Une ombre sur l’oeuvre d’art du Cardinal Ratzinger

Dans le monde catholique et bien au-delà, l’oeuvre intellectuelle et théologique de Benoît XVI est magistrale et monumentale. Pour les bavarois, qui devinent par beau temps les magnifiques montagnes, Ratzinger est un sommet incontournable qui culmine à l’horizon.

Pour les Alpes, nous le comparerions au Mont-Blanc. Pour les mélomanes autrichiens ou allemands, nous pourrions facilement lui donner le titre de “Mozart de la théologie”. Son amour de la vérité est limpide comme le souligne sa devise: “coopérateur de la vérité”.

Des nuages gris s’approchent

Déjà en 2010, en pleine année sacerdotale, quelques petits nuages gris s’étaient approchés de ce sommet, des fausses notes avaient résonné dans l’harmonie mélodieuse de l’intellectuel, du maître et du poète. La gestion d’un cas de prêtre pédophile du Cardinal Ratzinger, archevêque émérite de Münich-Freising, avait déjà suscité des interrogations:

“Nouveau rebond dans la crise des prêtres pédophiles qui secoue l’Église allemande. Il touche cette fois Joseph Ratzinger, quand il fut archevêque de Munich entre 1977 et 1982 même si sa responsabilité directe est écartée. Ce diocèse a reconnu vendredi soir, par communiqué, qu’un prêtre, présumé pédophile, un certain «abbé H.» avait été pris en charge par l’archevêché en janvier 1980 pour suivre une thérapie avec l’accord de l’archevêque. Il semble que le prêtre ait été « accueilli » dans un premier temps à l’archevêché avant qu’un autre hébergement lui soit trouvé, dans une paroisse, afin qu’il se fasse soigner”. (Le Figaro)

En pleine polémique médiatique, le Vatican avait répondu que cette décision n’était pas la sienne.

Entre temps, beaucoup de vaticanistes, d’intellectuels, de journalistes ou de catholiques avaient bien rendu-compte, avec raison, des efforts immenses déployés par le préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi (Andrea Tornielli)

Des nuages noires s’amoncèlent: un rapport demandé par l’Eglise épingle le Cardinal

Janvier 2022, un rapport d’enquête de plus de 1900 pages met sévèrement en cause tous les évêques du diocèse de l’époque, dont le Cardinal Ratzinger.

“Le rapport indépendant sur les abus commis dans l’archidiocèse de Munich-Freising entre 1945 et 2019 met directement en cause Benoît XVI pour sa gestion de quatre cas d’abus sexuels commis par des prêtres lorsqu’il était archevêque de Munich de 1977 à 1982″. (Aleteia)

“Rédigé par un cabinet d’avocats munichois Westpfahl Spiker Wastl après deux ans de travail, le rapport de 1.893 pages évalue et juge la responsabilité de la direction de l’archidiocèse bavarois – et en particulier des archevêques qui se sont succédés – sur une période de soixante-quinze ans. Les experts de ce cabinet mandaté par l’archidiocèse ont travaillé principalement à partir de témoignages et des archives officielles de l’archevêché”. (idem)

Cette fois-ci, en plus du Père Hurlimann, la gestion de 3 autres cas entrent en ligne de compte* (lire ci-dessous, résumé de Marie-Lucile Kubacik, journaliste à La Vie)

Cependant, pour le cas du Père Hurlimann, les versions sont divergentes.

Ratzinger contestait sa présence lors d’une réunion, alors que les documents démontrent sa présence. Le Vatican assure qu’il va examiner l’épais document et promet une déclaration plus détaillée par la suite. 

Rétropédalage

Moins d’une semaine plus tard, rétropédalage de Benoît XVI. Contrairement à ce qui avait été affirmé, il a reconnu avoir participé à une réunion clé. Une inexactitude commise de bonne foi. L’ancien pontife de 95 ans s’excuse.

Ses déclarations aux auteurs du rapport publié le 20 janvier par le cabinet Westpfahl Spilker Wastl (WSW) étaient «objectivement incorrectes». L’erreur, affirme-t-il, «est le résultat d’une omission dans l’édition de ses déclarations». Il se dit «désolé pour cette erreur et demande qu’on lui pardonne».

“Lors de cette réunion, «il n’a pas été décidé d’un engagement pastoral du prêtre concerné», assure désormais le pontife émérite par l’intermédiaire de son secrétaire Mgr Georg Gänswein.

Au contraire, on aurait simplement accédé à la demande du prêtre «d’être hébergé à Munich pendant son traitement thérapeutique». Le prêtre devait être pris en charge médicalement à la suite d’abus sexuels sur mineurs” (Cath.ch)

Impressions

Très honnêtement, nous ne sommes pas habitués à ce type d’imprécision chez Ratzinger. Comme le dit l’expression, cela fait tache. Les nuages, bien noirs cette fois-ci, recouvrent le sommet de la montagne et la partition musicale fait clairement résonner bien des fausses notes. Très inhabituel !

Je le dis d’emblée: c’est une déception majeure. L’institution retombe dans ses travers, le manque de prise en compte des victimes et la peur du scandale publique.

La patte de son secrétaire

Benoît XVI a désormais 95 ans, je ne pense pas qu’il écrive lui-même. Cette charge est dévolue à son fidèle secrétaire Mgr Georg Gänswein. Mais, a-t-il conscience de l’immense portée de ses déclarations ? L’oeuvre monumental de son maître sera inévitablement touché, plus ou moins sévèrement selon les demi-mensonges ou les demi-vérités, les inexactitudes, les corrections et même le déni présents dans la communication à venir.

Un logiciel clérical

Pour dire mon avis, j’imagine difficilement Ratzinger échappé au climat des années 70-80, lorsque le logiciel clérical et culturel classique chez les hommes d’Eglise écrivait sur l’écran : défendre l’institution au détriment des victimes.

Malgré la bonne foi, ce paradigme était ancré profondément dans le milieu ecclésial. Ratzinger a sans aucun doute évolué au cours du temps, toujours orienté vers la recherche de la vérité, avec l’aide constante des victimes. Benoît XVI a d’ailleurs rencontré plusieurs fois ces dernières. Ce n’est qu’à leur écoute que les yeux de son coeur se sont ouverts largement.

Un autre événement me dérange. La Légion du Christ ! Dans un excellent livre “La lumière du monde”, le pontife laisse entendre que les témoignages des victimes du fondateur Martial Maciel sont arrivés assez tard au Saint-Siège. Ceci n’est simplement pas vrai. Depuis très longtemps, des rapports de victimes étaient remontés. Certes, les actions du Cardinal Sodano, secrétaire d’Etat de l’époque, reste encore dans l’ombre. Nul doute que cet influent et intrigant Cardinal, grand protecteur de la Légion, a joué un rôle majeur.

Affaire à suivre

Pour Benoît XVI, les rédactions des médias sont en mode alerte. Dans l’attente de la réponse du petit Prince de la théologie, la blessure est bien présente. Certes, toute l’oeuvre magistrale du plus grand théologien depuis Saint Thomas d’Aquin n’est pas remise en cause. Andrea Tornielli, chef éditorial du Vatican.news, rappelle avec force et exactitudes les combats de Ratzinger-Benoît XVI au coeur de l’Eglise. (lien)

Cela doit impérativement rester inscrit dans la pierre, le marbre. Selon ma perception, depuis sa charge d’archevêque, Ratzinger a toujours été en mode conversion.

Toutefois, cela fait tache !

L’histoire de l’Eglise retiendra cette page dramatique, où pour protéger l’institution, la réputation et la peur du scandale publique, des Papes et des Cardinaux ont sacrifié la voix des enfants, celles des vies innocents. Quel scandale !

Un logiciel clérical

Comme pour un disque dur, je pense clairement qu’il y a un programme structurel qui formate les clercs, un logiciel de défense, une manière de penser, une culture cléricale et un système organisé qui tort le jugement et l’action raisonnables pour finalement laisser des loups dans le troupeau abimer très gravement et très profondément des vies innocentes.

Ratzinger aussi, comme nous tous à des degrés divers, n’avons pas su voir et écouter le cri, la douleur et la souffrance d’enfants. Difficile de s’extraire de la masse, de la pression sociale et de la pâte humaine.

Aimer la vérité

Deux points d’espérance :

  • la devise de Ratzinger “coopérateur de la vérité” est une des clefs de cette intrigue de son ancien diocèse. Nous sommes invités, avec les journalistes, à chercher la vérité, sans peur et sans crainte, en coopérant droitement aux enquêtes établies.
  • Joseph Ratzinger avait donné dans un petit article ses raisons d’être resté toujours catholique, par le mystère de la lune. Vu de la terre, la lune est très claire. Plus nous nous en approchons, plus les ombres, les cratères et les impacts sont visibles à sa surface. De même pour le milieu catholique de l’Eglise. Les ombres et les taches sont bien présentes, pourtant la clarté de la lumière du soleil continue de briller pour éclairer notre nuit. La foi passera toujours par l’Eglise.

“Tu n’auras pas d’idole”

At last but not the least, par les dix commandements, Yavhé a appris à nos frères Juifs de ne pas avoir d’idole. Ratzinger est une boussole sûre, mais n’est pas Jésus-Christ, fils de Dieu, source et fin de toutes nos aspirations.

Le Mont-Blanc a aussi ses crevasses et ses taches. Pourtant, il mène toujours à la rencontre du ciel et de la terre.

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*Que reproche-t-on à Joseph Ratzinger ? ( par Marie-Lucile Kubacki, La Vie )

Selon ce rapport de 1900 pages (qui peut être consulté en allemand sur le site du cabinet d’avocats Westpfahl Spilker Wastl), Ratzinger aurait mal « géré » quatre cas de prêtres accusés d’agressions sexuelles sur mineurs.

Le premier (cas 37, pp. 698-717), concerne un prêtre arrivé dans le diocèse de Munich à la fin des années 1970, et maintenu à des fonctions qui l’amenaient à être en contact avec des enfants, en dépit de deux condamnations pour des abus sur mineurs (dont une peine de prison avec sursis). Obligé de suivre des soins et interdit d’enseignement dans les écoles publiques… il avait été notamment nommé professeur de religion dans une école privée. Le pape émérite nie avoir eu connaissance d’un « comportement criminel » de la part du prêtre, ce que les experts remettent en cause.

Le deuxième (cas 40, pp. 718-732) est celui d’un prêtre étranger envoyé comme prêtre étudiant dans le diocèse de Munich après avoir fait l’objet d’une condamnation de huit mois de prison ferme (commués en sursis) dans son pays d’origine pour de multiples abus sur enfants. À Munich, il est nommé aumônier (mais dispensé d’instruction religieuse dans les écoles).

Déplacé à plusieurs reprises, il est visé par des témoignages au début des années 1980, selon lesquels il manifeste un comportement exhibitionniste et fait « des efforts intensifs pour établir un contact privé avec des enfants de chœur ». À cette époque, on lui interdit de célébrer en paroisse.

Dans ce cas, le pape émérite nie avoir été informé de la condamnation d’origine (ce que les experts jugent peu probable) et de l’interdiction de célébration, affirmant que les informations dont il disposait ne portaient que sur des affaires de tensions dans son rapport à l’autorité.

Le troisième (cas 42, pp. 733-750) concerne un prêtre qui avait pris des photos suggestives d’adolescents de 14 ans, et qui avait été affecté juste après à la pastorale d’une maison de retraite et d’un hôpital (incluant des célébrations en paroisse, sous l’autorité du curé local). Six mois après les faits, ce prêtre fut condamné par la justice.

Dans cette affaire, Benoît XVI nie avoir eu connaissance du motif du déplacement du prêtre, ce qui est remis en cause les experts. En outre, ces derniers lui reprochent de ne pas avoir engagé de procédure ecclésiale à la suite de la condamnation en justice.

Une affaire très médiatisée en Allemagne

Le quatrième (le cas X, pp. 121-186) renvoie à une affaire qui a été particulièrement médiatisée en Allemagne, celle du prêtre Peter Hullermann. Accusé par des parents d’avoir commis des agressions sexuelles sur mineurs fin 1979 en Rhénanie, il est suspendu et déplacé en Bavière en 1980, pour suivre une thérapie. C’est là qu’il arrive dans le diocèse de Munich. Mais le prêtre reprend son service pastoral et se trouve à nouveau au contact de jeunes… et récidive.

Dans une enquête, le journal Der Spiegel relatait qu’en juin 1986, il avait été reconnu coupable d’abus sexuels sur des mineurs et de distribution de contenus pornographiques, condamné à une amende de 4000 deutsche marks et à une peine de 18 mois avec sursis. Avant d’être envoyé… dans une nouvelle paroisse.

Joseph Ratzinger nie avoir eu connaissance de cette affectation (dont la responsabilité a été assumée par le vicaire général de l’époque). Contrairement à ce qui avait été affirmé, il a reconnu avoir participé à la réunion clé qui avait validé l’arrivée de Hullermann à Munich en 1980, précisant qu’« aucune décision n’y a (vait) été prise sur l’attribution d’une mission pastorale au prêtre concerné ».

Dominique Fabien Rimaz

D'origine fribourgeoise et italienne, né à Bôle (Neuchâtel), Dominique Fabien Rimaz se rêvait pilote militaire. Il passera d'abord par une formation en chimie puis en sciences politiques pour devenir un jour journaliste. Rattrapé par la vocation, il est aujourd’hui prêtre en Veveyse et aumônier des hôpitaux à Fribourg.

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