L’Horizon et après : un livre de poche illustré
A première vue, bien qu’il vienne de paraître, L’Horizon et après est un livre de poche vendu au prix d’un livre de poche. Signé Bernadette Richard, une écrivaine qui depuis septembre 2019 semble courir un marathon littéraire puisque après avoir publié Du Sang sous les Acacias – Ed. Favre – s’être fait rééditer Quêteur de vent, l’un de ses best-sellers – Ed. L’Âge d’Homme – elle arrive avec L’Horizon et après –Ed. Torticolis et Frères. En outre, elle nous réserve encore quelques surprises pour la rentrée ainsi que pour Noël. Son dernier Opus rassemble des nouvelles inédites et des récits publiés dans divers livres collectifs, journaux et magazines : le journal Longines, Montres Passion, Hull et Erti Editeur à Paris, le site des Éditions Cousu Mouche… et j’en passe. A travers ces nouvelles souvent acides, visionnaires, glauques ou même érotiques, Madame Richard m’aura fait rire, pleurer et réfléchir. Attention: avec elle le rire, comme les larmes, se trouvent au 18ème degré. Mais la particularité de ce livre à la portée de toutes les bourses, c’est d’être richement illustré par l’artiste Catherine Aeschlimann. Non seulement elle a imaginé un dessin pour chaque nouvelle, mais elle a également créé des lettrines méticuleusement décorées. Sur la rugosité de ce support, que l’on ne peut guère qualifier de précieux, cela donne un côté décalé des plus surprenants.
Catherine Aeschlimann : une artiste de terrain
Habituée aux séjours de longue durée à l’étranger jusqu’au début des années 2000, cette amoureuse de New-York a parcouru les États-Unis d’Est en Ouest et de musée en musée. Possédant un brevet d’instructrice suisse de ski, elle a notamment enseigné ce sport dans le Colorado. Fascinée par les jardins du Darjeeling pour le parfum du thé, plus près de chez nous, elle a été adjointe à la déléguée culturelle du Centre Culturel Suisse Poussepain à Paris. Adepte de la peinture sur toile ou murale, des interventions et installations, de l’illustration de livres ou des montages de spectacles, tous les projets artistiques l’intéressent, en particulier s’ils sont éphémères ou susceptibles de changer avec le temps. Fascinée par les métropoles dont elle aime voir l’évolution à travers les ans, cette artiste qui s’adonne également corps et âme à la poudreuse, a pour terrain de prédilection la ville : peintures géantes contre les façades ou dans les passages publics, interventions sur les protections d’échafaudages ou impressions du mobilier urbain comme les plaques d’égout, par exemple. Côté campagne, elle est responsable de l’animation culturelle de la ferme du Grand-Cachot-de-Vent, dans la vallée de La Brévine ou, en juillet, aura lieu le vernissage de L’Horizon et après.
Interview de Catherine Aeschlismann
Vous êtes une artiste qui depuis toujours touche à tout : qu’est-ce qui vous pousse à changer sans cesse de support et de technique ?
En 40 ans de créations, il est normal de changer de technique et de support, mais il y a aussi les modes. Dans les années 1970-1980, aux Etats-Unis, on a commencé à peindre les façades des immeubles, notamment à New-York, afin d’égayer la morosité de la ville. Du coup, tout le monde en voulait y compris à Neuchâtel, St-Imier ou La Chaux-de-Fonds. Même si j’ai une préférence pour l’art éphémère, comme les interventions ou les installations parce que j’y mets le monde dans lequel on vit, la peinture sur toile reste un moyen de pouvoir diffuser son art afin que les amateurs d’art puissent avoir une œuvre chez eux. Ce moyen de transmission date de la Renaissance. Cela fait partie de la continuité, de ce que travaille un artiste en deux dimension. Je n’ai pas abandonné ce support car on peut agir, sur une toile, autrement qu’avec un pinceau. De plus, les galeries qui doivent pouvoir vivre, ne sont pas pour les installations éphémères puisqu’il n’y rien à vendre. Cependant, pour moi, une installation ou une intervention c’est plus stimulant que de travailler sur une toile. Concernant le dessin, je considère que c’est la base. Un projet commence toujours par un dessin, des croquis, afin de le mettre en scène et de prévoir comment le sujet peut évoluer. Il m’est indispensable de ne pas m’arrêter de dessiner. Quand je pars en vacances, j’ai toujours, sur moi, un carnet pour dessiner. Si je dois attendre à une file pour voir une expo, je dessine. Ça change le temps d’attente et cela maintient la main et le cerveau toujours exercés. Le dessin est le seul recours pour être toujours en état de création. Il fait entièrement partie de ma vie. Par exemple, concernant l’illustration d’un livre, je lis le manuscrit, et une image me vient parfois immédiatement. D’autres fois c’est à la fin de la lecture. Je sais toujours quoi dessiner. Je ne connais pas de « panne » de la créativité.
Pour l’ouvrage de Bernadette Richard, vous avez également imaginé des lettrines. Comment vous est venue cette idée ?
Récemment, j’ai vu un recueil de Charles Humbert qui a illustré le Gargantua de Rabelais vers 1920. Pour chaque chapitre, il a peint des lettrines avec beaucoup de détails tout autour du texte retranscris à la main. J’ai eu ça sous les yeux et je me suis dit : je vais aussi faire des lettrines c’est tellement magnifique. J’ai toujours aimé cet art du copiste, du moine qui raconte les histoires de la Bible en images.
Quelles sont les différences entre organiser des animations dans un Centre Culturel qui doit représenter la Suisse à l’étranger ou à la Ferme du Grand-Cachot-de-Vent ?
A Paris, j’ai appris comment fonctionnait l’organisation d’évènements culturels d’une envergure européenne et au Grand-Cachot je me suis fixé des buts : exposer des gens qui n’ont jamais exposé, des personnes hors circuit. Les mettre côte à côte avec des choses inhabituelles et en même temps travailler avec des gens de la région, des montagnards, des agriculteurs de la vallée de la Brévine, puisque les personnes qui collaborent au fonctionnement du Grand-Cachot sont principalement des gens de la vallée ou du Locle. Des personnes fières que cette ferme, la plus vieille du canton, soit un lieu culturel qui depuis plus de 50 ans permet de porter un autre regard sur nos montagnes et de mettre en valeur ce qu’on a dans la région. D’autant, qu’autour de chaque exposition, il y a toujours quelque chose de musical. De temps en temps, des spectacles divers s’ajoutent, comme du cabaret, par exemple, pendant l’expo et sur les lieux de l’exposition. Le jour du vernissage, il y a un évènement musical et les week-ends suivants c’est différent. Lors du vernissage de L’Horizon et après, le comédien Manu Moser fera des lectures, tout comme l’auteure de l’ouvrage. On présentera aussi les dessins du livre sur un support numérique.
Vous avez un brevet d’instructeur suisse de ski. Pouvez-vous faire un lien entre le ski et l’art ?
Actuellement, je fais surtout du télémark, ce qui me permet de faire de très beaux virages. J’ai découvert le télémark lorsque je donnais des leçons de ski dans le Colorado. Le télémark me permet de changer d’univers, d’être dans la nature. C’est à la fois le plaisir de l’effort et de la méditation puisque je monte souvent sur les cimes les skis aux pieds, chargée de mon équipement. J’ai autant de plaisir à réfléchir à un projet artistique qu’à laisser des traces dans une neige vierge. La poudreuse à quelque chose de magique. Faire des virages, des courbes dans des endroits qui n’ont pas été touchés par d’autres skieurs, me permet de m’exprimer sur quelque chose qui est vierge, un peu comme sur une toile ou sur du papier, avec en plus l’effort physique plutôt qu’intellectuel. Quand je descends dans de la poudreuse en télémark et que la neige vole et me caresse les cuisses, j’éprouve un sentiment de suspension qui me détache de la terre. Une impression de flottaison, comme si je nageais au milieu d’un lac.
A quel personnage pictural vous identifiez-vous ?
J’ai plusieurs réponses car je n’ai pas de peinture absolue. Je pense d’abord à deux Goya : Le 2 mai et Le 3 mai 1808 à Madrid. Surtout Le 3 mai, le personnage central qui se fait fusiller par les Français. C’est un personnage que j’aime. Ensuite, il y une peinture d’Ingres Le Bain Turc, une femme de dos avec, tout autour, des femmes qui prennent le bain. Mais je pense aussi à une sculpture d’une plasticienne française, Louise Bourgeois, intitulée Maman mais surtout connue comme L’Araignée. En effet, Louise Bourgeois a imaginé une araignée monumentale, en bronze, pour représenter sa propre mère.
Interview: Dunia Miralles
Vernissage de L’Horizon et après
Le 5 juillet aura lieu le vernissage de L’Horizon et après à la ferme du Grand-Cachot, à La Chaux-du-Milieu. Pour cause de COVID, les visites seront autorisées jusqu’à 60 personnes maximum, et en deux fois : 11h et 14h. Un apéro sera servi pour autant que chaque visiteur amène son propre verre. Aucune nourriture physique ne sera disponible. La nourriture spirituelle pourra être autorisée. Au programme : lectures par Bernadette Richard et le comédien Manu Moser, également organisateur de La Plage des Six-Pompes, et présentations des dessins de Catherine Aeschlimann. Inscriptions obligatoires : [email protected] ou par SMS au 079 611 24 99.
L’artiste Catherine Aeschlimann s’adonnant au télémark, son sport de prédilection.