Les scolytes dévastent les forêts allemandes
Le Science magazine, le plus important journal scientifique, affiche en couverture une forêt morte. Il présente les dommages que les forêts allemandes ont subi du fait du réchauffement climatique.
En 2018, une tempête a abattu de nombreux arbres, et les sécheresses des trois années suivantes sont permis à des insectes d’infester les épicéas.
L’enchaînement des périodes sèches a provoqué l’invasion des arbres alentour. Les populations des scolytes ont explosé, et en trois semaines ont achevés d’imposantes épinettes.
Des milliers exploitations forestières se sont hâtées de couper et de vendre les arbres morts et malades. Le marché du bois s’est effondré. Plus de 300’000 hectares de forêts allemandes, 2.5% de la surface forestière du pays ont succombé aux scolytes, sur un fond de réchauffement climatique et de sécheresse.
Foresterie allemande
La foresterie était une branche économique importante en Allemagne. Elle générait 170 milliards d’euros par année et employait plus d’un million de personnes. Le bois devrait remplacer des matériaux de construction polluants, tels de béton et l’acier. Si les exploitations allemandes sont abandonnées, la demande pourrait se déplacer ailleurs dans le monde.
L’Allemagne a découvert les pénuries de bois au 18ième siècle et a mis en place une gestion de la foresterie dès cette époque. Ils ont développé des plantations d’espèces à croissance rapide, dans des rangées bien ordonnées pour une production du bois maximale. La demande de bois à la fin de la deuxième guerre mondiale a encore accru le nombre de ces exploitations en mono-culture. Pendant des décennies, cela apparaissait comme un magnifique succès. Au début du 21ème siècle, les forêts allemandes ont atteint un volume de bois inégalé depuis le Moyen-Age.
Cependant, cette richesse apparente a été obtenue par des plantations artificielles en monoculture. Les épicéas de Norvège constituent le quart des plantations, et la moitié des récoltes de bois. Ces espèces aux racines peu profondes poussent naturellement dans des régions froides ou sur les pentes des montagnes. Elles ont été plantées partout en Tchéquie, Autriche et Allemagne, dans des zones de plaines bien plus chaudes. Ces forêts abritaient moins de biodiversité, mais tant que les températures étaient assez fraiches, les épinettes poussaient très bien.
Sécheresses
Le réchauffement de ces dernières années a déclenché une réaction en chaine fatale. La chaleur extrême de l’été et le manque de précipitations ont fait sécher les sols à une profondeur de deux mètres. Lors des sécheresses, les épicéas ne pouvaient plus produire la résine qui les protège des insectes. Ils ont été attaqués par les scolytes qui se nourrissent habituellement d’arbres morts ou malades. Les populations de ces insectes ont explosé, et ont pris d’assaut des forêts entières, les réduisant à des rangées de squelettes gris.
Les dégâts les plus importants se sont produits en Allemagne, Tchéquie et Autriche. Les forêts en France, Pologne, Suisse, Slovaquie, et Italie ont aussi été touchées. Selon le Thünen Institute, organe allemand de recherche forestière, 300 millions de mètres cubes de bois ont déjà été perdus en Europe. Angela Merkel a mentionné les “très, très grands dommages aux forêts”, qui ont touché des milliers de propriétaires forestiers.
Un important conflit politique et scientifique a suivi cette constatation. Les scientifiques considèrent que c’est un signal d’alerte, et que le Futur est très inquiétant. Le réchauffement climatique est clairement la cause du problème, et les monocultures ne pourront pas y faire face. Il faut probablement changer les espèces exploitées en foresterie.
Laisser faire la Nature
Les solutions ne sont pas évidentes. Un scientifique, Peter Wohlleben, suggère de laisser les forêts touchées repousser naturellement. Selon lui, les forêts naturelles sont toujours meilleures, et il vaut mieux laisser la Nature faire son travail. Je suppose que dans les forêts infestées par les scolytes repousseront surtout les arbres résistants à ces insectes.
Une autre forêt a disparu dans un incendie en 2018. Les souches mortes ont été éliminées, et des jeunes arbres ont été plantés. La sécheresse a tué la plupart de ces jeunes plantules, par contre des peupliers ont poussé spontanément. Leur vigueur indique qu’il n’est pas nécessaire de replanter, une nouvelle forêt apparaît naturellement.
Dans une autre parcelle, les forestiers ont laissé les troncs brûlés en place, laissant la forêt se régénérer. Ils ont aussi planté des parcelles de chênes, qui pourraient mieux résister au changement climatique (bien que plus au Sud de l’Europe, il soient menacés aussi).
Les forêts qui se régénèrent naturellement semblent plus riches en biodiversité. Elles abritent plus d’espaces de plantes, de champignons et d’insectes que les parcelles nettoyées. La biodiversité augmente généralement la résistance de l’écosystème. Dans les forêts qui repoussent naturellement le sol est moins chaud lors des canicules, et le vent plus doux. La végétation naturelle tempère la forêt. La mousse recouvre le sol, prévient l’érosion et stimule la croissance de champignons souterrains. Ceux-ci cherchent par exemple l’humidité du sol et permettent aux arbres de mieux résister aux sécheresses.
Le parc national de Harz a perdu plus de 10’000 hectares d’épicéas. Les troncs gris sont toujours là, et la forêt se régénère naturellement.
L’Allemagne va augmenter le nombre de forêts qui se régénèrent naturellement. Elles sont bien plus variées et résiliantes qu’une plantation. Cette diversité d’espèces et de tailles d’arbres crée de nombreuses niches pour les animaux. En sous-bois, les fleurs sauvages fleurissent et les abeilles abondent. Les myrtilles, les sorbiers, les bouleaux et d’autres petits arbres prospèrent. Pendant ce temps, les hiboux et les chauves-souris nichent dans les cavités du bois mort. La repousse naturelle double la richesse biologique.
Elles supporteront surtout mieux les sécheresses futures et les maladies, car elles contiennent des arbres d’espèces et d’age différent.
Choisir les espèces résiliantes au réchauffement
Laisser les forêts à elles-mêmes est un choix difficile. D’autres chercheurs pensent que le climat change si vite que de nombreuses espèces indigènes ne survivront pas sans aide humaine. Ils voient déjà mourrir des hêtres et des érables, et des pins qu’ils croyaient résistants à la sécheresse. Des modèles récents indiquent que plus de la moitié des forêts européennes est maintenant vulnérable aux insectes, aux tempêtes, aux feux ou à un enchaînement de ces risques. Henrik Hartmann, du Max Planck Institute, suggère de planter stratégiquement des nouvelles espèces, plus résiliantes. Ils pourraient s’inspirer de l’Arborétum de Wuppertal, où 200 espèces d’arbres du monde entier ont été plantées il y a deux cent ans. De nombreux arbres originaires d’Amérique du Nord, le cèdre rouge de l’Alaska, le cèdre à encens, la pruche de l’Ouest vont très bien, même après trois années de sécheresse. Les forestiers considèrent aussi de planter des mélanges d’espèces de valeur.
D’autres pensent inclure dans les exploitations des tilleuls ou des châtaigniers. Les arbres d’europe du Sud pourraient déjà être résistants aux maladies que la montée de températures amène en Europe du Nord. Hartmann déconseille de replanter les arbres qui poussaient bien par le passé, et suggère de consulter les modèles climatiques.
Les risques sont réellement immenses. Il fera plus plus chaud, les sécheresses sont plus graves.
Aide de l’Etat
Les nouvelles techniques de foresterie exigent des changement dans les lois et dans les achats des forestiers. Le ministre allemand de l’agriculture a déjà réagi à la mort des forêts par un programme d’aide sans précédent: 1,5 millards d’euros destinés à financer l’élimination des souches mortes et la plantation de nouveaux arbres. Les bénéficiaires doivent maintenant cultiver un mélange d’espèces. Des fonds pour la régénération naturelle des forêts ont aussi été créés.
Le nouveau gouvernement allemand projette d’amender les lois fédérales pour augmenter les forêts naturelles, de cesser l’exploitation des vieilles forêts de hêtres appartenant à l’Etat et de promouvoir d’autres solutions conseillées par les spécialistes de l’environnement.
Toute l’économie du bois devrait s’adapter. Les scieries sont faites pour les conifères et continuent à les demander. Il est actuellement quasiment impossible de vendre des peupliers et des bouleaux. D’autre part, les feuillus, les chênes ou les bouleaux ont besoin de 140 à 160 ans, alors que les épicéas sont prêts à être exploités en 60 à 80 ans. Enfin, les modèles climatiques indiquent que les bouleaux , adaptés au froid et à l’humidité, n’ont aucun avenir. Une exploitation allemande s’est décidé pour du pin Douglas, mais il pourrait aussi souffrir des sécheresses. Les grands pins Douglas perdent des épines, et certains ont été attaqués par les scolytes.
Un sommet appelé Waldsterben 2.0 s’est tenu cette année. Les scientifiques et les membres du parti Vert allemand se sont prononcées pour une régénération naturelle des forêts. Le ministère allemand des forêts a tenu son propre sommet, où ils ont annoncé des nouveaux encouragements pour les propriétaires des forêts et un plan pour compenser la capture du carbone par les arbres.
Certains regrettent la polarisation du débat et demandent une voie moyenne, entre une régénération naturelle des forêts et des plantations informées par modèles climatiques.
Les forêts suisses sont aussi menacées, même si elles sont bénéficié du printemps pluvieux et frais de cette année.
Si j’étends la perspective au delà des dix prochaines années, Je crois qu’il faut aussi considérer le risque que même les arbres suggérés par les modèles actuels ne supportent pas le changement, que les modèles le sous-estiment et succombent par exemples aux vagues de chaleur extrêmes. Quand j’ai écrit sur les arbres malades des forêts suisses (lien), je trouvais des modèles climatiques qui prédisaient un danger pour les forêts pour 2100. Or elles sont menacées maintenant. La mort des forêts , comme de nombreux autres événements climatiques a commencé plus vite que prévu.
Il faut peut-être exploiter les épicéas matures au plus vite, car ils sont menacés. Il faudrait donc utiliser le bois immédiatement, alors qu’une pénurie dans une dizaine d’années est possible.
Lien Science: https://www.science.org/content/article/germany-s-trees-are-dying-fierce-debate-has-broken-out-over-how-respond
L’importance des grands arbres blog: https://blogs.letemps.ch/dorota-retelska/2020/05/17/la-mort-des-grands-arbres-condamne-les-forets-temperees/
Photo de couverture: Hauts de Montreux, Suisse au printemps 2020. Les épicéas ont apparemment récupéré en 2021.