Adaptation du tarif médical Tarmed – Serez-vous moins bien soignés ?

Sur décision du Conseil fédéral, le tarif médical utilisé pour les prestations médicales ambulatoires sera modifié au 1er janvier 2018. Selon l’Office de la santé publique, « ces adaptations devraient permettre de réaliser des économies annuelles de l’ordre de 470 millions de francs ».

A priori, au vu de la progression sans fin de nos primes de caisses-maladie, je trouve rassurant que ce tarif médical, utilisé pour toute la médecine ambulatoire, soit révisé. Mais, au-delà de l’aspect financier, la question qui m’intéresse est celle de l’impact de cette décision sur la qualité des soins. Formulé autrement, mes patients seront-ils plus mal soignés depuis le 1er janvier 2018 ? La réponse est oui.

J’essaye d’exercer une médecine humaine, moderne et efficiente, la décision du Conseil fédéral limitera mes possibilités.

 

Les adaptations à venir

La fiche d’information « Adaptation du tarif médical TARMED » de l’Office fédéral de la santé publique nous renseigne sur les modifications qui entreront en vigueur le 1er janvier 2018. Certaines adaptations me paraissent justifiées, je ne présente que celles qui auront un impact négatif sur mon travail, sur mes patients :

  • « La consultation de base est limitée à 20 minutes pour tous les médecins. Cette limite est élevée à 30 minutes pour les enfants et les personnes âgées. Pour d’autres patients présentant des besoins en soins plus élevés, la limitation peut aussi être fixée à 30 minutes d’entente avec l’assureur ».

Vous m’imaginez contacter l’assureur de mes patients chaque fois que la situation médicale est complexe ? Mais j’ai trouvé la solution, demander à mes patients de n’avoir qu’un seul problème de santé à la fois : « s’il vous plait, évitez de cumuler diabète, hypertension et maladie cardiaque… ».

Et c’est quoi cette idée de demander l’autorisation de prolonger à l’assureur ? Oui, l’assureur, celui qui justement veut payer le moins possible, et qui en plus, ne connait rien à votre situation médicale.

Cette modification est aussi intéressante pour les patients qui auraient la mauvaise idée de souffrir de problèmes psychologiques. Je demanderai à mes patients de n’avoir que de petites déprimes, vingt minutes top chrono, pas de réelles dépressions qui nécessiteraient plus de temps et d’écoute.

Le deuxième point porte sur « l’accroissement de la transparence pour les prestations en l’absence du patient »

  • « Les limitations fixées à ce jour pour ces positions tarifaires seront réduites de moitié, de 60 à 30 minutes par trimestre, pour contrer la forte augmentation du nombre de prestations facturées sur cette position ces dernières années ». On peut aussi lire : « Cette modification dissuadera les prestataires de recourir inconsidérément à cette position tarifaire ».

Deux phrases, deux idioties :

  1. D’abord « pour contrer la forte augmentation du nombre de prestations facturées sur cette position ces dernières années ». Les grands décideurs, vous vous êtes demandé pourquoi le temps en l’absence du patient augmente ? Et si cela était dû à une médecine toujours plus rapide, toujours plus complexe, avec un nombre d’intervenants toujours plus nombreux ? Même si la médecine à l’hôpital et la médecine en cabinet sont différentes, on doit tout de même se poser des questions lorsque l’on apprend que les médecins assistants, au CHUV par exemple, ne passent que 1,7 heure par jour avec leur malade. Trop de travail administratif certainement mais ces chiffres montrent aussi qu’une partie des soins se fait loin du patient : téléphone à la famille, appeler les spécialistes, rédiger une ordonnance, lire un rapport, etc.
  2. « Cette modification dissuadera les prestataires de recourir inconsidérément à cette position tarifaire ». Il y a peut-être des médecins qui profitent de cette position, mais quel climat de confiance… M. Alain Berset, je vous invite à venir passer une journée dans mon cabinet, pour voir comment j’utilise « la prestation en l’absence du patient ».

 

Pourquoi mes patients seront moins bien soignés

J’écrivais plus haut dans ce texte, avec prétention, que j’essayais d’exercer une médecine « humaine, moderne et efficiente ».

  • Humaine, cela signifie que j’aimerais pouvoir consacrer à mes patients le temps nécessaire à les soigner avec humanité et respect. Cela concerne par exemple les patients qui souffrent de maladies chroniques, de maladies graves ou ceux qui souffrent psychiquement. Ecouter, conseiller un patient, cela nécessite du temps. Je souhaite aussi que mes patients comprennent ce dont ils souffrent, connaissent les médicaments qu’ils reçoivent. Cela prend du temps.
  • Moderne, c’est de limiter le nombre de consultations, le nombre de fois où le patient doit venir à mon cabinet. Par contre, lorsqu’il vient, j’essaye de régler tous ses problèmes. En dehors des patients qui ne consultent que pour un seul problème (infection virale, entorse, etc.), mes consultations dépassent souvent 20 minutes. Lorsqu’une consultation en chair et en os n’est pas nécessaire, je communique par téléphone ou par courrier électronique. J’ai donc peu de consultations courtes, soit des longues, soit mail ou téléphone.
  • Efficiente. Si un spécialiste m’envoie un rapport pour un de mes patients, je prends le temps de le lire en détail et d’inscrire ses propositions dans mon dossier médical informatisé : temps en absence du patient. Pour mes patients suivis par un infirmier ou une infirmière à domicile, j’ai régulièrement des contacts par mail : temps en absence du patient. Analyser le dossier d’un patient pour être sûr que j’ai vraiment fait tout ce que je pouvais pour sa santé : temps en absence du patient. Pour renouveler une ordonnance ? S’il faut vérifier dans le dossier du patient les médicaments et leurs dosages : temps en absence du patient. Il y a mille exemples dans le quotidien d’un médecin. Rien ne justifie que cela ne soit pas rémunéré.

Si l’on veut éviter que les professionnels de la santé ne s’épuisent, il faut que leur travail garde du sens. Au moment où l’on décide de faire des économies, il me parait indispensable d’y penser.