La Sanctification du Monde

Il y a un peu plus de soixante ans, le 11 octobre 1962 s’ouvrait le concile Vatican II qui allait marquer l’Église catholique de manière profonde jusqu’à nos jours. A l’occasion de cet anniversaire, George Weigel, un intellectuel catholique américain de premier plan connu pour sa magistrale biographie de Jean-Paul II, a publié ce petit livre, To Sanctify the World, à destination d’un public généraliste mais averti.

Weigel entend tout d’abord rappeler au lecteur quelle était l’intention de Jean XXIII lors de la convocation du Concile, quels sont les points essentiels à retenir des seize textes publiés et enfin quelle est leur clé de lecture.

Lorsque Jean XXIII en janvier 1959 fait part de façon presque anodine de son intention de convoquer un Concile Œcuménique, l’Église n’est pas confrontée à une situation comparable à l’émergence de la Réforme, qui avait occupé le Concile de Trente au XVIe siècle. Mais le vieux pape a l’intuition d’une part que l’Église tourne confortablement en rond sur elle-même, en particulier en Europe, son cœur historique, et d’autre part qu’il lui fait défaut un langage qui lui permette de s’adresser au monde moderne d’alors. Les intentions du pape apparaissent clairement dans son discours d’ouverture du Concile, connu sous le nom latin de Gaudet Mater Ecclesia ; loin de refonder l’Église ou de la séculariser, il s’agit au contraire de souligner le caractère essentiellement christocentrique du Concile de sorte que l’Église catholique puisse mieux christifier ou convertir le monde.

Weigel suggère donc de lire les documents conciliaires à l’aune de cette intention et dans l’ordre constitutif qui convient ; en premier lieu figure la constitution sur la révélation divine, Dei Verbum, car Dieu parle en premier et révèle à l’homme sa vérité ; ensuite vient Lumen Gentium, la constitution sur l’Église, comprise non plus selon le modèle juridique des néo-scolastiques mais comme le Peuple de Dieu qui se reconnaît à la lumière de la révélation, dont Jésus-Christ est l’achèvement parfait. Les quatorze autres documents s’appuient sur ce double socle.

Lorsque le concile se clôt en 1965, les textes conciliaires sont reçus dans l’ensemble avec enthousiasme malgré le défaut, selon le mot de Weigel, d’une clé de lecture qui fasse autorité. Les pères conciliaires se retrouvent alors dans un monde où souffle un vent nouveau marqué par la décolonisation, une musique nouvelle, un culte de la jeunesse, un changement radical en matière de mœurs et par une contestation générale qu’on appellera par convenance l’esprit de mai 68. Sans tomber dans le faux syllogisme Post Concilium Propter Concilium, c’est bien dans ce monde-là que les décisions du concile trouveront leur application concrète, parfois fantaisiste. L’Église catholique entame alors la décennie la plus turbulente de son histoire moderne, marquée par le retour à l’état laïc de dizaines de milliers de prêtres et de religieuses.

Il reviendra aux pontificats de Jean-Paul II et de Benoît XVI (1978-2013), deux participants au concile, d’expliquer, de clarifier et de définir ce que les pères conciliaires avaient voulu pour l’Église, en un mot de fournir la clé de lecture du concile. A ce propos, on peut songer au synode des évêques à l’occasion du vingtième anniversaire de la clôture du concile en 1985, à la promulgation du catéchisme de l’Église catholique publiée en 1992 ou encore à l’instruction sur la liturgie Redemptionis Sacramentum en 2004.

En un mot, le concile avait et a toujours vocation à inviter l’Église à proclamer Jésus-Christ au monde entier, dont il faut bien observer qu’il n’a pas porté un intérêt marqué à sa propre sanctification. Bien plus, en Europe en particulier, on a souvent observé le mouvement opposé où l’Église suit mollement les évolutions et même les exigences d’un monde non pas païen ou athée mais irréligieux. Il est aisé d’observer ce phénomène de nos jours encore, en Europe du Nord notamment, où même certains évêques cautionnent des inventions liturgiques, morales ou dogmatiques, qui se revendiquent d’un esprit du concile non défini, mais qui sont en réalité totalement absentes des textes conciliaires. C’est là aussi que l’Église est saignée à blanc car à quoi bon rejoindre une Église qui ne fait que répéter comme un perroquet ce que le monde lui dit ? Là au contraire où le concile a été reçu et mis en œuvre en vérité, là l’Église est vivante, joyeuse et missionnaire.

 

George Weigel, To Sanctify the World, Basic Books, 368 pages, 2022.

Aux Portes de l’Europe : Histoire de l’Ukraine

La guerre en cours a suscité de manière subite un vif intérêt pour l’histoire de l’Ukraine, avec laquelle peu de lecteurs occidentaux, parmi lesquels on compte La Ligne Claire, sont familiers. Un livre de Serhii Plokhy, professeur d’histoire de l’Ukraine à l’université de Harvard, auteur par ailleurs de Nuclear Folly et de Tchernobyl, fournit une excellente entrée en matière accessible à un large public de langue anglaise. Son titre, les Portes de l’Europe, tantôt ouvertes et tantôt fermées, renvoie d’emblée à la situation géographique de ce pays, dont le nom signifie « la marche », à la frontière entre l’Europe et l’Asie, le christianisme et la religion musulmane portée par les Ottomans, et enfin à la frontière entre le christianisme orthodoxe et le catholicisme qui dans ses contrées se décline sous ses manifestations catholique romaine et grecque catholique. Au cours de l’histoire, ces frontières culturelles ont pu se déplacer dans l’espace au gré des changements politiques, la République des deux Nations (polonaise et lithuanienne), le recul de la puissance ottomane, la guerre civile qui donne naissance à l’État soviétique, l’invasion allemande en 1941 ; cependant Plokhy leur accorde une grande importance en raison de leurs traces, toujours présentes dans la société ukrainienne actuelle

Plokhy s’attache à raconter l’histoire d’une nation, qui se distingue de celle d’un État et qui se distingue aussi de celle d’une communauté linguistique. Au cours de sa longue histoire, l’Ukraine, mélange de peuples sédentaires et nomades, berceau du christianisme rus’ avec le baptême de Vladimir en 988, sera forgée principalement par les empires russe et ottoman et assimilera de manière durable des éléments polonais, habsbourgeois, tatars, cosaques et juifs.

Le mot même d’Ukraine n’apparaît sur une carte pour la première fois qu’au XVIe siècle mais ce n’est véritablement qu’au XIXe siècle, le siècle des nationalités en Europe, que se développe la notion d’une identité ukrainienne propre, dont la compilation de la première grammaire en 1818 se voudra l’expression. Ses frontières, sans cesse mouvantes, n’acquerront leur caractère définitif actuel qu’en 1954, jusqu’à ce que la Russie de Poutine ne vienne lui ravir la Crimée en 2014. Aussi, Plokhy fait-il le choix de raconter l’histoire de l’Ukraine au sein des frontières telles qu’elles émergeront à partir du XIXe siècle.

Enfin, ce livre, à la fois succinct et érudit, revêt un intérêt supplémentaire dans la mesure où il a été publié en 2015, soit un an après l’invasion et l’annexion de la Crimée, et qu’il permet donc de faire une lecture avertie de la guerre que mènent les Russes en ce moment. De l’avis de La Ligne Claire, elle a d’ores et déjà fait de Vladimir Poutine le père de la patrie ukrainienne et a mis un point final en Ukraine au débat séculaire entre slavophiles et occidentalistes.

 

Serhii Plokhy, The Gates of Europe: a History of Ukraine, Basic Books, 2016, 395 pages

Pape François

Le pape à la rencontre des Coptes

Le pape François entame aujourd’hui un voyage difficile en Egypte où il manifestera son soutien aux Eglises chrétiennes qui y vivent des moments douloureux et où il rencontrera aussi les hautes instances du clergé sunnite en vue de poursuivre et de promouvoir malgré tout le dialogue avec les musulmans. Fait remarquable, il est accompagné dans sa démarche par le patriarche oecuménique Bartholomée Ier, signe manifeste de la volonté du pape de renforcer non seulement le dialogue mais aussi l’agir oecuménique au sein des différentes églises chrétiennes. Cette démarche conjointe mérite d’être d’autant plus soulignée que la plupart des chrétiens d’Egypte se réclament de l’Eglise copte, qui n’est ni catholique ni orthodoxe au sens où nous comprenons ces mots de nos jours.

Fondation

Selon la Tradition, l’Eglise en Egypte trace sa fondation à l’évangéliste saint Marc, identifié au personnage de Jean-Marc qui apparaît dans les Actes des Apôtres. Vers le milieu du Ier siècle, soit à peine une douzaine d’années après la mort de Jésus, saint Marc aurait fondé l’Eglise d’Alexandrie, une ville qui comptait alors une importante population de Juifs hellénisés (parmi lesquels on compte Théophile à qui saint Luc adresse son évangile). De nos jours encore, le pope de l’Eglise copte porte le titre de patriarche d’Alexandrie et patriarche de la prédication de saint Marc.

Dès le IIIe siècle se développe en Egypte un courant jusqu’alors inédit du christianisme, le monastisme, qui voit des hommes se retirer dans une vie de solitude au désert. C’est l’époque de saint Antoine le Grand, célèbre pour avoir affronté les tentations du démon, une scène reproduite maintes fois dans l’histoire de la peinture, de Jérôme Bosch à Salvador Dali.

Le concile de Chalcédoine en 451

Dès les premiers siècles du christianisme apparaîtront des disputes théologiques, ces fameuses querelles byzantines, que des conciles seront appelés à trancher. Au Ve siècle de notre ère le monde antique est agité par les débats au sujet de la nature du Christ: a-t-il une seule nature ou une double nature, humaine et divine?

Le concile de Chalcédoine en 451 marquera un tournant fondamental dans l’émergence de l’Eglise copte. Le concile définit de manière claire que le Christ possède deux natures, humaine et divine, réunies en une seule personne ; cette définition dogmatique conduira à un schisme majeur dans le chef de l’Eglise d’Egypte, alors province byzantine et, dans une moindre mesure, dans le chef de l’Eglise de Syrie. A Chalcédoine l’opposition aux positions défendues par le concile était menée par Dioscure, patriarche d’Alexandrie et qui fut déposé pour cette raison. Mais l’Eglise d’Egypte ne l’entendait pas de cette oreille et nomma à sa place son propre patriarche, Timothée (Tawadros), ce qui l’amena à rompre la communion avec l’Eglise impériale. En guise de réplique, l’empereur à Constantinople nomma son propre candidat au patriarcat d’Alexandrie à la tête d’une Eglise qualifiée depuis lors de melkite (un mot d’origine syriaque signifiant royal ou impérial), séparée de l’Eglise qu’on peut désormais appeler copte, mais qui demeurera toujours minoritaire au sein du christianisme égyptien. Notons  que le mot copte même est dérivé du nom grec pour Egyptien « Egyptos »).

La conquête arabe

En 639 les Arabes conquièrent l’Egypte sur les Byzantins. Si les califes omeyyades pratiquent une politique de tolérance religieuse, ils réclament de la population chrétienne des taux d’imposition supérieurs à ceux dus par les musulmans si bien que dès la fin du XIIe siècle une majorité de la population égyptienne est de confession musulmane.

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que l’Eglise copte puisse sortir de l’ombre. C’est l’époque où les premières écoles chrétiennes sont fondées et où l’Ecole théologique d’Alexandrie, la toute première de ce type, fondée en 180, rouvre ses portes au terme d’un hiatus de quatorze siècles.

Situation actuelle

De nos jours l’Eglise copte constitue la plus importante des Eglises d’Orient avec dix à quatorze millions d’adeptes en Egypte même, soit 12 à 15% de la population, et environ cinq autres millions à l’étranger. Depuis 2012 elle est dirigée par le Pope Tawadros II, 118e patriarche d’Alexandrie. On assiste depuis plusieurs années à un rapprochement entre les Eglises copte et orthodoxe sur des sujets comme le mariage et à des efforts en vue d’aplanir les divisions nées des divergences d’interprétation doctrinales des canons du concile de Chalcédoine. Si la langue liturgique traditionnelle est le copte, une langue dérivée de l’égyptien ancien, de nos jours les services religieux se déroulent également en arabe.

En 1988 les Eglises catholique et copte se sont accordé sur une définition commune au sujet de la nature de Jésus-Christ dans le but de mettre fin aux querelles, il est vrai obscures, nées du Concile du Chalcédoine. Cette déclaration réaffirmait une foi commune et reconnaissait que les mésententes et les schismes passés devaient être attribués à des différences culturelles et de divergence dans la formulation, qui ne portaient pas atteinte à la substance de la foi.

Parmi les personnalités égyptiennes contemporaines de confession copte, on peut citer Boutros Boutros-Ghali, ancien secrétaire général des Nations Unies et Suzanne Moubarak, l’épouse de l’ancien président.

Le Pape en Arménie

A l’occasion de la visite du pape François en Arménie, La Ligne Claire souhaite offrir à ses lecteurs une courte description de l’Eglise d’Arménie, dont l’histoire se confond avec celle de la nation.

Légende des origines

Le nom même de cette Eglise témoigne de son ancienneté puisqu’elle fait remonter sa fondation aux apôtres Thaddée et Barthélémy. Selon la tradition ou la légende selon les points de vue, l’apôtre Barthélémy aurait guéri le roi Abgar V en sa capitale d’Edesse (aujourd’hui Sanliurfa dans le sud-est la Turquie), alors capitale du royaume d’Arménie. D’après la légende, le roi, affligé d’une grave maladie, peut-être la lèpre, ayant entendu la renommée des hauts faits pratiqués par Jésus, lui aurait écrit l’invitant à Edesse afin qu’il le guérisse. Jésus lui aurait répondu que non malheureusement son emploi du temps ne lui permettait pas d’entreprendre un voyage si périlleux car il devait se consacrer aux affaires de son Père ajoutant toutefois, que si le roi voulait bien prendre patience, sitôt ressuscité, il dépêcherait auprès de lui deux de ses lieutenants les plus fidèles. Armés d’une image sainte appelée le Mandylion, un tissu sur lequel se serait imprimé la face de Jésus lors de sa passion, les apôtres guérirent le roi, qui les enjoigna ensuite d’évangéliser son royaume où ils moururent en martyrs. Quoiqu’il en soit, cette légende témoigne d’une présence sans doute très ancienne du christianisme en Arménie.

Conversion

L’Arménie connaît un tournant décisif dans son histoire lorsqu’au tout début du IVe siècle, sans doute en l’an 314, un saint local, l’évêque Grégoire l’Illuminateur baptisa et convertit le roi Tiridate IV et toute sa cour faisant de l’Arménie la première nation chrétienne. Echange de bons procédés, le roi nomma Grégoire le premier catholicos (ou patriarche) de la toute jeune Eglise arménienne. Celle-ci se développe en communion avec les autres Eglises chrétiennes, ce dont témoigne la présence de son catholicos aux deux premiers conciles, celui de Nicée en 325 et celui de Constantinople en 381. Si l’Eglise d’Arménie n’est pas représentée au troisième concile à Ephèse en 431, Sahak (ou Isaac) Ier, sixième catholicos, souscrit à ses conclusions.

Schisme 

En revanche elle n’est pas présente au concile de Chalcédoine en 451 mais se trouve mêlée aux querelles qui ravagent la chrétienté orientale au sujet des rapports entre l’humanité et la divinité du Christ. Au siècle suivant, l’Eglise d’Arménie se réunira à deux reprises en concile local à Dvin, résidence du catholicos, en 506 d’abord et en 555 ensuite. On fait traditionnellement remonter à cette dernière date la séparation de l’Eglise d’Arménie de l’Eglise orthodoxe impériale bien qu’aucun des actes du concile de Dvin ne mentionne explicitement les canons de Chalcédoine. Toujours est-il que le schisme est consommé et que les Arméniens viennent se joindre aux Syriaques et aux Coptes dans les rangs des miaphysistes, ceux qui ne reconnaissent au Christ qu’une seule nature. Inversement en 609-610 lors du troisième concile de Dvin, l’Eglise géorgienne, jusqu’alors sous la juridiction de celle d’Arménie, adopte les canons de Chalcédoine, et s’en sépare.

La Bible en langue arménienne

L’ensemble des livres du Nouveau Testament et une partie de ceux de l’Ancien avaient été rédigés en grec, par ailleurs langue liturgique en usage dans l’Eglise arménienne. En 405, sous l’impulsion du catholicos Sahak, la Bible est traduite en langue arménienne ; bien plus, comme la langue n’était jusqu’alors qu’orale, un alphabet propre est élaboré afin de pouvoir mener à bien cette traduction. A titre de point de repère, c’est en ces années-là que saint Jérôme traduit la Bible des Septante du grec vers le latin.

Tribulations 

Royaume établi aux confins des empires byzantin et arabe, puis turc, l’Arménie voit l’émergence vers la fin du IXe siècle d’une dynastie propre, les Bagratides. Cependant cette indépendance ne sera que de courte durée puisqu’en 1045 les Byzantins reprennent le contrôle de l’Arménie provoquant l’exil d’une part importante de la population vers la Cilicie, un territoire situé le long de la côte sud de la Turquie actuelle. D’un point de vue religieux, l’importance de ses événements réside dans le déplacement du catholicosat en Cilicie, connu depuis lors sous le nom de Catholicosat de la Grande Maison de Cilicie. A la suite de la prise de ce royaume cilicien par les Turcs en 1375,  Kirakos Virepatsi fut élu catholicos du Saint-Siège d’Etchmiadzine, situé sur le territoire de l’actuelle République d’Arménie, en 1441 ; c’est ainsi que depuis cette date l’Eglise d’Arménie compte deux catholicoi, sachant que celui d’Etchmiadzine, appelé catholicosat de Tous les Arméniens, jouit d’une primauté d’honneur. Vers la même époque les Turcs absorbaient par ailleurs l’Arménie proprement dite (appelée alors Grande Arménie) au sein de leur empire, mettant fin à l’existence d’un état arménien jusqu’en 1918.

Plus proche de nous, l’événement marquant de l’Eglise arménienne comme de l’Arménie tout entière est constitué par les massacres perpétrés par les Jeunes Turcs à partir de 1915. Les conséquences pour l’Eglise sont triples: tout d’abord une diminution énorme de la population puisqu’on évalue le nombre de victimes de l‘ordre du million, ensuite un exode aux quatre coins du monde et enfin l’exil du catholicos de Cilicie d’abord en Syrie et ensuite au Liban, où il a actuellement son siège.

Organisation

Outre les deux catholicosats évoqués plus haut, l’Eglise apostolique d’Arménie dispose de deux patriarcats, l’un à Jérusalem et l’autre à Constantinople (Istanbul) l’un et l’autre sous la primauté du catholicos d’Etchmiadzine, tout en jouissant de l’indépendance quant à l’organisation de leur Eglise. Si la présence arménienne à Jérusalem est très ancienne puisqu’elle remonte à l’époque byzantine avant la prise de la ville sainte par les Arabes, celle à Constantinople est plus récente et trouve son origine dans le désir du sultan en 1461 d’avoir dans sa capitale un représentant de l’Eglise arménienne puisque cette dernière n’était plus en communion avec le patriarche oeucuménique orthodoxe.

Situation actuelle

De nos jours, l’Eglise d’Arménie jouit du statut d’Eglise nationale en République d’Arménie. Une petite population subsiste à Istanbul et ailleurs en Turquie ainsi qu’en Iran tandis qu’on trouve au Liban une importante communauté réunie autour du catholicosat de Cilicie, aujourd’hui établi en la ville libanaise d’Antelias. Enfin, les massacres de 1915 ont conduit à une migration importante à destination de la France, des Amériques et de l’Australie où leurs descendants sont établis de nos jours.

Relations avec l’Eglise catholique

A l’instar de la déclaration avec les Syriaques, le pape Jean-Paul II et le catholicos Karékine Ier promulguent en 1996 une déclaration où ils soulignent leur foi commune et expriment leur regret pour les controverses et les divisions passées, davantage le fruit de différentes manières d’exprimer la foi que de divergences touchant à la foi elle-même. Tout récemment en mars 2013, Karékine II, Catholicos de Tous les Arméniens, a marqué de sa présence la messe inaugurale du pontificat du pape François à Saint-Pierre de Rome. La visite du pape François aujourd’hui s’inscrit donc elle aussi dans cette démarche de rapprochement.

L’Eglise catholique arménienne

Face à la menace ottomane, un concile tenu à Florence de 1440 avait proclamé une réconciliation théorique des églises latine et orientales, qui était restée lettre morte. Plus tard, dans l’esprit de la Contre-Réforme,  l’Eglise catholique s’attacha à constituer des Eglises de rite oriental mais qui reconnaissent l’autorité spirituelle du pape, et qu’on appelle Eglises uniates ou encore Eglises catholiques orientales,  détachées de leur Eglise d’origine. C’est ainsi qu’en 1738 le pape Benoît XIV érigea formellement une Eglise catholique arménienne bien qu’auparavant de nombreux contacts se fussent noués à titre individuel entre Arméniens et catholiques, en Pologne notamment.  En 1740 Abraham-Pierre I Ardzivian, qui s’était auparavant converti au catholicisme, fut élu au patriarcat de Sis, siège du Catholicosat de la Grande Maison de Cilicie.

A l’instar de l’Eglise apostolique arménienne, l’Eglise arménienne catholique fait usage de la langue arménienne au cours de ses célébrations liturgiques et se réclame de la tradition de saint Grégoire l’Illuminateur, fondateur de la première église nationale au début du IVe siècle.

De nos jours, selon l’annuaire pontifical, on compte quelques 700’000 d’Arméniens catholiques, qui forment d’importantes communautés non seulement au en Arménie et en Orient mais aux Etats-Unis, au Canada, en Argentine et en France. Depuis 2015, l’Eglise est présidée par le catholicos Grégoire Pierre XX Gabroyan.

L’Eglise chaldéenne catholique

Introduction

De temps à autre La Ligne Claire consacre un article à un des églises présentes en Orient. Ces articles se veulent descriptifs et ont vocation à constituer une sorte de Who’s who des Chrétiens d’Orient. La présence du christianisme au Proche et Moyen-Orient est tout à la fois très ancienne et variée et a bien entendu connu d’importantes évolutions au long de deux millénaires. L’article publié le 25 octobre 2015 en guise d’introduction fournira au lecteur la méthodologie adoptée par La Ligne Claire.

L’Eglise d’Orient (rappel)

On se souviendra que L’Eglise d’Orient, établie principalement dans le nord de la Mésopotamie n’avait pu prendre part ni au Concile de Nicée en 325 ni au Concile d’Ephèse en 431, ce qui allait donner lieu au premier schisme de l’histoire de l’Eglise et à l’établissement des Eglises dites nestoriennes. Située principalement sur des territoires de l’empire perse puis mongol, l’Eglise d’Orient poursuit un développement en marge de la chrétienté catholique et orthodoxe, tout en maintenant des ambassades auprès du pape au cours du Haut Moyen-Âge.

All in the family

Au XVe siècle, la dignité patriarcale au sein de l’Eglise d’Orient était devenue héréditaire d’oncle en neveu au sein d’une même famille. En 1552, les évêques, indignés par cette pratique, refusèrent de reconnaître l’autorité du nouveau patriarche et élurent contre son gré un moine, Yohannan Soulaqa, qui se rendit cependant à Rome pour y obtenir l’ordination épiscopale de la part du pape Jules III. Le pape le proclama patriarche de l’Eglise assyrienne orientale sous le nom de Simon VIII Soulaqa, désormais à la tête d’une Eglise en communion avec Rome.

Le retour de Soulaqa en Mésopotamie provoqua de vives tensions avec l’Eglise d’Orient (nestorienne) à telle enseigne qu’il fut assassiné, non sans avoir ordonnée cinq évêques, à l’origine d’une hiérarchie parallèle, dite ligne de Simon. Il s’ensuit une période très trouble qui conduisit la ligne de Simon de rompre la communion avec Rome en 1692 tandis qu’au sein de l’Eglise assyrienne se détachait en 1672 une nouvelle ligne dite ligne joséphite d’Amid qui entra en communion avec Rome et qui en 1830 fusionna avec une troisième ligne dite du patriarcat d’Alqosh. Cette année-là le pape Pie VIII octroya le titre de Patriarche de Babylone et des Chaldéens au chef de l’Eglise fusionnée. On notera à ce propos que si la civilisation chaldéenne est présente dans l’Antiquité, elle ne s’est absolument pas transmise en tant que telle à travers les siècles jusqu’aux Temps Modernes et que l’appellation « chaldéenne » ne fait pas référence à une ethnie particulière. Etablis dans le nord de l’Irak actuel autour de la ville de Mosul, les chaldéens connurent à partir de 1830 une période de tranquillité, à laquelle la Première Guerre Mondiale allait mettre fin.

D’une guerre à l’autre

La région de Mosul faisait alors partie de l’Empire ottoman ; encouragés d’une part par les promesses panarabes des Anglais et soutenus d’autre part par la Russie, ennemie de la Turquie et protectrice déclarée des chrétiens d’Orient, les Assyriens se soulevèrent contre les Turcs. Ceux-ci, conduits par Enver Pasha, Ministre de la Guerre, furent massacrés au cours d’un épisode connu sous ne nom du génocide assyrien et qui fait écho bien entendu au génocide arménien.

De nos jours ce sont bien entendu la Deuxième Guerre d’Irak, la guerre civile en Syrie, et la maîtrise par Daesh d’une frange de territoire qui s’étend à travers le nord de la Syrie et de l’Irak qui dominent la vie des chrétiens d’Assyrie, confrontés au choix de l’exil, de la conversion forcée à l’Islam ou du martyre.

En 1994, la conclusion d’un accord entre l’Eglise catholique, sous l’égide de Jean-Paul II, et du patriarche assyrien (nestorien) contribue grandement à l’apaisement des relations entre chaldéens catholiques et l’Eglise d’Assyrie. Depuis 2013, l’église chaldéenne est présidée par le patriarche Louis Raphaël Ier Sako, défenseur inlassable de la présence chrétienne en Orient et promoteur non moins infatigable du vivre-ensemble avec les Musulmans.

Chrétiens d’Orient: l’Eglise maronite

L’Eglise maronite

Après avoir parcouru les Eglises pré-chalcédoniennes puis les Eglises orthodoxes d’Orient, La Ligne Claire se tourne maintenant vers les Eglises catholiques, de rite latin ou autre. La première de ces vignettes sera consacrée à l’Eglise maronite.

Origines

L’Eglise maronite trace ses origines à saint Jean Maron, qui quitta la ville d’Antioche pour mener une vie d’ermite dans les montagnes de Syrie aux alentours de l’an 400. Persécutés par l’Eglise syriaque d’Antioche qui venait de rejeter les canons du concile de Chalcédoine, les disciples du saint, décédé en 410, se réfugièrent au Liban. Dès cette époque les Maronites nouent des contacts avec la papauté qui leur accorde sa reconnaissance en 518. L’invasion arabe conduit les Maronites à élire le propre patriarche en 687, appelé lui aussi saint Jean Maron, et portant en concurrence avec trois autres dignitaires d’Eglises orientales le titre de Patriarche d’Antioche. Alors que s’ouvre la longue période de domination arabe, de toutes les Eglises orientales, seule la Maronite maintient la communion avec l’évêque de Rome après le schisme de 1054.

Nouveaux contacts avec Rome

Avec l’arrivée des Croisés et l’établissement des royaumes latins du Levant, les Latins et les Maronites renouent des contacts interrompus par quatre siècles de présence arabe et qui voient le pape reconnaître à nouveau le patriarche maronite et le confirmer en sa qualité de Patriarche d’Antioche. La disparation des Etats latins d’Orient fait place à une domination mamelouke puis à partir de 1516 à la suzeraineté ottomane qui établissent au sein de leur empire une principauté du Liban, fondée sur une alliance entre Maronites et Druzes.

Fidèles à la communion catholique, les Maronites fondent un collège à Rome en 1584 à l’inauguration duquel préside le pape Grégoire XIII. Ces liens permettent l’établissement au Liban de communautés religieuses catholiques, les franciscains, les capucins et plus tard les Jésuites et dont l’influence se fait encore sentir à notre époque. Dans le même temps la liturgie maronite subit une profonde révision sous l’impulsion du Concile de Trente (1545-1563) qui voit l’importation de la liturgie latine alors rénovée ; cette latinisation persiste de nos jours encore à telle enseigne que le rite maronite peine à se distinguer du rite latin introduit par Paul VI, bien que le décret conciliaire introduisant le nouveau rite précise en autant de mots qu’il ne s’applique qu’au rite latin et non pas aux autres rites catholiques orientaux.

De nos jours

A l’époque contemporaine, au long patriarcat du cardinal Sfeir, succéda en 2011 Mar Bechara Boutros Rahi, actuel patriarche de l’Eglise maronite, qui accéda à la dignité de cardinal au sein de l’Eglise catholique en 2012 ; comme tous les patriarches de cette Eglise il a adopté le nom de Boutros, à savoir Pierre, en souvenir de la présence de l’apôtre à Antioche, fondateur de ce siège patriarcal. On estime à trois millions le nombre de fidèles de cette Eglise, répartis en vingt-trois diocèses au Liban bien sûre mais aussi en France, en Océanie et en Amérique où émigrèrent grand nombre de Libanais à la fin du XIXe siècle alors que le pays était encore sous domination ottomane.

Chrétiens d’Orient: l’Eglise orthodoxe

L’Eglise orthodoxe en Orient

Par Eglise orthodoxe, il y a lieu d’entendre l’Eglise qui se réclame des sept premiers conciles oeucuméniques, les seuls qu’elle reconnaisse, se démarquant de se fait d’une part de l’Eglise catholique qui en connaît vingt et d’autre part des Eglises non-chalcédoniennes qui s’en sont séparé à l’issue du concile de Chalcédoine en 451.

L’Eglise orthodoxe s’entend elle-même comme l’Eglise des origines qu’elle retrace aux temps apostoliques. Organisée sous une sorte de fédération d’Eglises nationales autonomes quant à leur organisation, elles maintiennent entre elles une forte unité dogmatique. Dès les premiers siècles de l’Eglise quatre villes vont émerger dont l’évêque aura rang de patriarche : Rome, Alexandrie, Jérusalem et Antioche, en raison de la fondation du siège par un apôtre ; à celles-ci viendra s’adjoindre Constantinople, une ville dont le siège ne remonte pas aux temps apostoliques puisque la ville elle-même n’a été fondée qu’au début du IVe siècle. Néanmoins en raison de l’importance que prendra la ville en qualité de capitale de l’empire, elle accédera au rang patriarcal vers l’an 400. Aujourd’hui le patriarche de Constantinople est qualifié de patriarche oeucuménique et jouit d’une primauté d’honneur au sein de la communion orthodoxe qui ne lui confère cependant aucune autorité administrative au sein des autres patriarcats de l’orthodoxie.

De nos jours le centre de gravité de l’orthodoxie s’est déplacé vers les Balkans et surtout vers la Russie, de loin le patriarcat qui compte le plus grand nombre de fidèles. En Orient proprement dit il ne reste plus que quelques milliers de fidèles qui se réclament de l’orthodoxie (grecque). Trois grands phénomènes en sont la cause. Tout d’abord, on l’a vu à plusieurs reprises, sont survenus les schismes qui sont nés du concile de Chalcédoine et qui ont donc donné naissance à diverses Eglises qui se sont retirées de cette communion orthodoxe. En deuxième lieu il convient de mentionner les conquêtes arabe et ottomane qui, bien que tolérantes de la présence chrétienne en leur empire, ont souvent favorisé les Eglises schismatiques au dépens de l’Eglise orthodoxe, soupçonnée d’être une émanation de l’ennemi byzantin. Enfin, il y a eu la chute de l’empire ottoman sur fond de rivalité entre la Grèce et la Turquie et qui a amené la Turquie (en 1923) a expulser la presque totalité des Grecs résidant sur le territoire de la nouvelle République de Turquie. Avec ses expulsions s’éteignit non seulement la présence chrétienne dans la partie du monde qui avait vu la naissance de cette nouvelle religion mais la présence grecque en Asie Mineure, de deux mille ans antérieure à l’arrivée des Turcs ottomans. Ainsi, à la veille de la Première Guerre Mondiale, Constantinople comptait 50% de chrétiens parmi sa population alors qu’il n’en demeure pas plus que 5’000 de nos jours. Pour dire les choses crûment, les Turcs ont massacrés les Arméniens et expulsés les Grecs, les deux foyers de populations chrétiennes en leur sein.

Présence au Proche-Orient

Si le centre de gravité de l’orthodoxie s’est déplacé hors du Proche-Orient, outre Constantinople, trois patriarcats y subsistent qui font partie de la communion orthodoxe : Alexandrie, Antioche et Jérusalem.

Le patriarcat d’Alexandrie doit sa fondation selon la Tradition à l’évangéliste saint Marc. A la suite du concile de Chalcédoine, l’Eglise d’Egypte se scinde en l’Eglise copte majoritaire et l’Eglise grecque-orthodoxe minoritaire, qui demeure en communion avec le patriarche oeucuménique. Après la conquête arabe de l’Egypte au VIIe siècle, les grecs-orthodoxes sont devenus une minorité au sein d’une minorité. Cependant, le développement à partir de 1850 de la ville d’Alexandrie en une grande ville multiculturelle vit l’afflux de nombreux Libanais et Grecs, qui vinrent gonfler les rangs de la petite communauté. La politique d’arabisation menée par Nasser à partir de 1956 sonna le glas de cette expansion. Néanmoins cette Eglise compte quelques 300 mille fidèles de nos jours en Egypte, sous la direction de son patriarche Théodore II.

L’Eglise orthodoxe d’Antioche se considère le successeur de l’Eglise fondée par les apôtres Pierre et Paul, tel que relaté dans les Actes de Apôtres, bien que d’autres églises orientales se prévalent elles aussi de cette succession. Toujours est-il que ce qu’il y a lieu de retenir est qu’au Ier siècle Antioche constitue la plus grande ville hellénisée d’Orient et que c’est là que se développe le christianisme auprès des Juifs de la diaspora comme des Gentils en quête de spiritualité, dans une version qui se démarque du christianisme des Hébreux à Jérusalem. Très tôt cette Eglise se distingue par la stature de son troisième évêque, saint Ignace d’Antioche, mort en martyr vers 110 et auteur de sept lettres rédigées lors de son incarcération à Rome.

Au XIVe siècle, face à la menace ottomane, le patriarcat fut déplacé à Damas, où il a toujours son siège de nos jours. Certaines estimations portent à 1,5 millions le nombre des fidèles de cette Eglise, établis au Liban et en Syrie ainsi qu’ailleurs au Moyen-Orient sous la direction du patriarche Jean X, élu en 2012.

Si l’Eglise orthodoxe de Jérusalem se réclame quant à elle de sa fondation par l’apôtre saint Jacques, la présence juive et chrétienne en Judée se fait très faible à la suite des guerres menées par les empereurs Titus et Hadrien au 1er et au IIe siècles après Jésus-Christ si bien que dès le milieu du Ier siècle le siège épiscopal est occupé non plus par un Juif mais par un Gentil. Avec la prise de Jérusalem par les Arabes en 637 s’ouvre une période de persécution tandis que la prise de la ville par les Croisés francs en 1099, loin d’y mettre fin, contraint le patriarche orthodoxe à se réfugier à Constantinople d’où il ne reviendrait qu’un siècle plus tard.

L’Eglise orthodoxe de Jérusalem compte environ cinq mille fidèles, pour la plupart des Palestiniens tandis que le haut clergé est dominé par les Grecs. Cette situation est source de complications et a valu au Patriarche Théophile III des critiques de la part de la population arabe au motif qu’il se montrerait trop bienveillant à l’égard des Israéliens et de leurs alliés américains.

Le patriarcat a son siège en l’église du Saint- Sépulchre à Jérusalem, érigée sur les lieux présumés du calvaire et du tombeau du Christ.

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Chrétiens d’Orient: l’Eglise apostolique d’Arménie

Légende des origines

Le nom même de cette Eglise témoigne de son ancienneté puisqu’elle fait remonter sa fondation aux apôtres Thaddée et Barthélémy. Selon la tradition ou la légende selon les points de vue, l’apôtre Barthélémy aurait guéri le roi Abgar V en sa capitale d’Edesse (aujourd’hui Sanliurfa dans le sud-est la Turquie), alors capitale du royaume d’Arménie. D’après la légende, le roi, affligé d’une grave maladie, peut-être la lèpre, ayant entendu la renommée des hauts faits pratiqués par Jésus, lui aurait écrit l’invitant à Edesse afin qu’il le guérisse. Jésus lui aurait répondu que non malheureusement son emploi du temps ne lui permettait pas d’entreprendre un voyage si périlleux car il devait se consacrer aux affaires de son Père ajoutant toutefois, que si le roi voulait bien prendre patience, sitôt ressuscité, il dépêcherait auprès de lui deux de ses lieutenants les plus fidèles. Armés d’une image sainte appelée le Mandylion, un tissu sur lequel se serait imprimé la face de Jésus lors de sa passion, les apôtres guérirent le roi, qui les enjoigna ensuite d’évangéliser son royaume où ils moururent en martyrs. Quoiqu’il en soit, cette légende témoigne d’une présence sans doute très ancienne du christianisme en Arménie.

Conversion

L’Arménie connaît un tournant décisif dans son histoire lorsqu’au tout début du IVe siècle, sans doute en l’an 314, un saint local, l’évêque Grégoire l’Illuminateur baptisa et convertit le roi Tiridate IV et toute sa cour faisant de l’Arménie la première nation chrétienne. Echange de bons procédés, le roi nomma Grégoire le premier catholicos (ou patriarche) de la toute jeune Eglise arménienne. Celle-ci se développe en communion avec les autres Eglises chrétiennes, ce dont témoigne la présence de son catholicos aux deux premiers conciles, celui de Nicée en 325 et celui de Constantinople en 381. Si l’Eglise d’Arménie n’est pas représentée au troisième concile à Ephèse en 431, Sahak (ou Isaac) Ier, sixième catholicos, souscrit à ses conclusions.

Schisme

En revanche elle n’est pas présente au concile de Chalcédoine en 451 mais se trouve mêlée aux querelles qui ravagent la chrétienté orientale au sujet des rapports entre l’humanité et la divinité du Christ. Au siècle suivant, l’Eglise d’Arménie se réunira à deux reprises en concile local à Dvin, résidence du catholicos, en 506 d’abord et en 555 ensuite. On fait traditionnellement remonter à cette dernière date la séparation de l’Eglise d’Arménie de l’Eglise orthodoxe impériale bien qu’aucun des actes du concile de Dvin ne mentionne explicitement les canons de Chalcédoine. Toujours est-il que le schisme est consommé et que les Arméniens viennent se joindre aux Syriaques et aux Coptes dans les rangs des miaphysistes. Inversement en 609-610 lors du troisième concile de Dvin, l’Eglise géorgienne, jusqu’alors sous la juridiction de celle d’Arménie, adopte les canons de Chalcédoine et s’en sépare.

La Bible en langue arménienne

L’ensemble des livres du Nouveau Testament et une partie de ceux de l’Ancien avaient été rédigés en grec, par ailleurs langue liturgique en usage dans l’Eglise arménienne. En 405, sous l’impulsion du catholicos Sahak, la Bible est traduite en langue arménienne ; bien plus, comme la langue n’était jusqu’alors qu’orale, un alphabet propre est élaboré afin de pouvoir mener à bien cette traduction. A titre de point de repère, c’est en ces années-là que saint Jérôme traduit la Bible des Septante du grec vers le latin.

Tribulations

Royaume établi aux confins des empires byzantin et arabe, puis turc, l’Arménie voit l’émergence vers la fin du IXe siècle d’une dynastie propre, les Bagratides. Cependant cette indépendance ne sera que de courte durée puisqu’en 1045 les Byzantins reprennent le contrôle de l’Arménie provoquant l’exil d’une part importante de la population vers la Cilicie, un territoire situé le long de la côte sud de la Turquie actuelle. D’un point de vue religieux, l’importance de ses événements réside dans le déplacement du catholicossat en Cilicie, connu depuis lors sous le nom de Catholicossat de la Grande Maison de Cilicie. A la suite de la prise de ce royaume cilicien par les Turcs en 1375, en 1441 Kirakos Virepatsi fut élu catholicos du Saint-Siège d’Etchmiadzine, situé sur le territoire de l’actuelle République d’Arménie ; c’est ainsi que depuis cette date l’Eglise d’Arménie compte deux catholicoi, sachant que celui d’Etchmiadzine, appelé catholicossat de Tous les Arméniens, jouit d’une primauté d’honneur. Vers la même époque les Turcs absorbaient par ailleurs l’Arménie proprement dite (appelée alors Grande Arménie) au sein de leur empire, mettant fin à tout état arménien jusqu’en 1918.
Plus proche de nous, l’événement marquant de l’Eglise arménienne comme de l’Arménie tout entière est constitué par le génocide perpétré par les Jeunes Turcs à partir de 1915. Les conséquences pour l’Eglise sont triples : tout d’abord une diminution énorme de la population puisqu’on évalue le nombre de victimes de l‘ordre du million, ensuite un exode aux quatre coins du monde et enfin l’exil du catholicos de Cilicie d’abord en Syrie et ensuite au Liban, où il a actuellement son siège.

Organisation

Outre les deux catholicossats évoqués plus haut, l’Eglise apostolique d’Arménie dispose de deux patriarcats, l’un à Jérusalem et l’autre à Constantinople (Istanbul) l’un et l’autre sous la primauté du catholicos d’Etchmiadzine, tout en jouissant de l’indépendance quant à l’organisation de leur Eglise. Si la présence arménienne à Jérusalem est très ancienne puisqu’elle remonte à l’époque byzantine avant la prise de la ville sainte par les Arabes, celle à Constantinople est plus récente et trouve son origine dans le désir du sultan en 1461 d’avoir dans sa capitale un représentant de l’Eglise arménienne puisque cette dernière n’était plus en communion avec le patriarche oeucuménique orthodoxe.

Situation actuelle

De nos jours, l’Eglise d’Arménie jouit du statut d’Eglise nationale en République d’Arménie. Une petite population subsiste à Istanbul et ailleurs en Turquie ainsi qu’en Iran tandis qu’on trouve au Liban une importante communauté réunie autour du catholicossat de Cilicie, aujourd’hui établi en la ville libanaise d’Antelias. Enfin, les massacres de 1915 ont conduit à une migration importante à destination de la France, des Amériques et de l’Australie où leurs descendants sont établis de nos jours.

Relations avec l’Eglise catholique

A l’instar de la déclaration avec les Syriaques, le pape Jean-Paul II et le catholicos Karékine Ier promulguent en 1996 une déclaration où ils soulignent leur foi commune et expriment leur regret pour les controverses et les divisions passées, davantage le fruit de différentes manières d’exprimer la foi que de divergences touchant à la foi elle-même. Tout récemment en mars 2013, Karékine II, Catholicos de Tous les Arméniens, a marqué de sa présence la messe inaugurale du pontificat du pape François à Saint-Pierre de Rome.

Chrétiens d’Orient: l’Eglise syriaque orthodoxe

Origines

Le livre des Actes des Apôtres relate la présence des apôtres Pierre et Paul à Antioche, alors une grande ville de l’empire romain, aujourd’hui Antakya en Turquie, et la fondation de la première communauté chrétienne par saint Pierre en l’an 37, soit à peine sept ans après la mort de Jésus. L’auteur des Actes nous dit en autant de mots que c’est là à Antioche que les disciples reçurent pour la première fois le nom de chrétiens, entendu alors comme les partisans du Christ. L’importance de la ville dans le développement du christianisme amena le Concile de Nicée en 325 à accorder à l’évêque de la ville le rang de patriarche aux côtés de ceux de Rome, d’Alexandrie et de Jérusalem, avec le titre de Patriarche d’Antioche et de Tout l’Orient.

Concile de Chalcédoine

De même qu’en Egypte, la doctrine formulée par le Concile de Chalcédoine en 451 quant à la nature du Christ provoqua de vives querelles entre les partisans des décisions conciliaires (les Chalcédoniens) et leurs opposants (les non-Chalcédoniens). En 511, l’empereur (à Constantinople) envoya à Antioche un moine grec, Sévère, y occuper le siège patriarcal demeuré vacant à la suite de ces querelles. A peine nommé, il s’empressa d’échanger des lettres avec le patriarche d’Alexandrie, adversaire comme lui des décisions du concile. Cependant le triomphe de Sévère fut de courte durée puisqu’en 518, à la suite d’un revirement dans la politique impériale sous Justinien, il dut fuir la ville et se réfugia à Alexandrie, l’autre berceau des églises non-chalcédoniennes ou miaphysites et qui subsiste jusqu’à nos jours sous la forme de l’Eglise copte. Connu depuis comme Saint Sévère le Grand d’Antioche, il est considéré comme l’un des principaux fondateurs de l’Eglise syriaque orthodoxe, une église autocéphale sous l’autorité de son propre patriarche.

Si Justinien avait décidé de mettre en œuvre les décrets du Concile de Chalcédoine, son épouse, l’impératrice Théodora, elle, prodiguait son appui à tous ceux qui à Constantinople les rejetaient et encouraient la répression des autorités impériales. Ce parti des non-Chalcédoniens comptait en ses rangs des personnages influents parmi lesquels figurait le Patriarche de Constantinople, qui ordonna évêque titulaire d’Edesse (sans doute en l’an 541) un moine réputé pour son ascétisme, Jacques Baradée. Le nouvel évêque se révéla être un ardent défenseur de la foi miaphysite parcourant sans relâche l’Asie Mineure, la Mésopotamie et jusqu’aux confins de la Perse, confirmant prêtres et évêques, en marge désormais de l’Eglise impériale.

Présence en Inde

Si le cœur historique de l’Eglise syriaque demeure au Proche-Orient, il y a lieu de noter une présence importante en Inde, dans l’Etat actuel du Kerala, où le christianisme aurait été introduit, selon la Tradition, par l’apôtre saint Thomas dès l’an 52 de notre ère. Cette Eglise indienne se développa de manière autonome jusqu’à l’arrivée des Portugais dans le sud de l’Inde vers la fin du XVe siècle, qui tentèrent de la ramener dans la communion catholique romaine. Ces pressions amenèrent l’Eglise indienne à se révolter contre l’autorité portugaise, à faire appel au Patriarche d’Antioche et finalement à intégrer l’Eglise syriaque orthodoxe et à être connue depuis lors sous le nom d’Eglise syro-malankare orthodoxe

A noter qu’il existe une autre Eglise indienne, l’Eglise malankare orthodoxe mais qui, en dépit de la similitude du nom, n’appartient pas à l’Eglise syriaque orthodoxe mais qui est au contraire une Eglise autocéphale quand bien même de même tradition ; présente principalement dans le sud de l’Inde, cette Eglise sort du cadre de cette série, consacrée aux chrétiens d’Orient.

Présence actuelle

Si le patriarche porte toujours le titre de Patriarche d’Alexandrie (un titre revendiqué par d’autres Eglises), le siège de cette Eglise s’est plusieurs fois déplace au fil des événements qui ont marqué l’histoire de la région, lutte contre les Perses, conquête arabe puis ottomane. Aujourd’hui l’Eglise a son siège dans le quartier de Bar Tuma (« la porte de saint Thomas ») dans la vieille ville de Damas.

On estime à environ 1,5 millions le nombre des fidèles de cette Eglise, dont un million vivent en Inde ou appartiennent à la diaspora indienne. Quant aux autres, installés historiquement en Syrie, en Iraq et dans l’Est de la Turquie, leur nombre est difficile à évaluer en raison de la guerre dans cette région du monde.

En 2014 Ignace Ephrem II Karim fut élu 123e Patriarche d’Antioche et de Tout l’Orient à la tête de l’Eglise syriaque orthodoxe.

Questions doctrinales

En 1984 le pape Jean-Paul II et le patriarche syriaque orthodoxe Ignace Zakka Ier ont promulgué une déclaration commune dans le but de mettre fin aux querelles, il est vrai obscures, nées du Concile du Chalcédoine. Cette déclaration réaffirmait une foi commune et reconnaissait que les mésententes et les schismes passés devaient être attribués à des différences culturelles et de divergence dans la formulation, qui ne portaient pas atteinte à la substance de la foi.

Chrétiens d’Orient: les nestoriens

Eglise de l’Orient

Les articles précédents consacrés aux Chrétiens d’Orient ont rappelé dans les grandes lignes les principaux points de l’histoire civile et religieuse de la région, en mettant un accent particulier sur les premiers conciles de l’Eglise, qui s’y sont tous tenu. Ces conciles susciteront des dissidences qui dans certains cas donneront lieu à des schismes ; ce sera le cas des nestoriens dont traite cet article,

Cette église aux origines un peu floues s’établit dans le nord de la Mésopotamie, autour de la ville d’Edesse dans le sud-est de la Turquie actuelle et doit sa fondation, selon la tradition, à la prédication par les apôtres Thomas, Barthélémy et même Pierre au motif que sa Première Epître semble s’adresser à des chrétiens d’Asie. Toujours est-il qu’il s’agit d’une église très ancienne, située aux marges de l’empire romain d’alors. Mais en 252, les Perses sassanides, qui avaient entretemps remplacés les Parthes en tant que puissance dominante en Mésopotamie, défont les Romains à Edesse et font prisonnier l’Empereur Valérien. Dès lors et surtout après que la christianisme ait été d’abord toléré au sein de l’empire romain puis soit devenu religion officielle, les chrétiens d’Edesse seront vus d’un œil méfiant par les Perses qui les soupçonneront toujours de pactiser avec leur ennemi.

Le premier schisme

C’est pourquoi cette Eglise n’avait pu être représentée au concile de Nicée en 325 dont elle ne reçut les canons qu’un siècle plus tard. En 410, elle tint un synode sous l’égide du souverain sassanide à Ctésiphon (à proximité de Bagdad), capitale de ses états, où elle s’organisa en Eglise autocéphale de Perse sous l’autorité autonome d’un catholicos ou patriarche propre. En 431 lorsque se tient le concile d’Ephèse, l’Eglise d’Orient n’est à nouveau pas représentée et se refuse à adhérer à ses conclusions. Bien plus, suite à la condamnation du patriarche Nestor, un certain nombre de ses partisans, désormais appelés nestoriens, rejoignent Edesse et conduisent cette Eglise à se séparer formellement de l’Eglise catholique et orthodoxe. Ce sera le premier schisme de l’histoire du christianisme et la naissance de la première de ces Eglises de chrétiens dit orientaux.

L’Eglise d’Orient, issue pour une bonne part de contingences politiques entre Romains et Perses, affranchie de ses amarres avec l’Eglise impériale, connaîtra alors une période d’expansion d’abord sous les souverains perses sassanides, ensuite sous les califes arabes à partir du VIIe siècle et enfin au XIIIe siècle sous l’Empire mongol. Une présence nestorienne est attestée tant en Inde qu’en Chine dès cette époque. Avec l’effritement de l’empire mongol et l’avènement du conquérant turco-mongol Tamerlan au XIVe siècle, les Eglises nestoriennes disparaissent de l’Asie centrale pour ne subsister que le long de la côte malabare aux Indes et en Mésopotamie, leur région d’origine.

Querelles de famille

Entretemps les Ottomans avaient conquis cette partie du monde tandis que la dignité de catholicos était devenue héréditaire au sein d’une même famille patriarcale. En 1552, les abus liés à ces pratiques de népotisme provoquèrent un schisme au sein de l’Eglise d’Orient tandis qu’un troisième courant émergeait qui favorisait un rapprochement avec l’Eglise catholique à Rome, et qui conduisit à la création d’une Eglise chaldéenne catholique.

L’histoire de ces trois Eglises au cours du XVIIe siècle est trop confuse pour être racontée ici, sachant toutefois qu’en 1830 deux de ces trois courants fusionnèrent pour former l’Eglise chaldéenne catholique telle que nous la connaissons aujourd’hui. Quant à l’Eglise assyrienne (nestorienne) subsistante, elle connut un nouveau schisme en 1898 lorsqu’un évêque iranien et ses partisans rejoignirent l’Eglise orthodoxe russe, et à nouveau en 1964 lorsque les traditionalistes en son sein formèrent l’Ancienne Eglise de l’Orient.

De nos jours donc on connaît trois Eglises assyriennes, l’Eglise assyrienne de l’Orient, de tradition nestorienne donc, qui compte environ 170’000 fidèles en Iran, Iraq et Syrie mais dont le patriarche vit en exil à Chicago, l’Ancienne Eglise de l’Orient, nestorienne elle aussi et enfin l’Eglise chaldéenne catholique, en communion avec Rome.

If it sounds complicated, it’s because it is.