Princesse Lilian

Séduisante, intelligente et dangereuse: la Princesse Lilian

Séduisante, intelligente et dangereuse ; voilà la Princesse Lilian décrite sous la plume d’un collaborateur de son beau-frère, le Prince Charles de Belgique, alors Régent.

Réputée la plus belle femme de son temps, Lilian Baels, deuxième épouse du Roi des Belges Léopold III à la suite de leur mariage religieux, alors tenu secret, le 11 septembre 1941, déclenchera les passions les plus vives. Louée par ses partisans en raison de sa culture, de son charme et de son intelligence, ses ennemis la tiennent au contraire pour une colérique, une intrigante et une ambitieuse qu’ils comparent volontiers à la belle-mère dans le conte de Blanche-Neige.

Une nouvelle biographie, due à la plume de l’historien belge Olivier Defrance, vient jeter un éclairage neuf sur la vie de cette femme fascinante ; Defrance s’appuie pour la première fois sur des entretiens avec la Princesse et son entourage comme sur des archives inédites fournies en particulier par la Princesse Esméralda, fille cadette de Léopold et de Lilian.

Années viennoises

Defrance nous éclaire sur l’enfance et la jeunesse de celle qui n’est alors que Mlle Baels. En séjour à Vienne dans les années 30 elle noue des amitiés au sein de la haute aristocratie austro-hongroise d’où émergent les noms du Prince Fritzi Windisch-Graetz et surtout celui du Comte Peter Draskovich, à qui elle sera fiancée. Héritier d’un majorat en Hongrie, Draskovich doit se soumettre à la loi qui lui impose d’épouser une femme issue de la noblesse ; tant son père le Comte Ivan qu’Henri Baels, père de Lilian, s’opposent à cette union qui en définitive ne se fera pas. Lilian gardera des attaches durables avec la noblesse de la Mitteleuropa, pas toujours à bon escient.

La Question Royale

Si la Question Royale trouve son origine dans la décision du Roi de capituler le 28 mai 1940 contre l’avis du gouvernement, le mariage de Lilian et de Léopold constituera son point d’inflexion. Prisonnier des Allemands, Léopold fait l’objet d’une vénération au sein de l’ensemble de la population ; mais dès le jour de son mariage, il devient clair que le Roi n’est plus un prisonnier comme les autres. Et si Lilian fait l’objet d’attaques si violentes sous la Question Royale, c’est aussi parce que, pour la première fois dans l’histoire de la Belgique, l’épouse du Roi se mêle des rapports que le souverain entretien avec ses ministres. Au sein de la population, Lilian brise le miroir dans lequel les Belges contemplaient le souvenir d’Astrid, la reine venue des neiges.

A Prégny, près de Genève, où la famille royale vit en exil de 1945 à 1950, Léopold et Lilian mènent grand train. L’Europe d’après guerre n’est guère à court de princes déchus qui se retrouvent volontiers sur les terrains de golf de Gstaad ; Lilian y fait la connaissance de la reine d’Espagne, veuve du roi Alphonse XIII, de la duchesse de Vendôme, de sa belle-sœur Marie-José, éphémère reine d’Italie ou encore du Duc de Bragance, chef de la Maison de Portugal.

Histoires de famille

« Familles, je vous hais » écrivait Gide. Effectivement Defrance nous plonge au cœur des rapports qu’entretiennent entre eux les membres de la famille royale belge. Léopold et Lilian d’abord. Dès l’été 1941, il est clair qu’ils sont très épris l’un de l’autre ; Léopold lui envoie des billets enflammés : « Ma petite Lili adorée, je ne te quitte pas un instant en pensée. Sens-le, sens mon amour immense dans ton cœur ». Léopold et son frère Charles ensuite, qui assume la Régence pendant les années d’exil. Ils se détestent et mourront l’un et l’autre en 1983 sans s’être jamais réconciliés. La Reine Elisabeth, mère du Roi. Réputée non conformiste, elle souhaite pour son fils veuf le réconfort d’une présence féminine mais s’oppose avec vigueur à un mariage civil, qui sera pourtant célébré le 6 décembre 1941 alors que Lilian est enceinte. Lilian et les enfants royaux, Baudouin en particulier. Lorsqu’elle se marie, Lilian assure auprès des enfants du premier lit du Roi le rôle d’une mère, y compris dans les circonstances dramatiques de la déportation vers la sinistre forteresse de Hirchstein en Saxe et au long des années d’exil en Suisse. Tant Albert que Baudouin l’appelleront « Mumy » pendant cette période-là. Mais au lendemain du mariage du Roi Baudouin avec Fabiola en décembre 1960, tout change, c’est la rupture entre le Palais royal de Laeken et Argenteuil, la gentilhommière où Léopold et Lilian se sont établis. A quoi est due cette rupture ? A cette histoire de meubles, tirés à hue et a dia entre les deux maisons? C’est possible. Ou encore à la liaison que Léopold entretenait en ces années-là et qui aurait conduit Lilian au bord du divorce, ce que la nouvelle Reine Fabiola ne pouvait tolérer ? Defrance le suggère et il appartiendra à un historien futur de déterminer son rôle éventuel dans cette affaire. Toujours est-il que la brouille est définitive et que Léopold et Lilian vivront désormais sans entretenir de contacts avec le reste de la famille royale. Quant à eux deux, il finiront par se réconcilier dès lors que Léopold s’était assagi avec l’âge.

Argenteuil, carrefour du monde

Au cours de la dernière phase de sa vie, la Princesse érigea le manoir d’Argenteuil en un carrefour de premier plan de la vie mondaine, artistique et scientifique ; têtes couronnées y côtoient des personnalités du monde politique ; on y voit Valéry Giscard d’Estaing et Paul Vanden Boeynants, ancien premier ministre belge, la Reine d’Angleterre et Eddy Merckx. Reconnue à juste titre pour son engagement en faveur de la recherche dans le domaine médical, Lilian crée une Fondation cardiologique à son nom, pour laquelle elle sera admise au Royal College of Physicians de Londres et recevra le prestigieux prix Giovanni Lorenzini.

Plus de septante ans après la guerre, Defrance livre un portait clair, rigoureux et nuancé d’une femme à la destinée inhabituelle et qui ne laissait personne indifférent.

Feu Jean Stengers, le grand historien belge, à qui on demandait s’il n’avait jamais rendu visite à la Princesse, répondit « Non, j’aurais trop peur de tomber sous son charme ».

Olivier Defrance, Lilian et le Roi, Racine 336 p.