Se faire soigner par un médecin, bientôt une exception?

Grâce à la créativité de nos caisses-maladie, se faire soigner par un médecin sera peut-être bientôt une exception. Quelle option choisirez-vous, vous faire soigner par un(e) infirmier(ère), par un « spécialiste expérimenté », par un « conseiller numérique » ou par un(e) pharmacien(ne) ?

Soigné par des infirmiers et des « spécialistes expérimentés » ?

Ce mouvement a débuté il y a de nombreuses années déjà avec les services de télémédecine. En Suisse, les trois principaux acteurs sont Medgate, Medi24 et Santé24. Même si l’on peut sur le site de Medgate lire que « les médecins de Medgate Tele Clinic sont là pour vous, jour et nuit, par téléphone et vidéo », le premier contact se fait à ma connaissance toujours avec un infirmier ou une infirmière, le médecin n’étant lui appelé que pour les cas les plus complexes. Sur le site de Medi24, on apprend que « c’est une équipe interdisciplinaire composée de plus de 120 spécialistes, dont des médecins et des soignants qui vous répond ». Un médecin, je sais ce que c’est mais un soignant, ce n’est pas très précis. Il est donc possible que la personne qui vous conseille ne soit ni infirmier, ni médecin. Chez Santé24, « les conseils sont fournis gratuitement en quatre langues par des médecins et d’autres spécialistes expérimentés ». Le terme « d’autres spécialistes expérimentés » nous place dans la même situation, vous ne savez pas qui vous soigne.

Ceux d’entre vous qui lisent ce blog régulièrement connaissent la valeur que je donne à la télémédecine, je regrette cependant qu’il soit si difficile de savoir qui répond aux questions des patients qui confient leur santé à ces services.

Soigné par un « conseiller numérique » ?

Ce « conseiller numérique » est un algorithme qui porte le nom de « MyGuide ». Proposé par la CSS, MyGuide analyse les symptômes des patients pour savoir s’ils doivent ou non se rendre chez le médecin. Comme écrit dans un autre article de ce blog, il s’agit d’une solution innovante qui donne certainement des conseils médicaux de meilleure qualité que ce qu’un patient trouve en faisant une recherche sur Internet.

Mais il existe des points négatifs. Le premier, le fait que les patients transmettent des informations sensibles à leur caisse-maladie, une attitude qui risque à terme de se retourner contre eux. Le deuxième problème est économique, quel est l’impact de ce conseiller numérique sur les coûts de la santé ? Pour cet aspect financier, nous n’avons pas de réponse. Ma crainte principale est que, par précaution, le nombre de personnes envoyées chez le médecin, ou pire aux urgences, augmentent drastiquement. Le troisième problème est le plus important, les conseils donnés par ce conseiller numérique sont-ils fiables ? Par manque d’études, le doute subsiste.

Soigné par un pharmacien ?

Le communiqué de presse date du 19 août 2019 et on peut y lire : « Le Groupe Mutuel lance un nouveau modèle d’assurance en partenariat avec les pharmacies Amavita, Sun Store et Coop Vitality ». Les patients qui souscriront à ce modèle PrimaPharma auront l’obligation de se rendre d’abord auprès d’un pharmacien, sauf, si l’on en croit cet article du Temps, « pour les urgences, pour les consultations gynécologiques, pédiatriques, ainsi que les maladies chroniques ». Je suis rassuré que pour les infarctus une exception soit prévue, je le suis plus encore pour les consultations gynécologiques.

Même si les pharmaciens jouent un rôle central dans notre système de santé, ce modèle m’interpelle. Premier point, il est limité aux pharmacies des groupes Amavita, Sun Store et Coop Vitality. Si votre pharmacie habituelle ne fait pas partie de ces chaînes, le pharmacien qui vous conseillera ne vous connaîtra pas. Pour revenir à la question principale de cet article, que sait-on de la qualité des conseils santé des pharmaciens ? Même si nous avons en Suisse des pharmaciens bien formés, médecins et pharmaciens restent des professions différentes.

J’ai pu lire dans l’article du Temps susmentionné que « PharmaSuisse souligne qu’un essai pilote en la matière mené entre 2012 et 2014 a montré que 73% des cas avaient pu être résolus dans la pharmacie », si cela continue ainsi, on va bientôt pouvoir se passer totalement de médecins.

J’ai écrit aux services médias de PharmaSuisse et du Groupe Mutuel pour en savoir plus sur ces études qui ont porté sur la qualité des recommandations médicales données par les pharmaciens. Dans leurs réponses, aucune étude qui soutienne la pertinence, et l’absence de dangerosité, de ce modèle PrimaPharma (1, 2, 3, 4, 5, 6). On ne retrouve d’ailleurs nulle part ce chiffre de « 73 % de cas résolus dans la pharmacie ».  L’étude la plus intéressante est la dernière citée (Is there potential for the future provision of triage services in community pharmacy?)  dont les conclusions sont :

Bien que peu d’études aient spécifiquement mis à l’essai des services de triage, les résultats de cette recherche indiquent qu’un service de triage en pharmacie communautaire est faisable et approprié, et qu’il a le potentiel de réduire le fardeau sur les autres services de santé. Il reste encore des questions à régler, comme celle d’assurer l’uniformité du service et de savoir si toutes les pharmacies pourraient fournir ce service.

Ce modèle PrimaPharma cumule à mes yeux les défauts : 1) Si le pharmacien est un partenaire apprécié du patient, la différence est grande entre pouvoir aller chez le pharmacien chercher un conseil ou avoir l’obligation de s’y rendre. 2) Malgré le professionnalisme des pharmaciens, aucune étude ne permet de dire que ce modèle n’aura pas de conséquences négatives sur la santé des patients traités. 3) Ce modèle exclut de très nombreuses pharmacies, obligeant les patients à se rendre dans une pharmacie qui n’est pas la leur. 4) Même pour les pharmaciens concernés, je trouve qu’il s’agit d’un cadeau empoisonné, ce système met sur leurs épaules une bien grande responsabilité.

Plutôt que de les opposer, je vois plutôt le futur comme une intensification de la collaboration médecins – pharmaciens.

Les propositions des médecins ?

On propose donc aux citoyens suisses des prises en charge dont la validité n’est pas prouvée. Ni pour ce qui est de la qualité des soins, ni pour ce qui est des économies. Au-delà de ce problème, ce qui me dérange le plus est de voir qu’au travers de ces différents modèles, ce sont les caisses-maladie qui dessinent le système de santé suisse, en tout cas la partie importante qu’est l’accès du patient aux soins.

Une chose cependant ne peut être retirée aux caisses-maladie, elles innovent. Pas forcément toujours avec pertinence, mais au moins elles innovent. Car du côté des médecins, à ma connaissance, il n’existe aucune proposition pour un meilleur tri ou une optimisation de la prise en charge des patients.

 

 

Signez l’initiative contre le lobbyisme des caisses maladie au Parlement

 

Sur les 246 parlementaires qui siègent à Berne, vingt ont des liens avec les caisses maladie. Cela ne représente somme toute que 8% des élus, rien de très impressionnant. Il faut cependant savoir que la majorité siège dans les commissions de la santé du conseil National et des Etats. 9 sur 25 pour la commission du National, 5 sur 13 pour la commission des Etats. Oui, 38 % des parlementaires de la commission Santé des Etats sont liés aux caisses maladie.

 

Ces parlementaires sont-ils simplement informés par les caisses ou influencés ?

L’émission Mise au point du 8 octobre donne la réponse.

Raymond Clottu, conseiller national UDC neuchâtelois y déclare « J’ai des séances assez régulières avec le Groupe Mutuel ». Lorsque le journaliste lui demande s’il est payé pour ces séances, il répond « ne plus très bien se souvenir » avant de parler d’une indemnité de plusieurs milliers de francs. Recontacté plus tard par le journaliste, Raymond Clottu refusera de dévoiler le salaire reçu et affirme « je ne suis pas employé d’une caisse maladie, je suis totalement indépendant ».

Interrogé, le Groupe Mutuel répond que « les membres du groupe de réflexion ne sont pas rémunérés, ils sont défrayés ».

Que Raymond Clottu ose prétendre qu’il n’est pas sous influence alors qu’il a des séances régulières avec le Groupe Mutuel, séances dont le contenu reste bien sûr secret et pour lesquels il reçoit « des milliers de francs », est choquant.

 

Mettre fin à ces pratiques

L’initiative « pour un Parlement indépendant des caisses-maladie » veut bannir ces pratiques et limiter l’influence des caisses maladie à Berne. Extrait du texte de cette initiative :

Les membres de l’Assemblée fédérale ne peuvent siéger dans l’organe d’administration, de direction ou de surveillance d’un assureur autorisé à pratiquer l’assurance maladie sociale ou d’une entité économiquement liée à ce dernier, ni recevoir une rémunération sous quelque forme que ce soit de leur part.

La situation actuelle nuit à l’indispensable réforme de notre système de santé, pour éviter par exemple que nos primes d’assurance n’augmentent indéfiniment.

Les personnes intéressées à signer cette initiative pourront la télécharger sur le site  https://stop-lobby-assureurs.ch/

 

 

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