Certains êtres ont résisté aux radiations sans que nul n’en comprenne la raison. Je pense au photographe Igor Kostine, qui est monté dans les hélicoptères qui larguaient des sacs de sable dans la bouche béante de l’enfer afin de stopper l’incendie. Les pilotes avaient des malaises alors qu’ils survolaient la centrale. Aucun n’a survécu. Kostine les a accompagnés pour témoigner. La radioactivité était si élevée que ses photos étaient intégralement noires. Un seul cliché a pu être sauvé, qui montre la centrale quelques heures après l’explosion, il a fait le tour du monde. Kostine aurait dû mourir dans les jours ou semaines suivants. Il a poursuivi son travail de photographe à travers la Zone, il est décédé en 2015.

-Sur huit millions de tonnes métal essaimés dans la zone, des milliers de tonnes rejoignent chaque année le marché mondial. D’autres objets hautement radioactifs (œuvres d’art, petite brocante, pierres ou animaux) sont-ils également répartis dans le monde à travers ces filières ?

Œuvres d’art, je l’ignore. Pripyat était une ville champignon, poussée en quelques années pour abriter les travailleurs de la Centrale dont elle est distante de quelques km à peine. Je n’ai pas entendu parler d’œuvres d’art. Par contre, oui, des fétichistes morbides sont toujours très friands d’articles arrachés à la Zone, poupées désarticulées, objets de la vie quotidienne, cordes de piano, morceaux de verre, etc. Le métal récupéré et revendu constitue un trafic juteux, de même, de plus en plus, la chasse. Les animaux sauvages se sont adaptés et résistent apparemment mieux à la Zone qu’à la relation aux humains, même s’ils vivent moins longtemps. Du coup, la chasse est rentable et finit dans les assiettes des consommateurs.

©BernadetteRichard2013

– Généralement, je demande à toutes les personnes de lettres à quel personnage littéraire elles pourraient s’identifier. Comme je vous ai déjà posé cette question lors de la parution de votre polar « Du sang sous les acacias », cette fois-ci je vous demande : quel livre d’un auteur ukrainien ou russe auriez-vous voulu écrire ?

En 1969, Venedikt Erofeïev publie en ex-Union soviétique, sous forme de samizdat (il le restera jusqu’à la fin des années 1980) le récit d’une monstrueuse beuverie qui se déroule dans un train, « Moscou – Petouchki ». Un roman considéré comme intraduisible, qui sera pourtant traduit dans des dizaines de langues. Il paraît en France en 1976 et fait un tabac comme sur sa terre d’origine, devenant un classique de la littérature. L’histoire est simple : un jeune Moscovite veut rejoindre sa fiancée à Petouchki. Le récit est aussi hilarant que sombre et se termine mal. Entre Moscou et la fin tragique, l’ode à l’alcool se mue en acte de rébellion, de résistance au système, ancré dans une pluie d’hommages à la littérature, personnages politiques, célébrités de l’Antiquité… et à l’alcool. Audacieux, grossier autant que divin, provocateur, ce roman est celui que j’aurais voulu écrire. Il rivalise avec l’autre classique que je regrette de n’avoir pas écrit : « Le Quatuor d’Alexandrie » du Britannique Lawrence Durrell.

Biographie de Bernadette Richard :

Bernadette Richard a deux passions : la littérature et les animaux qui l’accompagnent depuis l’adolescence. Son existence se résume difficilement autrement qu’au travers de quelques chiffres: née à La Chaux-de-Fonds un  1er mai, 5 professions dont 38 ans de presse à ce jour, 1 mariage, 1 enfant, 1 divorce, 1 petite-fille, 58 déménagements dans 7 pays sur 3 continents – elle rêve que son 59ème puisse l’emmener au bord de l’océan -, une vingtaine de romans et nouvelles, 1 biographie, 3 livres pour enfants, 4 pièces de théâtre, 4  participations à des spectacles et performances. 260 textes littéraires ou essais sur les arts plastiques parus dans des médias et anthologies, 28 discours pour des vernissages d’expositions. N’utilise que l’un de ses 12 stylo-plumes pour écrire. Travaille sur 2 Mac et un PC. S’est trouvée à 5 reprises sur des lieux de prises de pouvoir politique ou attentats meurtriers, dont le 11 septembre 2001 à New York. A vécu dans 8 mégapoles ou très grandes villes. Actuellement dans une ville horlogère à l’agonie. A passé 2 ans dans une forêt, entourée de 17 chats, 4 chiens, 3 cochons laineux, 3 pogonas, 3 paons, 5 mygales, 10 serpents, 3 hamsters de Podorovski, 20 rats et plus, 1 chèvre, 5 poules, 2 coqs, 2 perroquets, 2 inséparables, 3 lapins et autres bestioles sauvées de la maltraitance. Vit actuellement avec 5 chats. En travail : 2 romans en cours, ainsi qu’un livre pour enfants. Et toujours le travail pour 2 médias.

L’un des nombreux chiens errants de Pripyat. Quand les visiteurs les appellent pour les nourrir, ils accourent. Celui-ci à inspiré l’auteure. On le retrouve dans le livre sous une forme fictionnelle. ©BernadetteRichard2013

*Stalker : visiteur clandestin qui explore la Zone interdite de Tchernobyl.

Interview réalisée par Dunia Miralles

Sources :

  • Dernier concert à Pripyat, Bernadette Richard, éd. L’Âge d’Homme 2020
  • Le Nouvelliste
  • RTS
  • France culture
  • Wikipédia
  • L’OBS

 

Mikhaïl Boulgakov : de drogué à censuré, de censuré à la postérité

Mikhaïl Boulgakov : médecin morphinomane

Se promener avec, dans une poche ou un sac, un livre léger et vite lu est une friandise proposée par la collection Folio2€ avec ses ouvrages à moins de 5 francs. Cela permet, également, de lire quelques grands auteurs auxquels nous n’avions pas eu le courage de nous attaquer, d’en découvrir quelques nouvelles ou un roman court. Chaque fois que j’entre dans ma librairie, je me laisse tenter par trois ou quatre de ces livres et, pour la modestie du prix, peu importe si je suis déçue ou si je les abandonne en cours de lecture. D’une certaine manière, cela en vaut toujours la peine. Comme dans mon travail d’écriture je me penche souvent sur les addictions, en particulier celles induites par les drogues, je n’ai pas su m’empêcher de ressortir de chez mon dealer de bouquins avec Morphine de Mikhaïl Boulgakov. Écrite d’une manière simple et efficace, conçue comme un journal, cette nouvelle raconte la descente aux enfers d’un jeune médecin. Déçu par son ancienne maîtresse il est affecté, juste après la Révolution russe, à un poste dans une clinique rurale. Tout y est : les rigueurs de l’hiver, un nouvel amour délaissé pour la drogue, l’euphorie des premières prises, les douleurs et le vide ressentis lors du manque, les magouilles pour obtenir sa dose, la culpabilité… Un thème que Mikhaïl Boulgakov maîtrise parfaitement. Il a exercé la médecine, entre 1916 et 1920, dans des conditions très similaires à celle de son personnage et lui aussi a été morphinomane. Inapte au service militaire, il a dirigé un hôpital de campagne. Isolé pendant deux ans, il devient dépendant mais, contrairement à son protagoniste, il se désintoxique grâce Lubov Belozerskaya, l’une de ses épouses.

Extraits de Morphine

« En injectant une seringue de dilution à 2%, il s’établit presque instantanément un état de quiétude qui tourne immédiatement à l’extase bienheureuse. Cela dure seulement une à deux minutes. Ensuite tout disparaît sans laisser de traces, comme si cela n’avait jamais été. Commencent alors les douleurs, l’angoisse, le noir… »

« Une seringue est posée sur un morceau de gaze, à côté d’un flacon. Je la prends et, après avoir négligemment enduit d’iode ma hanche toute marquée de piqûres, je plante l’aiguille dans la peau. Aucune douleur, oh ! non, au contraire : je jouis d’avance de l’euphorie qui va se manifester ».

« Moi, l’infortuné docteur Poliakov, atteint de morphinomanie depuis février, je mets en garde tous ceux à qui il adviendra de subir le même sort que moi : n’essayez pas de remplacer la morphine par de la cocaïne. La cocaïne est un poison on ne peut plus ignoble et insidieux. Hier, c’est à peine si Anna a réussi à me récupérer à force de camphre, et aujourd’hui je suis un mort-vivant… »

« Tempête, pas de consultation. Ai lu pendant mes heures d’abstinence un manuel de psychiatrie, il m’a produit une impression terrifiante. Je suis fichu, plus d’espoir. J’ai peur du moindre bruit, je hais tout le monde quand je suis en phase d’abstinence. Les gens me font peur. En phase d’euphorie, je les aime tous, mais je préfère la solitude. »

Mikhaïl Boulgakov : une vocation littéraire précoce

Connu sur les cinq continents pour son œuvre Le Maître et Marguerite, Mikhaïl Boulgakov naît le 3 mai 1891 à Kiev, en Ukraine, qui faisait alors partie de l’Empire russe. Ainé d’une fratrie composée de deux garçons et quatre filles, il est le fils d’un prêtre, professeur d’histoire et critique des religions occidentales. Sa mère est enseignante. Durant son enfance, il se passionne pour le théâtre. Il écrit des comédies que ses frères mettent en scène.

L’amour précoce du jeune Boulgakov pour la lecture le conduit à connaître à fond l’œuvre de ceux qu’il considérera toujours comme ses maîtres : Nicolas Gogol, Anton Tchekhov et Mikhaïl Saltykov-Chtchedrine.

Mikhaïl Boulgakov : un médecin frustré

Il obtient son diplôme de médecine en 1916 à l’Université de Kiev. Envoyé à l’hôpital du district, il commence à écrire. Installé à Viazma en 1917, il revient à Kiev l’année suivante accompagné de Tatiana Lappa, sa première épouse. Il ouvre un cabinet médical de phytopathologie des dermatoses. Cependant, très vite, il commence à envisager l’idée de quitter la médecine. Fonctionnaire, il se sent subordonné au pouvoir politique. Pendant cette période, il est le témoin direct de la guerre civile russe et d’au moins dix tentatives de coup d’État.

En 1919, il est envoyé dans le Caucase du Nord pour travailler comme médecin militaire et commence à écrire comme journaliste. Malade du typhus, il survit miraculeusement. L’année suivante, il abandonne sa carrière de médecin pour de s’adonner à la littérature.

Après avoir traversé le Caucase, il se rend à Moscou avec l’intention d’y rester. Il peine à trouver un emploi. Finalement, il décroche un travail de secrétaire de la section littéraire du Comité central de la République pour l’éducation politique.

Mikhaïl Boulgakov : censuré par le régime soviétique

En 1925, Mikhaïl divorce de sa première femme. Il épouse Lubov Belozerskaya. La censure s’acharne sur son travail et lorsque ses œuvres parviennent à voir le jour, malgré le bon accueil du public, il reçoit des critiques négatives de la part de La Pravda. En 1926, l’auteur ukrainien publie Morphine qui raconte, à travers le Dr. Poliakov, sa consommation de stupéfiants pendant la Première Guerre mondiale. Deux de ses pièces sont jouées à Moscou. Le public est enthousiaste mais la critique l’étrille.

En 1929, la carrière littéraire de Boulgakov subit un coup dont l’écrivain ne se remettra jamais. La censure gouvernementale empêche la publication et la mise en scène de toutes ses pièces. Il n’avait jamais quitté l’Union soviétique. Sa fratrie vit en exil à Paris. Il écrit au gouvernement de l’URSS en demandant la permission de partir à l’étranger. Deux semaines plus tard Staline le contacte. Il lui refuse la possibilité de s’expatrier mais lui propose de travailler au Théâtre d’art académique de Moscou. Boulgakov accepte.

Mikhaïl Boulgakov : son épouse l’inspire pour Le Maître et Marguerite

Ayant également quitté Lubov, en 1932 il se marie avec Elena Sergeevna Bulgakova, qui lui inspirera Marguerite dans son œuvre la plus célèbre, Le Maître et Marguerite, commencée en 1928. Dans les années qui suivent, Mikhaïl continue à travailler sur Le Maître et Marguerite, tout en se consacrant à de nouveaux drames, histoires, critiques, livrets et adaptations théâtrales de nouvelles. Cependant, la plupart de ses œuvres, ne seront jamais publiées. Les autres sont mises en pièces par la critique.

Mikhaïl Boulgakov : persécuté par la censure

À la fin des années 1930, il collabore avec le Théâtre du Bolchoï en tant que librettiste et consultant. Il le quitte quand il réalise qu’aucune de ses œuvres n’y sera jamais produite. Sauvé de la persécution et de l’arrestation grâce au soutien personnel de Joseph Staline, Boulgakov se sent quand même en cage. Aucun de ses écrits n’est publié. Ses récits sont systématiquement censurés. Lorsque Batoum, sa dernière œuvre qui dépeint pourtant un tableau positif des premiers jours de la révolution stalinienne, est interdite avant même les répétitions, il demande à nouveau la permission de quitter le pays. On la lui refuse une fois de plus. Sa santé se détériore.

Boulgakov consacre les dernières années de sa vie à l’écriture. Son humeur, cependant, est très changeante. Des moments pleins d’optimisme, qui l’amènent à croire que la publication de Le Maître et Marguerite est encore possible, alternent avec des chutes dans la dépression la plus sombre, où il perd tout espoir. En 1939, dans des conditions précaires, il propose une lecture privée à son petit cercle d’amis de Le Maître et Marguerite. Le 19 mars 1940, à moins de cinquante ans, Mikhaïl Boulgakov meurt à Moscou emporté par une néphrosclérose. Son corps est enterré dans le cimetière Novodievitchi.

Actuellement, Boulgakov est mondialement considéré comme l’un des écrivains les plus remarquables du XXe siècle.

Sources :

 – Morphine, Mikhaïl Boulgakov, Gallimard, collection Folio2€

 – Lecturalia

 – Biografiaonline

 – Wikipedia

 – Biografie

Michel Houellebecq : un poète d’essence baudelairienne

Michel Houellebecq : le Baudelaire des supermarchés

Quand je lis les poèmes de Houellebecq, j’éprouve la même sensation, la même empathie qu’envers ceux de Baudelaire. En investiguant un peu dans la toile, je me suis aperçue que je ne suis pas la seule à trouver une similitude entre l’auteur des Fleurs du Mal et celui des Particules élémentaires. Dans la poésie du moins. Dominique Noguez a été le premier à le souligner. Dans sa monographie de Michel Houellebecq, il le présente comme “le Baudelaire des supermarchés”. D’ailleurs le poète contemporain n’a jamais caché son admiration pour le dandy du 19ème siècle, comme il le confirme dans un entretien donné à Marc Weitzmann pour Les Inrockuptibles :

“J’ai parfois le sentiment que Baudelaire a été le premier à voir le monde posé devant lui. En tout cas, le premier dans la poésie. En même temps, il a considérablement accru l’étendue du champ poétique. Pour lui, la poésie devait avoir les pieds sur terre, parler des choses quotidiennes, tout en ayant des aspirations illimitées vers l’idéal. Cette tension entre deux extrêmes fait de lui, à mon sens, le poète le plus important. Ça a vraiment apporté de nouvelles exigences, le fait d’être à la fois terrestre et céleste et de ne lâcher sur aucun des deux points.”

Ci-dessous, deux poèmes, extraits du recueil Le sens du combat paru aux éditions Flammarion en 1996. Pourtant, ils s’accordent spleenement bien à cet automne 2020, voire à l’année toute entière.

 

Vous pouvez également lire, en cliquant ici, d’autres vers de ce poète baudelairien, contenus dans un article écrit pour ce blog en septembre 2018. Sa poésie complète est réunie en poche aux éditions J’ai lu. Pour l’instant, je vous invite à écouter Blanche Gardin le réciter, dans une vidéo de la chaîne de télévision Arte.

Sources:

  • Michel Houellebecq, poésies, éditions J’ai lu.
  • La poésie urbaine de Michel Houellebecq : sur les pas de Charles Baudelaire ? de Julia Pröll, Université d’Innsbruck.
  • Wikipédia

 

 

Apollinaire: hommage au prolétariat

Apollinaire: le guetteur mélancolique

En ces temps de pandémie mes pensées vont naturellement vers Guillaume Apollinaire qui survécut aux ravages de La Grande Guerre mais pas à la grippe espagnole. En le relisant, je suis tombée sur un hommage rendu au prolétariat. Ce poème figure dans le recueil Le guetteur mélancolique paru chez Gallimard en 1952. Cet ouvrage est composé de poèmes soit inédits, soit éparpillés dans diverses revues.

 

En 2018, lors du centenaire de la disparition du père de la poésie moderne, j’ai écrit en ce lieu un article que vous trouverez ici. Ci-dessous, vous pouvez également découvrir la vie du poète, tout en écoutant quelques-uns de ces poèmes, dans un documentaire délicatement suranné. Cette émission « Un siècle d’écrivains », numéro 175, diffusée sur France 3, le 18 novembre 1998, est réalisée par Jean-Claude Bringuier.