Palais Colonna

Les colonnes des siècles

C’est un peu court, jeune homme. Le boulet, tiré en 1849 par les artilleurs du Général Oudinot sur les troupes de Garibaldi qui avaient délogé le pape de son palais du Quirinal, lui aussi était tombé un peu court. Faisant voler en éclats la verrière de la Grande Galerie du palais Colonna, il vint se loger sur un escalier en marbre dont il fracassa l’une des marches, que rejoindrait un siècle plus tard dans l’univers des marches à jamais brisées celle du château de Moulinsart dans les Bijoux de la Castafiore.

Le risque, qu’à Rome, on tombe à court de palais baroques est certes faible mais parmi tous ceux-ci se distingue celui des princes Colonna. Ouvert au public le samedi seulement, sa visite, sans être un privilège réservé aux happy few, porte l’empreinte de la distinction et même d’une certaine intimité. Le palais Colonna non seulement abrite l’une des plus belles collections privées qui soit conservée mais s’offre aux yeux du visiteur dans le cadre resplendissant du plus magnifique palais baroque toujours aux mains d’une même famille, qui a fait de la transmission de son patrimoine une exigence. La Grande Galerie, vouée à la gloire de Marc-Antonio Colonna, commandant des galères pontificales à la bataille de Lépante en 1571, en constitue le clou. On visite cette collection de tableaux dans l’état qu’on voulu les princes collectionneurs, dans son jus pour ainsi dire. Tous les amateurs de la cuisine italienne y reconnaîtront le Mangiafaggioli d’Annibale Carracci, qui orne la couverture du Talismano della Felicità, le livre de recettes qu’on trouve en Italie jusque dans les chaumières ; dans la salle Bellique, la Vénus de Bronzino, ou le Nu Retrouvé, éblouit le spectateur par la fraîcheur de ses coloris ; plus loin, dans la salle de l’Apothéose, La Ligne Claire songera à ses années d’étudiant à l’Université Catholique de Louvain face au portrait de son fondateur,  Martin V, le pape que la famille Colonna a donné à l’Eglise.

Dans les cercles de la nobiltà nera, la noblesse pontificale immémoriale, on pouvait entendre il n’y a guère qu’il ne pouvait y avoir à Rome deux souverains, le roi et le pape, et que, pour cette raison, il fallait qu’en 1946 le roi s’en allât. Mais voilà, le pape n’est pas marié si bien qu’il échut à la princesse Isabelle, grand-mère du chef de famille actuel, de tenir le rôle et le rang de reine non-couronnée de Rome et d’assurer par son mécénat le lustre de sa famille. Les appartements privés, eux aussi conservés en l’état, témoignent de son rôle dans un cadre où le caractère privé se mêle à l’élégance.

En définitive, ce qui distingue cette visite de toutes les autres que vous pourrez effectuer à Rome, c’est qu’on y est reçu non pas comme un visiteur, moins encore comme un client, mais comme un invité.  Et puis, si on a la chance, comme La Ligne Claire et son épouse, d’être accueilli quelques instants par le Prince, sachez que c’est lui qui vous fait la grâce de vous remercier de votre visite alors que vous êtes son hôte.

www.galleriacolonna.it/fr/

 

Journée du Patrimoine

Journées du Patrimoine (en péril)

Le patrimoine sous la menace de la re-écriture de l’histoire.

Alle Jahre wieder. Chaque année, on célèbre à juste titre les Journées Européennes du Patrimoine, un bien qu’on tient par héritage de ses ascendants, selon la définition qu’en propose le Larousse, tout en en soulignant la dimension européenne. Recueillir et transmettre ce patrimoine est, aux yeux de la Ligne Claire, au cœur de ce qui constitue la civilisation et la culture de l’Europe.

Emporté par le vent

Cette année-ci pourtant, ces célébrations sont teintées par une force nouvelle venue d’Amérique qui renverse les statues et débaptise les rues. On se souviendra des émeutes qu’avait provoquées le déboulonnage de la statue de Robert E. Lee, commandant en chef des armées confédérées, à Charlottesville en Virginie. Dans la foulée, l’église épiscopalienne s’est empressé de retirer Yun vitrail qui lui était voué, de la National Cathedral à Washington tandis qu’à New York, le maire Bill di Blasio donne l’ordre d’ôter une plaque à la mémoire du Maréchal Pétain et entend s’en prendre à Christophe Colomb, dont la figure est partout présente dans les Amériques, coupable du génocide des Indiens. Faudra-t-il que la République de Colombie et la province canadienne de Colombie britannique changent de nom? Toujours aux Etats-Unis, l’Etat du Tennessee a interdit la projection du film Autant en emporte le Vent, premier film en couleur de l’histoire du cinéma, au motif qu’il renvoie à une société esclavagiste. On se dépêchera de se consoler en regardant Ben-Hur, histoire d’un galérien juif, avant que ce film-là ne se voie accusé de sionisme.

En France aussi certains ont appelé de leur vœu de renommer les places, rues et collèges qui portent le nom de Colbert, rédacteur du Code Noir en 1685, alors qu’en Belgique des voix s’élèvent pour bannir toute référence au roi Léopold II de l’espace public, y compris sa statue équestre qui orne la place du Trône à Bruxelles. A Genève enfin la présence de Jean Calvin au Mur des Réformés ne devrait même plus faire débat dès lors qu’il avait envoyé Michel Servet au bûcher.

Iconoclasme

Ce qui avait commencé par de l’activisme de gauche a tourné à un mouvement iconoclaste, où une frange de la population entend réécrire l’histoire et en imposer sa vision aux autres, le propre justement des régimes totalitaires qu’elle prétend dénoncer. Car si ces actions se distinguent de celles des Taliban en Afghanistan et celles de l’Etat Islamique à Palmyre par l’ampleur des moyens employés, elles s’en rapprochent par leur intention, celle de gommer toute référence à un passé qui ne convienne pas à leur vision du présent.

La Ligne Claire concède volontiers que certains cas demeurent sans appel – on n’envisage pas en Allemagne de rebaptiser une rue Adolf-Hitler-Strasse, et que la sensibilité de la communauté noire américaine par exemple puisse être heurtée par la présence d’un monument à la mémoire du General Lee.

Plutôt que de gommer l’histoire cependant, La Ligne Claire estime qu’il faut apprendre à la connaître et à vivre avec elle. Septante-cinq après la chute du régime fasciste, les Romains composent avec un obélisque gravé au nom de Mussolini, tandis qu’à Paris et à Bruxelles des avenues célèbrent la bataille de Stalingrad même si dans Stalingrad il y a aussi Staline.

A la vérité, il en va des pays et de leur histoire comme des hommes, avec leur part de lumière et parfois de gloire et puis leur part d’ombre. Savoir que cette dernière existe permet de l’assumer, de se pardonner à soi même et de pardonner à autrui.

Faute de quoi, il faudra se résigner à renommer toutes les rues du monde la Rue de l’Homme Parfait. La Ligne Claire décline par avance la prise en charge de la numérotation.