Acque genovesi
Il y a cinq ans, à cette époque, je me trouvais à Gênes. Je m’y étais installée début décembre pour effectuer un atelier littéraire. Quelques semaines auparavant, des pluies torrentielles imposaient au Bisagno, et à d’autres cours d’eau de la capitale de la Ligurie, de déborder. A certains endroits les flots montèrent de deux mètres. A mon arrivée, il ne restait presque plus trace de la colère du ciel. Les laborieux Génois avaient remis les rues en ordre pour les fêtes de Noël. Dignement, ils avaient nettoyé la ville et ses bâtiments, séché leurs larmes et repris leur quotidien. Seuls quelques panneaux dans les vitrines, et de grandes toiles blanches au-dessus des entrées des commerces du centre ou s’inscrivaient en grosses lettres rouges Vendita straordinaria per alluvione, rappelaient la catastrophe qui avait fait un mort et des millions d’euros de dégâts.
Pendant mon séjour la météo demeura clémente. Mais les rares fois où la pluie s’abattit sur Gênes, je fus saisie d’une étrange mélancolie.
J’adore ce Sienne sans gêne qui italianise toute cette eau arrosant des cubes.
Quelques mots disent un monde.
Merci pour cet encouragement poétique.
Grand Hotel Bellevue 1959
Il y a soixante ans, l’artiste peintre Collina exposait ses toiles devant lesquelles nous restions silencieux pendant que les chaussons de caoutchouc faisaient de petits cris en glissant sur le marbre blanc tout brillant. « Oh mais qu’est-ce que c’est ?.. », chuchotait la vieille dame qui avait une drôle de robe imitant la toile des chaises longues. « C’est de l’art abstrait… », répondait doucement ma mère en se retenant de rire. Et moi j’étais impatient de manger mon bombolone alla crema mélangé au sel sur mes joues, puis monter dans l’ascenseur en faisant des vœux pour qu’il tombe de nouveau en panne, puis mettre mon short bleu nuit, ma veste à boutons dorés, ma cravate à élastique pour arriver à la salle à manger pendant que le long piano noir jouait une chanson d’amour, bredouillée par un très vieux monsieur qui fermait les yeux.
« Oh Dominic bois moins vite ! Sinon tu auras le vertige. Si tu as très soif je vais remettre un peu de San-Pellegrino parce que le Verdicchio c’est fort, et un sucre en plus ! »
BLIIINGGG !!! OUUUHFFF !.. CRRRK-KLACK !!!!!
« C’est la vitre du grand hall qui s’est brisée ! Oh regarde ! La grande voile s’est déchirée ! Le cameriere ne doit pas ramasser les éclats avec les mains ! Il saigne, il s’est blessé !.. Est-ce que Collina a prévu que son hôtel résiste à la tempête ?.. »
— On ne dirait pas… C’est un artiste… Oh les hublots ! Ils se détachent les uns après les autres !
— Est-ce qu’il faut avoir peur ?
— Non, il ne nous arrivera rien, mais c’est triste… Toute la peine que Collina s’est donnée pour construire son hôtel comme un voilier, il aurait dû admettre qu’il n’est pas architecte…
Nous avions réussi à bien dormir après avoir refermé derrière nous les portes ovales en acajou, verrouillé les poignées de laiton aux fenêtres, puis tiré sur les cordages à rideaux.
« Quelle heure est-il ?.. Va ouvrir les rideaux…
— Oh la mer ! Elle est tout près ! On est dans l’eau !
— Ne dis pas de bêtises…
— Je t’assure que c’est vrai ! Le voilier a avancé !
« Maman l’ascenseur est en panne, les escaliers sont mouillés !.. »
— Tiens-toi bien à la rampe, on va descendre doucement…
— Est-ce qu’on pourra rester à l’hôtel ?
— Où aller ailleurs ? On n’a pas le choix…
— C’est triste, comme tu dis. Mais je suis content qu’on reste… Est-ce que la mer va s’en aller ?
— Oui, ensuite le banino remettra des chaises et des parasols…
— Oh c’est dommage !
Merci pour votre poème qui m’a emmené dans des souvenirs heureux.
Merci à vous de partager vos souvenirs.