L'empreinte

L’Empreinte

Dès la première ligne on songe à De Sang Froid et effectivement le prologue de l’Empreinte s’ouvre sur une citation du livre de Capote, créateur d’un nouveau genre littéraire baptisé en anglais non-fiction novel.

Alors étudiante en droit, Alexandria Marzano-Lesnevich effectue un stage en 2003 auprès d’un cabinet d’avocats pénalistes à la Nouvelle-Orléans ; dans ce cadre elle tombe sur le dossier de Ricky Langley, un pédophile coupable du meurtre du petit Jeremy Guillory, et condamné à mort en première instance. Si la jeune femme étudie le droit, c’est qu’elle a la ferme conviction que le rôle de la justice est d’établir les faits et, une fois les faits établis, de prononcer un verdict simple et clair : « Coupable ou non non-coupable, Votre Honneur ». Cette conviction se heurtera puis s’écroulera face à la complexité de la personne humaine, celle du meurtrier, celle de l’auteur et celle de tous ceux à l’âme estropiée qui liront ce livre.

Deux récits croisent leurs fils dans ce roman d’investigation, celui de la vie de Langley et celui de la vie de Marzano-Lesnevich. Langley naît dans des circonstances bouleversantes au sein d’une famille pauvre de Louisiane sur laquelle s’est abattue toute la misère du monde, l’alcool, les abus, la violence, la précarité, la prison et enfin la mort ; une vie sans espoir, sans même l’espoir de l’espoir. Marzano-Lesnevich quant à elle grandit dans une famille bourgeoise dont l’apparence lisse peine à marquer un terrible secret.

Au-delà du meurtrier, Marzano-Lesnevich va découvrir dans la vie de Langley des fils qui croisent la sienne : un enfant mort en bas âge, les abus sexuels qui se répètent, ces sombres secrets que les enfants ne connaissent pas mais qu’ils sentent néanmoins dans cette prison du silence.

Le titre anglais, The Fact of a Body, confère à ce livre un poids, une gravité, un enracinement dans la glaise de la chair humaine, qui perdent une part de leur intensité dans la traduction française, L’Empreinte. Car si Langley est coupable, il a du reste avoué le crime, il n’en demeure pas moins une personne qui n’est pas réductible au seul auteur des faits.

Marzano-Lesnevich aborde dans ces cas particuliers, celui de Langley et le sien, des thèmes graves et universels, Eros et Thanatos, la frontière trouble de la santé mentale, l’appartenance au sein d’une famille et la nécessaire quête d’une généalogie, ces blessures de famille dont on hérite avec le nom et enfin la possibilité du pardon. Rien n’est simple dans les familles et rien n’est plus difficile que de dévoiler, pas même de dénoncer, quelque crime, car il se trouvera toujours une personne que cela pourrait heurter.

Marzano-Lesnevich a mis un terme à sa carrière d’avocate et enseigne aujourd’hui l’écriture. La justice, estime-t-elle, se voit contrainte de choisir une histoire parmi toutes les histoires possible puis, ce choix effectué, de lui apporter toute la force de la sanction de la loi. Seule la littérature permet à l’auteur d’échapper à cette vérité contrainte et de croiser les destins des protagonistes selon un ordonnancement qui ne tient pas de la chronologie mais de la quête de sens.

Rédigé d’une plume délicate, à la fois froide et touchante, L’Empreinte se révèle un livre grave et émouvant. A la fin l’auteur se rend sur la tombe de son grand-père abuseur, le lieu, le seul, où le corps du titre rejoint la glaise, car, pour accepter le passé, il faut d’abord s’y confronter, puis le transformer en souvenir en vue d’accéder à l’espérance. C’est tout le sens de ce livre remarquable.

 

Alexandria Marzano-Lesnevich, L’Empreinte, traduit de l’anglais (américain), Editions Sonatine