Comment la pression scolaire ruine la santé mentale des enfants et des jeunes: récit d’un psychiatre

Je partage ici un article d’un psychiatre polonais dans une revue médicale: 

Quand l’année scolaire s’est terminée en juin dernier et que les vacances d’été approchaient, j’ai ressenti le sens du devoir bien fait. La plupart des enfants et des adolescents avec qui je travaille en tant que psychiatre ou psychothérapeute se sentaient beaucoup mieux. Chez certaines personnes, nous avons arrêté les médicaments, l’anxiété et la dépression ont presque disparu. « Tant de mois de travail portent enfin leurs fruits », ai-je pensé. Les visites étaient sporadiques pendant les vacances. Les jeunes qui sont restés dans le service pour des séjours de deux semaines ont passé leur temps assez agréablement et de manière créative, à tel point que plusieurs ont voulu rester avec nous pendant l’année scolaire.
En septembre, ou en fait déjà fin août, quelque chose a commencé à changer. Les premières peurs et sautes d’humeur sont apparues. Début octobre et novembre, le niveau des problèmes était similaire à celui d’avant les vacances. Bien sûr, les personnes qui suivaient une thérapie depuis plusieurs mois se sentaient généralement mieux et faisaient mieux face aux problèmes, mais la baisse d’humeur était visible chez toutes.
Il ne s’agissait pas seulement de l’humeur. La violence entre pairs a considérablement augmenté.
Après la rentrée scolaire, des enfants qui jusqu’à présent semblaient coopérer et se soutenir mutuellement ont commencé à s’attaquer, déclenchant des batailles massives.
Le but de ces guerres était de complètement discréditer l’autre, de l’humilier et parfois de le tourmenter. Les types de harcèlement les plus fréquents était ceux à travers lesquels le bourreau essaie de retrouver un certain sens de l’agence et du contrôle sur sa propre situation sociale.
L’ECOLE EST-ELLE LE PROBLEME?
Que se passe-t-il? on s’est demandé. Pourquoi la situation se répète-t-elle à l’identique l’année scolaire suivante ? Le caractère saisonnier de la dépression est-il le problème ? Peut-être est-ce la réduction de l’exposition à la lumière qui entraîne des changements émotionnels et comportementaux plus profonds chez les adolescents ? Peut-être que oui, mais il ne s’agit probablement pas seulement de la durée du jour et des sautes d’humeur saisonnières. Après tout, nous connaissons les sautes d’humeur des jeunes adultes et des étudiants. Sont-elles si profondes? De plus, elles ne s’accompagnent pas d’une augmentation du mobbing et de la violence.
De plus, on voit que les gens qui franchissent la barrière du baccalauréat et vont plus loin dans le monde ressentent un grand soulagement parce qu’une certaine force oppressive disparaît de leur vie. Et pourtant, il semble que ce devrait plutôt être l’inverse. L’enfance se termine définitivement et pour beaucoup de gens commence une difficile confrontation avec l’indépendance.
L’école serait-elle la source du problème ? Et si c’est l’école ou quelque chose lié à l’éducation, qu’est-ce qui pourrait avoir un si grand impact ? La réponse à ces questions n’est pas particulièrement difficile si vous écoutez ce dont parlent les enfants et les jeunes.
LA PRESSION DE L’ENSEIGNEMENT POURRAIT ETRE LA PRINCIPALE SOURCE DE STRESS
Presque tous les élèves en parlent. Examinons donc cette pression sans succomber au stéréotype selon lequel un élève se plaindra toujours de l’école. Dans ce cas, il ne s’agit pas de se plaindre de l’école et du besoin d’apprendre. On parle de décompensations profondes des jeunes, dont certaines conduisent à des tentatives de suicide, des automutilations et des hospitalisations en psychiatrie. Alors qu’est-ce que la pression scolaire, quelle est son ampleur et quels peuvent être ses effets ?
PRESSION CAPITALISTE A L’ECOLE
Selon les sources dont je dispose, il existe une notion de pression scolaire dans la littérature, et la plupart des recherches concernent les étudiants et les jeunes adultes. Dans ma compréhension, la pression scolaire serait une sorte de pression émotionnelle exercée sur les enfants et les jeunes, probablement dès la période préscolaire et s’intensifiant considérablement dans les dernières années du primaire et dans les classes du secondaire. Cette pression est exercée par les enseignants, les parents, mais aussi par la culture dans laquelle nous vivons. Sue Fletcher-Watson (2022) saisit cette question avec précision, quand elle note que le capitalisme peut influencer la pression pour atteindre les résultats scolaires les plus élevés possibles, car ces résultats sont censés permettre un niveau de revenus élevé à l’avenir.
Les besoins des élèves qui, pour diverses raisons, sont incapables de répondre aux exigences, sont ignorés et négligés, et les élèves sont éliminés des “meilleures” écoles et déplacés vers les “pires”.
DES TONNES DE TACHES ET EVALUATION PERSISTANTE
Je pense que la pression sur l’élève est créée par plusieurs éléments. Le premier est la pression exercée par les enseignants. Moins de trois jours après avoir écrit ceci, j’ai parlé avec un patient qui avait eu 19 crédits, 6 devoirs et 8 devoirs et présentations le mois précédent.
L’évaluation répétée et persistante d’un enfant par les enseignants est une cause de stress extrême.
De plus, certaines épreuves orales ou écrites sont inopinées, tout comme l’interrogation de l’étudiant. De nombreux adultes mentionnent qu’ils n’oublieront jamais la peur mêlée de culpabilité qu’ils ont ressentie lorsque l’enseignant a parcouru la liste avant de choisir un élève pour répondre. Il semble que peu de choses aient changé à cet égard en un demi-siècle, ou même plus.
Les étudiants se plaignent également du manque de coordination entre l’enseignement des différentes matières. “Chaque enseignant considère que sa matière est la plus importante.” Ils affirment qu’ils doivent apprendre des choses complètement inutiles du point de vue de leur formation continue et que le manque de sélectivité entraîne une surcharge de matériel redondant, ce qui est également souvent souligné par les parents.
ENFANTS QUI TRAVAILLENT PLUS QUE LEURS PARENTS
La somme des heures passées à l’école et l’équilibre entre le temps libre et le temps occupé par l’éducation (apprentissage à l’école et à la maison) penchent dangereusement vers le surmenage et la surcharge de travail, et donc vers le stress.
J’ai souvent rencontré des étudiants qui travaillaient plus que leurs parents pendant la journée, même pendant le temps qui devrait être un temps de repos, par exemple les samedis, dimanches ou jours fériés. Personne ne se demande vraiment où cela se termine.
Des exigences irréalistes signifient que la plupart des étudiants sont incapables de se souvenir de la matière, et ceux qui suivent consciencieusement les recommandations de l’école le paient avec des nuits blanches, l’épuisement et la privation d’autres besoins. Ce dernier point me semble particulièrement important. Les jeunes manquent de temps pour les rencontres avec les collègues, les jeux, les loisirs, la poursuite de leurs propres passions, etc. Le temps libre est consommé par le tutorat et les activités annexes, le plus souvent également pédagogiques ou « au service » de la future carrière. Il n’y a presque pas de temps pour soi. Privés de la possibilité de se rencontrer et d’interagir, les enfants tombent dans le monde virtuel et se stimulent à travers les jeux ou les médias sociaux.
LES ENSEIGNANTS SONT AUSSI VICTIMES
Comment fonctionnent les enseignants dans cette situation ? Ils sont probablement autant victimes du système éducatif que leurs élèves.
Des programmes d’études irréalistes et un système d’enseignement obsolète réduisent le rôle de l’enseignant à celui d’exécuteur d’hypothèses complexes.
Dans cette situation, l’enseignant cesse d’être un adulte amical, soutenant le sentiment de sécurité de l’élève et le façonnant de manière à ne pas ébranler son sens très fragile des valeurs. Il cesse également de remarquer les forces et les talents de l’enfant, ainsi que ses efforts pour répondre aux exigences de l’école. Dans le système actuel, l’enseignant est trop souvent réduit à un rôle purement formel de fonctionnaire chargé de mettre en œuvre un plan. Cela conduit à une frustration inévitable et, pour de nombreux enseignants, déclenche un conflit avec les élèves. Bien sûr, les enseignants ne baissent pas les bras, ils se battent pour préserver leur propre subjectivité et celle de leurs élèves, mais la voie pour déshumaniser la relation enseignant-élève est ouverte.
QUI A LE PLUS MAL?
Les enfants atteints de troubles neurodéveloppementaux sont dans la situation la plus difficile. Les enfants atteints du spectre de l’autisme, du TDAH, de la dyslexie, de la dysgraphie, des troubles de la communication ne sont pas identifiés et leurs problèmes sont traités comme de simples “paresses” ou traits de caractère.
Les résultats sont déplorables : dépression, anxiété, automutilation, refus d’aller à l’école et, surtout, violence entre pairs.
La violence systémique se joue dans les microsystèmes des étudiants.
Nous sommes tous immergés dans la même culture, c’est pourquoi il est très difficile de reconnaître ce qui est un effet culturel, civilisationnel ou social et ce qui appartient au trait de caractère d’une personne. Avec de fortes pressions culturelles à atteindre, certains parents peuvent ne pas reconnaître la pression éducative et la supporter par souci de l’avenir de leur enfant. Les adultes ont souvent des difficultés à reconnaître les sources de la dépression chez les enfants, le contexte de leurs tentatives de suicide et l’étendue de leur souffrance individuelle.
ECOLES QUI SOUTIENNENT L’ELEVE ET ECOLES QUI MENACENT
Le fait que la pression éducative, en particulier du système éducatif polonais, soit un facteur de risque important pour les troubles mentaux des enfants et des adolescents, est confirmé par le fait qu’il existe des écoles qui ont décidé d’organiser l’éducation différemment et que ces écoles sont généralement très appréciées des élèves et des parents. Les enseignants qui y travaillaient ont reconnu avec précision les phénomènes et ont organisé leurs institutions de manière à créer un espace non seulement pour l’éducation, mais aussi pour le développement en toute sécurité des enfants.
Malheureusement, on peut imaginer que c’est aussi l’inverse et la lutte pour les places dans le classement conduit à l’élimination des élèves qui ne vont pas bien.
Certaines situations semblent bizarres – par exemple, un enfant traumatisé présentant des symptômes de dépression fait une tentative de suicide, arrête d’aller à l’école, va à l’hôpital ou non, suit ou non une thérapie – comme nous le savons, trouver un médecin et une thérapie n’est pas facile, les absences augmentent. L’école doit répondre à l’absence de l’élève. Il peut reconnaître la situation et l’aider à revenir et à trouver de l’aide, ou non. Trop souvent, l’accent est mis sur l’assiduité et la menace d’un retard croissant. Les menaces de «notification au tribunal», d’amendes et de placement de l’enfant dans un établissement 24 heures sur 24 sont typiques, ce qui augmente encore la peur de l’enfant et des parents. Les effets de cette pression peuvent être désastreux. Surtout lorsque le système éducatif est orienté vers des objectifs contre-thérapeutiques. Les histoires personnelles peuvent être multipliées indéfiniment.
LE SYSTEME DOIT ETRE REFORME ET RELACHER LA PRESSION
Je pense que la pression scolaire est un facteur de risque important et encore méconnu des troubles. Nous devons l’étudier et façonner le système éducatif de manière à ce qu’il n’interfère pas avec le bon développement de l’enfant.
La pression éducative déresponsabilise l’enseignant et transfère entièrement la responsabilité à l’élève.
C’est un type de violence psychologique et peut facilement devenir une forme de mobbing.
Si nous pensons à la santé mentale des enfants et des jeunes, nous avons besoin d’une réforme de l’éducation, de réductions de la pression pédagogique en faveur d’une meilleure compréhension des besoins et des difficultés des élèves, et de les accompagner dans le dépassement des difficultés qu’ils rencontrent.
*Dr Cezary Żechowski, psychiatre spécialisé pour enfants et adolescents, chef du service de jour de réadaptation psychiatrique pour enfants et adolescents à l’hôpital Wolski de Varsovie.
L’article du Dr. Żechowski sur la pression éducative a été initialement publié dans la revue polonaise “Psychiatra” 1(40), 2023 https://www.psychiatraonline.pl; partagé sur Facebook par oko.press.
 
Exemple d’objectif de tests d’histoire, liste à apprendre par coeur à 11 ou 12 ans en Suisse en 2021.
J’aurais pu écrire cet article, dont l’auteur est un psychiatre polonais. En Suisse il y a des vacances en octobre, mais novembre et décembre étaient extrêmement chargés et épuisants dès l’âge de dix ans. A notre époque, à Lausanne avec M. Schnorf, nous avions cinq noms de rois et dates à retenir, cinq au lieu de le centaine demandés dans les objectifs du test ci-dessus.  Les questions du test portaient sur la compréhension des événements. En 2021-2022, une évaluation sur dix avait une matière gigantesque comme celle-ci. J’ai reparti ce travail sur plusieurs jours, mais parfois il en y avait plusieurs  par semaine. Je trouve que le PER convient aux classes pré-gym,  dans le cursus du bac international les notions de maths sont même introduites deux ans plus tôt, mais dans sa réalisation ‘introduction’ et ‘notion’ sont vérifiés avec un test en cinquante questions de détail, trop long, qui ne vérifie pas l’acquisition d’une compétence. Il ne faudrait pas du tout apprendre l’encyclopédie  par coeur.  Je suis aussi d’accord sur l’idée d’une sélection précoce (6 ans?) et d’un enseignement différencié, de base ou varié, je pense que cela aiderait beaucoup.

J’ai vu dans de nombreux médias qu’il a une explosion de dépressions d’adolescents, 30% ou 40%  en Suisse, en France, aux Etats-Unis. C’est une réelle épidémie mondiale, peu comprise, qui laisse tout le monde démuni. A l’école suisse que j’ai vue, un élève sur dix allait bien. Certains avaient des symptômes d’anorexie et de culpabilité chronique, d’autres semblaient haïr tout le monde. Les tâches impossibles suivies de critiques ou de punitions pourraient  y contribuer. Ne créons pas une génération pareille.

Vu la gravité de la situation actuelle,  je propose une suppression de notes (et donc de l’apprentissage par coeur la veille des tests oublié le lendemain) à l’école jusqu’à 15 ans. Les élèves pourraient rendre un nombre donné de devoirs d’entraînement. Au minimum, le temps maximal de travail doit être réglementé en accord avec les indications de médecins pour chaque tranche d’âge. Les horaires d’école sont prévus pour que l’enfant puisse jouer dès 15 -16 heures, mais actuellement le temps préparation des tests  dépasse parfois les 24 heures, et il y en a parfois cinq ou six par semaine.Les élèves demandent un planning hebdomadaire des devoirs pour que les professeurs répartissent le travail et réalisent qu’ils en ont déjà. Le temps de préparation des tests devrait figurer sur les objectifs et être intégré à ce planning des devoirs, qui ne devrait pas excéder deux heures à douze ans.

Une médecin belge déclarait que le diagnostic de dépression est souvent donné à un épuisement des surrénales dû à un stress chronique, qui peut être facilement diagnostiqué par une prise de sang.  Cette maladie-là ce soigne par plusieurs mois de repos. J’espère que le stress chez nos enfants pourrait être détecté de cette façon ou autrement.  Il a déjà été remarqué et l’école genevoise tente de ralentir la cadence pour améliorer l’état des jeunes.

Addendum: Il me semble que le classement Pisa porte sur des compétences générales, les maths, une langue, la compréhension, et les pays comme la France qui s’obstinent à apprendre l’histoire et la culture perdent des points à cause de cela.  

D’autre part, en 2021 en Suisse la majorité d’élèves parlaient une ou deux langues différentes du français à la maison. 

Je trouve encore cette étude qui montre que les cerveaux intelligents mettent plus de temps pour répondre correctement à une questions complexe que les moins intelligents (Trustmyscience). J’ai l’impression qu’en poussant les élèves à aller trop vite, certaines écoles perturbent le fonctionnement du cerveau qui donne les réponses correctes. Il faut donner le temps de la réflexion. 

 

Dorota Retelska

Dorota Retelska, décrypte les nouvelles du climat. Docteure ès Sciences de l’UNIL, auteure d’Antarctique-Ouest dans le Vide, elle alerte sur les dangers du climat depuis plusieurs années. Elle est active dans plusieurs organisations de défense du climat, entre autres l’Association Climat Genève, Greenpeace, TACA, et le Collectif Climat 2020.

33 réponses à “Comment la pression scolaire ruine la santé mentale des enfants et des jeunes: récit d’un psychiatre

  1. oh non, de grâce, il faut maintenir la culture de l’effort et de l’excellence dans nos écoles. C’est notre seule chance qu’un ingénieur nous sauve de la catastrophe climatique.

    1. La Suisse n’a pas du tout une culture de l’excellence, elle valorise beaucoup l’apprentissage, la lecture commence tard, etc. Les meilleurs élèves en souffrent. Surtout, un élève très stressé apprend moins que quelqu’un de sûr de lui.

      1. L’apprentissage fait partie de notre culture de l’excellence. Il appartient aux parents d’initier leurs enfants à la lecture; nous ne sommes pas un état totalitaire 😄

        Un enfant stressé n’est simplement pas à sa place; et il y a des filières moins stressantes. Tous ne seront pas des Einstein; il faut toutefois des sélections tôt pour permettre aux futurs Einstein de se démarquer.

        1. Le test dont j’ai donné l’exemple stresse tout le monde par le temps de travail exigé. Il y a trois solutions: échouer, tricher, ou s’épuiser. Le stress n’est pas la bonne sélection, il ne sélectionne pas les enfants intelligents.

          1. Je suis désolé, mais le test que vous avez montré est vraiment très simple pour une enfant de11 / 12 ans qui a suivit normalement ses cours. A ce que je lis, il n’y a que des choses logiques qui se retiennent sans effort particulier. Quand on comprends sa leçon, il n’y a rien de stressant à apprendre.
            Franchement il faut raison garder.
            Si ce test stresse tout le monde (apparemment plus les parents que les enfants), alors que dire de ce qui va venir pour la maturité !
            Si le système ne vous convient pas, allez en école Montessori, les enfants font ce qu’ils veulent de leurs journées de classe.

      2. La Suisse valorise beaucoup l’apprentissage, mais seulement sur le papier. Dans la pratique, je n’ai jamais vu un seul parent mettre en valeur l’apprentissage à son enfant qui a sûrement le potentiel de faire des hautes études.

  2. Il y a d’autres facteurs que l’on ne sait pas prendre en compte, ce sont les différences entre les apprenants. Certains comprennent vite, d’autres ne voient clair que lentement. Certains sont heureux voire sont intensément soutenus dans leur famille, ou ont un héritage génétique qui leur permet des résiliences rapides, des progrès faciles et sans douleur. Ces questions sont bien plus pesantes qu’une pression excessive pour de bons résultats scolaires, laquelle ne pose pas de soucis à certains mais écrase d’autres. En outre il faut aussi se poser le problème pédagogique: il faut pré-digérer le savoir avant de le présenter aux apprenants. Descartes disait diviser la difficulté en autant de parties qu’il se peut. A qui enseigner quoi? Aussi trouver la forme la plus simple, la plus proche de leurs connaissances préalables. Et tout bêtement avoir avec eux une attitude empathique et aidante dans la façon de leur parler et de les considérer, être un prof sympa du moins chaque fois que cela ne nuit pas à une progression efficace. La psychologie a ses limites

    1. “ou ont un héritage génétique qui leur permet des résiliences”

      ? C’est quoi cet argument ?.?

      1. J’ai aussi vu ça dans une publication scientifique. Certaines personnes ne dépriment mais se relèvent, s’adaptent, se battent, alors que d’autres dépriment suite à des événements tristes.

  3. Nous avons toujours eu des notes sans que cela nous ait traumatisé !
    Supprimer les notes c’est supprimer ce qui permets à un enfant de savoir où il en est de son apprentissage. La France a supprimé les notes, on voit où en est le niveau de son système scolaire qui sombre année après année.
    Vous donnez en exemple les choses à savoir pour un test d’histoire pour un enfant en 7P ou 8P. Franchement, il n’y a rien de compliqué, à partir du moment où un enfant à suivit et compris les cours, il sait répondre à toutes les questions ( il n’y a pas une centaine de rois et dates à retenir dans la description des objectifs du TS que vous citez) et si demander de retenir plus de 5 dates et noms de rois à 11/12 ans est insurmontable, je pense que vous sous-estimez énormément les capacités d’apprentissage des enfants.

    Ce que vous citez est le point de vue d’un seul psychologue Polonais, en quoi est-il représentatif d’une réalité en Suisse ? Mes enfants sont épanouis et font des TS toutes les semaines et cela ne les traumatise nullement, au contraire, c’est une saine compétition de vouloir avoir une meilleure note et progresser. C’est pareil en sport, imaginez que vous leur dite qu’au foot on ne compte plus les buts !

    Vous ne l’avez pas remarqué, mais le système scolaire Suisse est parmi les meilleurs en Europe au classement Pisa, donc non, ne cassons pas ce qui marche.

    1. 1) La France n’a pas supprimé les notes, au contraire, ils ont ce type de système avec ‘par coeur’ et tests.
      2) La Suisse n’est pas parmi les meilleurs au classement Pisa, elle est 11ième, après la Finlande et l’Angleterre qui ont des systèmes beaucoup plus orientés vers le bien-être de l’élève. La Suisse investit plus d’argent dans l’éducation, si on tient compte du budget ce n’est pas super. Le classement PISA juge des compétences générales avec lesquelles l’apprentissage par coeur de détails est en compétition https://worldpopulationreview.com/country-rankings/pisa-scores-by-country
      3) Dans les objectifs que je cite il y avait une cinquantaine de définitions, de villes à placer sur la carte et de noms de personnes au total. L’évolution de l’empire romain au cours du temps impliquait l’apprentissage de plusieurs cartes de l’Europe avec des frontières différentes. C’est un bouchage absurde, seul le point 2: “expliquer l’évolution de l’empire romain …” devrait être l’objectif réel du test.
      4) La situation actuelle est qu’un tiers de jeunes environ souffre d’une maladie grave qui pourrait les handicaper à vie (sondage cité dans Blick, campagne d’affichage de Pro Juventute). Nous ne voulons pas un tiers d’handicapés dans la population.

      1. Il n’y a plus de notes en primaire en France, mais des smiley et autres symboles :
        https://etreprof.fr/ressources/3401/quels-systemes-de-codages-pour-les-evaluations-en-primaire

        Au classement PISA, la France est classée 23e sur 79 pays évalués !

        Si ce que vous dites est exact, 1/3 de la population devrait déjà être handicapé, car c’est le modèle qui a été utilisé depuis des décennies, or je ne vois la population être à ce point handicapée.

        Quelles sont vos compétences pour juger ainsi un système éducatif sur la psychologies des enfants et en tirer de telles conclusions ?

        1. Et qu’est-ce qui vous surprend dans le classement de la France?
          J’ai retranscrit l’article d’un psychiatre, c’est vrai que c’est une opinion novatrice. Personnellement, j’ai vu de nombreuses fois mon enfant pleurer ou perdre l’appétit s’il avait plusieurs heures de travail après l’école plusieurs jours par semaine.

          1. Le classement de la France ne me surprends pas vu le nivellement par le bas de l’éducation en France et la suppression des notes. Nombre d’enfants entrent au collège sans savoir lire correctement et sans faire plusieurs fautes par ligne.

            Mes enfants ont eu des devoirs tous les soir depuis la 4P tout comme moi à leur âge et ils font cela volontiers et sont même contents de faire des problèmes. Ne généralisez pas votre cas personnel.

    2. Les enfants jouent à des jeux vidéos où ils gagnent ou perdent, ils regardent le foot où certains gagnent ou perdent, ils voient papa rouler plus vite que le voisin, maman travailler plus que tata : ils ont l’habitude de comparer, d’être au cœur d’un sytème de notations et de comparaisons. Ne pas mettre de notes c’est juste de l’hypocrisie d’adulte. En revanche, au lieu de sanctionner, il est évident que les enseignants doivent encourager et soutenir . Une mauvaise note est juste provisoire à l’instant T et au moment T dans les circonstances T : l’enseignant a le devoir de soutenir l’élève pour lui montrer ses forces, et lui enseigner comment supporter et combler ses faiblesses . Mais pas cacher la m… au chat .
      En revanche, que les élèves d’aujourd’hui dépriment à cause de la pression scolaire, ou de celle des notes ….me fait déprimer : «  de notre temps », personne ne « déprimait « en recevant des coups de règles, en recevant des mauvaises notes , et il existait encore le système du doublement des classes pour essayer d’acquérir les bases nécessaires pour continuer ….et pas de dépressions . D’accord, on l’ignorait..mais on enseignait aussi aux enfants à aller de l’avant, à progresser, à supporter et à se relever et à avoir des buts dans la vie .. .
      On ne les victimisait pas pour tout mais on les encourageait et on leur donnait les bases de ce qui a fait la force et la niaque des fameux baby boomer qui ont reconstruit tout l’après guerre et qui se sont formés et ont appris à travailler. Et n’ont jamais rechigné à travailler, eux. Sans chouiner

    3. Pour ma part, je suis convaincu qu’en tout cas dans l’apprentissage des langues étrangères, les notes (effectivement jusqu’à 13-15ans) sont contre-productives.
      La nullité des romands en Allemand au sortir de l’école obligatoire, et inversement des Alémaniques en Français illustre parfaitement l’échec de cette forme d’enseignement.
      J’ai pu le constater avec mes enfants – en 40 ans, certes la couverture du livre à été ravalée, et la famille Schaudi à laissé la place à d’autres, mais le fond est resté.
      Si l’on vise effectivement un apprentissage de compétences, l’évaluation par les notes, du moins en langues étrangères (je n’ai pas poussé ma réflexion sur les autres matières, bien que n’ayant jamais été adepte du bachotage), est un échec. Par contre, si c’est un moyen de discrimination sociale, là il y a matière à discuter (les parents aisés pouvant payer séjours linguistiques, répétiteurs, etc)

  4. Votre commentaire ouvre un champs intéressant: jusque-là, les méthodes pédagogiques des écoles publiques se basent sur un modèle unique. Or, les voies d’apprentissage et capacité de chacun dans chacune d’entre elles sont multiples. La compréhension que l’enseignant/animateur a de ses élèves/apprenants est limitée (et réciproquement). Deux manières de diminuer le stress:
    – que l’animateur ait un parcourt proche de ses élèves. Ainsi la communication et l’identification réciproque (très important) passe mieux.
    – que les voies d’apprentissage utilisées soient multiples en chaque matière et laissent à chaque élève la possibilité de développer librement ses stratégies d’apprentissage. En cela, je suis un admirateur des écoles Steiner.

  5. Discussion entendue ce midi dans le train.

    Mes parents ont déménagé à (Valais) l’année dernière. Je ne comprends pas. J’étais la meilleure élève de ma classe à Lausanne (l’année dernière) et, là, je suis non promue. La prof dit que j’ai deux ans de retard par rapport aux enfants scolarisés dans ma nouvelle école.


    Le système scolaire vaudois est visiblement un échec, si j’en crois cette discussion.

  6. “ou ont un héritage génétique qui leur permet des résiliences” Je suppose que ça vous révolte parce que cela peut vous sembler facho. Et ces inégalités dont la nature est seule responsable nous révoltent tous. Seulement la génétique ou les aléas de la naissance sont sans pitié. Je connais des personnes avec une maladie autoimmune d’origine génétique (lupus et autres), d’autre part les “idiots du village” l’étaient dès leur naissance. Alors il nous faut lutter contre l’agressivité de la nature, apporter plus aux défavorisés. Est-ce que l’on ne désarme pas les doués au détriment de l’ensemble du groupe qui devient plus fragile? Apporter un minimum d’aide aux défavorisés quand ils sont adultes, c’est le socialisme. “plus de notes en primaire en France” c’est faire l’autruche et nier la réalité. Parce que cela peut ne pas faire détecter la situation de certains, donc à ne pas les aider rapidement et à ne pas s’adapter aux cas personnels car même les plus forts ont leurs faiblesses. Heureusement les bons pédagogues repèrent les points faibles. Oui! mais avec quel retard? Dire “tout va bien madame la marquise” a conduit la France au classement pisa que l’on connaît, à la perte de son rang en sciences face aux US, à la Chine, à son impuissance nouvelle à susciter des prix Nobel scientifiques. La nature a des lois impitoyables et pour réduire les inégalités nous sommes peut-être face à une impuissance comparable à celle face à la mort. Sauf à revenir dans le fascisme par des interventions sur l’ADN avant la naissance… si un jour on en est capable. Quid des avortements? Dans le présent, je pense qu’il faut chercher la meilleure organisation possible dans la diversité. “1/3 de la population devrait déjà être handicapé” Tout dépend de ce que vous appelez être handicapé! Tout le monde n’est pas capable d’être polytechnicien! Pour moi, je crois que l’enseignement par l’informatique peut devenir un plus, contrairement à ce disent les études actuelles. Mais ce ne sera jamais qu’un système parallèle (PARALLELE) de soutien et de contrôle. Je ne crois pas aux menaces de l’IA sauf que certains développeront des IA plus efficaces que les autres pays ou un usage plus intelligent. Quel que soit son niveau technique, l’ordinateur restera un outil (il n’y a pas de mauvais outils, il n’y a que de mauvais ouvriers). L’ordinateur doit s’appuyer sur des notes révélées ou non, de préférence attribuées par lui et si nécessaire par un processus long et renforcé avec pour but d’attribuer à ceux qui en ont besoin, l’exercice qu’il lui faut au moment où il le lui faut personnellement. Donc ne pas faire perdre leur temps à ceux qui ont déjà compris et gommer les faiblesses de ceux qui en ont, lesquelles peuvent être traînées pendant des années, ne se révéler que dans des circonstances critiques comme un examen… Et tout le monde a des points faibles améliorables pour beaucoup. Reste à concevoir ce fameux programme en s’appuyant sur les listes de choses à acquérir dans chaque classe et sur la meilleure présentation possible. Il est évident que concevoir cet algorithme sera très difficile, demandera certainement le travail de plusieurs générations mais c’est réalisable contrairement à faire naître des individus égaux à leur naissance. Et le professeur demeurera indispensable: on n’enseigne pas “ce que l’on sait on n’enseigne que ce que l’on est”. Et l’ordinateur n’est pas un être doué d’indépendance d’esprit ni d’affectivité, nos constituants essentiels. Des imperfections seront inévitables au début … et les enfants pleurent quand ils tombent

  7. “Je crois à l’absurdité de fait de l’instruction publique” – Denis de Rougemont, “Les Méfaits de l’instruction publique” (1929) aggravés d’une “Suite des Méfaits”, Eureka, Lausanne, 1972.

    “Ou bien vous acceptez ce régime – mais aussi ses conséquences absurdes et fatales, par exemple l’instruction publique.

    Ou bien vous combattez l’instruction publique – mais vous êtes, de ce fait, contre le régime.” – (Ibid.).

    “L’école exige que les meilleurs ralentissent et que les plus faibles se forcent. Elle ne convient qu’aux médiocres, dont elle assure le triomphe. L’école s’attaque impitoyablement aux natures d’exception, et les réduit avec acharnement à son commun dénominateur. Ce ne sont pas seulement les meilleurs qui sont sacrifiés. Les épaves scolaires, faute d’un traitement pédagogique approprié, tombent dans une apathie intellectuelle qui les conduit souvent à l’imbécillité et au vice.” – (Id.).

    “L’école leur a déjà donné (aux élèves) ce qu’il faut pour se résigner à l’état de citoyen bagnard, auquel ils sont promis. Vaste distillerie d’ennui, c’est-à-dire de démoralisation – qu’on se le dise! -, puissance de crétinisation lente, standardisation de toutes les mesquineries naturelles, l’école a déjà tué en eux tout ce qui leur donnerait l’envie de se libérer. Après avoir entraîné l’âme moderne dans ses collèges, elle l’y enferme et l’y laisse crever de faim.” – (Id.).

    “Toutes les écoles sont de parfaits abattoirs où des fournées de gosses vont quotidiennement se faire socialiser, encadrer, régimenter, en un mot ‘éduquer’. Ces lugubres endroits, ces temples de la docilité, de l’abdication et de l’esclavage mystifient encore une foule innombrable de gens, d’éducateurs, de parents… Basée sur l’humiliation, la répression, l’égalisation de tous en êtres uniformes, l’Education apparaît comme un des meilleurs piliers de nos sociétés, un des meilleurs garants du Pouvoir… Le Pouvoir enfante l’Enseignant. Les Enseignants enfantent le Pouvoir.” (D. de Rougemont (Id.), citant un instituteur français, Jean Vincent, et son livre, “Les Lycéens” (1972)).

    “…il existe toujours, et même plus que jamais, des écoles pour enfants arriérés ou anormaux, des écoles pour sourd-muets, des écoles pour crétins ou pour culs-de-jatte, mais il n’existe toujours pas d’écoles pour enfants très intelligents. On dit: “Oh! ceux-là se tireront toujours d’affaire”. Cela n’est pas sûr. Ce sont les imbéciles, dont notre société fait une grande consommation, qui peuvent être certains de trouver, ici ou là, un emploi rémunérateur.” – Henri Roorda, “Le pédagogue n’aime pas les enfants” in “Oeuvres complètes, tome 1, éditions “L’Age d’Homme”, 1969.

    “Il y a des siècles que l’école bouffe des claques. Plus on la fouette, plus elle s’engraisse: et des coups mêmes. Elle se nourrit impudemment de la substance des généreuses indignations qu’elle suscite. Elle plonge son gobelet dans le torrent des invectives, et se gargarise. Quelques coups de glotte suffisent, et l’amertume du tonique s’évapore, tout ce qu’elle avale est devenu guimauve. Ce qu’elle a ingurgité de vérités est inimaginable, ce qu’elle a rendu de sornettes est incalculable. Sa panse est une usine à avortements. Ce qui y pénètre en foudre en ressort en fumée. Le tonnerre y finit en vesse. Son pouvoir de communiquer l’impotence est quasi prodigieux; il y a de quoi épouvanter toute bravoure de vie.” – Edmond Gilliard, “L’école contre la vie”, Bibliothèque romande, Lausanne, 1972.

    “Au fond, l’école n’est qu’un vilain jeu de banque, jeu de bourse…” (Ibid.).

    (A suivre…)

    1. ien vu !

      En fin de compte l’alternative est simple :
      – chez nous des crétins diplômés, égocentrés et à la bêtise sophistiquée
      – dans les pays en voie de développement des armées de technocrates surdiplômés, aux ordres, constituées des meilleurs parmi les plus pauvres qui ont faim de réussite matérielle et sociale et qui sont prêts à tous les sacrifices pour y parvenir.

      Devinez à qui l’avenir appartient ?

  8. Madame Retelska
    Super article, le fil super intéressant.
    Seul une education non compétitive peu produire une société moins violente et cooperative.
    Beaucoup d’ entrepreneures et de génie ont échoué a l’école.
    Bravo a un ”Cancre las”.

  9. @UN CANCRE LAS Vous nous faites une compilation de citations très déprimantes mais malheureusement trop exactes. Ce qu’on peut vous reprocher c’est de ne faire aucune proposition de remède, de vous complaire dans la dépression. La vérité est qu’il n’y a pas de remède total et qu’il ne faut jamais généraliser. Il existe sans doute des enseignants qui ont un profond amour pour les jeunes et des établissements où des cadres motivés créent un climat heureux. Mais veuillez croire que nous ne sommes pas au paradis. Quels que soient nos efforts nous serons toujours dans un système éducatif imparfait, nous sommes condamnés à faire des efforts perpétuellement sans jamais atteindre un système satisfaisant et apportant à tous le meilleur. Oui… Sisyphe! Les générations précédentes nous ont conduit des cavernes ouvertes à tous vents, des fous de guerres hyper-malades à des maisons bien chauffées et à un début de relations humaines et médicalement aidées. Pour moi qui crée des exercices sur ordi je pense que la pierre que nous pouvons apporter c’est d’utiliser cet appareil pour nous adapter aux différences de rythme sans chercher leur origine, ni blâmer, ni faire souffrir inutilement. L’ordi est une machine, elle peut donner l’apparence d’être objective. L’éducation affective, morale et relationnelle doit rester confiée aux humains. Et les parents ne devraient pas refiler tout le paquet aux enseignants, cela donne un métier impossible et des révoltes cachées, mal réprimées

    1. “…on peut vous reprocher […] de ne faire aucune proposition de remède…”

      Ivan Illich, lui, en avait une: abolir l’école. Voici ce qu’il écrit, entre autres, dans “Une Société sans école” (traduction de “Deschooling Society”, 1971):

      “Beaucoup d’écoliers, surtout parmi les pauvres, savent de manière intuitive ce que les écoles font pour eux. Elles les éduquent pour confondre processus d’apprentissage et substance. Une fois que ceux-ci sont brouillés, une nouvelle logique est supposée: plus il faut de traitement, meilleurs seront les résultats; en d’autres termes, l’escalade mène au succès. L’élève est ainsi “éduqué” pour confondre enseignement et connaissance, avancement en grades et éducation, discipline et compétence, et facilité d’expression avec la faculté de dire quelque chose de nouveau. Son imagination est “éduquée” à accepter le service en lieu et place de la valeur. Le traitement médical est pris pour les soins de la santé, le travail social pour l’amélioration de la vie communautaire, la protection policière pour la sûreté, la prestance militaire pour la sécurité nationale, la course effrénée au travail productif. La santé, l’apprentissage, la dignité, l’indépendance et l’effort créatif sont définis comme rien de plus que la performance des institutions qui prétendent servir ces fins, et leur amélioration dépend de l’allocation de plus de ressources à la gestion des hôpitaux, des écoles et d’autres agences en question. Non seulement l’éducation, mais la réalité sociale elle-même est devenue “instruite”.”

      Nul n’est dupe de ce discours teinté d’idéologie, me répondrez-vous et vous aurez sans doute raison. Il ne s’agit pas de juger, ni de critiquer les personnes – venant d’une famille d’enseignants et ancien enseignant moi-même je serais bien le dernier à me le permettre – mais de mettre en question un discours, celui de l’école. C’est ce que font Illich et son premier porte-parole en Suisse, Denis de Rougemont. Mais qui les lit encore? Petit rappel donc:

      “Une Société sans école” commence comme un ouvrage polémique qui propose ensuite des suggestions de changements à apporter à l’éducation dans la société et à l’apprentissage au cours d’une vie (http://faculty.webster.edu/corbetre/philosophy/education/illich/schooling.html). Par exemple, en précurseur de l’enseignement à distance, il appelle à recourir aux technologies de pointe pour soutenir les “réseaux d’apprentissage” (https://infed.org/ivan-illich-deschooling-conviviality-and-lifelong-learning; http://www.ibe.unesco.org/sites/default/files/illiche.PDF; http://www.natural-learning.net/000154.html) qui intègrent des “réseaux d’appariement par les pairs” où les descriptions des activités et des compétences d’une personne sont partagées en commun pour l’éducation dont ils bénéficieraient (“Une Société sans école”, chapitre six).

      Illich a fait valoir qu’avec une utilisation égalitaire de la technologie et une reconnaissance de ce que le progrès technologique permet, il serait justifié de créer des réseaux décentralisés qui soutiendraient l’objectif d’un système éducatif véritablement égalitaire – ce que Denis de Rougemont appelle un service de “call-boys” éducatifs disponibles sur appel.

      Un tel système éducatif doit avoir trois objectifs : il doit permettre à tous ceux qui veulent apprendre d’avoir accès aux ressources disponibles à tout moment de leur vie ; permettre à tous ceux qui veulent partager ce qu’ils savent de trouver ceux qui veulent l’apprendre d’eux ; et, enfin, fournir à tous ceux qui veulent présenter un problème au public l’occasion de faire connaître leur défi (“Deschooling Society”, chapter six, ‘General Characteristics of New Formal Educational Institutions).

      Illich propose un système d’éducation auto-dirigée dans des arrangements fluides et informels, qu’il décrit comme “des réseaux éducatifs qui augmentent la possibilité pour chacun de transformer chaque moment de sa vie en un moment d’apprentissage, de partage et d’attention.”

      A partir de cette idée, Illich propose quatre réseaux d’apprentissage :

      * Un service de référence aux objets éducatifs – répertoire ouvert des ressources éducatives et leur disponibilité pour les apprenants;
      * Un échange de compétences – base de données de personnes désireuses de répertorier leurs compétences et la base sur laquelle elles seraient prêtes à les partager ou à les échanger avec d’autres;
      * Un jumelage entre pairs (“peer-matching”) – réseau aidant les gens à communiquer leurs activités et objectifs d’apprentissage afin de trouver des apprenants similaires qui pourraient souhaiter collaborer;
      * Un Annuaire des éducateurs professionnels – liste de professionnels, para-professionnels et indépendants détaillant leurs qualifications, leurs services et les conditions de leur mise à disposition.

      Qu’on partage ou non ses propositions, Illich n’avait-il pas vu avec cinquante ans d’avance les possibilités qu’offrent les technologies actuelles pour un enseignement qu’il voulait “convivial” et en réseau? Mais l’école, centrée depuis toujours sur le maître et non sur l’élève, a-t-elle évolué?

      1. “les possibilités qu’offrent les technologies actuelles pour un enseignement qu’il voulait “convivial” et en reseau”

        Voici ce que dit Yuval Noah Harari de l’impact potentiel des IA (intelligences artificielle) sur nos sociétés (extrait de l’article paru dans le magazine français L’Express n° 3750 du 17 au 24 mai 2023).

        « Dans la bataille politique pour les esprits et les cœurs, l’intimité est l’arme la plus efficace, et l’IA vient d’acquérir la capacité de produire en masse des relations intimes avec des millions de personnes. Nous savons qu’au cours de cette dernière décennie les réseaux sociaux sont devenus un champ de bataille pour le contrôle de l’attention humaine, Avec la nouvelle génération d’IA, le front passe de l’attention à l’intimité. Qu’adviendra-t-il de la société humaine et de notre psychologie lorsque les IA se battront entre elles pour créer de fausses relations intimes avec nous, relations qui pourront ensuite être utilisées pour nous convaincre de voter pour tel candidat ou d’acheter tel ou tel produit ?
        Même sans créer de « fausse intimité », les nouveaux outils de l’IA auront une influence considérable sur nos opinions et sur nos visions du monde. Les gens pourraient en venir à ne suivre les conseils que d’une seule IA, tel un oracle unique et omniscient. Rien d’étonnant à ce que Google soit terrifié. Pourquoi continuer à s’embêter à utiliser un moteur de recherche, alors qu’il suffit de demander à l’oracle ? Les secteurs des médias et de la publicité devraient eux aussi être épouvantés. Pourquoi lire un journal quand je peux demander à l’oracle de me donner les dernières actualités ? Et à quoi servent les publicités alors que je peux demander à l’oracle de me dire quoi acheter ?
        Et même ces scénarios ne rendent pas compte de tout ce qui est en jeu avec cette technologie. Ce dont nous parlons, c’est potentiellement de la fin de l’histoire de l’humanité. Non pas de la fin de l’histoire, mais la fin de sa partie dominée par les hommes. »

        Lorsqu’on sait que ces technologie sont développées par ceux-là même qui ont été éduqués et formés dans le cadre des systèmes éducatifs que vous dénoncez, vous conviendrez que ce n’est pas là que vous trouverez la solution à vos soucis.

        Je crains que nous soyons échec et mat.

        1. Pourquoi “échec et mat”? Si l’intelligence artificielle, ce mythe de notre temps qui n’a souvent d’égal que la stupidité naturelle, suscite autant d’enthousiasme que d’inquiétudes, elle ne dépend de loin pas que des géants du Web. La recherche commerciale est par définition fermée et son code source inaccessible. Elle est en concurrence directe avec la recherche ouverte, non seulement académique mais aussi publique, qui est accessible à tous et gratuite.

          A part les enjeux sociétaux qu’elle suscite, ne serait-ce que par l’énorme quantité de ressources rares, de serveurs et d’énergie consommée par l’informatique sous-jacente à l’IA, celle-ci pose de réels problèmes environnementaux dont Harari, du moins dans le passage que vous citez, ne parle pas. Historien de formation, d’ailleurs contesté par ses pairs, et non mathématicien, logicien et encore moins informaticien, il ne tient compte que des répercussions des réseaux sociaux et de l’IA commerciale. Quoi de surprenant s’il est adulé par un Mark Zuckergerg, un Barack Obama ou un Bill Gates, qui n’est lui non plus pas informaticien mais sociologue et a claqué la porte de Microsoft en se disant “fed up with computers”?

          L’IA pose bien d’autres problèmes, en particulier dans le domaine du droit d’auteur (sans parler de la triche aux examens scolaires et universitaires) et les inquiétudes qu’elle suscite sont donc à prendre au sérieux. Mais une autre forme de recherche, celle-ci ouverte et accessible à tous, est en cours. En mars dernier, comme alternative aux géants du Web et du “cloud computing”, qui ont le plus de pouvoir et d’influence, Mozilla a annoncé vouloir investir 30 millions de dollars dans un projet baptisé Mozilla.ai, qui est à la fois une startup et une communauté, indépendante des géants de la tech et de la recherche académique (Mozilla Foundation,”La santé d’Internet – Qu’entendons-nous par « santé d’Internet”?” – https://foundation.mozilla.org/fr/internet-health/trustworthy-artificial-intelligence/).

          Le projet vise à créer, dans le respect des valeurs de son manifeste (notamment transparence et responsabilité), un système d’IA “open source, digne de confiance et indépendant” qui puisse faire “contrepoids” aux IA privées en émergence (“Comment la fondation Mozilla veut créer une IA de confiance pour nous sauver des géants de la tech”, 01net, 23 mars 2023).

          Un exemple marquant de l’ouverture de l’IA au grand public est HuggingFace (https://huggingface.co/), communauté de plusieurs dizaines de milliers de chercheurs et développeurs, tous bénévoles, qui mettent en ligne et en source libre et gratuite, accessibles à tous, des programmes d’IA alternatifs aux systèmes commerciaux. Par exemple, le projet BLOOM, financé par le gouvernement français, conçu et développé par plus de cent chercheurs et entraîné pendant plusieurs mois sur le plus puissant super-calculateur français, permet à chacun de télécharger et installer gratuitement sur son propre PC avec simple CPU, même sans processeur graphique (GPU) le code source d’un clone du ChatGPT d’OpenAI.

          L’avènement de ce genre de communauté ne confirme-t-il pas, même au-delà de toute espérance, la vision d’un Ivan Illich et d’un Denis de Rougemont sur les réseaux d’apprentissage? Bien sûr, on peut toujours se contenter des prophéties d’un Harari dont l’assurance en matière d’IA n’a d’égale que l’ignorance. S’il y consacrait autant de temps qu’à la méditation zen peut-être finirait-il par entrevoir que si l’IA, comme la langue du bon Esope, peut être la pire des choses, elle peut aussi en être la meilleure.

          Cordialement,
          ucl

          1. “L’avènement de ce genre de communauté ne confirme-t-il pas, même au-delà de toute espérance, la vision d’un Ivan Illich et d’un Denis de Rougemont sur les réseaux d’apprentissage?”

            Au tout début des années 90 j’ai assisté de près à la naissance du Worldwide Web (WWW). J’ai même assisté à une conférence à Paris dans une arrière-cour organisée par un groupement anarchiste sur le sujet de l’Internet comme futur instrument de libération de la connaissance, de l’accès de tous au savoir et de l’avenir radieux qui nous attendait, libérés de la mainmise des élites et des gouvernement sur les savoirs et l’information.

            Lors des questions, j’ai eu l’outrecuidance de mettre en doute cette vision en considérant que l’Internet et le WWW ne seraient à terme qu’une reproduction virtuelle des travers humains et qu’aux mêmes causes nous obtiendrions les mêmes effets. Je me suis rapidement fait mettre de côté parce que je douchait l’optimisme enthousiaste et unanime de l’assistance. On connait la suite : la « netiquette » n’a duré que quelques années et les développements des chercheurs et des geeks anarchistes de l’époque ont rapidement été récupérés par Microsoft, Google et quelques autres. Quand ce ne sont pas ces geeks eux-mêmes qui sont devenus milliardaires.
            Quant à la libération du peuple, vous conviendrez que ce n’est pas à proprement parlé ce vers quoi l’Internet nous a conduit.

            Donc non, je ne pense pas que « ce genre de communauté confirme les visions d’un Ivan Illich et d’un Denis de Rougemont ». Bien au contraire !

            Soit ces travaux seront récupérés par de grands groupes technologiques industriels et / ou certains gouvernements, soit les membres de ces communautés découvriront les joies de l’entrepreneuriat et des avantages sonnants et trébuchant qu’ils peuvent en tirer.

            Etant donné que la question qui me semble intéressante n’est pas « comment ça marche ? » mais « à quoi ça sert ? » et, surtout, « à qui ça profite ? », le fait que le développement soit fait en Open Source par des bénévoles ou pas n’a, à mes yeux, aucune importance. L’impact sur la société au final sera le même. Dans ce sens je rejoins donc la vision d’Harari.

            Quant à l’enseignement, puisque c’est là le sujet de départ, je pense qu’il subira les impacts de ces nouvelles technologies bien plus rapidement que d’autre domaines par la concomitance du manque de personnel enseignant, du nombre d’élèves à éduquer dans le monde et de la diversité des sensibilités et des capacités. Le tout dans un mouvement paradoxal de mise en conformité des individus tout en donnant l’illusion de préserver leur singularité.

            Les années à venir risquent d’être aussi passionnantes que désespérantes.

        2. Pour ma part, je pousserait plus loin encore: avec le potentiel remplacement de l’immense majorité d emplois col blancs par les ia, qu’adviendra -t-il de l’enseignement ? (à quoi bon des diplômes, s’il n’y a plus d’emploi ?! A quoi bon enseigner, s’il n’est plus possible d’évaluer les apprentissages ?!)
          L apprentissage du geste (col bleus) pourrait perdurer… Un temps (mais là aussi, rien n’est garanti à moyen terme).
          L’on se rassure, à grandes comparaisons avec les révolutions techniques passées (la machine à vapeur n’a pas tué le travail, l’informatique -des années 2000- non plus, alors il en sera de même avec la prochaine révolution) comme s’il devait y avoir une quelconque loi physique là derrière. Mais il n’y en as pas.

  10. Des classes de maximum 16 élèves permettraient aux enseignants de réellement de créer des liens, prendre en compte des besoins pédagogiques et du rythme de chacun.
    Mais tout est question de financement. Aucune réforme ne pourra véritablement apporter de solution si les politiques n’augmentent pas les moyens.

  11. On lit tout et n’importe quoi sur l’intelligence artificielle. D’autre part je ne suis pas convaincu que sa présence dans l’enseignement soit souhaitable. L’essentiel de l’éducation est dans l’affectivité et l’acquisition d’un bon jugement autant que la mise en place de connaissances. Il ne serait pas souhaitable que l’émotivité des humains ressemble à celle des robots. Cependant, concernant le contrôle des acquisitions de connaissances objectives et le suivi par apport à chacun d’exercices adaptés à ses besoins et niveaux, un bon vieux programme non-autorisé à prendre des libertés ou initiatives imprévues serait utile. L’intelligence artificielle a ses limites on ne peut pas lui confier le sort des enfants et, comme vous l’écrivez, les compétitions entre plusieurs IA vont créer des situations inquiétantes

    1. “Il ne serait pas souhaitable que l’émotivité des humains ressemble à celle des robots.”

      Ce qui va arriver est l’inverse : c’est l’émotivité simulée des robots qui va ressembler à celle des humains.

      Nous n’en sommes qu’aux prémisses mais je pense que le développement et la convergence de toutes ces technologies (IA, robotique, etc.) vont aller très vite.

      https://www.youtube.com/watch?v=IPukuYb9xWw

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