Me faire soigner à distance ? Moi, jamais !

Pourquoi se faire soigner à distance alors que le contact humain est si important ? Pourquoi recourir à la téléconsultation alors que le médecin doit souvent vous examiner ? Pourquoi accepter cette déshumanisation des soins ?

Très développée en Suisse

La téléconsultation est déjà une réalité en Suisse, moins souvent utilisée qu’aux USA mais plus fréquemment que dans la plupart des pays européens.  Les acteurs historiques sont liés aux assureurs, leurs services sont réservés aux assurés des caisses affiliées, certains patients ayant l’obligation de les contacter avant de prendre rendez-vous chez un médecin. Les centrales téléphoniques de Medgate, Medi24 et Santé24 reçoivent entre cinq et six mille appels par jour.

Plus récemment sont apparus de nouveaux acteurs, à l’image de Tondocteur.ch, qui annonce sur son site, au moment d’écrire ces lignes, « 78 docteurs en ligne et dispos pour téléconsulter via webcam ! ». Il est aussi désormais possible de se faire soigner à distance pour des situations particulières, l’envoi d’une photo de votre peau permet par exemple aux médecins de derma2go ou de OnlineDoctor de répondre à vos problèmes dermatologiques. A signaler aussi l’initiative originale d’une diététicienne qui a développé avec son site Coeurnutrition.com une solution permettant une prise en charge diététique à distance.

Les Hôpitaux universitaires de Genève viennent quant à eux de lancer HUG @ home , une solution de soutien des soins à domicile par vidéo qui permet aux personnels soignants faisant face à un problème aigu de recevoir les conseils d’un médecin des HUG, évitant ainsi un déplacement du patient aux urgences.

De nouveaux projets vont être lancés prochainement à l’image de Soignez-moi qui a comme objectif la prise en charge à distance de nombreux problèmes de santé en un temps maximum d’une heure.  Les créateurs de Soignez-moi publieront les algorithmes utilisés pour la prise en charge des patients, un effort de transparence à saluer.

Les atouts

De prime abord, nous avons tous le sentiment qu’une consultation chez le médecin est préférable à des soins à distance. Les avantages de la téléconsultation sont cependant plus nombreux que ce que l’on pourrait imaginer.

Même si une analyse complète des atouts de la consultation dépasse le cadre de cet article, on peut tout de même citer :

  • L’accès aux soins pour des personnes isolées (habitat éloigné, vacances à l’étranger, prison, etc.) ou peu mobiles (handicapés, parent avec enfants, personnes âgées).
  • Le gain de temps, pour le patient et pour le professionnel de la santé.
  • L’impact écologique positif puisque la téléconsultation permet d’éviter des déplacements.
  • Une plus grande disponibilité, la téléconsultation permet souvent l’accès au système de santé en dehors des heures d’ouverture des cabinets médicaux.
  • La téléconsultation peut aussi être utile pour le suivi des patients souffrant de maladies chroniques, les soins à distance en alternance avec des consultations présentielles permettant un rapprochement soigné – soignant.

Enfin, un atout potentiel de la téléconsultation est sa fonction de triage : elle permet de définir qui peut être soigné à distance, qui doit consulter et avec quel degré d’urgence. Même si la comparaison avec la petite Helvétie est difficile, des études faites au Canada montrent que les services de santé électroniques évitent bien des visites inutiles chez le médecin et génèrent une valeur importante pour le réseau de la santé.

Pour ce qui est de l’impact économique, il est probablement aussi à ranger du côté des atouts même si cette affirmation ne s’appliquera certainement pas à toutes les solutions de télémédecine.

Téléconsultation, les limites

Le premier danger est celui de la qualité des soins. La téléconsultation a besoin de professionnels de la santé bien formés, des professionnels qui devront à mon avis être spécifiquement formés aux particularités des soins à distance.

Même avec des professionnels de la santé expérimentés, il est possible que certaines situations engendrent des soins de moins bonne qualité lorsque la consultation n’a pas lieu dans le cabinet du médecin. Une étude réalisée aux Etats-Unis montre par exemple que les enfants soignés à distance pour des infections ORL reçoivent trop d’antibiotiques ou parfois des antibiotiques non adaptés.

Le principal argument évoqué contre la téléconsultation est que « le médecin a besoin de m’examiner ». Cette affirmation doit probablement être fortement nuancée, l’analyse de 500 dossiers médicaux de patients ayant consulté leur médecin traitant pour une infection aiguë des voies respiratoires montre que 63 % des patients inclus auraient pu être traités de façon appropriée sans déplacement au cabinet. Cet exemple est certainement valable pour de nombreux problèmes médicaux.

Un risque de fragmentation des soins ? 

Des chercheurs ont interrogé les utilisateurs d’un système américain de téléconsultation par vidéo pour connaître leurs motivations et leurs craintes. Nonante pourcents des personnes interrogés ont répondu avoir choisi la vidéoconsultation en raison de son aspect pratique, près de 50 % disant ne pas avoir obtenu de rendez-vous auprès de leur médecin. La téléconsultation permet donc un accès facilité aux soins mais les auteurs de cette recherche insistent dans leurs conclusions sur un danger, celui d’une fragmentation des soins en raison d’une mauvaise communication des services de téléconsultation.

Il est à ce titre très surprenant que les géants de la téléconsultation que sont Medgate et Medi24 n’envoient, après avoir pris en charge un patient, aucune information à son médecin traitant. Pour éviter que la téléconsultation n’aboutisse à une fragmentation des soins, les solutions qui me paraissent les plus prometteuses sont celles qui, en plus d’offrir des soins de qualité, auront comme priorité de s’intégrer au système de santé traditionnel.

La question actuelle n’est donc pas consultation présentielle ou consultation à distance mais comment tirer le meilleur de ces deux mondes. Il faudra veiller à ce que les deux approches se complètent harmonieusement, pour le bien des patients.

 

NB : Téléconsultation, télémédecine, téléexpertise: aidez-moi à répertorier la liste des solutions de télémédecine existants en Suisse.

 

Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.

5 réponses à “Me faire soigner à distance ? Moi, jamais !

  1. Pour ma part, je regrette amèrement la disparition de la médecine consciencieuse que j’ai connue il y a un demi siècle mais, à cause de cette disparition et aussi à cause d’une sorte de fonctionnarisation de la médecine, nous serons bien forcés d’accepter la téléconsultation avant de subir, tôt ou tard, la consultation robotisée.
    Quand nous appelez le vétérinaire pour une vache, il arrive dans le quart d’heure. Quand nous appelez le médecin, s’il accepte de se déplacer il et fréquent de l’attendre une journée ou plus. Un jour (pas très lointain), un algorithme fera le diagnostic, les prescriptions et probablement même une partie du traitement au moment même où nous en aurons besoin avec efficacité et précision. L’idée n’est pas nouvelle: dans les années cinquante, le médecin et cybernéticien Grey Walter proposait déjà un générateur de diagnostic basé sur l’anamnèse du patient exécutée au moyen d’un téléscipteur.

  2. Bonjour à tous.
    La télé médecine a certainement un avenir, du moins partiel, dans le futur de notre système de santé.
    Il faut juste savoir pour quelles pathologies et par qui est faite la « consultation »
    En ophtalmologie, j’utilise personnellement le recours au photos envoyées par mail ou sms. Étant donné que j’ai la chance d’avoir une discipline très visuelle, mais je prends les décisions en tant que spécialiste de la branche.
    Qu’est-ce qui ressemble plus à un œil rouge qu’un autre œil rouge??? Pas grave on lui donne… les gouttes pour les yeux (mais oui, le petit flacon vert, vous savez)
    Deux exemples me viennent:
    1. Une patiente me téléphone lors de la semaine de garde. Depuis deux jours elle a un gonflement de la paupière. C’est rouge et fait mal quand on touche une petite « boule » dans sa paupière.
    Elle a appelé medgate via son assurance (sic!). La personne lui dit: « rien de grave, c’est un orgelet. Faites des compresses chaudes et cela va aller mieux ». Elle m’appelle donc finalement car c’est pire…
    Cette petite histoire banale montre deux erreurs:
    – la première est du ressort de toute personne sensée: on ne met pas de chaud sur une zone enflammée (ceci ne découle pas de l’ophtalmo mais du bon sens) mais plutôt du froid.
    – la deuxième: le diagnostic est incorrect car 99.9% des « boules dans les paupières » sont des chalazions (enflammés ou non). L’orgelet nécessite l’administration de fortes doses d’antibiotiques car c’est un abcès d’une glande, dont le drainage se fait en intra cérébral suivant sa localisation…
    2. Une rougeur oculaire d’abords traitée par desomedine, puis par tobrex pour finalement voir l’ophtalmo qui confirme l’occlusion choroïdienne ( heureusement en résolution lente actuellement)

    Ce ne sont que deux petits exemples récents.

    Nous sommes des médecins.

    Notre art ne sera jamais remplacé par de la technologie et il faut beaucoup d’expérience pour traiter par téléphone.
    Je ne pense malheureusement pas que les médecins (si ils sont vraiment médecins… formés où quand et par qui… sont d’autres questions) de ces centre d’appel soient à même de connaître tout sur tout en médecine.
    La Google/Wikipedia-consultation n’est pas loin et il va y avoir des problèmes.
    Amicalement
    Dr C. Mayer, Pully

    1. Merci pour cet exemple d’une mauvaise pratique de la Telemedecine par contre cette patiente aurait contacter Medi 24 on lui aurait demander d’envoyer une photo de son œil avant toute décision ou conseil thérapeutique.
      La Telemedecine ne se limite pas uniquement au conseil téléphonique, heureusement !

  3. Ils nous préparent afin qu’à terme une partie des médecins seront des étrangers, installés à l’étranger, ayants étudié la médecine à l’étranger et qui parlent des langues étrangères. Vive l’étranger et vive le début de la fin d’un système qui fonctionne bien !!!! Pauvres suisses.

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