Blues de Prusse

Le fantôme de Hitler hante la Maison de Hohenzollern

En 1994, le Bundestag, adoptait une loi dont seule la langue allemande connaît le secret, la Ausgleichsleistungsgesetz (loi de compensation), qui règle les conditions auxquelles les demandeurs peuvent prétendre à des compensations pour les expropriations effectuées par les Alliés à l’issue de la Deuxième Guerre Mondiale. En effet, après la capitulation en 1945, l’Allemagne avait été dépourvue de sa souveraineté qu’exerçaient en son nom les quatre puissances occupantes. Chef de la maison impériale de Hohenzollern descendant à la quatrième génération de l’empereur Guillaume II, le Prince Georg Friedrich de Prusse a alors instruit ses avocats sur base de cette loi de mener des négociations secrètes avec les Länder de Berlin et de Brandebourg en vue d’obtenir la restitution d’une importante collection de biens meubles ainsi que le droit de jouir à perpétuité du Cäcilienhof, le château où s’était tenue la conférence de Potsdam en 1945, au cours de laquelle les Alliés avait justement réglé le sort réservé à l’Allemagne vaincue.

En juillet 2019 le magazine Der Spiegel révèle au grand jour l’existence de ces négociations et déclenche en Allemagne une controverse publique quant à leur bienfondé. Car la Ausgleichsleistungsgesetz interdit la restitution de biens à ceux dont les ancêtres ont apporté une contribution substantielle (le terme juridique en allemand est erheblicher Vorschub) à l’établissement du nazisme. Or dès 1932 le Kronprinz, arrière-grand-père du Prince Georg, appelle à voter pour Hitler tandis qu’il parade en uniforme de la SA, le bras bandé d’un brassard nazi. Tout cela constitue-t-il un erheblicher Vorschub ? Oui, répond Stefan Malinovski, auteur de Nazis and Nobles, non rétorque Christopher Clark, l’auteur des Somnambules, qui tient le Kronprinz pour un personnage insignifiant.

Loin de s’en tenir là, aux demandes de restitution le Prince Georg a empilé des poursuites à l’encontre de journalistes et d’historiens, parmi lesquels Stefan Malinovski, depuis lors abandonnées. Si toutes ces questions ont ressurgi ces jours derniers en Allemagne, c’est parce que le Prince Georg a récemment déclaré renoncer à ses prétentions. La Ligne Claire n’est pas en mesure d’apprécier ce qu’auraient été ses chances au tribunal mais juge que cette décision permet désormais de séparer la critique historique quant à l’appui prodigué à Hitler par les Hohenzollern, des prétentions personnelles de Herr Georg Friedrich Prinz von Preußen, tel qu’il figure à l’état civil en Allemagne.

Lorsque Der Spiegel dévoile cette affaire, elle suscite l’indignation à telle enseigne que le Prince Georg, jusque-là inconnu du public, réussit le triple exploit de se mettre à dos à la fois la classe politique, le monde des médias et les milieux académiques. La Ligne Claire estime qu’il n’y a jamais de solution simple ni parfaitement juste à la question des réparations et des restitutions, qui souvent font suite à des guerres et des changements politiques importants. Précisément pour cette raison l’attitude des personnes concernées devient déterminante. Il était donc effectivement temps de mettre un terme à cette erreur de jugement sur le plan des relations publiques.