La vocation de Saint Matthieur

Où est Matthieu?

Matthieu Cointrel, né en Anjou en 1519, résidait déjà depuis longtemps en Italie quand il s’associa à Catherine de Médicis, reine de France, en vue de reconstruire l’église Saint Louis des Français à Rome et lui conférer la façade que nous lui connaissons aujourd’hui, achevée en 1589. Ce demi-siècle écoulé en Italie avait fait de lui l’homme, bientôt le cardinal Contarelli, dont la postérité retiendrait le nom. Bien avant sa mort survenue en 1585, il avait fait l’acquisition de la chapelle qui porte aujourd’hui son nom et qui est ornée de trois tableaux du Caravage, tous trois consacrés à saint Matthieu l’évangéliste, le saint patron du cardinal bienfaiteur. Réalisés à l’occasion de l’année sainte 1600, le cycle comprend au centre de la chapelle Saint Matthieu et l’Ange flanqué à gauche de la Vocation de Saint Matthieu et à droite du Martyre de Saint Matthieu.

Dans les récits évangéliques, Matthieu nous est présenté comme un publicain, un collecteur d’impôts à la solde des Romains, ce qui lui vaut le mépris, voire l’hostilité de la population juive. Le récit de sa vocation, que nous relayent les synoptiques est succint : Jésus vit un publicain assis à son bureau de douane et lui dit « Viens et suis-moi » ; alors il se leva et le suivit. Matthieu ensuite figurera au nombre des Douze et bien entendu on lui attribuera l’évangile qui porte son nom.

Dans Saint Matthieu et l’Ange, la question de l’identité de Matthieu ne se pose pas, on ne confondra pas l’évangéliste et l’ange qui l’inspire ; pas davantage dans la scène du martyre où on ne saurait prendre le bourreau pour la victime. On notera à ce propos que dans l’un et l’autre cas Matthieu y est représenté sous les traits d’un homme âgé, à la barbe grise et au crâne chauve.

Venons-en maintenant à la Vocation de Saint Matthieu, ce tableau énigmatique dont on ne sait trop s’il représente une scène d’intérieur ou d’extérieur. A droite, le Christ pointe son doigt vers un groupe de personnes attablées, de même que Dieu touche Adam du doigt dans la fresque de la chapelle Sixtine. Traditionnellement, la critique artistique a retenu que le personnage d’âge mûr, lui aussi barbu mais pas encore chauve, qui semble s’auto-désigner du doigt, représentait Matthieu, ayant l’air de dire « Quoi, moi, que me veux-tu ? ».

Lors d’une conférence donnée en 2012 et à nouveau dans un livre publié cette année (*), l’historienne de l’art Sandra Magister a remis en cause cette interprétation.

Examinons à nouveau la scène. Un rai de lumière, comme porté par le doigt du Christ vient éclairer cette table d’auberge. Le propos du Caravage est limpide : Jésus, la lumière des hommes, éclaire le monde et dissipe les ténèbres, comme Dieu créateur dans le livre de la Genèse.

Le deuxième propos du Caravage tient dans l’actualité de l’Evangile. Si l’Evangile est d’actualité, alors un collecteur d’impôts du Ier siècle peut sans autre être figuré par un prêteur à gages ou un usurier de cette fin du XVIe ; qu’importe le temps et le lieu, ce qui compte, c’est que le Christ fasse irruption dans un monde où l’on compte ses sous. Lui, le Christ, ne doit guère en avoir, des sous, puisque lui et son compagnon, un bâton de pèlerin à la main, pénètrent nus pieds dans cette scène habitée de personnages richement vêtus.

Trois d’entre eux esquissent un geste de surprise. Le personnage, ce barbu pas encore chauve, tout à coup ne semble plus se désigner lui-même mais son jeune voisin de droite (à gauche sur le tableau). Ce dernier, assis sur un fauteuil élégant alors que ses compagnons doivent se contenter d’un banc, est affaissé sur la table où, au sens propre, il compte ses sous. Indifférent à la présence du Christ, accaparé par son argent ou au contraire sonné par le geste du Christ, cette main tendue qui perce les ténèbres, voilà selon Sandra Magister le nouveau Matthieu, un homme si radicalement neuf que l’ange de Dieu l’inspirera à rédiger un Evangile pour lequel il acceptera de mourir. Toute la chapelle Contarelli est là en trois tableaux.

(*) Sandra Magister, Il Vero Matteo, Campisano Editore, Roma 2018