Blake et Mortimer: le Testament de William S.

C’est décembre et nous sommes une année paire, c’est donc que nous attendons la parution d’un nouvel album de Blake et Mortimer. Effectivement, La Ligne Claire s’est procuré le plaisir de lire, avec un mois de retard, le Testament de William S., le nouvel album de la série. Dû aux talents d’Yves Sente et d’André Juillard, sans doute la meilleure paire à reprendre l’œuvre de Jacobs, l’album s’inscrit résolument dans la ligne des précédents, où il s’agit pour les héros de résoudre une énigme. Le Secret de l’Espadon, le Mystère de la Grande Pyramide, l’Enigme de l’Atlantide, autant de titres de l’œuvre originale de Jacobs qui renvoient à la résolution d’une énigme.

Le choix du genre contraint les auteurs, quels qu’ils soient, à situer leur aventure grosso modo entre la fin de la guerre et le début des années soixante ; avec le Testament de William S., l’action se déroule en 1958. Mais pour échapper à une chronologie qui coince les scénaristes contemporains de la série, Yves Sente fait appel à un mécanisme plusieurs fois utilisé par Jacobs lui-même et qui consiste à renvoyer une partie de l’histoire, voire les héros eux-mêmes, dans le passé. Le passé ici c’est le début du XVIIe siècle, l’époque où sont écrites les grandes pièces attribuées à Shakespeare. Mais en est-il vraiment l’auteur ? Sente reprend ici une technique romanesque éprouvée, celle de la recherche d’une identité cachée, le comte de Monte-Cristo, mettons. A cela s’ajoute celle de la course contre la montre, il faut être à tel endroit à telle heure, et qui fournit par exemple le ressort du roman de Jules Verne, le Tour du Monde en Quatre-Vingt Jours ; enfin on retrouve les techniques mises en œuvre dans tous les romans dont l’objet est une chasse au trésor, à savoir la découverte d’un ou de plusieurs indices qui doivent mener à l’objet à découvrir. Dan Brown ne fait pas autre chose.

Tout cela fait du Testament de William S. un album de facture classique, mais dont la lecture n’est pas toujours aisée ; aussi les auteurs se voient-ils contraints de voler à la rescousse de leurs lecteurs et de leur fournir aux deux dernières pages les explications nécessaires à la bonne compréhension de l’ensemble de l’album.

Blake et Mortimer évoluent dans un univers et à une époque où les formalités sont de mise et où même Olrik, le gangster, ne manque pas de distinction. C’est pourquoi, La Ligne Claire déplore les nombreuses entorses à l’étiquette qu’on peut y relever. Carlson, le maître d’hôtel de Downton Abbey, n’aurait jamais été pris en défaut d’appeler « Sir » un comte, le comte d’Oxford, le méchant de l’histoire. « Sir » est un titre réservé aux chevaliers ou aux baronnets ; il convient de s’adresser à un comte en lui disant « Mylord » si on est de rang inférieur, ce que fait Carlson dans la série, ou bien Lord Oxford dans le cas contraire. Bien plus, on voit Lord Oxford faire un baise-main à Mrs Summertown à la page 7. La Ligne Claire peut témoigner d’expérience que les dames anglaises, lorsqu’elles se retrouvent à l’étranger, ne sont pas insensibles à cette marque de respect et de galanterie que constitue le baise-main, mais il n’en demeure pas moins que cet usage est inconnu en Angleterre. Enfin, le comte s’adresse à Mrs Summertown en lui disant « How do you do ? » sachant que cette expression ne s’utilise que lorsqu’on rencontre une personne pour la première fois, alors qu’ils se connaissent déjà. La formule correcte aurait été « How are you, Mrs Summertown ? » ou tout simplement « Good evening, Mrs Summertown ».

La Ligne Claire avait déjà surpris les auteurs in flagrante dans un épisode précédent, ce qui les avait conduit à revoir leur copie. C’est regrettable car l’exactitude des détails dans l’œuvre de Jacobs est précisément ce qui permet à la fiction de paraître vraisemblable.