Le Père Prodigue

Le Père Prodigue

Si le Nouveau Testament s’ouvre sur la table des aïeuls de Jésus, c’est certes parce que saint Matthieu a à cœur de l’inscrire dans la filiation du roi David mais aussi parce que l’insertion dans une lignée, loin d’être un hobby réservé aux généalogistes, relève d’une soif universelle (catholique) inscrite dans le cœur de tout homme.

Dans le Père Prodigue, André Querton lie, comme on lie la pâte, deux épisodes tirés des Evangiles, l’histoire du jeune homme riche et la parabole du fils prodigue, et imagine que c’est ce jeune homme qui deviendra le père bienveillant de la parabole. Ce faisant il lui accorde trente ou quarante ans de vie au cours de laquelle tout d’abord il se mariera et aura une descendance et ensuite saura faire fructifier son patrimoine, en jouir sans en être l’esclave, en faire bénéficier autrui et le transmettre à ses fils, à chacun à sa manière. Au fond, cette vie est le temps qu’il aura fallu pour que la parole que le Christ lui avait adressée, « Vends tes biens et suis-moi », porte son fruit.

Le Père Henri Nouwen avait abordé un thème similaire dans un livre remarquable « Le retour de l’enfant prodigue » où il se reconnaît d’abord dans la figure du fils prodigue, en quête de miséricorde, dans celle du fils aîné ensuite, qui n’est pas moins aimé du père, et qui invite ses lecteurs enfin à accéder à cette paternité toujours bienveillante. C’est ici qu’André Querton le rejoint. A l’âge où les enfants se marient, à l’âge où les premiers amis nous quittent, la vocation de l’homme est de devenir un père prodigue de miséricorde, de justice, de pardon, de bons conseils; le vrai père est celui qui bénit, c’est–à-dire qui dit le bien. Car ce qui lie les chaînons de la lignée, ce n’est pas tant le nom et les gênes que l’amour paternel, sans lequel la lignée se brise. Saint Matthieu l’avait bien compris.

La lecture du Père Prodigue est émouvante : le thème traité, la délicatesse des tons, la finesse du langage, l’érudition biblique en arrière-plan témoignent de la qualité de cet auteur belge de langue française.

André Querton : Le Père Prodigue, Mardaga, 2017.

Les Explorateurs belges

Les Explorateurs belges

Petit pays sans grande tradition maritime, il est rare que, dans l’imagination populaire, on associe la Belgique aux grandes découvertes, mise à part l’exploration du Congo par Stanley, commanditée par Léopold II. L’ouvrage d’Alban van der Straten vient donc corriger cette perception en dressant le portrait de 34 explorateurs belges, du Moyen-Âge aux débuts du XXe siècle, regroupés en six parties.

Dès l’introduction van der Straten expose sa méthode pour retenir (ou non) un candidat explorateur belge. Trois conditions devront être remplies : tout d’abord il exige la présence d’un témoignage matériel, un récit de voyage par exemple ou un carnet de bord ; ensuite il faut que le personnage mérite d’être retenu comme un explorateur ; et enfin il faut qu’il soit belge. La première condition est en définitive soumise à un test de matérialité, relativement objectif. Van der Straten retient de l’explorateur une définition large, celui qui aura parcouru des contrées inconnues si bien qu’on retrouve parmi ses héros des explorateurs au sens où le XIXe siècle retiendra ce mot mais aussi des voyageurs, des aventuriers, des navigateurs, des marchands, des prédicateurs, des savants, des astronomes et des interprètes.

Enfin se pose la difficile question de savoir qui est belge. Tandis que feu Jean Stengers nous rappelle que le sentiment national belge ne se forme qu’à partir du XVe siècle avec la constitution en un Etat des Pays-Bas bourguignons, ce sentiment n’est pendant longtemps pas exclusif d’autres appartenances. Ainsi, alors que le premier de nos explorateurs, Guillaume de Rubrouck est flamand, en ce sens qu’il est né au XIIIe siècle dans le comté de Flandre, alors partie du Royaume de France, peut-on dire de lui qu’il est belge ? Si dans l’ensemble ces 34 personnages sont nés dans les provinces qui forment la Belgique d’aujourd’hui, la question demeure souvent ouverte, ce dont témoignent les guillemets dont van der Straten encadre le mot « belge ». Elle prendra son actualité après les guerres de religion même si l’auteur a bien conscience que parler de Belges et de Néerlandais en 1600 au sens où l’on comprend ces mots aujourd’hui constitue un anachronisme.

A la suite de la reconquête des Pays-Bas du Sud par Alexandre Farnèse, nombreux furent les réformés, principalement brabançons, qui émigreront vers la Hollande. Jacob le Maire par exemple est de ceux-là ; issu d’une famille de la petite noblesse tournaisienne convertie au calvinisme, établie à Anvers en un premier temps mais qui la fuit après la prise de la ville par Farnèse en 1585, il est le fils d’Isaac, un redoutable homme d’affaires installé à Amsterdam. Jacob le Maire sera le premier à contourner le cap Horn, auquel il confère le nom de la ville de Hoorn en Hollande. On ne peut s’empêcher de songer cependant que les aventures des le Maire père et fils et des autres brabançons dont van der Straten livre le récit s’inscrivent davantage dans l’histoire des Provinces-Unies que de celle de la Belgique ; du reste Wikipédia mentionne Jacob le Maire comme un explorateur et marin hollandais, pas belge. Peut-être van der Straten s’est-il aventuré un peu loin.

Les ressorts qui animent nos explorateurs sont multiples, la guerre, le commerce, le noble désir de courir le monde et puis l’élan missionnaire. Celui-ci est extraordinaire. Dès le tout début du XVIe siècle, Pierre de Gand et Joos de Rijcke se rendront en Amérique, dans l’empire naissant de Charles-Quint, y convertir les Indiens, l’un chez les Aztèques, l’autre chez les Incas. Leur empreinte est telle que leurs noms sont encore vénérés au Mexique et en Equateur de nos jours. Plus tard, devenus les Pays-Bas catholiques, la Belgique enverra outremer de nombreux missionnaires, en particulier des Jésuites en Chine au XVIIe siècle, hommes d’exception parmi lesquels se détache le personnage de Ferdinand Verbiest, astronome de l’empereur.

Qu’importe en définitive la question de savoir qui est belge et qui ne l’est pas, car le livre de van der Straten, richement illustré, fait rêver dès la première page. D’un style précis, rigoureux mais fluide, il emmène son lecteur vers des cieux ignorés où brillent des étoiles nouvelles. De chacune de ses aventures il compose un récit où s’engage le lecteur à telle enseigne qu’on voudrait parfois que ces récits fussent un peu plus fouillés pour lui permettre de découvrir le merveilleux que ces explorateurs ont dévoilé pour nous.

Alban van der Straten, Les Explorateurs belges, Editions Mardaga, 400 p., EUR35.