Cardinal Galen

Un évêque contre Hitler

Voilà un livre important qui vient éclairer un épisode de l’histoire d’Allemagne peu connu du public francophone. Clemens-August Graf von Galen naît en 1878 au sein d’une famille catholique de la noblesse de Westphalie, une région incorporée au Royaume de Prusse protestant depuis le Traité de Vienne de 1815. Si les Galen et les familles alliées sont les témoins d’un vigoureux catholicisme culturel, marqué par les processions et les adorations, celui-ci repose sur une foi solide et véritable. C’est dans ce milieu conservateur, pétri de tradition mais aussi nourri du sentiment d’obligation de la noblesse envers la société, que grandit Clemens-August, qui ressent bientôt l’appel des ordres, sera ordonné prêtre en 1904 et évêque de sa ville de Munster en 1933. En 1946, à l’issue de la guerre, Pie XII lui conférera le chapeau cardinalice.

L’auteur, Jérôme Fehrenbach, haut fonctionnaire français, connaît de manière intime tant le milieu de l’aristocratie catholique allemande que l’histoire allemande des périodes wilhelminiennes et hitlériennes. Si à première vue ce livre s’adresse à un public restreint qui s’intéresse à la fois à l’Allemagne, l’histoire, la noblesse et l’Eglise catholique (La Ligne Claire par exemple), en réalité le véritable sujet du livre est d’une part celui des rapports de l’Eglise catholique au régime nazi et les droits de l’Eglise et d’autre part de la relation entre loi morale et loi civile.

Un homme de son temps

Allemand patriote, Clemens-August Galen tiendra le Traité de Versailles pour injuste comme l’ensemble de ses compatriotes et se réjouira de la remilitarisation de la Rhénanie en 1936 au titre de la souveraineté retrouvée ; même en 1945 il considérera les Alliés comme des occupants plutôt que des libérateurs. A son avènement, il ne juge pas le régime nazi illégitime en tant que tel mais, très clairvoyant, il en reconnaîtra très vite la nature impie et apprendra à ne pas l’affronter de face sur le terrain politique.

Galen avait grandi dans l’Allemagne empreinte du Kulturkampf, un train de mesures dirigé contre les catholiques au temps de Bismarck et qui avait conduit à l’expulsion des congrégations religieuses ; c’est pourquoi le jeune Clemens-August avait effectué ses études auprès du collège jésuite de Feldkirch en Autriche. Les Nazis ne seront pas en reste et procéderont à l’expulsion de religieux par la Gestapo, à la fermeture des presses catholiques et à l’emprisonnement de milliers de prêtres qui après 1939 seront regroupés dans les Priesterbarracken à Dachau.

C’est dans ce contexte qu’il est donc associé à la rédaction clandestine de Mit brennender Sorge en 1937, la seule encyclique jamais rédigée en langue allemande, dans laquelle Pie XI non seulement dénonce les violations du concordat signé quatre ans auparavant mais s’en prend à l’idéologie raciste du nazisme païen. Diffusée avec succès sous le manteau, elle sera lue en chaire dans toutes les églises le dimanche des Rameaux de cette année-là et provoquera la fureur des Nazis.

L’histoire cependant retiendra surtout de Galen trois sermons prononcés à l’été 1941, deux à l’encontre du Klostersturm, cette vague d’expulsions de congrégations religieuses par la Gestapo sans aucun fondement juridique, et le troisième dénonçant de manière vigoureuse la politique d’extermination des handicapés dans le cadre du programme T4, à telle enseigne que le régime jugea bon d’y mettre un point d’arrêt. Ces sermons se répandront dans toute l’Allemagne et même bientôt chez l’ennemi qui en fera usage à des fins de propagande. Homme courageux, surnommé le Lion de Munster, ferme dans ses convictions, il prend des risques importants quant à sa personne, que seuls son prestige et sa renommée lui épargnent.

Deux convictions motivent Galen. Tout d’abord il se révèlera un défenseur acharné des droits de l’Eglise, le droit de culte bien sûr mais le droit à enseigner et à soigner les malades et les personnes âgées, d’autant que ces droits sont ancrés dans le concordat. La seconde conviction est que l’Etat ne peut s’abstraire de la loi naturelle. Le régime nazi devient illégitime dès lors qu’il se met à tuer les handicapés dans le cadre de son programme d’euthanasie car ces meurtres nient la loi naturelle voulue par Dieu, cette part de divin qui réside en chaque homme. Toute sa vie, Galen demeurera méfiant face à l’absolutisme royal du Kaiser, critique ensuite face à celui de la majorité d’un moment lors de la République de Weimar et opposé enfin à celui d’Hitler. S’il s’en tient au principe d’obéissance aux autorités civiles au titre du quatrième commandement, ce dont témoigne le serment qu’il prête dans les mains de Göring peu avant son ordination épiscopale, il ne reconnaît l’autorité du pouvoir politique que pour lui imposer fermement ses limites.

Un homme de notre temps

Galen était certes un homme de son temps mais aussi un homme dont la philosophie politique, la primauté du droit naturel sur les lois de l’Etat, demeure d’une brûlante actualité. Alors comme aujourd’hui, il est des institutions que l’Etat a le devoir de protéger, des actions qu’il n’est pas autorisé à entreprendre, des droits à respecter. Plus que tout, Galen nous rappelle que l’Etat, quelle que soit la nature de son régime politique, ne peut pas s’affranchir de toute autorité et s’ériger en sa propre référence morale.

En 2005, en une cérémonie célébrée place Saint-Pierre, le pape Benoît XVI proclamait Galen bienheureux, certes en raison de son attitude ferme et même courageuse pendant toute la période du nazisme, mais par delà en reconnaissance d’une vie sans détours orientée vers le Ciel de la naissance à la mort. Cette béatification s’inscrit aussi dans la ligne des nombreux martyrs catholiques du nazisme qu’évoque l’auteur.

L’ouvrage de Fehrenbach se fonde sur une étude aussi minutieuse que rigoureuse des archives et de la correspondance familiale comme sur la recherche historique la plus récente. Il en ressort le portait limpide de ce géant au propre comme au figuré, Le Lion de Munster.

Jérôme Fehrenbach, Von Galen, un évêque contre Hitler, Editions du Cerf, 418 pages

Le 9 novembre, le poids de l’histoire allemande

On célèbre ce lundi 3 octobre la fête nationale allemande, der Tag der Deutschen Einheit, qui commémore la réunification des deux Allemagne scellée par traité en 1990.

S’il s’agit certes d’un geste important, il prend la forme d’une cérémonie où des messieurs en costume sombre sortent leur stylo et où l’une des parties, la RDA, signe son suicide officiel. On est loin de la valeur symbolique que confère le panache d’une prise de la Bastille. La chute du Mur le 9 novembre 1989, ça c’est du panache! Mais voilà, le Mur tombe le jour où tout se bouscule dans l’histoire d’Allemagne.

Car le 9 novembre est une date au poids trop lourd: en 1918, le Kaiser abdique, en 1923 Hitler effectue sa tentative de putsch à Munich tandis qu’en 1938, dans la nuit du 9 au 10 se déroule la Nuit de Cristal, le premier pogrom d’envergure fomenté par les Nazis contre les Juifs. Les casques à pointe, les médailles du Kaiser, les barriques de bière et les barricades renversées et puis les bris de la vitrine de la boucherie kasher, tout cela pèse tant et tant encore que même les débris du Mur de Berlin, la poussière retombée, ne feront pas suffisamment contrepoids.

Ce sera donc le 3 octobre et non le 9 novembre.