Objet connecté ou rapports sexuels?

Utiliser un « tracker » de fertilité augmente-il les chances pour une femme de tomber enceinte ?

Dans un article récemment publié dans un quotidien romand, on apprend que « l’entreprise Ava a annoncé la naissance d’un bébé thurgovien dont la mère a utilisé cette techno développée au CSEM ».

On peut y lire :

Un bébé thurgovien vient de naître après avoir été conçu avec l’aide d’un bracelet connecté. Une première en Suisse pour Ava. La start-up zurichoise, née en 2014, a développé un bracelet qui renseigne les femmes sur leur cycle. Porté pendant la nuit, le bracelet collecte neuf paramètres physiologiques en rapport avec la fertilité, transmis par Bluetooth au téléphone portable. Une application permet ensuite de visualiser le meilleur moment pour tenter de concevoir un enfant.

Lauréate de nombreuses distinctions et financée à hauteur de 12 millions de dollars à ce jour, l’entreprise a pu développer son bracelet grâce à une collaboration avec le CSEM, à Neuchâtel.

 

Le CSEM, ce sont des scientifiques de haut niveau. Neuf paramètres biologiques, c’est beaucoup. Et 12 millions, une somme qui devrait définitivement nous convaincre de l’utilité de ce capteur de fertilité.

J’ai pourtant voulu en savoir plus, étonné que cet article ne nous dise pas si l’utilisation du bracelet Ava permettait aux femmes qui le portaient de tomber plus souvent enceintes que les femmes qui ne le portaient pas. Bien que l’article ne nous le dise pas, on suppose que la mère de cet enfant thurgovien a eu des rapports sexuels. Donc, quoi de plus naturel que de tomber enceinte ?

On découvre dès la page d’accueil du site Internet d’Ava sous la rubrique « Qu’est-ce qui rend le tracker Ava différent ? » que ce bracelet est « cliniquement testé ». C’est bien mais cela ne prouve pas son efficacité. En dessous de ce titre, l’entreprise précise « Ava a été développé par une équipe de médecins, d’experts en fertilité et de chercheurs dont la vocation est de faire progresser la compréhension scientifique du cycle menstruel et de la santé des femmes ». C’est intéressant mais cela ne prouve toujours pas son efficacité.

Il existe heureusement sur le site une rubrique « Comment Ava fonctionne » qui donne accès à une page « for healtcare professionnals » à laquelle vous pourrez accéder si vous êtes, ou déclarez être, un professionnel de la santé.

On y découvre qu’une seule étude a été publiée dans un journal avec un système « d’évaluation par les pairs », ce qui indique en général un travail de qualité scientifique puisque évalué avant sa publication par d’autres chercheurs. Il s’agit d’une étude d’observation qui démontre « que la fréquence cardiaque durant le sommeil est liée aux différentes phases du cycle menstruel ». En poursuivant notre lecture, on découvre que deux autres études ont été publiées, toutes deux financées par Ava, mais qu’aucune d’elles ne nous dit si les femmes qui portent le bracelet Ava tombent plus souvent enceintes que les autres.

Je ne dis pas que ce capteur ne fonctionne pas, je dis simplement que nous manquons encore d’études pour le prouver. Il est aussi possible que ce capteur soit utile sans être efficace, simplement en augmentant le nombre de rapports sexuels chez ces femmes qui sont attentives à leur période de fertilité.

Pour Noemi et ses parents, c’est le prénom de ce bébé thurgovien, le plus important est ailleurs. Qu’il soit né connecté ou non, nous lui souhaitons tous les bonheurs du monde…

 

Dr Jean Gabriel Jeannot

Médecin, spécialiste en médecine interne, avec un intérêt particulier pour l’utilisation des technologies de l’information et de la communication en médecine.