San Pietro in Vigneto

Via di San Francesco

Il est des chemins de pèlerinage en Europe qui se glissent dans le temps long façonné par l’histoire tout autant que par la géographie, immuable ; les chemins de Compostelle et la Via Francigena sont de ceux-là. D’autres, plus récents, constituent ce que La Ligne Claire appelle des chemins thématiques, souvent articulés autour de la vie d’un saint, saint Martin de Tours ou encore Saint François d’Assise. La Via di San Francesco qui serpente de Florence à Rome en épousant les flancs de l’Apennin relève de cette seconde catégorie ; à vrai dire, saint François n’a que faire avec Florence si bien que le chemin qui lui est voué ne démarre véritablement qu’à La Verna, le lieu de la vision séraphique et du don des stigmates. Gubbio, Cortona, les abords du lac Trasimène et Assise bien sûr constituent autant de lieux qui à huit cents ans de distance demeurent imprégnés du passage du Poverello.

L’élection d’un pape qui pour la première fois a adopté François en qualité de nom de règne est venue redonner vigueur à cette Via di San Francesco. Aux pèlerins habituels venus d’au-delà des Alpes se joignent désormais non seulement les Italiens, mais aussi les pèlerins du bout du monde, d’Argentine et d’Uruguay, qui viennent à la suite du pape mettre leurs pas dans ceux du saint mais aussi, pour beaucoup, retrouver le village d’où leur aïeul avait émigré sur un vapeur il y a quatre générations.

Le pèlerin n’est jamais seul, il n’est jamais premier, bien plus il part toujours dernier là où d’autres ont marché avant lui. Sanglé, il porte le fardeau des ans sur ses épaules, tel Mendoza dans le film Mission ; ce fardeau, c’est l’homme ancien qui doit mourir afin que puisse naître l’homme nouveau, non sans douleurs aux pieds et raideurs aux épaules. L’enfantement est à ce prix.

A mi-chemin entre Gubbio et Assise se dresse dans le paysage sublime des collines de l’Ombrie l’Eremo San Pietro al Vigneto, l’ermitage de saint Pierre au Vignoble ; ancien prieuré bénédictin, il arbore dans la salle qui jadis avait fait office de chapelle de belles fresques du XVe siècle ; au siècle dernier, un prêtre dont une plaque commémore le souvenir, a rendu à ce lieu sa vocation d’accueil des  pèlerins.

 

 

Ce jour-là il revient à Luigi, hospitalier de la Confrérie de Saint-Jacques, d’assurer l’accueil. « Comment t’appelles-tu ? D’où es-tu parti ? Tu veux une tasse de café ? Tiens, voilà le cachet pour ta credenziale ». « Ecoutez-moi bien, ragazzi, à 18h45 nous nous retrouverons pour la cérémonie d’accueil et ensuite nous dînerons ».

A 18h45 on se retrouve dans l’ancienne chapelle sous le regard sévère mais bienveillant des saints peints al fresco et qui n’ont rien perdu de leur fraîcheur. Luigi revêt une mozette frappée de deux coquilles Saint-Jacques, prononce quelques mots de bienvenue, nous invite à le joindre dans la prière du Notre-Père puis nous enjoint de nous déchausser. Il y avait justement douze pèlerins à San Pietro ce soir-là. « Comment t’appelles-tu ? » « Domenico » « Domenico, au nom du Christ et de Saint François, je t’accueille en cet ermitage » dit Luigi avant de verser de l’eau sur le pied et de le baiser. Luigi, cet homme jovial, ancien steward chez Alitalia, effectue un geste tout autant ordinaire qu’extraordinaire dont tous, ceux qui croient au Ciel et ceux qui n’y croient pas, reconnaissent la portée. Il insuffle un sens à tous ceux qui se sont mis en marche et constitue pour un soir une intense communauté fraternelle.

« Et maintenant à table ». Dans la salle qui sert tout à la fois de cuisine et de réfectoire, d’immenses casseroles brûlent sur des becs de gaz. Bientôt, l’antipasto est prêt : du saucisson de Gubbio parfumé aux truffes, de la ricotta, des poivrons, une tourte aux épinards découpés en dés tandis que le vin rouge coule à flots. Aux quelques mots de bienvenue de Luigi répond le benedicite d’un groupe de pèlerins originaires de Brescia, qui reprennent a capella le cantique de Saint François. La pasta, servie dans un immense plat de 50 cm de diamètre, fait office de multiplication des pains en ce sens qu’il y en a pour tous et qu’il en reste encore en surabondance. On est en Italie, où tout est si simple et si savoureux, où le repas du soir réunit douze inconnus et leur hôte, Luigi, qui leur verse de surcroît un vin santo.

Il n’y a pas de pèlerinage sans une certaine forme de dépouillement et seul se dépouillement permet d’accueillir la générosité partagée de Luigi et de tous ceux qui s’associent à ce pèlerinage de près ou de loin, d’une manière ou d’une autre.

Le lendemain, après l’orage de la nuit, tous se mettent en marche de bonne heure en vue de gagner Assise dans l’air clair et vif, où ils rejoignent dans la ville, à la basilique, à la messe, une grande foule inspirée par un homme du XIIIe siècle en raison du témoignage qu’ils nous a laissé.

Le Panthéon à Rome

Victor et victoire au Panthéon

Le retour il y a huit jours de la dépouille mortelle de l’ancien roi d’Italie Victor Emmanuel III (1900-1946) et de celle de son épouse la reine Elena, a suscité en Italie un double débat. Fallait-il faire revenir ces restes mortels et, si oui, les inhumer au Panthéon à Rome ou dans la basilique de Vicoforte en Piémont, un sanctuaire édifié au XVIe siècle par le duc de Savoie ?

La figure de Victor-Emmanuel III demeure associée à des événements majeurs de l’histoire d’Italie, la campagne de Libye (1911), la guerre envers l’Autriche (1915-1918) et par-dessus tout les longues années du fascisme (1922-1943). D’autres que La Ligne Claire auront dressé le bilan du régime fasciste, de la construction des autoroutes à la promulgation des lois raciales. On n’oubliera pas non plus l’occupation par la Regia Aeronautica, la Force Aérienne Royale justement, y compris par le Tenente Mussolini, neveu de son oncle, dès juillet 1940 de la propriété des grands-parents de la Ligne Claire alors qu’aucun état de guerre n’existe alors entre la Belgique et l’Italie.

La Ligne Claire est d’avis qu’il revient à chaque pays d’assumer sa propre histoire sans vaine gloire ni zones laissées dans l’ombre ; après tout, sur l’esplanade du Foro Italico à Rome se dresse un obélisque gravé du nom de Mussolini. A cette aune, La Ligne Claire s’exprime en faveur du rapatriement des corps royaux.

Quant au Panthéon, on ne saurait taire l’importance majeure qu’a revêtue ce monument dans l’histoire de l’architecture en Europe et au-delà : les coupoles de Brunelleschi et de Michel-Ange, celle du Capitole à Washington ou de Saint Paul à Londres puisent leur inspiration dans celle du Panthéon, plus grande coupole de l’Antiquité, érigée au 1er siècle avant notre ère. Par ailleurs, si le Panthéon abrite les tombes d’hommes illustres, parmi lesquelles on compte celle de Raphaël et de deux rois d’Italie, la courte durée du royaume d’Italie (1860-1946) n’en fait pas le Saint-Denis ou la Kapuzinergruft de la Maison de Savoie.

Certes, la signature en 1929 des accords du Latran a consacré l’apaisement des relations entre l’Italie et la Saint-Siège. Pourtant le Panthéon demeure une église, Sainte-Marie aux Martyrs; de nos jours encore, dans les salons de la noblesse noire, on y entend murmurer qu’à Rome il ne saurait y avoir deux souverains, le roi et le pape, et qu’avec l’abolition de la monarchie en 1946, le pape l’a emporté. Ce fut donc Vicoforte.