Un livre 5 questions : « Il s’agit de ne pas se rendre » d’Anouk Dunant Gonzenbach

Vivre après un deuil périnatal

En été 2006, l’auteure subit un deuil périnatal à cinq mois de grossesse. Au fil des mois et des années, elle se questionne sur la manière de réagir face à un drame aussi hermétique duquel il est si difficile de se relever. Autrefois les familles étaient davantage préparées à endurer la perte d’un être tant désiré. De nos jours en revanche, où la confiance en la médecine est presque entière, personne ne songe qu’une grossesse pourrait mal tourner. Que les vies de la mère et de l’enfant peuvent soudainement basculer vers la tragédie. Or, comment se mettre d’accord avec l’existence et soi-même suite à un événement indicible, quel qu’il soit ? Rédiger le livre Il s’agit de ne pas se rendre, réflexions sur l’espérance a permis à Anouk Dunant Gonzenbach de retrouver une certaine sérénité.

Dans sa quête de réponses, elle s’est tournée vers les archives, vers la poésie, vers la littérature à laquelle elle se réfère largement dans son ouvrage et surtout vers Dieu, même si au début du livre elle ressent une profonde incompréhension, voire de la colère, envers ses desseins. Cependant l’évidence est s’impose : la grossesse est une chose naturelle mais risquée. Donner la vie est un acte dangereux pour la mère et l’enfant. Encore de nos jours.

Il s’agit de ne pas se rendre : extraits

« Je cherche ensuite du réconfort, si on peut appeler ça du réconfort, du côté de l’Histoire. De tout temps, et encore aujourd’hui des femmes et des bébés meurent ».

« Au dix-septième siècle, la femme enceinte vit dans la peur, la peur pour elle et pour l’enfant dont elle est responsable. Elle baigne dans une atmosphère d’angoisse ; de nombreux rites et coutumes sont mis en place afin de déjouer la mort. Entre 2,4% et 10% des accouchements provoquent la mort, et une femme accouche en moyenne six fois dans une vie ».

« Pour des raisons professionnelles, dans les quelques jours suivant ma reprise du travail après la perte du bébé, je dois passer en revue toutes les pages du registre des décès de l’année 1874 à Genève, soit un siècle précisément avant ma naissance. Je manque fondre en larme devant ce document d’archive, qui témoigne des tous les décès d’enfants et de tout petits enfants, parfois tous les enfants en bas âge d’une même famille pendant une semaine.

Nous avons oublié tout cela. La mort périnatale et infantile (sans parler de la mort de la femme en couches) est devenue taboue et n’est plus acceptée. C’est même la mort la moins acceptée. A une amie réalisant son FMH en gynécologie dans un petit hôpital, le médecin avait lancé : « Vous ne voulez pas devenir dermatologue plutôt, ou même chirurgienne cardiaque ? » Un décès lors d’une opération à cœur ouvert passe mieux aujourd’hui qu’une mort en couches. »

Anouk Dunant Gonzenbach : l’interview

Commençons par la fin : avez-vous surmonté le deuil périnatal auquel vous avez été confrontée ?

Oui heureusement, j’ai surmonté ce deuil qui est arrivé en 2006. Mon fils cadet est né en 2007. Je suppose que comme toute personne confrontée à un événement tragique, il reste par la suite une cicatrice, mais elle ne me fait pas mal. En revanche elle est là, inscrite dans mon histoire de vie. Je suis bien sûr plus sensible lorsqu’une autre femme raconte qui lui est arrivé la même chose. Je parle des femmes, tout en étant consciente qu’il faudrait aussi parler des hommes, des pères. Je parle des femmes, car ce qui arrive se passe dans notre ventre, dans notre chair, souvent il me semble dans notre silence. Je parle des femmes, car je suis chaque jour plus admirative devant la résistance et la puissance féminine. La perte d’un bébé avant la naissance se produit depuis la nuit des temps. Ce n’est pas réconfortant, mais si nous en parlons, si nous avons la force d’échanger, de voir comment les autres l’ont surmontée, alors cela peut quand même peut-être apporter un peu de réconfort.

Vous aviez déjà une petite fille lorsque c’est arrivé. Avez-vous l’impression de l’avoir délaissée pendant les mois, les années qui ont suivi ce drame ? Que diriez vous au parents qui vivent la même chose que vous et qui ont déjà des enfants ?

Fille Ainée avait 2 ans à ce moment. Non, je n’ai pas l’impression de l’avoir délaissée, au contraire, ni pendant les jours et les semaines qui ont suivi, ni après. Je pense qu’avoir un enfant oblige à ne pas se laisser couler, donne une raison de se lever le matin. Je ne me sens pas la légitimité de dire quoi que ce soit à des parents qui vivent ce drame; ce que je peux dire, c’est que quoi qu’il soit arrivé et qu’il arrive, mes enfants aujourd’hui adolescents sont ce qu’il y a de plus beau, de plus authentique et l’espérance pour aller vers demain.

Ma surprise a été de constater que votre livre parle plus de religion, du protestantisme en particulier, que de vos émotions. Quel conseil donneriez-vous aux athées qui se retrouvent avec la même épreuve ?

Je pense avoir fait état de mes émotions, mais l’objectif de ce recueil n’était pas de m’étaler, de m’apitoyer ou d’entraîner à dessein la lectrice ou le lecteur dans la tristesse. Il s’agissait pour moi de faire le point sur un cheminement intérieur, d’écrire comment je me suis relevée face un drame inexpliqué et inexplicable, de décrire mes questionnements. Et dans cette quête de sens, à un moment, il devient inévitable de se tourner vers le haut, vers quelque chose qui transcende. Dans ma culture genevoise protestante, ce quelque chose en effet a un nom, Dieu, que j’ai été d’accord d’utiliser. Je n’ai pas cherché à me demander ce que Dieu a tenté de m’apprendre, d’abord parce que je ne savais même pas si je croyais en lui, et parce que je ne pense pas une seconde qu’un événement tragique arrive exprès pour déclencher des choses qui pourraient par après se révéler enrichissantes. J’ai plutôt voulu comprendre comment articuler un événement indicible avec l’existence d’un Dieu, quel qu’il soit, qui permet une chose pareille. Rien n’est logique. Alors j’ai questionné la notion de foi, et c’est ce que je tente de décrire. Je ne me sens pas légitime de donner des conseils à qui que ce soit. Ce que je peux dire, c’est que ce chemin m’a permis de réfléchir à cette notion de foi, qui pour moi revient à demeurer dans l’espérance qui permet de toujours se relever. J’ai tenté alors de définir ce qu’est pour moi, aujourd’hui, l’espérance, et voilà ce que je peux en livrer: Je crois que mon espérance à moi, c’est de rendre beaux les moments du présent, et de repérer dans le présent les moments qui sont beaux. Ce qui m’importe vraiment, c’est le ici et maintenant, là où on vit, ce qui vient avant la fin de l’histoire.

Avez-vous un message à faire passer au personnel médical lorsque ce genre de drame arrive ?

Tout cela est arrivé dans un petit hôpital de Haute-Engadine où le personnel médical n’était pas surchargé et donc disponible, et j’en suis reconnaissante. J’ai entendu des témoignages terribles de femmes qui ont vécu un deuil périnatal seules ou dans des grosses structures. Les choses avancent, mais je ne suis pas spécialisée sur la question. Il faudrait aussi que les choses avancent dans la société : cette problématique reste taboue encore aujourd’hui. La femme n’ose pas en parler à son entourage car elle a l’impression que c’est un échec, alors qu’elle n’est responsable de rien. L’entourage ne sait pas comment réagir, et les gens pensent encore souvent que ce n’est pas grave de perdre un enfant qui n’est pas encore né. De manière plus générale, on se heurte au rapport problématique de notre société avec la mort, ce que d’ailleurs la pandémie a bien mis en évidence.

La question que je pose à tous les auteurs et autrices : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

Je pourrais répondre Alice au pays des merveilles ou Dorothy du Magicien d’0z, mais j’aurais vraiment aimé être le “Je” de Mme de Sévigné, parce que j’aurais voulu écrire il y a plus de 300 ans avec autant de fulgurance et d’humour.

Interview réalisée par Dunia Miralles

Biographie d’Anouk Dunant Gonzenbach 

Anouk Dunant Gonzenbach est née en 1974 à Genève où elle vit et travaille. Titulaire d’un master en histoire, elle est directrice adjointe des Archives d’État de Genève. Dans les interstices de la vie familiale, professionnelle et associative, elle cherche à restituer par l’écriture ce qu’elle observe et ressent. Elle a également publié Les mots de tout au fond – Poèmes aux Éditions des Sables (2018). Vous pouvez découvrir le site auquel participe Anouk Dunant Gonzenbach en cliquant ici.

Adresse : en Suisse romande, l’association AGAPA offre un soutien psychologique aux personnes ayant subi un deuil périnatal, non seulement les parents mais également la fratrie. Rendez-vous sur le site d’AGAPA en cliquant ici.

Sources :

  • Il s’agit de ne pas se rendre, réflexions sur l’espérance, Anouk Dunant Gonzenbach, Editions des Sables, collection Alluvions.
  • Anouk Dunant Gonzenbach

Un livre 5 questions : « Exutoires » de François Hainard

Exutoires : une écriture idoine pour le cinéma

Après un brillant parcours universitaire, en tant que chercheur et professeur à l’Institut de sociologie de la faculté des lettres et des sciences humaines de l’Université de Neuchâtel, François Hainard s’adonne au côté ludique de l’écriture. En 2017, son premier roman Le Vent et le Silence paru aux éditions G d’Encre, avait déjà reçu un excellent accueil. Traduit à l’allemand et intitulé Wind und Schweigen, il est également paru chez PEARLBOOKSEDITION à Zurich, ce qui lui a valu d’être signalé par la NZZ comme une bonne surprise littéraire. En cours de traduction à l’italien chez Armando Dadò à Locarno, François Hainard vient d’en laisser les droits afin que cette histoire d’amour tragique, qui se déroule durant la deuxième guerre mondiale entre une bonne à tout faire protestante et un ouvrier en boulangerie tessinois et catholique, soit adaptée au cinéma.

Si vous êtes un réalisateur ou une réalisatrice à la recherche d’un scénario, ne manquez pas de vous intéresser à son deuxième roman Exutoires. Ce dernier opus contient également tous les éléments pour devenir un excellent film y compris une magnifique bande son.

 

Exutoires :  l’histoire

Dans une campagne pas très loin de chez nous, trois personnes vivent sous le même toit, font tourner une ferme sans se soucier les unes des autres. Dans cette famille recomposée où la communication est impossible, le trio est devenu infernal et tout s’enchevêtre : les rêves brisés du quotidien, l’invisibilité de l’autre, les addictions de chacun, l’absence de distance, une démence qui conduit à l’abjection… Il y a pourtant des exutoires : le sordide de l’ordinaire se dilue dans ce qu’il peut y avoir de plus magique et de rédempteur, la musique.

En excellent sociologue, François Hainard décortique l’environnement dans lequel évoluent ses personnages et l’influence culturelle et psychologique qu’il exerce sur les gens. Aucun geste, aucune attitude n’est laissée au hasard. Tout contribue à tisser la trame. Si au début cela peut paraître fastidieux, l’on s’aperçoit rapidement qu’il monte un puzzle où chaque pièce permet à une autre de s’emboîter. Ces descriptions méthodiques nous amènent à comprendre qu’à la campagne, encore de nos jours, certaines femmes ne sont qu’une monnaie d’échange. De la main d’œuvre bon marché, une marchandise qui permet d’agrandir le patrimoine à l’instar d’une vache ou d’un hectare de pâturage. Dans cette lourdeur, la beauté ne vient ni du chant des oiseaux ni du paysage forestier, mais de la musique classique dans laquelle Lydia puise la force de continuer à vivre.

 

Exutoires :  l’extrait

 

François Hainard : l’entrevue

La vallée de la Brévine vous a-t-elle inspirée pour écrire votre livre ?

Dans toute fiction figure un peu de soi, vous le savez si bien. Ce roman ne se passe pas dans cette vallée, mais elle y a fortement contribué. Il mobilise mes propres connaissances du monde paysan puisque j’en suis issu, et inévitablement un peu du sociologue que je suis, même si j’essaie de m’en éloigner le plus possible ! Il se passe aujourd’hui et raconte une paysannerie qui s’enfonce dans une modernité qui la détruit. Étonnamment il est politiquement très actuel !

“Exutoires” raconte – entre autres – l’histoire de Lydia, une femme née dans un milieu paysan, ce qui ne l’empêche pas d’éprouver une véritable passion pour la musique classique. Quel rôle tient la musique classique dans votre vie et dans votre livre ? Les morceaux choisis correspondent-ils à ses humeurs ?

La manière dont Lydia a découvert la musique classique est exactement la mienne ! En fait, à travers elle, je raconte ce qui m’est arrivé et ce que j’ai ressenti: l’initiation par un instituteur, le voyage à l’opéra de Zurich. A cela s’ajoute que ma mère, paysanne, écoutait ce type de musique et jouait du piano. Toutes les conditions étaient remplies pour l’aimer, car il ne faut pas de culture pour apprécier cette musique, il faut juste une personne pour nous en montrer la beauté, comme pour toutes autres choses ! Sans doute on peut apprendre à aimer par soi-même, mais il est plus facile de manquer la cible. Il est vrai que la musique classique est connotée socialement (comme le rap !), c’est ce qui la dessert. Elle reste trop souvent caractéristique des attributs dont se pare une élite, et ici aussi, comme pour beaucoup d’autres éléments discriminants, les processus de reproduction sociale et la force des déterminismes contribuent à entretenir une solide forme d’étanchéité. Aujourd’hui la musique classique m’accompagne quotidiennement et meuble souvent mes insomnies. La musique que Lydia écoute est fonction de ses états d’âme ; j’ai passé quelques centaines d’heures à choisir ce qu’elle pourrait aimer et à chaque fois le choix était un cruel sacrifice.

Le beau-fils de Lydia est schizophrène. Etait-il nécessaire de justifier ses actes, souvent odieux, par la maladie ?

J’ai attribué cette maladie au fils pour expliquer un comportement particulièrement sordide. Ce qui me paraissait intéressant dans ce trio infernal était de montrer les rapports entre un fils et ses parents, lorsque tous sont en décalage. Car même si sa mère était déjà morte, elle vivait toujours dans sa tête. Mon intérêt était aussi d’aborder l’influence que des parents peuvent avoir dans des circonstances extrêmes. Il est possible que des actes similaires aient pu être commis par des personnes sans maladie mentale détectée, mais saines seulement en apparence, car (à mon avis) on ne tue ni ne viole, de surcroît à répétition sans avoir de graves problèmes mentaux. Dans le même sens, il m’apparaît que l’enfermement dans les têtes, par des addictions diverses, la non-communication, les non-dits, le repli sur soi, l’isolement, donc tout ce que notre société est en train de produire actuellement, et ceci malgré la multiplicité des techniques et des canaux de communication, contribuent à façonner ces types de comportements déviants.

Votre biographie spécifie que vous vous adonnez à la peinture et que vous aimez penser avec vos mains. Bûcheronner est-ce votre manière de pratiquer la méditation, ou un de pied de nez aux intellos qui méprisent ce genre de tâches ?

M’essayer à la peinture était aussi un objectif à réaliser à ma retraite parce que, comme pour l’écriture, il faut avoir du temps. Comme l’écriture, peindre est pour moi une forme d’évasion ; j’essaie de peindre un peu de tout, sans doute très maladroitement, sauf du portrait. Comme je suis plutôt impatient je travaille à l’acryl (ça sèche plus vite !) que je rehausse d’un peu d’huile.

C’est Denis de Rougement qui disait : « Les uns pensent, les autres agissent. Mais la vraie condition de l’homme c’est de penser avec les mains. » ! Cela va un peu dans le sens de la formule de Fernando Pessoa à laquelle j’adhère, dans son livre sur l’Intranquillité « Agir, c’est connaître le repos ». On peut bien sûr penser avec les mains de différentes manières. J’y ai inclus le bûcheronnage. Il est à la fois une forme d’évasion et de retour en arrière : je communie avec mon contexte et je retrouve mes racines. Il faut dire que j’ai la chance d’avoir une forêt en hoirie avec mon frère et ma sœur, qui jouxte ma vieille ferme. C’est moi qui m’en occupe, j’adore ça ! Je suis adepte d’un bûcheronnage « de luxe », c’est-à-dire que je n’y travaille que s’il fait beau temps, et au printemps et en été je n’utilise que très peu la tronçonneuse pour pouvoir écouter les chants d’oiseaux, donc j’ébranche à la hache les arbres coupés! Oui c’est une activité très physique, mais de par mes origines paysannes, j’ai hérité d’une conception utilitariste du corps. Mon corps est davantage un outil qu’il faut faire fonctionner avant d’être un capital que je dois entretenir. En réalité avec ma façon de faire, je triche et il est un peu les deux à la fois. J’aime cette forêt car elle est comme je voudrais qu’elle soit. Elle commence par un pâturage vallonné avec de belles formes douces et rondes (oserais-je dire féminines par les temps qui courent ?), puis suivent de petits bosquets comme mise en bouche, ensuite il y a une alternance de clairières et de bois, pour finir par une dense sauvagerie désordonnée, pleine de mystères, de rocailles et de trous, une petite jungle qui pourtant m’accepte. J’aime aussi cette forêt parce que je me dis : tiens ces arbres ont vu passer mes parents, et ceux-là mes grands parents ! Et mes enfants les verront-ils passer plus tard ? Aujourd’hui elle souffre de la chaleur et du bostryche et je n’arrive pas à débarrasser tous les arbres qui meurent. Mais j’ai un épicéa en pleine forme qui doit avoir plus de 250 ans selon le garde-forestier, c’est-à-dire qu’il a vécu tous les grands événements qui ont émaillé cette période: la Révolution française, les trois grandes guerres et tous les drames du quotidien. Ce n’est donc pas ce qui se passe avec le Covid qui lui fait peur ! Je vais souvent le saluer. Son silence est un peu dédaigneux, sans doute rempli de pitié et de condescendance à l’égard des hommes. Il sait déjà qu’il me survivra. Mais je l’aime quand même beaucoup.

Une question que je pose à tous les auteurs : à quel personnage littéraire vous identifiez-vous ?

De mes récentes lectures, j’hésite entre Martin Eden et Little Wolf… Je choisirai Little Wolf, chef cheyenne, personnage mythique de la trilogie de Jim Fergus « 1000 femmes blanches ». Un chef fier, courageux, respectueux de son pays et amoureux de son peuple. Avec lui, dans les années 1870, j’ai chevauché de nombreuses journées dans les plaines de l’Ouest, chassant le bison dans les Black Hills et les indiens Crows, des traîtres vendus aux colons. Mais surtout avec lui, Sitting Bull le chef Sioux et Crazy Horse un autre chef Lakota, j’ai participé en juin 1876 à l’écrasement de la cavalerie états-unienne à Little Bighorn. Une bataille dantesque, un massacre sans pitié, où seuls nos chevaux plus rapides et le courage des hommes et des femmes de nos tribus ont fait la différence. J’en fais encore des cauchemars… J’en ai souvent les mains qui tremblent et je me cache pour pleurer de ce qui a suivi. Heureusement, pour se souvenir de cette victoire, plusieurs scalps sanglants de soldats attachés à ma ceinture dégoulinent encore et refusent de sécher …

 

Interview réalisée par Dunia Miralles

François HAINARD – sociologue, écrivain. ©Xavier Voirol

Biographie de François Hainard

François Hainard a passé toute son enfance dans la vallée de La Brévine dans le Jura neuchâtelois. Après des études en Suisse et aux États-Unis, il effectue des recherches et enseigne la sociologie pendant une trentaine d’années.

Aujourd’hui il a abandonné la rigueur scientifique pour la liberté de la fiction et une discrète pratique de la peinture. Et comme il a besoin de penser avec les mains, il aime s’exercer au bûcheronnage…

 

Sources :

  • Exutoires, François Hainard, roman, Éditions du Roc.
  • François Hainard

Lecture : Demain tous infertiles ? Comprendre, prévenir et traiter l’infertilité masculine

Voyants au rouge : le sperme humain est en berne

Dans la mythologie et les textes fondateurs, et ce jusqu’à récemment, la stérilité était considérée comme une affaire presque exclusivement féminine. Dans mon enfance l’on disait encore « ELLE ne pouvait pas avoir d’enfant » en parlant de voisines ou de grands-tantes qui auraient désiré une grossesse à une époque où l’on ne faisait pas encore d’examens médicaux pour détecter cette problématique. De l’Antiquité et jusqu’au deux tiers du XXe siècle, on imputait la stérilité du couple aux manquements de la femme, à sa faible constitution, à sa mélancolie, à son manque de sommeil, à sa luxure, à sa maigreur ou à son obésité, mais aussi à sa laideur ou à son extrême beauté. Toutefois, il est à présent prouvé, qu’en cas d’infertilité d’un couple, les hommes en sont la cause dans 40% à 50% des cas. D’autant que la qualité du sperme est en chute libre.

Depuis les années 1990, une trentaine d’études menées auprès d’une population variée ont été réalisées dans divers laboratoires du monde. Le constat est toujours le même : la qualité du sperme humain est en baisse. La concentration des spermatozoïdes est souvent insuffisante pour fertiliser la femme. Leur mobilité ou leur morphologie présente des anomalies. Des recherches identiques ont été faites dans le monde animal. Le bilan est tristement le même : le sperme des animaux, notamment celui des chiens, baisse de manière significative et brutale.

Vidéo réalisée par l’INSERM : Le fonctionnement du testicule.

Un livre pour mieux comprendre l’infertilité masculine

Pour que chacun et chacune puisse mieux appréhender cette problématique, le professeur Stéphane Droupy, urologue spécialiste de l’infertilité, et la journaliste Brigitte-Fanny Cohen, spécialiste des questions médicales, ont écrit Demain tous infertiles ? Comprendre, prévenir et traiter l’infertilité masculine paru chez First Éditions. En effet, un couple sur sept consulte parce qu’il ne parvient pas à mettre un bébé en route et, une fois sur deux, cela provient de l’homme. Cet ouvrage permet de comprendre ce qui peut fragiliser la fertilité masculine tout en apportant des conseils pour l’optimiser. Le livre aborde également les nombreuses possibilités d’accompagnement et de traitements : médicaments, chirurgies, assistance médicale à la procréation, mais aussi coaching nutritionnel, compléments alimentaires, modification du mode de vie… Les textes du livre, écrits pour un large public, sont soutenus par de nombreux tableaux et dessins qui en facilitent encore plus l’intelligibilité.

Ce qui péjore la fertilité

Je ne me pencherai pas sur ce qui nécessite un jargon strictement scientifique. Je ne relèverai, ici, que quelques unes des multiples causes qui altèrent la qualité du sperme.

Le sport intensif

Plus de cinq heures de vélo par semaine peuvent altérer la qualité de sperme. Idem pour la course à pied et d’autres sports pratiqués de manière intensive. Mais après quelques semaines d’activité plus modérée les choses reviennent à la normale. Cependant la sédentarité, ainsi que l’obésité qu’elle peut entraîner, est toute aussi nocive.

Les ondes électromagnétiques

Le sujet est certes polémique mais, que ce soit in vitro ou in vivo, les recherches sur l’homme et l’animal concluent à une dégradation de la qualité du sperme lors d’exposition prolongées aux ondes des téléphones cellulaires ou de Wi-Fi.

Les polluants organiques

Les polluants organiques, difficilement biodégradables, peuvent se transporter sur de longues distances dans l’eau ou dans l’air. Parmi eux : les pesticides, les dioxines, les PCB et les hydrocarbures. Tous sont rejetés dans la nature par les activités humaines et tous influencent négativement la fertilité.

Vidéo réalisée par l’INSERM : La régulation du cycle ovarien.

L’alimentation

Tant de choses et de facteurs polluent notre alimentation, compromettant ainsi la fertilité de l’être humain, qu’il est impossible de les énumérer de manière exhaustive dans un article. Toutefois, parmi les désignés coupables par ce livre, figurent les fruits et légumes traités aux pesticides. Une consommation modérée d’autres aliments est également fortement conseillée : produits laitiers, abats, poissons, café, boissons sucrées… La liste des produits néfastes et les suggestions pour bien s’alimenter font l’objet de longues pages. Il est quand même intéressant de relever que les hommes qui mangent, plus de deux fois par jour, des fruits et légumes issus des cultures biologiques, ont un nombre total de spermatozoïdes plus de deux fois supérieur à ceux qui n’en mangent qu’une fois.

Le travail

Les personnes qui exercent des professions où l’on manipule des produits phytosanitaires, des produits chimiques et des solvants sont davantage exposées aux perturbateurs endocriniens. Donc plus susceptibles d’être infertiles si les moyens de protection mis à disposition s’avèrent peu adaptés. Il en va de même pour tous les métiers qui exposent à la chaleur : pizzaiolo, boulanger, cuisinier, les métiers du textile, pompier, ouvrier suivant les ateliers…

Le mode de vie en général

Certains des éléments qui peuvent dégrader les capacités reproductrices chez l’homme sont difficilement évitables car invisibles. Nous n’avons aucun pouvoir sur eux. D’autres dépendent du mode de vie. Même si les produits suivants semblent logiquement perturbants pour la fertilité, il est peut-être bon de rappeler lesquels : l’alcool, le tabac, le cannabis, la cocaïne, l’héroïne et toutes les drogues qu’elles soient de synthèse ou non, beaucoup de médicaments notamment ceux contre l’acné, les antibiotiques, les antidépresseurs, les antidouleurs, le paracétamol, énormément de cosmétiques et les crèmes solaires…

L’une des nombreuses illustrations du livre Demain tous infertiles ?

 

Sources :

  • Demain, tous infertiles ? Comprendre, prévenir et traiter l’infertilité masculine, Professeur Stéphane Droupy et Brigitte-Fanny Cohen, First Éditions, octobre 2020, 287 pages.
  • Bibliothèque de la Ville de La Chaux-de-Fonds.

BD : « Irena » l’ange du ghetto de Varsovie

Irena Sendler : une résistante courageuse et modeste

Irena Sendler. 1944.

Entre 1941 et 1943, sans se soucier du danger, Irena Sendler sauve 2500 enfants juifs du ghetto de Varsovie. Pourtant, cette résistante catholique polonaise culpabilisera jusqu’à sa mort de ne pas en avoir sauvé assez. Qu’on l’appelle « héroïne » l’offusquait. « Je ne suis pas une héroïne. J’ai fait ce qu’il y avait à faire. Ce que j’ai fait est normal. Les enfants juifs sont les véritables héros ». Une « normalité » qui, en 1943, lui coûte d’endurer, chaque jour et durant des mois, de longues séances de tortures infligées par la Gestapo, sans que jamais elle ne dénonce aucune des personnes de son réseau. Condamnée à mort, elle s’en sort grâce aux membres de la résistance qui organisent son évasion mais les sévices infligés l’ont rendue définitivement infirme.

 

Irena Sendler : l’effacement

Après la guerre Irena Sendler (Sendlerowa en polonais) demeure fidèle au gouvernement polonais en exil. Cela lui vaut d’être à nouveau emprisonnée de 1948 à 1949, et d’être brutalement interrogée par la police secrète communiste. Elle est finalement libérée. Toutefois, ses liens avec la résistance polonaise proche du gouvernement en exil empêchent que les sauvetages qu’elle a effectués durant la guerre soient reconnus.

 

Irena Sendler : sauvée de l’oubli

Malgré la volonté du régime communiste à l’effacer de l’Histoire de la Pologne, en 1965, elle est déclarée Juste parmi les Nations et, en 1991, Citoyenne d’Honneur de L’État d’Israël. Cependant, son rôle durant la Seconde guerre mondiale reste largement ignoré jusqu’à la chute du régime communiste. En 1999, c’est un travail de fin d’études réalisé sur la Shoah par quatre étudiantes du Kansas, qui permet de mettre au jour ce pan de L’Histoire et de le diffuser mondialement. Depuis, Irena Sendler a reçu de nombreux prix. En 2003, alors qu’elle vivait encore, on lui décerne L’Ordre de l’Aigle Blanc, la plus haute distinction polonaise. En 2007, elle est distinguée de l’Ordre du Sourire, attribué à des personnalités œuvrant pour Le bonheur et le sourire des enfants. En 2009, Irena Sendler reçoit, à titre posthume, le prix humanitaire Audrey Hepburn, nommé ainsi en l’honneur de l’actrice et ambassadrice de l’Unicef. Le Parlement polonais a déclaré l’année 2018 « Année Irena Sendler ».

Irena Sendler. 2007.

 

Irena : la bande dessinée

Des livres et documentaires racontent les actions et la bravoure de cette grande dame, dont une série de bandes dessinées parues chez Glénat. Le scénario a été réalisé par Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël d’après le documentaire Les Justes de Marek Halter. Afin que le dessin soit accessible aux plus jeunes, c’est le dessinateur David Evrard que l’on a sollicité, tandis que l’on a demandé au coloriste Walter de garder la couleur des films documentaires tournés durant la Deuxième Guerre Mondiale. Didier Pasamonik, spécialiste en bande dessinée, éditeur, directeur de collection, journaliste et commissaire d’exposition, écrit à propos de leur travail :

« Le regard qu’ils portent sur cette histoire a une qualité essentielle : ils l’abordent du point de vue de l’enfant. Cette tradition du dessin simple, au vibrato sensible doté d’une probité impeccable, nous la connaissons bien : elle est de la lignée, puissante parce que poétique, éternelle parce que authentique et universelle, du Petit Nicolas de Sempé et René Goscinny. Ils ont la même évidence. »

En cinq volumes, cette BD raconte le quotidien du ghetto de Varsovie, les déportations, les moments d’espoir, de désespoir et d’horreur, et comment Irena en est venue à sauver 2500 enfants, en prenant soin de noter et de cacher leur nouvelle identité jointe à l’ancienne, afin qu’après la guerre ils puissent connaître leurs origines et retrouver leurs familles. Les scénaristes se sont également aventurés dans l’après-guerre pour nous raconter les exactions du régime communiste, ainsi que quelques décennies plus tard à la rencontre des enfants, devenus adultes, qu’Irena a sauvés. La trame, souvent entrecoupée de scènes de tortures, est allégée par des moments où Irena imagine son père, un homme bon décédé très jeune, près d’elle et fier de son engagement. Des instants de tendresse tout aussi poignants que les scènes les plus dures.

Des frises historiques permettent de comprendre la chronologie de la montée du nazisme, la guerre et l’après-guerre, ainsi que la vie entière d’Irena Sendler.

Née à Varsovie le 15 février 1910, Irena décède dans la même ville, à l’âge de 98 ans, le 12 mai 2008.

 

Sources :

  • Irena, les 5 volumes parus chez Glénat : Le Ghetto ; Les Justes ; Varso-vie ; Je suis fier de toi ; La vie, après. Scénario : Jean-David Morvan et Séverine Tréfouël. Dessins de David Evrard. Couleurs par Walter.
  • La bibliothèque de la ville de La Chaux-de-Fonds.
  • Wikipedia

 

Livres, éditeurs et auteurs romands : les sacrifiés du confinement (2)

Le combat des éditeurs romands

Lire romand c’est soutenir les éditeurs et les auteurs de proximité, mais pas uniquement. Certes, la crise tout le monde y a droit et, si certains considèrent la littérature comme une chose dispensable, il faut tout de même rappeler qu’elle participe entièrement à l’économie. En effet, sous l’étiquette « NON ESSENTIEL » se cache une réalité très terre-à-terre. La littérature ne se compose pas uniquement d’une bande d’écrivaillon-ne-s qui se regardent le nombril en alignant des mots sur du papier. Elle s’ancre dans un pan de l’économie bien réel : des librairies et des libraires, des imprimeries et des imprimeurs, des éditeurs, des transporteurs, des distributeurs, des représentants, des employés de commerce, des bureaux, du mobilier, des comptables, des locaux de stockage et d’autres pour la vente, du matériel informatique, des juristes, des journalistes, des graphistes, des correcteurs, des apprentis dans plusieurs corps de métiers et j’en passe. Dans la débâcle actuelle, comme dans la restauration, ce sont les plus petits les plus touchés. Surtout ceux qui viennent de créer leur entreprise. Marilyn Stellini, fondatrice les éditions Kadaline en 2019, souligne « Les librairies ont rouvert, mais les embouteillages dans les rayons défavorisent largement les petites structures. Raison pour laquelle Kadaline a suspendu toutes les parutions du premier semestre, reportées ultérieurement. Sans parler du manque de salons littéraires qui peuvent représenter un apport dans le chiffre d’affaires. » Dès le début de la pandémie, les librairies ont prévenu les éditeurs qu’elles ne pourraient pas payer ce qu’elles leurs devaient. Quelques uns ont dû utiliser les aides perçues en tant que salaire pour payer les factures courantes de leur maison d’édition (locaux, chauffage, électricité, etc). Résultat : certains, sont sans salaire depuis plusieurs mois alors que, même en temps “normal” l’édition romande ne permet guère de remplir un bas de laine. Autre effet boule de neige : actuellement les éditeurs suisse romands croulent sous les retours des libraires. Les fermetures imposées aux commerces dit “non-essentiels”, ne leur ont pas permis de vendre les livres parus durant les deux confinements. Andonia Dimitrijevic, directrice des Éditions L’Âge d’Homme précise : « Les éditeurs vivons sur les mises en vente. Sans mise en vente cela devient hardcore. De plus, pour ceux qui avons également des stocks et une partie de nos affaires en France, c’est très compliqué. Nous ne pouvons plus aller à Paris ou nous déplacer comme nous devrions le faire pour que notre entreprise fonctionne normalement. Les librairies font de nouveau d’excellentes ventes, mais les librairies ne représentent pas à elles seules le monde du livre. Vendre du livre ou le produire ce n’est pas du tout la même chose. Pour les éditeurs romands la situation reste bloquée. En ce moment, nous manquons d’argent pour tout. Notamment pour engager le personnel dont nous aurions besoin pour relancer nos entreprises ou pour publier de nouveaux auteurs. A l’Âge d’Homme, ces prochains mois nous ne pourrons pas publier tous les livres que nous avions prévu et aucun premier ouvrage. Nous n’allons travailler qu’avec des auteurs dont les libraires et les lecteurs connaissent déjà le travail. » Une situation assez ironique alors que la plupart des éditeurs sont submergés sous les premiers romans, le confinement ayant inspiré de nouvelles vocations d’écrivains. Les genres qui ont inspiré celles et ceux qui se sont lancé dans la littérature : la science-ficition et les romans d’anticipation. Toutefois, ces nouveaux arrivants devront s’armer de patience avant de voir leurs romans publiés. Si toutefois un jour ils sont publiés. Actuellement, la majorité des éditeurs en sont surtout repousser les parutions qu’ils avaient prévues pour 2021, tout en anticipant qu’il y aura pléthore de publications dans les prochains mois. Déjà, ils s’attendent à ce que beaucoup d’entre elles passent à la trappe faute de place dans les rayons des libraires. En sont à prévoir qu’il y aura un manque à gagner et qu’ils devront gérer cette donnée. Ces réalités les éditeurs suisses romands, petits ou à peine plus grands, les affrontent depuis le début de la pandémie. Une situation qui risque de perdurer les mois à venir face aux géants de l’édition hexagonale qui, sans prendre de risques, vont envahir les rayons des librairies avec des ouvrages de développement personnel et des auteurs bankables.

 

Livres romands présentés en 2020

La semaine passée j’ai publié une partie de la liste des auteurs suisses romands dont j’ai présenté les livres en 2020. En voici la deuxième et dernière partie. Lire local, c’est non seulement permettre à la littérature suisse d’exister. C’est participer à l’économie de nos cantons.

 

A l’aube des mouches, poésie, Arthur Billerey, éd. de L’Aire : un recueil de poèmes par l’un des fondateurs de la revue littéraire romande La cinquième saison. Passionné par les mots écrits, Arthur Billerey a également créé la chaîne Youtube Trousp, entièrement consacrée au livre.

Fleurs imaginaires , poésie, Corinne Reymond, éd. Torticolis et Frères : avec empathie et tendresse, Corinne Reymond rend hommage aux personnes happées par l’âge ou la maladie.  Sa longue carrière d’aide-soignante aux soins à domicile, en EMS, à l’hôpital ou en hôpital psychiatrique, l’a menée à écrire ses expériences avec les patients. Dans son métier, plus que les soins, ce qu’elle recherche c’est le relationnel, le contact avec les gens, apprécier qui ils sont, sentir leurs états d’âme, se pencher sur l’histoire de leur vie. “Plus on devient âgé, plus ça devient riche” dit-elle. Une richesse qu’elle n’a pas voulu laisser perdre.

Balles neuves, roman, Olivier Chapuis, éd. BSN Press : malgré l’amour de son épouse, de sa fille et de son fils, Axel Chang éprouve une jalousie et une haine grandissantes envers Roger Federer à qui tout réussi. Une obsession qui le conduit à la dérive. Un récit peu conventionnel, Axel Chang étant le personnage d’un tapuscrit imaginé par un auteur en mal de reconnaissance, agacé par les succès du sportif d’élite devant qui toutes les portes s’ouvrent pendant que lui croupit. Conseillé et coaché par un écrivain mondialement célèbre, le créateur d’Axel Chang poussera son histoire jusqu’à ses extrêmes limites.

Dernier concert à Pripyat, roman, Bernadette Richard, éd. L’Âge d’Homme : dans la nuit du 25 au 26 avril 1986, eut lieu dans l’ex-Union Soviétique, dans la centrale nucléaire de Tchernobyl, l’accident atomique le plus dévastateur de l’histoire. Une hécatombe qui a coûté l’existence de milliers de personnes et péjoré la vie d’autant de survivants. Passionnée par la question nucléaire, la journaliste et romancière Bernadette Richard nous emmène dans la Zone interdite de Pripyat. Le livre raconte l’histoire de trois jeunes garçons qui fuient de chez eux en compagnie d’une vieille dame la nuit de la catastrophe. Quelques années plus tard, les trois compagnons deviennent stalkers. Défiant les dangers de la contamination, ils pénétreront régulièrement dans La Zone interdite, non seulement pour l’explorer, mais aussi pour lui rendre ses lettres de noblesse à travers la musique. Au cours de leurs expéditions, ils rencontreront tous les réprouvés et désœuvrés du système soviétique.

Roman de gares, roman, Jean-Pierre Rochat, éd. D’Autre part : Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. Par chance, deux femmes exceptionnelles croiseront son chemin.

Soupirs du soir, roman, Jean-Michel Borcard, éd. Torticolis et Frères : dans un style cinématographique, les péripéties de deux anciens dératiseurs : l’alcoolique, plutôt de droite, Carl Meinhof et l’antifa Joseph Miceli ouvrier dans une scierie. Malgré leurs différences, les deux hommes cultivent une amitié qui ne se dissout dans aucun liquide. Si on ne reconnaissait pas Bulle et sa région, on imaginerait les ambiances décrites dans la campagne du Maine ou dans une petite ville du Montana. Le roman exhale les milieux ruraux et alternatifs, la sueur du travail manuel, le bois fraîchement coupé dont on fabrique les flûtes douces et parfois les cercueils, les vapeurs d’essence, le sang d’abattoir et même les effluves de l’amour.

Les Enfers, roman, Patrick Dujany, éd. Torticolis et Frères : pas loin d’un village au doux nom luciférien, au cours de l’une de ces fameuses torrées comme on n’en fait que sur les crêtes et les flans du massif du Jura, quatre membres de Burning Plane, un groupe de death-metal-core, agrémentent leurs saucisses de champignons hallucinogènes. Pour améliorer le goût de la forestière cuisine, ils l’arrosent de trop d’alcool. C’est au milieu de cette débauche culinaire qu’apparaît Satan. Aux quatre gastronomes, il propose de devenir un groupe de rock mondialement connu, à condition qu’ils lui vendent leurs âmes.

Les choses gonflables, roman, Miguel Angel Morales, éditions Torticolis et Frères : Miguel Angel Morales s’est distingué en fondant le collectif Plonk & Replonk. Mais pas uniquement. Pendant longtemps, il a tenu les chroniques rock du feu quotidien L’Impartial et animé des émissions pour RTN. Les Choses Gonflables ne se résument pas. Elles se lisent. Le récit se déroule, au départ, dans un monde étrange qui ressemble à une parodie du nôtre. Un endroit où vivent les Ploucs et les Beaux. Puis, peu à peu, on change de plan comme si les personnages se promenaient d’univers en univers, dans des mondes parallèles qui se superposent.

« Tant pis pour l’amour » : la BD qui explique les mécanismes de la manipulation affective

Tant pis pour l’amour : de l’idylle à la manipulation

Sophie a grandi en province, entourée de rivières où elle péchait l’écrevisse avec les mains. Lors d’une soirée, elle rencontre Marcus. Rapidement, elle en tombe amoureuse. L’homme, un comédien reconnu qui vit à Paris, lui fait comprendre que ce coup de foudre est réciproque. Dans un premier temps, il se comporte en amoureux parfait. Ensemble, ils passent des moments merveilleux. Le charme opère. Envoûtée, Sophie, qui pourtant se méfiait de la passion amoureuse, change radicalement sa vie pour lui plaire. Elle en vient même à déménager, à changer de région, pour se rapprocher de lui. Mais Marcus montrera très vite sa face obscure, celle d’un manipulateur qui la sadise psychologiquement. Quand elle ose le confronter à ses mensonges et incohérences, il devient verbalement violent et humiliant. Les réactions irrationnelles, voire hallucinantes de son compagnon, mènent Sophie à la culpabilisation puis à la dépression.

Tant pis pour l’amour : survivre à une relation toxique

Ce roman graphique raconte une histoire vraie. Celle qu’a vécue l’illustratrice et narratrice du livre. Relatée avec beaucoup d’humour, on s’y plonge comme dans un Tintin. D’autant que Sophie Lambda a eu l’excellente idée d’y introduire son ours Chocolat, une peluche gourmande qui s’adonne joyeusement à quelques vices dont l’ivrognerie. Spirituel, cocasse et plein d’à propos, Chocolat ne manque pourtant pas de sagesse puisqu’il tient le rôle de l’ange gardien ou de voix de la conscience. Bien qu’elle soit éducative, « Tant pis pour l’amour » est une BD distrayante et amusante.

L’auteure souligne qu’elle s’est contentée de relater ce qui lui est arrivé lors d’une relation amoureuse. La personne perverse est donc un mâle hétérosexuel blanc et celle qui se laisse prendre au piège une femme hétérosexuelle blanche. Elle précise cependant que les manipulateurs peuvent avoir n’importe quel âge, être issus de tous les milieux et de toutes les cultures. Que cela concerne tous les genres et toutes les préférences sexuelles. Que les manipulateurs et manipulatrices se rencontrent partout y compris dans les relations  « amicales », parmi nos collègues de travail ou au sein de la famille. Afin de ne pas enfermer les personnes toxiques dans une seule et unique case, le terme manipulateur est utilisé pour ces trois cas de figure : le-la pervers-e narcissique, le-la vampire psychique ou le-la sociopathe.

Un passage de la BD m’a particulièrement interpellée : quand Sophie explique qu’il ne faut pas confondre sauver sa vie et sa santé mentale avec la lâcheté ou le ghosting. Fuir, disparaître en bloquant la personne toxique de toutes parts, c’est l’unique solution pour échapper aux manipulateurs et manipulatrices. « Être lâche c’est disparaître sans donner de nouvelles à quelqu’un qui ne nous a jamais fait de mal. Quitter un bourreau c’est sauver sa peau. La lâcheté c’est un manque de respect violent fait dans le plus grand des silences ». En revanche, fuir un manipulateur ou une personne toxique, c’est se respecter soi-même. A noter: les manipulateurs sont extrêmement doués pour jouer les victimes de ghosting auprès de leurs amis ou sur les réseaux sociaux.

Apprendre à reconnaître un manipulateur et réagir

L’histoire de Sophie se divise en plusieurs parties. La première nous montre comment la jeune femme se laisse insidieusement manipuler par Marcus, jusqu’au jour où elle s’aperçoit qu’elle est dans une relation destructrice.

Dans la deuxième partie, elle le quitte. Totalement déstabilisée par ces quelques mois de relation toxique, elle demande l’aide d’une professionnelle pour se reconstruire.

Dans la troisième partie, elle démonte les pièges qui lient le chasseur à sa proie. Sophie Lambda n’épargne personne. Pas même le manipulé qui souvent s’imagine plus fort qu’il n’est en réalité.

En fin de livre, on trouve un Violentomètre. Cet outil permet à tout un chacun de mesurer la violence qu’une autre personne lui fait subir. Suivent quatre pages d’adresses et de numéros de téléphones ou les victimes de violences physiques ou psychologiques peuvent trouver une écoute ou du secours. Elles se situent toutes en France. Cependant, si vous vivez en Suisse et que vous êtes victime de violences, faites une recherche sur internet avec les mots suivants : violences psychologiques ( ou physiques ) avec le nom de votre canton ou de votre ville, vous serez rapidement dirigée vers une association près de chez vous.

Bon à savoir : si vous souhaitez faire le test du Violentomètre sans acheter le livre, on le trouve facilement sur la toile. Créé en Amérique latine pour que les femmes puissent mesurer les violences qu’elles subissent et comprendre le moment où elles sont en danger, le Violentomètre peut aisement être utilisé par les hommes.

“Tant pis pour l’amour” est un roman graphique que je n’hésiterais pas à placer entre les mains de chaque adolescent et de beaucoup d’adultes.

 

Sophie Lambda : la biographie

Illustratrice autodidacte, elle est née en 1986 à Besançon, en Franche-Comté. Elle grandit à Vesoul qu’elle quitte à 19 ans, après avoir arrêté ses études pour cumuler, durant trois ans, des expériences professionnelles diverses : fille au pair en Irlande, charcutière à Super U, ouvrière dans une usine en Suisse, vendangeuse, serveuse ou caissière. Elle reprend un cursus universitaire à Montbéliard et enchaîne cinq ans d’études de langues étrangères appliquées au e-commerce. C’est en parallèle à ses études qu’en 2010 elle crée son pseudonyme Sophie Lambda et ouvre un blog BD. Elle y raconte ses anecdotes de voyages, d’étudiante et des petites tranches de vie. Le blog et les réseaux sociaux aidant, elle décroche ses premiers contrats d’illustratrice alors qu’elle est encore étudiante. En 2014, elle termine son master 2 et se lance à plein temps, en freelance, dans l’illustration. Depuis, elle travaille pour l’édition, la publicité et la communication.

 

Sources :

  • Tant pis pour l’amour, Sophie Lambda, Éditions Delcourt.
  • Bibliothèque de La Chaux-de-Fonds

 

 

Cécile Guilbert : « Écrits Stupéfiants » drogues et littérature de Homère à Despentes

Un essai dédié aux écrits influencés par les psychotropes

Ma littérature est largement empreinte de drogue. C’est quasiment le thème principal de Swiss trash mais elle apparaît également dans Fille facile et Inertie. Raison pour laquelle je me suis précipitée chez mon dealeur de livres, lorsque j’ai entendu parler, à sa parution en septembre 2019, d’Écrits stupéfiants un essai de Cécile Guilbert. Parue chez Robert Laffont, cette bible répertorie les écrivains – et quelques écrivaines – qui ont écrit sous l’influence de produits psychotropes. Ou du moins à leur sujet. Après un prologue autobiographique de l’auteur, le livre nous emmène pour un long voyage dans les paradis et les enfers artificiels : « de l’Inde védique à l’époque contemporaine des drogues de synthèse, des pharmacopées antiques et moyenâgeuses à la vogue moderne des psychostimulants en passant par l’opiophagie britannique, le cannabis romantique, l’opiomanie coloniale, la morphine ou l’éther fin-de-siècle, l’invention du « junkie » au XXe siècle et la révolution psychédéliques des années 60. » Un volume de 1440 pages, imprimé sur un papier aussi fin que celui dont on roule les joints, contenant plus de 300 textes écrits par 220 auteurs. Les grands classiques y côtoient les contemporains ou des signatures moins connues ou parfois oubliées. Je ne peux citer tous les auteurs dont on peut lire les lignes qui se réfèrent aux drogues. L’on ne s’étonne guère d’y rencontrer Gérard de Nerval, Jack Kerouac, Françoise Sagan, Hubert Selby Jr ou André Malraux. C’est plus surprenant lorsqu’on y croise Hérodote, qui écrivait sous l’influence du chanvre, les sœurs Brontë ou Pline L’Ancien. Mais l’on y cite également une pléthore de personnages historiques comme Napoléon ou Joséphine de Beauharnais, des musiciens de toutes les époques et de tous les genres musicaux, des artistes peintres ou de music-hall… j’en passe. Je suis toutefois surprise de ne pas y avoir trouvé Guillaume Dustan, écrivain homosexuel et directeur de collection aux éditions Balland, décédé en 2005, ou Johann Zarca, prix de Flore 2017, actuellement l’écrivain le plus expert de l’Hexagone en matière de drogues diverses. Peu importe ! Son contenu reste si vaste, que je l’inhale peu à peu, sniffant deci delà pour ne pas sombrer dans une overdose de lecture stupéfiante mais dont je ne regrette en rien l’acquisition.

 

Écrits stupéfiants : un essai en quatre parties

Pour chaque drogue, à la suite de son histoire sacrée, médicale et culturelle, est proposée une anthologie chronologique de textes précédés d’instructions détaillées. Pour classer les drogues, les auteurs qui s’y réfèrent et leurs textes, Cécile Guilbert a choisi une manière plus littéraire que scientifique. Elle se réfère à la liste, désormais un peu obsolète mais fort poétique, établie en 1928 par le pharmacologue allemand Louis Lewin. « Cette somme se divise en quatre grandes parties : Euphorica (opium, morphine, héroïne), Phantastica (cannabis, plantes divinatoires, peyotl et mescaline, champignons hallucinogènes, LSD) Inebrientia (éther, solvants) Excitantia (cocaïne et crack, amphétamines, ecstasy, GHB… »

 

Écrits stupéfiants : quelques extraits

Ce livre « qui révèle une pratique universelle, peut aussi se lire comme une histoire parallèle de la littérature mondiale tous genres confondus puisqu’on y trouve des poèmes, des récits, des romans, des nouvelles, du théâtre, des lettres, des journaux intimes, des essais, des comptes rendus d’expériences, des textes médicaux et anthropologiques… ». De la partie Euphorica, j’insère ci-dessous une page du livre recadrée ou l’éloge faite à la morphine par un inconnu. Suivent des minis extraits des autres types de drogues.

Euphorica :

Phantastica :

« En même temps, dans l’ombre de cette lumière, la peur se nichait en lui. Il n’osait détourner le regard vers les recoins où s’esquissaient des mouvements. Et la lumière gagnait encore en intensité. Les chandeliers commençaient déjà à étinceler; ils se changeaient en joyaux. » Ernst Jünger. Stupéfiant : LSD.

« Je passe sous silence la façon dont le jus qu’on en tire, mis dans les oreilles (quelques gouttes suffisent) tue toute espèce de vermine à laquelle la putréfaction aurait donné naissance, ainsi que toute autre petite bête qui y serait entrée. » François Rabelais. Stupéfiant : cannabis

 

Inebreantia :

« Cela nous apprend ce que les femmes viennent chercher rue de la Ferme : là encore, le poison n’est qu’un prétexte. Ce ne sont point des éthéromanes convaincues ; elles ne souhaitent pas ces sensations d’engourdissement qui tentent les clients du bar de la rue Monge ; elles veulent seulement dîner en tête-à-tête, loin des hommes, et toujours passer en tête-à-tête la nuit tranquillement. Et si elles boivent de l’éther, c’est uniquement pour fouetter leurs sens. » René Schwaeblé. Stupéfiant : éther

 

Excitantia :

« La petite poudre blanche, en lui entrant par le nez, lui donna une sensation de fraîcheur aromatique, comme si des huiles essentielles de cèdre et de thym s’étaient volatilisées dans sa gorge. Quelques parcelles, en passant des narines à l’arrière bouche, lui provoquèrent une légère cuisson au fond de la gorge et un goût amer sur la langue. » Pitigrilli. Stupéfiant : cocaïne.

 

Cécile Guilbert : une essayiste qui connaît son sujet

Les stupéfiants offrent à la création artistique et littéraire, parfois industrielle ou scientifique, des univers que l’on aurait négligés sans leur consommation. Cependant, l’essayiste reste persuadée qu’ils ne participent en rien au talent ou au génie d’un créateur. Si l’on a du génie, les toxiques apporteront PEUT-ÊTRE une touche de plus, tout en nous faisant risquer d’y laisser notre peau et notre art. Si l’on a un talent médiocre, en prendre n’apportera rien. Elle diminuera même la qualité de l’œuvre. Mais qu’elle affaiblisse ou détruise, la drogue reste un puissant moteur de création. La preuve en est cet ouvrage.

Née à la fin de 1963, Cécile Guilbert est entrée en « stupéfiants » à l’âge de 13 ans, en pleine explosion punk, d’abord à travers la littérature de Baudelaire et de Burroughs ensuite avec de l’éther. A quatorze ans, elle consomme pour la première fois du LSD et, à Majorque, fume ses premiers joints. En 1979, lors d’une soirée à Montréal, un homme plus âgé qu’elle lui offre pour la première fois de la cocaïne. Elle inhale de l’héroïne à 19 ans. Ça lui plaît beaucoup, ce qui ne l’empêche pas d’entrer à Science Po. Toutefois, au fil des années, les drogues la rendent de plus en plus paranoïaque. Ce qui l’incite à échanger une addiction pour une autre : elle délaisse un peu les stupéfiants « classiques » pour s’adonner sans retenue à la lecture de Saint-Simon, Nabokov, Proust, Kafka… Du coup, elle rate la décennie de l’ecstasy et de toutes les drogues synthétiques qui ont suivi préférant lire, écrire et voyager. Elle consomme toujours des psychoactifs, mais ils l’intéressent de moins en moins. Fin 2003, elle fête ses quarante ans dans une orgie de cocaïne mais depuis plus rien. Elle a longtemps regretté de n’avoir jamais essayé l’opium et la mescaline, des plaisirs dont elle ne s’enivre qu’à travers la lecture et l’écriture. Essayiste, romancière, journaliste et critique littéraire, Cécile Guilbert est l’auteur d’une œuvre publiée chez Gallimard et Grasset composée d’essais ( Saint-Simon ou L’Encre de la Subversion, Pour Guy Debord, L’Écrivain le plus libre…) des récits (Réanimation), de romans (Le Musée national, Les Républicains), de préfaces et d’anthologies. Elle a reçu le prix Médicis de l’essai en 2008 pour Warhol Spirit. Elle a préfacé pour la collections Bouquins les œuvres de Vladimir Nabokov, Sacher-Masoch et Bret Easton Ellis.

Sources :

  • Écrits Stupéfiants, Cécile Guilbert, Éditions Robert Laffont
  • France Culture

Jean-Pierre Rochat : « Roman de gares » arrêts sur instants douloureux ou amoureux

Roman de gares : le goût de l’amour

A présent, il m’est rare de retrouver les émois amoureux éprouvés durant mon enfance ou adolescence envers les héros ou héroïnes d’un livre. Avec une agréable surprise, j’ai goûté à cette délicieuse sensation en lisant le dernier ouvrage de Jean-Pierre Rochat. Roman de gares vient de paraître aux Editions d’Autre Part. A travers sa prose, l’écrivain a su m’instiller l’amour et le désir qu’il ressent pour les deux femmes qui le sauvent du désespoir. A l’inverse, j’ai également pu plonger dans le sensuel penchant amoureux qui attire ces femmes vers Dèdè, un homme d’une si grande sensibilité qu’il sait nous tenir sous son charme. Au cours de ses pérégrinations, Jean-Pierre Rochat, qui se confond avec le personnage de Dèdè, – avec des accents graves pour que cela signifie grand-père en turc – nous fera également découvrir la manière dont il écrit ses romans ainsi que les poètes et les écrivains qu’il aime : Baudelaire, Verlaine, Rimbaud, Marcel Aymé

 

Roman de gares de Jean-Pierre Rochat : l’histoire

Dèdè est obligé d’abandonner sa ferme dans le Jura bernois après cinquante ans de labeur. En plein hiver, il part sur les routes accompagné d’un jeune âne. Avec son équipage, il espère descendre, à pied, dans le sud de la France en s’arrêtant de ferme en ferme pour y trouver assiette et logis selon la coutume des journaliers d’autrefois. Empreint de tradition et de souvenirs bienveillants, Dèdè s’imagine que les paysans lui ouvriront leur porte comme lui-même ouvrait la sienne quand il possédait sa propre demeure. Il doit déchanter. De nos jours les campagnes se sont repliées sur elles-mêmes. A peine si on les laisse, son âne et lui, malgré une température peu clémente, s’installer sous le toit d’une remise. Ces mœurs, nouvelles et hostiles, n’améliorent guère la mélancolie et les idées suicidaires qui le rongent depuis qu’il a été contraint de se séparer de tout ce qu’il aimait : son coin de terre, ses vieux murs, ses animaux, ses livres… Il rêvait d’accueils chaleureux, d’échanges humains et de partage, il ne trouve que des visages fermés et des battants clos. Quitter cette existence, qui peu à peu anéantit ses idéaux et lui refuse tout ce qu’il aime de la vie, le hante. Tout lui est-il vraiment refusé ? Non pas tout. Deux femmes traverseront sa route. La première, une personne mariée à un homme puissant avec qui elle s’ennuie, vénère son talent d’écrivain. Elle lui offrira admiration, échanges intellectuels, luxe et volupté. La seconde, une ouvrière qui travaille dans une boulangerie industrielle, lui apportera joie et fraîcheur, une manière d’appréhender la vie au jour le jour, de croquer l’instant sans penser au lendemain. Avec Roman de Gares, Jean-Pierre Rochat nous emmène dans le passé de Dèdè, dans la nostalgie du partage traditionnel qui se pratiquait dans les milieux ruraux ainsi que dans les idéaux de mai 1968 qui ont marqué sa jeunesse. Bercé par ses illusions, la découverte des campagnes du XXIème siècle s’avérera amère. Par bonheur, l’amour et le sexe sauveront Dèdè d’une mort à laquelle il songe trop souvent.

 

Roman de gares de Jean-Pierre Rochat : extraits

« Ce serait facile de me déclarer dépressif en plus de SDF, les SDF sont tous un peu dépressifs. Et toi qui avouerais à ton mari suffisant : je fréquente et fricote avec un SDF, quelle plaisanterie ! Serait-ce par esprit de provocation, ou par mansuétude ? Je sais bien que non, nous partageons un rêve commun, trois bouts de ficelle. Le bus n° 8 traverse la banlieue, avec à son bord des femmes et des hommes qui montent ou descendent à chaque arrêt, une poussette, un déambulateur, une cuite carabinée, un sac à commissions, une cigarette en attente de l’air libre pour se faire allumer ; je me dis merde, c’est ça la vie ?  La banlieue passée, le cimetière dépassé, les premières fermes exploitées et quelques villas hors zone, construites à l’aide de dérogations obtenues en haut lieu, au-dessus des lois et de la population ordinaire.

Aujourd’hui est un jour de l’année où tous sont à la fête, sans exception autre que nous deux, tu me reçois chez toi en vitesse – faudrait pas qu’on se fasse prendre sur le vif, on serait pendus sur la place publique. Tu m’appelles du fond du pâturage, je te sens venir au galop, crinière au vent, nous nous poursuivons pour mieux nous rejoindre ; je gravis ton mont de Vénus et te caresse, là où le plaisir voile ton regard en te faisant soupirer d’aise ; j’embrasse ton nez, ta bouche, ton nez, ta bouche… à l’infini. Recommençons, c’est tellement bon une femme satisfaite et souriante étendue sur le dos, pendant qu’à ses côtés j’essaie de reprendre mon souffle, avant de repartir pour un tour d’honneur.

Nous sommes nus, après nous être ébattus inlassablement d’orgasme en orgasme, comme si j’étais un jeune étalon bien avoiné et toi une jument en pleine chaleur.

Il y a un quart d’heure de marche jusqu’à l’arrêt terminus du bus n° 8 menant à la gare. J’étais à nouveau rattrapé, récupéré, envahi par le spleen : pas celui de Paris, en Suisse nous avons aussi des spleens bien de chez nous, parfois même un dégoût de la vie, de nos forêts sombres et nos ciels gris, nos fleurs du mal ou notre saison en enfer. A la gare, une grande partie des passagers descend du bus pour prendre le train. J’aimerais être plus optimiste, les sanglots longs c’est trop con, je viens de prendre mon pied, un super pied de tous les tonnerres de Dieu, alors je ne vais pas recommencer à pleurnicher, même si ma turne est merdique et mes bouquins stockés dans des cartons au fond d’un garage bordélique. »

Jean-Pierre Rochat : biographie

L’écrivain paysan J.P Rochat. ©Gérard_Benoit_à_la_Guillaume

Jean-Pierre Rochat vit à Bienne dès l’âge de sept ans. Après un court passage en maison de correction, qu’il évoque dans Roman de gares, il devient berger : à l’alpage en été et comme journalier en plaine l’hiver. De 1974 à 2019 il exploite, avec sa famille, un domaine au sommet de la montagne de Vauffelin, et devient un éleveur réputé de chevaux Franches-Montagnes. Il commence à écrire vers la fin des années 1970. En 2012, L’Écrivain suisse allemand lui vaut le prix Michel-Dentan. En 2019, le prix du roman des Romands lui est décerné pour Petite Brume. Ce livre raconte l’histoire d’un paysan qui vit un drame en devant vendre sa ferme, son bétail et sa jument, baptisée Petite Brume.

Vous pouvez lire la chronique de Jean-Marie Félix / RTS – Culture et écouter son entretien avec Jean-Pierre Rochat en cliquant ici.

 

Sources :

  • Roman de gares de Jean-Pierre Rochat, éditions D’Autre Part
  • Wikipédia

 

“Dernier concert à Pripyat” : les photographies de La Zone (2)

Pripyat: une ville où il faisait bon vivre

Avant l’accident nucléaire, Pripyat se voulait une ville très occidentale et animée, avec ses cinémas, ses théâtres, ses centres culturels et ses bars à la mode. Ce qui est à présent un no man’s land fut, avant la catastrophe, un endroit très prisé ou les gens étaient heureux et contents de vivre. Il y régnait une fierté à faire partie de cette grande famille qui travaillait et vivait grâce à la puissance de l’atome.

L’eau de la rivière Pripyat, que l’on voit sur plusieurs photographies publiées entre jeudi et ce samedi, alimente la piscine de refroidissement. Elle traverse la zone de 30 kilomètres autour de la centrale nucléaire de Tchernobyl. Elle draine encore actuellement des radioisotopes. La Pripyat se jette dans le fleuve Dniepr qui se jette à son tour dans la Mer Noire. La réserve radio-écologique qui correspond à la zone la plus contaminée par la catastrophe de Tchernobyl est en partie interdite d’accès. Toutefois, elle accueille une faune sauvage d’un grand intérêt.

Dernier concert à Pripyat, le roman de l’écrivaine et journaliste Bernadette Richard, paru aux Éditions L’Âge d’Homme cet automne, est inspiré par son séjour dans La Zone de Tchernobyl et Pripyat. Aujourd’hui, je publie une dernière sélection des photographies qu’elle a ramenées de son passage en ces lieux. Toutes datent de 2013 et sont légendées par la romancière elle-même. Si vous n’avez pas encore lu l’interview de Bernadette Richard, ni lu les extraits de son livre, vous pouvez cliquer ici.

 

 

Les immeubles qui ont inspiré le début du livre. ©BernadetteRichard2013

 

Malgré les ravages de la catastrophe et les pillages permanents, la nature, bien que hautement irradiée, reprend ses droits. ©BernadetteRichard2013

 

Sculpture en hommage aux liquidateurs qui ont donné leur vie dès le 26 avril 1986 pour tenter du juguler la catastrophe. ©BernadetteRichard2013

 

Bâtiment officiel sur la grande place. ©BernadetteRichard2013

 

Le très chic hôtel Polissa sur la grande place de Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Une salle de spectacles dans Pripyat ou ce qu’il en reste. ©BernadetteRichard2013

 

Bâtiment officiel dans la ville de Tchernobyl, en bon état car encore utilisé. ©BernadetteRichard2013

 

Un magnifique vitrail fracassé. ©BernadetteRichard2013

 

Près d’un bâtiment officiel, un pommier donne chaque années des fruits sans doute délicieux et irradiés. Une petite pomme pour la soif? ©BernadetteRichard2013

 

Les machines qui ont servi à assainir un minimum le lieu. Totalement contaminées, on a dû les enfermer derrière une barrière pour éviter que les touristes imprudent ne soient dangereusement irradiés. ©BernadetteRichard2013

 

Le restaurant branché de la belle époque, il borde la rivière. Le décor est magnifique et … irradié. Un petit verre pour la route? ©BernadetteRichard2013

 

Face au restaurant branché, le ponton qui permettait de prendre le bateau pour des balades sur la rivière Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Les arts de la rue défient la mort de Pripyat. Quelques très bons artistes et des stalkers ont laissé leur griffe. ©BernadetteRichard2013

 

Compteur Geiger de l’historienne qui m’accompagnait. A 1.12, rien de grave, mais le dosimètre s’emballe très vite, parfois à 10 mètres plus loin. ©BernadetteRichard2013

 

 

Un manège et divers jeux avaient été installés tout exprès pour la fête du 1er mai 1986. Un manège figé jusqu’à ce que la flore l’absorbe complètement. ©BernadetteRichard2013

 

Petite balade de « santé » le long de la rivière Pripyat qui borde la Centrale Lénine? ©BernadetteRichard2013

 

Au sortir de la Zone, examen dans une machine qui semble sortie d’un vieux film de science-fiction qui fait office de contrôle de l’irradiation des visiteurs. Ici, j’étais en zone orange, ça passe… mais j’y ai perdu mes Doc Martens et mon manteau trop irradiés pour les promener dans le reste du monde. ©BernadetteRichard2013

Sources :

  • Bernadette Richard
  • Wikipédia

 

 

“Dernier concert à Pripyat” : les photographies de La Zone (1)

Tchernobyl-Pripyat : No Man’s Land ukrainien

De son séjour dans La Zone interdite en 2013, la journaliste et romancière Bernadette Richard a ramené les photos des lieux qu’elle décrit dans son roman Dernier Concert à Pripyat. “Mes photographies sont nulles. Photographe c’est un métier or je ne suis pas de ce métier. En revanche, elles reflètent parfaitement les couleurs du lieu et les ambiances du roman”. C’est pourquoi j’ai trouvé intéressant de donner, exceptionnellement, une suite à ma publication d’hier. Beaucoup d’entre elles ont été prises d’une voiture. La radioactivité trop élevée ne permettait pas d’en sortir, d’où les flous. Elle sont légendées par Bernadette Richard. Mais auparavant elle nous invite à un à boire un thé ou un café un peu particuliers dans des tasses ramenées de son séjour dans La Zone.

“Alors, un petit goûter gore avec les souvenirs de Tchernobyl ? J’attends mes lecteurs avec impatience !” Euh, non merci Bernadette je passe mon tour. Surtout lorsque l’on sait ce qui suit.

Tchernobyl : la Centrale Nucléaire

Bernadette Richard : “Construit en urgence de mai à octobre 1986, afin de recouvrir les ruines du réacteur no 4 de Tchernobyl, le sarcophage avait été garanti 25 à 30 ans de bons et loyaux services. Il avait été réalisé, dans des conditions de travail abominables, en 206 jours, requérant 400 000 m. carré de béton et 600 000 ouvriers, tous très exposés aux radiations mortelles. Les pilotes d’hélicoptères qui transportaient le matériel eux aussi furent violemment contaminés. 

 

La Centrale de Tchernobyl avant que l’arche soit posée. Les cheminées sont en train d’être démontées. L’échafaudage est posé sur le réacteur no 4. La statue montre le courage des ouvriers face au travail de décontamination, mais hommage aussi à ceux qui ont continué à faire fonctionner les autres réacteurs durant des années. ©BernadetteRichard2013
Le vieux sarcophage a tenu ses promesses, vaille que vaille. Mais peu à peu, au début du millénaire, des fissures apparurent et bien que des travaux de stabilisation furent menés en 2004 et 2008, des brèches de plus en plus étendues (sur la photo, on distingue une large faille de 6 mètres de long dans la façade) firent craindre le pire, à savoir la dispersion d’une nouvelle pollution radioactive. 
En 2015, une faille de 6m de long est visible le long de la façade du 4ème réacteur. D’autres petites failles sont apparues au fil du temps, nécessitant la construction de la grande arche de protection. ©BernadetteRichard2013

Alors que la nouvelle arche était déjà en cours de réalisation, le toit de la vieille structure s’effondra au cours de l’hiver 2013, particulièrement rigoureux. Bouygues travaux publics et Vinci Construction Grands Projets, qui participaient largement au chantier, rappela ses 80 employés français le 13 février. Le chantier prit un retard considérable avant que l’arche soit « glissée » au-dessus des ruines du 4ème réacteur et hermétiquement fermée en 2019. Et enregistrera un dépassement du budget de plus d’un milliard d’euros.

La grande arche en construction, ici en 2013. Elle a coûté bien plus cher que prévu, a pris du retard, mais en 2019, elle a été roulée au-dessus du réacteur no 4, censée protéger l’Europe d’une seconde catastrophe durant un siècle: plus de 120 tonnes de matériel gravement irradié sont encore enfouis sous le réacteur no 4. ©BernadetteRichard2013

Cette réalisation pharaonique « composée de deux structures métalliques, pour un poids total de 25 000 tonnes, est longue de 162 mètres, haute de 108 mètres et elle affiche une portée de 257 mètres. A elle seule, elle pourrait recouvrir le Stade de France ou la Statue de la Liberté. Cette enceinte a été conçue pour résister à des températures comprises entre -43°C et +45°C, ainsi qu’à une tornade de classe 3 et à un séisme d’une intensité de 6 sur l’échelle de Mercalli. Sa durée de vie est estimée à une centaine d’années. » Parmi la population ukrainienne et biélorusse, le doute subsiste: un siècle, vraiment?”

Comme si tout était normal, distributeurs d’électricité à haute tension, bassin de refroidissement, signal routier… mais construction de la grande arche qui devrait protéger le réacteur 4 pour un siècle. Aujourd’hui posé. ©BernadetteRichard2013

Une cité morte : le décor du roman Dernier concert à Pripyat

Une école dans la Zone entre Tchernobyl et Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

 

 

Ce qui fut une maison de commune, école, centre culturel entre Tchernobyl et Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

Entrée dans la ville de Tchernobyl, encore habitée aujourd’hui. On y trouve même une boutique à souvenirs , babioles, vaisselle, tee-shirts, etc. ©BernadetteRichard2013
Une vue de la grande place. ©BernadetteRichard2013

 

Le très chic hôtel Polissa sur la grande place de Pripyat. ©BernadetteRichard2013

 

L’entrée au Centre culturel de Pripyat. La monstrueuse déco soviétique a résisté à la radioactivité et au temps qui passe ! ©BernadetteRichard2013

 

La salle de spectacle du Centre culturel de Pripyat, vue depuis la scène… le carnage. Le temps n’a rien à y faire, ce sont les voleurs qui récupèrent tout ce qui est vendable loin de Tchernobyl, avec une décontamination plus ou moins laxiste. ©BernadetteRichard2013

 

A l’intérieur du Centre culturel de Pripyat, la razzia a eu lieu. Et pourtant, sur la scène, le piano à queue a résisté et sert parfois pour des concerts sauvages. Il est chouchouté, ripoliné, drôle de contraste. Est-il encore là aujourd’hui ? Rien n’est moins sûr. Il m’a inspiré des scènes du roman. ©BernadetteRichard2013

Suite et fin demain.